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mardi 27 août 2019

UNE COURSE DE TAUREAUX À BAYONNE SAINT-ESPRIT EN LABOURD AU PAYS BASQUE EN OCTOBRE 1855 (deuxième partie)


UNE COURSE DE TAUREAUX À SAINT-ESPRIT EN 1855.

Saint-Esprit, quartier de Bayonne, est la plus ancienne place taurine de France.

COURSE DE TAUREAUX BAYONNE 1856
PAYS BASQUE D'ANTAN

Voici ce que rapporta à ce sujet le Journal des débats politiques et littéraires, dans son édition 

du 6 octobre 1855 :



"Une course de taureaux à Saint-Esprit.



Enfin, quand six ou huit paires de banderillas ont été clouées dans le cou et les épaules du taureau et que l'animal fatigué de blessures, sa robe noire rayée de sang, semble se résigner à son sort et se tient immobile dans un coin de l'arène, indifférent aux excitations des toreros et aux cris des spectateurs, et rêvant peut-être, pauvre bête, à ses beaux pâturages de l'Andalousie ou de la Navarre qu'il ne reverra plus, la trompette sonne pour annoncer le troisième acte du drame, la dernière péripétie de la lutte. Tous les toreros se retirent, et le chef de la cuadrilla, l'espada el Salamanquino, s'avance magistralement, tenant d'une main une épée longue à double tranchant, de l'autre la muleta écarlate, un petit drapeau dont la hampe ne dépasse guère l'étoffe et qui lui sert à la fois d'hameçon et de bouclier. Il s'approche de la loge présidentielle et prononce avec animation quelques paroles qu'il est inutile de comprendre, car l'effet s'en fait bientôt sentir. Il marche vers le taureau, le réveille et l'excite au moyen de sa muleta, et tandis que le simple animal se précipite tète baissée sur ce chiffon qu'il prend pour son ennemi, l'espada lui plonge son épée dans le cou et l'enfonce jusqu'à la garde. Le taureau bondit en tournant convulsivement, ses jarrets plient, il tombe. Alors le cachetero, un torero d'un rang inférieur, quelque chose comme le valet du bourreau, vient par derrière lui donner le coup de grâce et lui percer, avec un long poignard, la moelle épinière. Le taureau est achevé. La tête retombe inerte sur le sable, et le drame est fini. A ce moment une porte de l'arène s'ouvre au bruit des fanfares et donne passage à trois mulets richement caparaçonnés qui entrent au galop ; on attache à l'attelage d'abord le cheval, puis le taureau, qui sont traînés et emportés l'un après l'autre sur l'arène rougie de leur sang, au bruit des acclamations d'une foule éperdue. 

corrida matador
EL SALAMANQUINO



Car dans ce spectacle sanglant, véritable drame d'abattoir auquel je viens d'assister, ce que je trouvai de plus extraordinaire, ce fut la part qu'y prenait le public, s'agitant sur les gradins, gesticulant, vociférant, saluant d'acclamations insensées les passes les plus heureuses, sifflant et applaudissant tour à tour les hommes et le taureau. Des femmes agitaient leurs mouchoirs comme elles auraient pu le faire dans un cirque de Madrid, des jeunes filles, la joue empourprée et l'œil en feu, restaient là comme à l'Opéra, souriant à côté de leur mère. Des interjections basques, françaises, espagnoles se croisaient avec une animation indescriptibles. Au moment où le matador tira son épée fumante du corps du taureau, je crus que le cirque allait s'écrouler. Je n'ai jamais vu pareille frénésie à Paris ni nulle part dans aucun théâtre, dans aucun hippodrome. La vue du sang peut seule, on le croirait, causer une telle ivresse. Il me semble que cela suffit à juger la moralité du spectacle. Il y a dans le cœur de l'homme une bête féroce qu'il faut prendre garde d'éveiller. 



pays basque autrefois corrida
CORRIDA BAYONNE
PAYS BASQUE D'ANTAN





Le divertissement n'eut pas d'entr'acte. C'est l'usage. Dans ce genre de pièces, on n'aime pas à respirer ; il faut que le sang coule sans s'arrêter. Un nouveau taureau fut lancé dans l'arène, puis un second, puis un troisième, jusqu'à six ; tous blessant et tuant des chevaux, recevant des coups de lance et des flèches et tous immolés à la fin, comme le premier, par l'épée du matador. Dans le nombre, quelques uns, plus pacifiques, refusèrent le combat : on leur attacha des banderillas de feu ; alors l'animal courait, fou de douleur, dans le cirque, secouant les flèches sur ses chairs grésillantes. Le triomphe de cette journée fut pour El Tato, qui pourfendit l'un des taureaux d'un coup d'épée ramené, ce qui est le comble de l'art. L'enthousiasme fut au comble. On lui cria : "A toi le taureau !" Et l'espada de couper l'oreille du taureau mort, en signe de propriété. Puis, comme les cris et les applaudissements redoublent, il jette cette oreille au milieu des bancs de l'amphithéâtre, et l'amphithéâtre se tait comme un chien famélique qui tient son quartier de proie.






Pour moi, j'étais repu bien avant le terme de la course ; j'avais assisté au spectacle le cœur et la gorge serrés ; je suffoquais, et comment je me trouvai le lendemain à la même place pour assister à la dernière journée des courses, c'est ce que je ne saurais dire, à moins de l'expliquer par cette férocité naturelle à l'homme dont je parlais tout à l'heure, par la curiosité de savoir ce que pouvait être la corrida de femmes annoncée pour, cette journée, et par le désir, lecteur, de vous le raconter. 





Je me trouvai encore une fois placé à côté de mon Espagnol. Le spectacle commença par une corrida fournie par les hommes ; mais les taureaux furent immolés par les matadors suppléants, qui firent très mal leur besogne. L'un d'eux perdit jusqu'à 7 coups d'épée dans le corps du malheureux taureau, qui doit être tué du premier coup quand l'estocade est bien appliquée. Alors les spectateurs de hurler, de montrer le poing au matador, l'appelant chien, bourreau, et mugissant plus fort que le taureau. Et le matador était ahuri. Mon Espagnol me dit : "Vraiment il semble qu'on ait décidé la mort de cet homme. Le matador n'a pas assez de tout son sang-froid dans le combat suprême ; celui-ci fait peut-être ses premières armes dans le rôle d'espada. Il est à la merci du taureau." A ces paroles, je crus que j'allais assister à la mort d'un homme ; une sueur froide me courut par tout le corps. Le taureau fondit tète baissée sur le matador ; cette fois le matador, sans essayer de faire usage de son épée, recula de côté, hésitant et pâle. Aussitôt mon Espagnol de se lever tout debout et de s'écrier : Cobarde ! cobarde ! le poltron ! Son intérêt pour le matador avait fait place à la colère : je vous l'ai dit, j'avais affaire à un amateur. Sur ces entrefaites El Tato avait été aperçu dans les tribunes ; il était ce jour-là simple spectateur. El Tato ! El Tato ! ce fut un cri général. El Tato fut forcé de descendre dans l'arène en costume de ville, et tua enfin le taureau à la place du malencontreux suppléant.


corrida matador
EL TATO





Les trois derniers taureaux devaient être combattus par des femmes. De cette dernière course je ne dirai que quelques mots. L'entrée de ces Andalouses au teint très bruni causa un désappointement général qui se manifesta par d'insultantes risées. "Ce ne sont pas là des femmes !" s'exclama derrière moi une affreuse vieille qui avait paru prendre grand plaisir à tout le spectacle. Et en effet, ces femmes en jupe courte et en tricot blanc, les unes à pied, les autres à cheval, étaient de si épouvantables sorcières avec leur figure flétrie et terreuse, leurs yeux d'araignée féroce et leur sourire qui ressemblait à une blessure, elles étaient si horribles de taille, d'allure, de costume et de visage, que le taureau lui-même en eut peur. Les dispositions prises pour cette course, en écartant toute idée de péril, enlevaient à ces malheureuses le seul intérêt qu'elles pussent exciter. Le taureau avait les cornes tamponnées et les banderillas étaient remplacées par de longues javelines. Au premier coup de tampon les femmes picadores furent désarçonnées et roulées dans la poussière, les autres, armées de leurs javelines et rangées sur une ligne, un genou en terre, comme des sauvages à la chasse, attendaient le taureau. Quand l'animal faisait mine de s'élancer, elles se couchaient tout du long ; le taureau, ne pouvant s'arrêter, sautait par-dessus ces maillots étendus, labourant l'air de ses cornes inutiles, et, quand il était passé, les femmes lui jetaient leurs javelots. La célèbre Martina Garcia fut seule applaudie dans cette ignoble parodie d'un spectacle qui n'avait pas besoin d'être parodié. Elle égorgea deux taureaux haut la main, et obtint la permission d'emporter une oreille. Le dernier taureau fut tué par une étincelle électrique :


Et le songe a fini par un coup de tonnerre !


corrida pays basque autrefois
PICADOR CORRIDA BAYONNE
PAYS BASQUE D'ANTAN


Voilà ce qu'ont été les courses de taureaux à Bayonne, ou, si vous aimez mieux, à Saint-Esprit, car l'un et l'autre se touchent, et l'un ou l'autre pourrait être jaloux. Pour moi, je ne pus manger pendant plusieurs jours de la viande de boucherie."




A suivre...








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