LASARTE - ORIA EN 1893.
Lasarte-Oria est, en 1893, un quartier de la ville d'Hernani, en Guipuscoa, et ne compte que quelques centaines d'habitants (583 en 1860).
HERNANI GUIPUSCOA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Voici ce que rapporta la Gazette de Biarritz-Bayonne et Saint-jean-de-Luz, dans son édition du 5
novembre 1893, sous la plume de Léonard Laborde :
"Après avoir quitté Saint-Sébastien, la coquette ville Guipuscoane, on tourne le dos à la magnifique cathédrale de Santa-Maria del Pilar, et on a devant soi le berceau de la guerre carliste.
Pays incomparablement pittoresque, coupé de sierras dont la sauvage grandeur élève l’âme, émeut le cœur.
Là chaque site est une poésie et chaque maison une aquarelle, surtout quand cette maison est une vieille église ou une vieille forteresse, avec ses admirables ruines couvertes de lierre, qui grimpe sur les brèches faites par les boulets et le temps.
A cinq kilomètres de Saint-Sébastien s’élève le joli village de Lasarte, sur le bord de l’Oria. Cette petite rivière, par sa force motrice, en constitue toute la richesse, sur le parcours d’un quart de lieue. Lasarte lui doit la possession de trois industries de premier ordre.
En 1846, un ingénieur parisien, mort il y a une vingtaine d’années, M. Fossey, y fonda une usine pour la construction des machines qu’il eut l’art de faire mouvoir par les eaux de l’Oria. L’ingénieux industriel obtint à l’Exposition universelle de Paris, en 1867, une médaille d’or : récompense méritée, car M Fossey était non seulement un esprit original et créateur, mais encore l’homme le plus aimable et le plus patriote que j’aie connu.
USINE DE M FOSSEY LASARTE GUIPUSCOA PAYS BASQUE D'ANTAN |
L’usine, peu visitée, a beaucoup perdu de son prestige aux yeux des anciens rivaux de M. Fossey. La marche des événements n’a pas peu contribué à éteindre sa célébrité. Cependant, il avait été décidé qu’elle serait installée au Passage, de façon à être au centre des grands travaux exécutés dans ce port, jadis florissant, qui vit pendant trois siècles, du XVIe au XVIIIe, tant de vaisseaux sortir de ses chantiers.
PORT PASAJES GUIPUSCOA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Entouré d’entrepôts superbes et de magasins encombrés de toute espèce de marchandises, il aurait pu devenir la Catalogne en miniature du Guipuzcoa. Reprendra-t-on ce projet ? Il ne faut désespérer de rien : notre siècle est aux miracles.
En attendant ce temps de décadence pour les uns et de grandeur pour les autres, Lasarte n’a pu encore s’ériger en commune. Il dépend de deux petites villes, ses voisines, lesquelles perçoivent, par moitié, les revenus de ses taxes locales. Sa partie haute appartient à Urniéta et sa partie basse à Hernani.
HERNANI GUIPUSCOA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Ces petites villes, à leur tour, —il faut le reconnaître, — couvrent bravement, par moitié, les frais du culte et de l’enseignement public de leur aimable tributaire.
A peu de distance de la fonderie, on remarque un moulin-modèle de seize paires de meules : on remarquait aussi, il y a quelques années, le propriétaire dudit moulin, beau comme Hercule, et non moins robuste : coquet montagnard qui, à vingt-cinq ans, jetait son cœur à toutes les jolies filles du pays, très flattées d’ailleurs d’être distinguées par lui.
Un peu plus haut, à un kilomètre et demi du village, sur la route d’Andoain, l’œil du touriste est attiré par la magnifique filature de coton appartenant à la maison José et Francisco Brunet, de Saint-Sébastien, et qui possède dix mille broches et une centaine de métiers à tisser.
Les produits de cet établissement jouissent d’une juste renommée et s’écoulent en partie sans exportation. Ils consistent en tissus de toute sorte : toiles écrues, blanches de couleurs unies et nuances assorties, ainsi qu’en cotons et fils pour broder et tricoter. On y fabrique aussi ces grosses et fortes toiles de chanvre que l’on expédie dans le pays basque-espagnol et qui forment la partie supérieure des espadrilles, cette chaussure légère des montagnards. L’état florissant de la culture des terres n’empêche pas une nombreuse population de se livrer, avec succès, dans ce bâtiment, à diverses branches utiles et productives d’industrie. Les maisons des ouvriers, groupées pittoresquement autour de la fabrique, ressemblent à des cottages charmants.
Dans ce village privilégié, il y a aussi un quatrième établissement.
C’est un couvent de religieuses, toutes fort riches et appartenant à des familles aristocratiques : elles sont de l’ordre de sainte Brigide, et leur règle est très sévère.
La fille de Marie-Christine, Isabelle II, ne visitait jamais les provinces basques, sans s’arrêter au couvent de Lasarte.
En 1866, la députation du Guipuzcoa fit construire une très jolie route au bord de la jolie rivière, afin que la souveraine, qui prenait des bains de mer à Zarauz, put se rendre au couvent avec moins de fatigue.
Dire le charme de cette route, surtout dans la belle saison, est chose impossible.
Tout y est, riant et fleuri, entourée comme elle l'est d'habitations toutes blanches, de champs bien cultivés, de villas coquettes à demi cachées dans une vallée ravissante, entre des sierras boisées.
Elle conduit le touriste aux charmants villages d’Usurbil et de Zubiéta, séparés par l’Oria qui, roulant ses flots capricieux au bas de ces belles pentes cantabres, arrose amoureusement une grande plaine semée d’établissements métallurgiques, industriels et manufacturiers, avant d’aller se perdre dans la mer près de la petite ville qui porte son nom. Le paysage ne saurait nous cacher plus longtemps les personnages. J’ai hâte de les introduire dans le cadre de cette belle nature.
I I Vers la fin de mai 1872, les libéraux de Lasarte étaient fort inquiets.
Le mont Boruntza, qui domine le village avait été occupé brusquement par des bandes de carlistes. Les plus inquiets de tous étaient le jeune Fernandez Cruz Etchèverry, neveu de don José, l’ancien propriétaire de la filature de coton, et son voisin et vieil ami don Pedro de Mendia, un isabelliste enragé, devenu un alphonsiste forcené depuis l'avènement du roi Amédée au trône d’Espagne.
Fernandez Cruz, non sans raison, craignait pour la fabrique dont il était devenu possesseur, et don Pedro de Mendia craignait pour sa vie, ayant affiché, depuis l’âge d’homme le plus profond mépris aussi bien pour la cause de Charles V que pour celle de Charles VII.
Mais, Fernandez le nouveau maître de la fabrique, n’avait, à cette époque, que vingt-huit ans, tandis que M. Mendia en avait plus de cinquante. Différence d'âge fort appréciable. De plus, Fernandez était d’origine française, et bien que son oncle, dans le temps, se fut signalé par des actes de cruauté contre des ouvriers carlistes employés à la filature, il se souciait, quant à lui, de don Carlos comme d’Alphonse.
C’était un de ces esprits pratiques et froids, toujours prêt à voir dans les choses le côté utile, un de ces caractères sombres, farouches, dissimulés, dont le despotisme a besoin de s’imposer dans n’importe quel milieu social. Il régnait en souverain presque absolu sur une nombreuse population d'ouvriers : la guerre civile et les velléités de certains de ses sujets lui souriaient donc médiocrement.
En voyant se dessiner à l’horizon du mont Boruntza au pied duquel est située la filature, les bérets rouges des volontaires Guipuscoans, il avait d’abord fait une vilaine grimace, puis avait haussé les épaules de pitié en pensant à ces Basques si ardents à proclamer la liberté dans leurs montagnes natales, tout en cherchant à l’étouffer dans le reste de l’Espagne.
Quant à M. Mendia, je ne sais si ses réflexions avaient cette profondeur philosophique ; mais il descendait d’une famille qui avait trahi la cause de Charles V après l’avoir embrassée, et qui, ayant participé à la défection de Maroto, sous le premier prétendant, s’était ralliée avec éclat au parti constitutionnel, lors de la convention de Vergara. Enfant, à Oyarzun où il était né, il avait entendu retentir à ses oreilles le couplet vengeur des Chapelgorris, ces terribles miliciens à bérets rouges qui avaient fait la grande guerre carliste sous Zumalacarreguy :
A Espartero tounante
Maroto traïdor
Ha vendido Espana
Por un réal de vellon.
"Au redoutable Espartero, Maroto le traître a vendu l’Espagne pour un réal."
ESPARTERO EN 1860 |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire