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jeudi 25 juin 2020

LE CINÉMA ITINÉRANT AU PAYS BASQUE EN 1912 (première partie)


CINÉMA ITINÉRANT AU PAYS BASQUE EN 1912.


Le 20 mars 1895, les frères Lumière organisent, à Paris, la première projection collective  gratuite de films photographiques sur grand écran .


pays basque autrefois cinema
CINEMA ITINERANT 1905


Les modes de diffusion du cinéma des premiers temps s'appuient sur des dispositifs techniques 

mobiles effectués souvent dans les villages par les forains.



Voici ce que rapporta le journal Comoedia, dans son édition du 16 mars 1912, sous la signature 

d'André Arnyvelde :



"La damnation au cinéma.



...Dès que j'avais pu quitter Paris, j'étais venu m'installer dans un village basque, voisin de Saint-Jean-de-Luz. J'étais presque seul à Ascain, et d'ailleurs je n'eusse voulu fréquenter personne. Mes journées se passaient en longues promenades, en lectures attachantes, et je me remettais par instants à écrire. Un roman historique, commencé jadis et longtemps délaissé, tendait vers moi, en même temps que le secours du travail, la diversion d'une compagnie de personnages pittoresques, chatoyants, lointains, et bien différents de tout ce qui pouvait raviver ma peine. 




- Quand, sans provocation apparente, au milieu de la page que j'écrivais, ou au cours d'une promenade, le souvenir de ma maîtresse perdue montait soudain de je ne sais quelles geôles de moi-même, voilait toutes choses, alourdissait mon sang dans mes veines, ou le précipitait à la gorge, d'un effort brutal de ma volonté, je mâtai le souvenir, je le piétinai, et regardant éperdument tout ce qui m'entourait, je prenais pour aide, pour arme, pour fouet, les stries de l'écorce d'un arbre, le vol d'un oiseau, le goût de l'air, et sous l'image ou la sensation, je tâchais d'étouffer le mirage cruel. Souvent il débordait, il se reconstruisait au delà de l'image, il emplissait l'horizon, l'univers ; je retombais en son pouvoir. Alors j'étais fichu pour tout le jour, et la nuit, et souvent pour longtemps ensuite. Cependant, bon gré mal gré, à la fin, mon esprit, de lui-même, se meublait d'images et de préoccupations nouvelles, qui recouvraient peu à peu le souvenir de Louise. Ainsi, sous les fleurs et les feuillages répandus par César, s'ensevelissait le corps et s'éteignaient les cris de l'archer Sébastien.


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AUTO CINEMA A PARTIR DE 1908

Un matin, deux roulottes arrivèrent dans le village et sur un côté de la place où l'on jouait à la pelote le dimanche, un cinématographe ambulant s'installa. J'étais alors en bonne convalescence. L'orgueil de l'œuvre que j'écrivais, les lettres de mes amis me faisant miroiter la place que je devais reprendre à Paris, le Printemps illuminant de fleurs blanches et roses, les jardins, les vergers et les routes, me redonnaient force et joie de vivre. Mon être physique et moral se recréait. Je me pressentais bientôt ardent et vigoureux au seuil d'un destin neuf, où toutes les allégresses, un nouvel amour peut-être, et la gloire, se pouvaient atteindre.




Le cinéma installé, l'imprésario fit le tour d'Ascain, accompagné d'une petite fille qui tapait sur un tambour...Ce soir, sur la place, grande représentation...A ce soir l'honneur de vos présences...


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PONT ROMAIN NIVELLE ASCAIN 1912

Assis sur un banc de bois étroit, entre deux paysans, j'assistai à la représentation. L'écran me révéla comment les Chinois peignent sur la porcelaine, et la goinfrerie avec laquelle les petits nègres de je ne sais plus quelle partie de l'Afrique, mangent la graisse crue. J'y vis encore une farce, et un drame moyenâgeux. Puis une nouvelle bande se déroula, dont une des scènes se passait au bord de l'eau. A la vue du site, il me sembla sentir des ailes inquiètes battre dans la cage des souvenirs proscrits. Ah ! ce ne fut pas long. Louise apparut sur l'écran. J'étais à côté d'elle. Nous descendions la berge, rieurs et prestes. Je montais dans une barque, je lui tendais la main, elle venait me rejoindre, et notre barque suivait le cours du fleuve, mêlée à une flottille d'autres barques...




...Un certain été, nous habitions dans une auberge d'un village situé entre la Seine et la forêt de Fontainebleau. Un jour en nous promenant le long du fleuve nous tombâmes sur une compagnie d'acteurs s'apprêtant à répéter une comédie cinématographique.



- Si tu voulais, me dit Louise, s'ils veulent...Ce serait très amusant de figurer et de se voir après... Elle s'approcha d'un artiste. Elle obtint le plus facilement du monde que nous figurions dans la comédie. C'était cela qui renaissait ce soir.




J'étais perdu. Toutes les forces reconquises s abîmèrent. Il m'en resta juste assez pour ne point m'effondrer, ou me précipiter, ou hurler. Ce fut un miracle magnifique que je me sois tenu immobile sur le banc jusqu'à la fin. Je ne rentrai point chez moi. J'errai droit devant moi, sans but. Je me jetais, par instants, comme une bête, par terre, sur les talus bordant la route, et j'enfonçais ma tête dans l'herbe trempée.




Je vécus jusqu'au lendemain soir comme une chose inerte. Au centre de la masse de plomb que j'étais, dansait, vibrait, tourbillonnait une petite vie : Je vais la revoir ce soir...




Le cinéma resta trois jours à Ascain. Le quatrième jour, au matin, l'impresario démonta sa baraque. Le soir il l'avait réinstallée dans un village distant d'une quinzaine de kilomètres. Ce village comptait le soir même, outre le bohémien, un hôte nouveau. C'était moi. 



Autant qu'il est possible de comparer à un phénomène expressément physique, l'état où j'étais tout entier et où je devais demeurer, l'expérience connue sous le nom d'extériorisation de la sensibilité image parfaitement ma disgrâce. Ma personnalité, du plus riche et du plus altier de ma pensée et de mon cœur, au plus robuste, au plus résistant de mes muscles, se riva à quelques centimètres d'une étroite feuille de gélatine enfermée dans une petite boite à l'intérieur d'une roulotte misérable."



A suivre...


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