"IL FAUT SAUVER BAYONNE" EN 1920.
En 1920, il existe un projet de destruction des remparts de Bayonne.
REMPARTS LACHEPAILLET BAYONNE - BAIONA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Une campagne de défense des remparts est menée dans la presse.
Voici ce que rapporta Le Figaro, dans son édition du 2 octobre 1920, sous la plume d'André
Geiger :
"Il faut sauver Bayonne !
Dans l'enchantement de l'automne, le vend du sud se lève...
Ce vent énervant, et subtil. ..
Qui fait rire comme Henri Quatre
Et pleurer comme Boabdil !
Et sous la caresse, le pays basque a frémi d'une amoureuse mélancolie...
Mais, pour une fois, je ne m'abandonnerai pas au charme. Une inquiétude trop cruelle m'étreint : il me semble déjà entendre le bruit sinistre du pic des démolisseurs.
Poussons le cri d'alarme ! Un des plus émouvants paysages de France est menacé.
Ceux qui le connaissent et qui l'aiment doivent trembler pour lui ; ils sont légion en France et dans les pays amis de la France, d'où nous viennent tant de visiteurs chaque année.
Il n'y a pas longtemps, le Figaro a réussi le sauvetage du Vieux Port de Marseille. Qu'il accorde aujourd'hui son secours aux malheureux amis de Bayonne !
Car les remparts de Bayonne sont, de nouveau, attaqués.
REMPARTS DE LACHEPAILLET BAYONNE - BAIONA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Ils le furent déjà — on s'en souvient peut-être — il y a quelques années. La "Porte de France", le "Réduit" succombèrent sous un utilitaire prétexte de voirie. L'éperon historique qui se dressait au confluent de l'Adour béarnais et de la Nive basque a fait place à une statue du cardinal Lavigerie par Falguière, qui est belle, mais qui ne nous console pas.
REDUIT ET PONT ST ESPRIT BAYONNE - BAIONA PAYS BASQUE D'ANTAN |
STATUE CARDINAL LAVIGERIE BAYONNE - BAIONA PAYS BASQUE D'ANTAN |
En vain, à cette époque, s'élevèrent pour la défense des précieux vestiges les protestations d'un grand roi, Edouard VII, qui affectionnait Biarritz, et d'un grand poète, Edmond Rostand, qui résidait à Cambo. "Trop tard !" répondit la machine administrative.
Du moins pouvait-on espérer que la destruction n'irait pas plus avant.
Eh bien ! non. Aujourd'hui il s'agit de la disparition totale de l'enceinte de Bayonne.
REMPARTS BAYONNE - BAIONA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Mais, avant de crier ce qui se prépare, j'évoque, un instant, Bayonne, petite ville rousse et verdoyante à la fois, unissant dans sa grâce un charme du Nord au charme du Midi. Le jury — s'il y avait un concours de la beauté des villes — la proclamerait "la plus belle de France". Au bord de son fleuve puissant où s'amarrent les grands navires, elle forme un noyau serré qui abrite l'autre rivière entre ses maisons multicolores, qui se divise par des rues étroites, ombreuses, presque espagnoles déjà, en pâtés d'antiques maisons aux cours intérieures ornées d'escaliers à galeries. Les flèches de sa cathédrale pointent allègrement dans le ciel bleu, où passent les mobiles nuages de la mer voisine en route vers les montagnes qui rehaussent l'horizon.
CANON SUR REMPARTS BAYONNE - BAIONA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Hier, Bayonne a été une petite capitale. Ville-frontière, sentinelle française, halte diplomatique, à mi-chemin de Paris et de Madrid — ce Madrid qui fut pendant des siècles le centre de l'Europe, — elle a vu passer les cortèges des souverains sans nombre. Les lis et les aigles ont figuré tour à tour dans ses armoiries.
Aujourd'hui, Bayonne est une ville prospère qui s'accroît, qui veut grandir, qui étouffe un peu.
REMPARTS BAYONNE - BAIONA PAYS BASQUE D'ANTAN |
De là, le drame. L'éternel drame entre les "passéistes" et les "futuristes", entre les "anciens" et les "modernes", si vous aimez mieux.
Séparant la ville de ses faubourgs qui rayonnent vers les villas de Biarritz et vers les usines du Boucau, il y a les vieux magnifiques remparts. On a projeté de les démolir ! On a obtenu les autorisations nécessaires. Il n'y a plus qu'à signer le pacte. Arrêt de mort pour Bayonne, au point de vue esthétique. En croyant se rajeunir, la cité va se perdre à tout jamais. Ainsi le pauvre fou de Faust qui vendit son âme au diable !
CAMP WILSON BAYONNE - BAIONA 1919 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Car ses remparts ne sont pas seulement un assemblage de bastions, de fossés et d'autres ouvrages qui, au point de vue historique, constituent un merveilleux spécimen de la fortification à la française si étroitement associée à la gloire ancienne de notre race. Ses remparts, avec les admirables bosquets qui les ombragent, avec les lisses prairies qui les entourent, sont devenus un parc aussi beau que les plus beaux parcs d'Angleterre, où les enfants jouent en foule, où les soldats font l'exercice, où les troupeaux de moutons et de vaches viennent bucoliquement pâturer. Ses remparts sont un accompagnement, un cadre indispensable à la beauté de sa silhouette, que domine sa cathédrale. Aux alentours de la "Porte d'Espagne", près de laquelle vécut avec sa mère Victor Hugo enfant et par laquelle défila l'Epopée impériale, ses remparts forment un décor qui constitue au premier chef un "site" méritant d'être "classé" tout autant qu'un monument. Chef-d'œuvre né de la collaboration des hommes et de la nature !
MOUTONS A BAYONNE - BAIONA PAYS BASQUE D'ANTAN |
C'est une plaisanterie de prétendre que je ne sais quel projet de destruction (élaboré d'ailleurs par un homme éminent) les respecterait, si ce plan voue au lotissement les libres espaces qui les entourent, qui leur forment un premier plan, qui permettent de les voir, si ce projet conserve les lignes d'arbres, mais prévoit des bâtisses dans leur intervalle en détruisant la perspective !
Tout l'ensemble du site doit être sauvé.
Il ne s'agit pas de paralyser Bayonne dans son développement commercial et industriel. Se moderniser, s'agrandir, s'outiller est pour elle un besoin, comme pour tous les grands ports de France, en notre époque de reconstruction nationale. Mais on peut innover sans faire table rase. En pleins quais du port d'Anvers, les Belges ont su conserver un château du moyen âge, dont ils ont fait un musée. La vieille reine française et italienne qui accompagna jusqu'à Bayonne le roi son fils et dont la fille régna sur l'Espagne, cette grande politique méconnue, Catherine de Médicis, avait raison de dire : "Ce n'est pas tout que de couper, il faut recoudre." A quoi bon construire si l'on détruit ? A quoi bon augmenter d'un côté le patrimoine d'une cité, si on le diminue d'un autre côté ?
REMPARTS BAYONNE - BAIONA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Car, ô Bayonnais, mes amis ! l'anéantissement de votre site serait une diminution de votre richesse. Songez à ceci : que votre beau pays basque, avec ses plages et ses montagnes, est ou deviendra de plus en plus un pays de tourisme mondial, et que le tourisme est une des premières industries de France ; que votre industrie touristique, sera peut-être un jour votre meilleur revenu. On n'est jamais sûr, absolument sûr, même à coups de millions, de vaincre les forces de la nature, de créer un grand port, de supprimer une barre récalcitrante depuis des siècles à l'entrée des navires. Certes, on vous souhaite de réussir dans cette vaste entreprise. Mais n'est-il pas prudent, à tout hasard, de conserver comme réserve le capital beauté que vous ont constitué, la Terre et l'Histoire ? Vos remparts, votre cathédrale, votre "site", c'est une poule aux œufs d'or, héritée de vos aïeux, qu'il ne faut pas étrangler... ni mettre au pot le dimanche.
ANCIENS REMPARTS BAYONNE - BAIONA PAYS BASQUE D'ANTAN |
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