LE RATTACHEMENT DE SAINT-ESPRIT À BAYONNE EN 1857.
En 1857, il existe un projet de rattachement du quartier Saint-Esprit, situé dans les Landes, à Bayonne, en Labourd.
BAYONNE VERS 1850 GRAVURE DE LOUIS GARNERAY |
Voici ce que rapporta à ce sujet la Gazette Nationale ou Le Moniteur Universel, dans son
édition du 11 mai 1857 :
"Corps Législatif. Compte rendu de la séance du samedi 9 mai 1857. Présidence de M. Schneider.
...L'ordre du jour appelle la délibération sur un projet de loi qui a été modifié d'accord par la commission et le conseil d’Etat, et qui a pour objet :
1° de distraire de l'arrondissement de Dax (Landes) et de réunir à la ville de Bayonne (Basses-Pyrénées) la commune de Saint-Esprit, chef-lieu du canton de ce nom ;
2° de distraire de la commune de Tarnos (Landes) les sections de Boucau et de Romatel, pour en former, sous le nom de Boucau, une commune distincte qui sera réunie à l’arrondissement de Bayonne (Basses-Pyrénées).
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MM. Denjov et Flandin, conseillers d’Etat, siègent au banc des commissaires du Gouvernement.
M. Corta a la parole contre le projet de loi. Quoique ce projet enlève une portion importante de territoire au département que l'orateur représente, ce n’est pas un intérêt local, c'est un intérêt plus élevé qu'il se propose de défendre. Le Corps législatif a voté de nombreuses lois ayant pour objet de nouvelles circonscriptions territoriales ; ces lois avaient un caractère restreint et privé. On a bien fait de les adopter. Mais le projet actuel a, selon l'orateur, un caractère tout autre ; il entreprend sur deux départements, il dépouille le plus pauvre, les Landes, pour favoriser le plus riche, les Basses-Pyrénées. Il enlève au département des Landes une portion de territoire occupée par 8 200 habitants, ainsi qu’une partie de son budget déjà insuffisant ; il retranche à ce département sa ville la plus importante, Saint-Esprit, et la moitié d une commune qui a aussi une certaine importance ; il supprime une ligne de séparation naturelle, celle du fleuve, pour la remplacer par une ligne idéale tracée à travers les terres ; il enlève au département des Landes deux gares de chemin de fer. En d'autres termes, il retire au département des Landes moitié du port de mer et le port de terre tout entier.
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Le chef-lieu de canton qui est actuellement à Saint-Esprit, étant supprimé, les sept communes jusqu’à présent attachées à ce chef-lieu seront sans organisation, et seront hors d'état d'en avoir une.
L’orateur conclut de ces circonstances que le projet en ce moment soumis à la Chambre est un projet non d’intérêt local, mais d’intérêt départemental. Selon l’honorable membre, le changement proposé dans la situation des deux départements dont il s’agit, s’écarterait de l’esprit de la loi qui a constitué d’une manière générale les départements. La délimitation de deux départements limitrophes ne peut pas être changée au gré de simples convenances et sans tenir compte de conditions essentielles d’ordre public.
Après avoir indiqué le principe qui a présidé à la formation des départements , principe d’égalité proportionnelle quant aux territoires, aux populations et aux revenus, l’orateur dit que le développement des chemins de fer tend de plus en-plus à déplacer les industries, à modifier les éléments de la richesse publique, à faire rayonner la richesse du centre à la circonférence. De là doit résulter un enseignement qui, aux yeux de l’honorable membre , est méconnu par le projet de loi. Il lui semble que les limites départementales ne pourront être utilement remaniées que, quand le réseau des chemins de fer sera achevé ; il ajoute que quand des changements aux circonscriptions départementales seront faits, c’est sur l’esprit d'égalité qu’ils devront se fonder.
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L’égalité proportionnelle étant ce que l'on a eu principalement en vue lorsqu'on a tracé la division des départements telle qu’elle existe, on ne peut pas porter atteinte à cette condition essentielle de leur fonctionnement, de leur administration normale et régulière. Une plus grande égalité proportionnelle peut être espérée par suite du progrès des chemins de fer. Il faut tendre de plus en plus à réaliser cette égalité proportionnelle, ou du moins à s’en rapprocher. Or il parait à l’orateur que le projet de loi méconnaît ce principe et qu’il a le tort d'agrandir l’écart déjà existant entre les Landes et les Basses-Pyrénées.
Quant à une révision des limites départementales et aux règles qui devraient y présider, l’orateur soutient que cette révision ne saurait être partielle, que ce devrait être un travail d'ensemble ; qu’une révision partielle aboutirait inévitablement à une injustice.
En ce qui concerne spécialement les deux départements des Landes et des Basses-Pvrénées, l’orateur dit qu’en 1854 les administrations de ces deux départements furent chargées d’étudier la question. Le Gouvernement voulait que l’on cherchât une compensation équitable qui put être opérée au triple point de vue du territoire, de la population, des contributions. C’est ainsi que le département des Landes demanda aux Basses-Pyrénées la cession de treize communes ; mais alors il était question d’enlever aux Landes le canton entier de Saint-Esprit ; moitié seulement du canton ayant dû ensuite être détaché des Landes, la compensation demandée ne comprenait plus que sept communes. Selon l’orateur, le département des Basses-Pyrénées n’aurait voulu rien donner en échange de ce qu’il allait obtenir. Il se serait borné à renvoyer les Landes à se pourvoir auprès de la Gironde ou du Gers. Ces deux départements, s’ils avaient subi quelque perte, auraient demandé à leur tour à se récupérer sur les départements limitrophes. L’orateur voit là une preuve à l'appui de ce qu’il a dit sur la nécessité d’un remaniement d’ensemble. Il est vrai que l’exposé des motifs et le rapport sembleraient montrer en perspective au département des Landes une plus forte participation au fonds commun ; mais l’orateur dit que ce serait là un espoir très peu assuré, et qu’en tout cas, faire du département des Landes un pensionnaire du fonds commun, rendre les autres départements tributaires de celui des Landes, ce serait constituer une inégalité de plus.
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Le projet de loi a pour but de réunir la ville la plus importante des Landes à la ville la plus importante des Basses-Pyrénées, et en même temps il opère le fractionnement d’une commune. Par l’adjonction de la commune de Saint-Esprit à la ville de Bayonne, le projet, selon l’orateur, laisse sans organisation sept communes qui actuellement dépendent de Saint-Esprit ; d’une autre part, la nouvelle commune de Boucau, distraite de celle de Tarnos, n’aura pas la possibilité de créer les établissements qui sont nécessaires à son fonctionnement. M. le garde des sceaux, en émettant son avis sur les nouvelles délimitations projetées, et en exprimant la pensée qu’il serait avantageux de réunir à Bayonne tout le canton de Saint-Esprit, a déclaré que si les sept communes dépendant actuellement de Saint-Esprit en étaient détachées, elles manqueraient des éléments nécessaires pour se constituer en canton. La même opinion a été exprimée par M. le premier président de la cour impériale de Pau, et par d’autres fonctionnaires dont la compétence sur cette question ne saurait être récusée.
L’orateur ajoute que la réunion de Saint-Esprit à Bayonne violerait la loi de 1838 sur les attributions des conseils généraux. D'après cette loi , les conseils électifs doivent être consultés quand il s’agit d’une nouvelle désignation de chef-lieu ; cette prescription de la loi n’aurait pas été observée, et dans l’enquête on aurait seulement posé la question de la réunion de Saint-Esprit à Bayonne. Des protestations locales se sont produites contre le projet. Quant aux moyens qu'on a fait valoir à l’appui de l'adoption, on a d’abord invoqué la défense nationale, Bayonne étant une place forte. A cela l’orateur répond que l’état actuel des choses pourvoit à tout, puisque la division militaire de Bayonne embrasse le département entier des Landes. On a aussi invoqué les nécessités de la police : l’orateur croit qu’on pourrait satisfaire cet intérêt en mettant la police des deux villes dans les mêmes mains, par la création d’un commissaire central.
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En terminant, l’orateur indique de quelle manière il lui semble que l’on aurait pu créer un département nouveau, si la nécessité d’un remaniement territorial avait été reconnue et il dit que ce département aurait dû avoir Bayonne pour chef-lieu. Le projet de loi ne paraissant pas à l’orateur être conforme aux règles de la justice, il en demande le rejet devant la Chambre, comme il l’a repoussé devant le conseil général et devant la commission.
M. Roulleaux-Dugage, rapporteur, répond que jamais peut-être, dans une commission, un projet de loi d'intérêt local n’a été débattu avec plus de soin et de détails que celui qui est actuellement en discussion. La commission a consacré à l'étude de ce projet cinq ou six séances ; deux fois elle a prié MM. les commissaires du Gouvernement de vouloir bien se rendre dans son sein, et les deux députés du département des Landes, qui étaient au nombre de ses membres, ont disputé le terrain pied à pied, ont combattu à outrance, comme des hommes qui luttaient pro aris et focis. Devant la Chambre, l’honorable préopinant vient d’élever le débat à la hauteur d’une question de principe ; il a parlé de la formation des circonscriptions départementales par l'Assemblée constituante. M. le rapporteur ne le suivra pas sur ce terrain : il dira seulement qu’en faisant disparaître les anciennes unités provinciales, dont quelques-unes avaient l'importance de certains royaumes, et en créant les départements, l’Assemblée constituante n’a pas eu sans doute la pensée de former de petites unités territoriales, à la fois inviolables et impuissantes, le but de l'Assemblée en organisant de nouvelles circonscriptions administratives, a été de donner satisfaction aux besoins des populations, en tenant compte des convenances locales. Depuis lors, les conscriptions départementales ont été plusieurs fois modifiées, suivant les temps et les besoins ; ainsi l'ancien département de de Rhône-et-Loire a été divisé en deux départements, celui du Rhône et celui de la Loire ; ainsi encore on a créé un département nouveau, celui de Tarn-et-Garonne ; on a transporté à Saint-Etienne, qui était autrefois un simple village, le chef-lieu du département de la Loire, on a constitué l’agglomération lyonnaise en annexant à la ville de Lyon les communes de la Guillotière, de Valse et de la Croix-Rousse.
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