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mercredi 7 août 2019

"CHANTECLER" À CAMBO EN LABOURD AU PAYS BASQUE EN 1910 (deuxième et dernière partie)


"CHANTECLER" À CAMBO.


Chantecler est une pièce de théâtre en quatre actes d'Edmond Rostand créée en 1910.

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CHANTECLER D'EDMOND ROSTAND

Je vous ai déjà parlé de Chantecler dans un article précédent.


Voici ce que rapporta La Gazette de Biarritz-Bayonne et Saint-Jean-de-Luz, dans son édition 

du 6 février 1910 :


"...L’ensemble est tel que nulle autre construction ne paraît aussi bien à sa place. Arnaga fait corps avec le paysage, il y a des détails voulus et amusants : le Basque qui construit utilise les montants qui se trouvent dans les bois, pourvu qu ils soient solides et sans souci de la ligne droite. Ainsi vont en zig-zag les bois apparents de la construction d'Arnaga. 




Nous n’entrerons pas, pour en violer l'intimité, ni pour en publier les beautés, les richesses, les originalités, les trésors artistiques, dans l'intérieur que le poète défend jalousement contre la curiosité des journalistes, des photographes et du public. 




Quelques mots seulement sur l'étymologie du nom d'Arnaga. 




On raconte que la paternité de ce nom appartient à un journaliste. 




Celui-ci, dès qu’il connut l'acquisition des terrains par Rostand, vint les visiter. puis prit une carte d’Etat-Major pour y marquer l'emplacement. A cet endroit, parmi les hachures qui rendaient la lecture difficile, il crut déchiffrer un nom : Arnaga. Cela sonnait bien : cela avait un relent de terroir et une allure romantique. Va pour Arnaga ! Et le nom fit fortune. En réalité, le mot écrit sur la carte était Arriaga et désignait un petit cours d'eau qui contourne la propriété. "Arriaga" est d’ailleurs un terme basque signifiant "ruisseau-frontière". 




Cambo et le Pays Basque.


A l'Est d’Arnaga, s’étend la petite ville de Cambo dont le célèbre professeur Grancher contribua à faire la réputation thérapeutique avant d’en devenir le bienfaiteur et le maire. Il la recommandait surtout aux Parisiens de poitrine délicate et aux neurasthéniques. Dans ce délicieux fouillis de villas, vêtues l’hiver de mimosas et de camélias et disparaissant l’été, sous la frondaison des grands chênes, les fatigués et les désespérés se reprennent à la joie de vivre, et cet appétit de la vie est un excellent médecin qui fait de merveilleuses cures. 




Cambo offre aussi une infinité de ressources pour le grand et le petit tourisme. On est là au centre de toutes les voies qui traversent le pays basque si fertile en sites curieux, gracieux et majestueux : Voici Itxassou, le pays des cerisiers, où les amoureux aiment chercher l'ombre discrète et le fruit savoureux, et la gorge brutale et grandiose du légendaire Pas-de-Roland, et la haute Nive au lit tourmenté. Plus loin, c’est Saint-Jean-Pied-de-Port, avec les murailles de Vauban, les oubliettes sombres et la haute citadelle, voisinant avec les ravissants paysages de la vallée, St-Jeau-Pied-de-Port, qui va bientôt élever une stable à son enfant Floquet, et sa voisine Baïgorry qui a oublié le maréchal Harispe. Et au-delà, voilà la route qui va à Pampelune par le fameux défilé de Roncevaux. Plus près, à quelques lieues à peine de Cambo, se trouvent la vallée de Sare, une des promenades préférées du Roi d'Angleterre, Edouard VII, et la montagne de la Rhune où fréquentent les chasseurs de vautours, et la vallée d'Ascain, célèbre par les souvenirs de Wellington et des combats de 1813 et 1814... 




GALIPAUX LE MERLE CHANTECLER




Tout conspire, dans ce pays, histoire, légende, beauté de la nature, à retenir, à inspirer le poète. 




Il s’intéresse aux frontons qui se dressent dans tous les villages et qui, chaque dimanche, retentissent des prouesses des Chiquitos locaux, aux danses si caractéristiques de ces agiles habitants dont Voltaire a pu dire : "les Basques sont un petit peuple qui danse et saute au pied des Pyrénées". 




Il faut ajouter que cette race est fière de la fierté espagnole : les hommes sont grands, robustes, bien découplés ; les femmes ont un port de déesses, de magnifiques cheveux foncés et de terribles yeux noirs. 



DERAISY LA POULE BLANCHE CHANTECLER



Le peuple basque n’a pour ainsi dire, ni littérature, ni histoire bien précise ; mais il y a des troubadours qui versifient d’abondance, des concours floraux, dotés généreusement par M. d'Abbadie, des acteurs qui, sur des tréteaux, et affublés de naïfs déguisements, représentent des pastorales moyennâgeuses. 




Et voilà, en raccourci, le pays que Rostand a fait sien et qu’il auréole de sa gloire, après y être venu rétablir sa santé, auprès de son ami, le professeur Grancher. Le climat et l’air pur de Cambo ont eu raison des fatigues et du surmenage causés par la fiévreuse vie de Paris et par la mise à la scène de Cyrano et de l'Aiglon. Ils réconforteront de leurs caresses vivifiantes celui qui leur reviendra bientôt accablé des ivresses du triomphe. 




Car la nature, dans ce pays, possède une séduction mystérieuse à laquelle les âmes d’élite ne résistent pas. Et Rostand, oubliant l'agitation bruyante de Marseille, sa ville natale, et le charme des flots méditerranéens, s’est pris d'affection pour cette région de demi-teinte, où le paysage digne d'un artiste est habité par une race forte et belle, mais fruste et illettrée. Chantecler pourra être traduit dans toutes les langues sans doute ; il ne sera jamais traduit en basque, car cette langue a presque autant de dialectes que de communes et cette mobilité rend tout travail littéraire inutile. 




Au milieu d’un tel peuple, le poète peut s’isoler pour écouter les voix de la Nature et celles de la Muse qui chante à son âme ; le penseur éprouve la sensation de la grande solitude. 



DORIVAL LE GRAND DUC CHANTECLER



Les deux Comédiens.


Nous avons dit que la maison de Rostand était jalousement fermée, sauf aux rares et intimes amis. Une exception y est faite cependant : la bienfaisance n'a jamais trouvé porte close. 




Un jour on frappe à la porte du poète, faisant appel à son bon coeur. Le solliciteur est reçu ; avec une grande faconde, il raconte sa misère et expose sa prière : directeur d’un théâtre forain, qui s'est échoué à Cambo avec ses trois malheureuses roulottes, il a en vain tenté la chance ; les Basques font mauvaise mine à son théâtre et la dernière soirée fut un désastre. 




HARMENT LE DINDON CHANTECLER


"Nous comptions, Monsieur, sur la recette de dimanche. Hélas ! les banquettes restaient vides, quoique nous eussions annoncé un des drames à succès de notre répertoire. 


Nous étions à moitié spectacle quand arrive une bande joyeuse de jeunes gens, des pelotaris, m’a-t-on dit, pour finir leur soirée, voir ces "bohémiens" qui se  permettaient une intrusion sur leur place. 


Ils avaient sans doute envie de rire et de gouailler et le drame ne semblait guère leur plaire ; ils interrompaient par des cris et des lazzis les tirades les plus pathétiques et firent tant de boucan que je voulus intervenir ! Alors ce fut une explosion de colère et de menaces, et ces jeunes gens ne parlaient de rien moins que d’envoyer mon théâtre à la rivière proche. Je n’eus plus d’autres ressources que d'éteindre les lumières. 


Un tel scandale, c'est le discrédit et la ruine. Nous ne ferons plus un sou, si une haute intervention ne se produit, et je viens vous supplier, Monsieur, d'être cette intervention. Permettez à vos enfants de venir à ma représentation de ce soir. Je vous jure que nous saurons bien les amuser et votre bienveillance nous vaudra la bienveillance des habitants et peut-être un retour de fortune..." 




Le poète donna au pauvre imprésario le réconfort de l'espérance et, le soir, quand le rideau se leva, il y avait sur les bancs de bois posés à même le sol humide, non seulement les enfants, mais l’exquise Mme Rosemonde Rostand, que tout le monde adore à Cambo, et Rostand lui-même ; et les acteurs se surpassèrent dans la Porteuse de Pain, et les applaudissements du poète semblèrent exciter leur verve et leur brio. 



GUITRY LE COQ CHANTECLER



Le lendemain, Tout-Cambo fut au Théâtre. Des "Parisiens" mirent leur frac. Pendant de nombreuses semaines, ou se disputa les places. Le Conseil municipal retenait la Loge. Aux entractes, on sablait le champagne dans les roulottes : le jeune premier eut des aventures avec des dames "chic" ; Cambo était devenu pour la troupe un pays de Cocagne. 




Et quand Coquelin vint, lui aussi, avec Rostand, visiter le petit théâtre, il se trouva en présence d’un bonhomme étourdissant de confiance heureuse et qui le traitait de puissance à puissance : c'est qu’en effet, la différence était tout à l'avantage du comédien de Cambo, puisque celui-ci donnait la comédie à Rostand, tandis que Coquelin en était encore à attendre Chantecler !"






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