LA STATION "CLIMATÉRIQUE" DE CAMBO EN 1894.
Cambo-les-Bains est en 1894 une station touristique et thermale.
CAMBO LES BAINS - KANBO PAYS BASQUE D'ANTAN |
Voici ce qu'en rapportait le Journal des Débats Politiques et Littéraires du 4 octobre 1894 :
"La station climatérique de Cambo.
Cambo est un charmant village des des eaux minérales sulfatées calciques, un climat délicieux au printemps et en automne, doux et légèrement, humide en hiver. Cambo fut autrefois une station célèbre, fréquentée par les plus grands seigneurs d'Espagne. Les reines elles-mêmes la visitaient souvent, et on montre encore la chaise à porteurs d'une de ces souveraines. Les reines avaient fort bon goût, ce pays est très agréable; les montagnes d'une hauteur modeste ne vous écrasent pas ; un joli cours d'eau, la Nive, égaie le paysage ; la mer de Biarritz est tout proche et l'on touche à Bayonne. Et, cependant, Cambo était délaissé ; on n'y voyait plus guère que des Basques, enrichis dans l'Amérique du Sud, qui revenaient au pays avec de gros écus qu'ils transformaient en châteaux et en parcs, et quelques Anglais désireux de respirer un air pur au plus juste prix. Mais les Français oubliaient toujours Cambo, quand le hasard de la santé, des voyages et des relations amena M. le docteur Grancher à Cambo. Ce savant professeur put apprécier les qualités remarquables de ce climat bas-pyrénéen ; sa santé s'y raffermit peu à peu. Les amis du maître sympathique parlèrent de Cambo, de ce trou inconnu des Parisiens ; on y vint, on fut ravi. Le climat était agréable en automne, quand on commençait à geler à Paris. La tranquillité était parfaite ; on jouissait d'une belle vue sur la plaine en regardant le Nord et la montagne se déroulait du Midi au Couchant ; pas de casino, pas de fanfare, pas de musique militaire : de bons amis, des Parisiens, d'agréables collègues des Facultés des Sciences et des Facultés de Médecine, de charmantes Espagnoles et Sud-Américaines, des Basquaises gracieuses et gaies. Pendant la trop courte période des vacances et des longues soirées on s'amuse, on rit, on danse, on va dîner à Biarritz, goûter au Pas de Roland ; on tire des fusées, on illumine les parcs. J'oubliais de vous dire que les grands directeurs de ces distractions sont le docteur et Mme Grancher, la providence de Cambo, comme on dit là-bas. Ils sont si heureux de revoir la santé et la sérénité s'installer définitivement au milieu d'eux, qu'ils aiment à fêter avec leurs amis cet heureux retour qu'ils doivent au climat de Cambo.
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Le séjour que je viens de faire dans ce joli et hospitalier pays m'a permis d'apprécier les qualités de cette région ; et, comme, en France, on étudie fort peu les stations climatériques, je voudrais rendre service à mes confrères et à de nombreuses personnes faibles ou malades en leur disant que le climat de Cambo est parfait pour tous les gens nerveux, pour tous ceux qui ne se trouvent pas bien au bord de la mer, à Biarritz, à Cannes ou à Menton. Dans la gamme des stations, Cambo est une note spéciale : air pur de la vraie campagne, faible altitude, léger éloignement de la mer et des hautes montagnes. En outre, grâce à la science si parfaite de M. Velain, le savant géologue de la Sorbonne, un ami de Cambo, je puis dire : que le sol du plateau de Cambo n'est jamais humide, quelle que soit la masse d'eau qu'il reçoit. Ce sol est composé de cailloux, de galets, reposant sur du calcaire ; l'eau fuse comme à travers un filtre, se perd dans le torrent ou sort de terre par des sources d'une pureté remarquable. C'est vraiment un filtre parfait, un très important agent d'assainissement : avec un pareil instrument, il n'y a jamais de stagnation de matières organiques ; aussi la fièvre typhoïde est-elle presque inconnue à Cambo et dans les environs, d'après ce que m'ont dit les docteurs Dotézac et Juanchuto.
Les lymphatiques, les nerveux, les dyspeptiques, les rhumatisants, les affaiblis, et même les scrofuleux, et les tuberculeux pourront faire un séjour très profitable à Cambo en avril et mai, en septembre et octobre. Ces derniers pourront quelquefois prolonger leur séjour pendant tout l'hiver. Les installations ne sont pas toutes luxueuses, mais tout ce que j'ai vu est propre, et puis on fera des progrès. A mon avis, Cambo est destiné à devenir, ce qu'on appelle en Suisse et en Allemagne, une station intermédiaire, station de printemps et d'automne, comme Montreux ou Wiesbaden. C'est du moins ainsi que je comprends son rôle.
Cambo est un séjour ravissant pour les gens faibles et tranquilles qui aiment à se promener doucement sur des routes ombreuses, protégées par d'immenses platanes ou des chênes vigoureux, à s'asseoir sur de vieux troncs moussus sous de sombres châtaigneraies. Et puis, il est si agréable de se reposer sur les terrasses qui bordent les maisons du village, sous des platanes qui étalent leurs branches touffues comme un épais vélum, en laissant son regard errer sur la large et riante vallée de la Nive. La rivière coule claire et brillante, en prenant au passage l'image des arbres de la rive sur sa surface unie et lumineuse. Parfois l'onde s'écarte autour des grosses pierres noires et forme des éventails scintillants de paillettes ensoleillées. Sur un banc de galets, aux pieds du pont, les laveuses pliées sur leurs baquets frappent à coups redoublés, pendant que les masses blanches du linge lavé s'étalent en séchant à l'ombre d'un bouquet de marronniers. Les pâturages verts, rasés de frais, sont parsemés de grands champs de maïs jaunissant ; sur les hautes tiges, les larges, feuilles pendent et se balancent doucement au gré des vents ou des petits oiseaux qui viennent béqueter sous l'ombre de leurs touffes et agitent la gracieuse et légère houppe qui couronne ce doux feuillage. Au bord de l'eau, les acacias laissent secouer par la brise les petites palettes de leurs feuilles étriquées. Les poissons font des grands ronds au milieu de l'eau. Les petits moucherons semblent une poussière dorée dans les rayons du soleil. La fumée du train se fragmente en flocons cotonneux sur les hauts peupliers ou les chênes touffus.
Tout autour de nous, sur la route, les enfants se promènent sur des petits ânes agiles et futés, des fillettes emmitouflées dans leurs capelines blanches et enveloppées dans de longues robes de toile rose, courent après les papillons. Sur des petits chevaux de Tarbes, de gracieuses Espagnoles en béret rouge, en corsage rouge, en robe blanche, galopent en laissant s'envoler leurs beaux cheveux noirs. Comme elles sont jolies, élégantes, gracieuses, comme elles savent sourire, ces Espagnoles sud-américaines ! Quelles belles créatures forment les grandes plaines brûlées ! Elles ont encore une fougue altière dans leur noble allure, une clarté ardente dans leurs yeux de cristal. Conservez le charme et la vigueur de votre race, belles enchanteresses, pour que nous soyons heureux de pouvoir vous admirer toujours.
Pour nous rappeler le néant des joies le cimetière est là à côté des bancs de la terrasse. Ce calme et petit cimetière de campagne est le jardin de l'église. Les tombes s'effritent au milieu des lis et des roses et les poules du voisinage picorent sans respect pour les restes des vieux morts. Tout le monde passe au dessus de leur tête en allant à la messe : ils sont encore du village, on ne les a pas relégués bien loin avec les autres, épaves abandonnés de la vie. On leur donne en passant une douce pensée, un tendre souvenir. Cette forme du respect en vaut bien une autre. C'est moins solennel que les grandes tombes élevées sous les ombreux cyprès, mais la mort doit être plus douce quand les morts restent à côté des vivants.
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Les promenades qui environnent Cambo sont faciles à faire pour les personnes malades ou faibles. Il faut d'abord aller au Pas de Roland. En suivant la route qui longe le pied de la montagne, en face de la voie du chemin de fer, on côtoie les vignes élevées sur des palissades et étendant leurs longues branches sur les treilles comme des bras de crucifix. Les fougères touffues et déjà rougissantes du premier souffle gelé de l'automne étalent leurs fines et brillantes dentelures sur le fond sombre des montagnes. Sous les bouquets de chênes coupés en tète comme les pommiers ou les saules, l'ombre s'étend, légère et douce. A l'abri de ces grands toits de verdure aérée, les moutons se reposent, les chiens s'amusent, les petits cochons roses se font des tendresses en se frottant le museau. Puis les montagnes se resserrent, le torrent coule calme, frais et vert entre deux rangs d'énormes pierres qui s'allongent dans les ondes. Autour de ces rochers l'eau roule et culbute. Un gros bloc se dresse tout seul et, par-dessus sa crête, l'eau ruisselle comme une longue chevelure sur la tête vénérable du vieux gardien de ces lieux enchantés. Enfin, le torrent fait un coude et disparaît. Son tressaillement s'éteint dans les grands lointains; nous ne percevons plus qu'un faible murmure. C'est l'onde, toujours gaie, qui saute sur les cailloux, qui fuit vive et insouciante, comme l'agile abeille ou le gracieux papillon. Telle une jolie femme qui tressaute sur les cœurs et qui se sauve en riant, sans pitié pour les âmes qu'elle abandonne, comme l'onde pour les rives qu'elle quitte à jamais...
Mais abandonnons ce torrent et ces caprices et à l'ombre des haies fleuries gagnons les jolis villages d'ltxassou et d'Espelleta. Il est six heures ; pendant que nous montons la côte, le soleil descend derrière les nuages, emportant avec lui les chauds effluves du jour. Les grandes découpures des Pyrénées dessinent leurs crêtes hachées sur le contour uni du ciel gris. Les plateaux, les versants, les coteaux s'enveloppent d'un voile transparent, inondé de vapeurs violettes tendrement nuancées de rose. Les nuages sombres deviennent rouges, orangés, brillants comme un métal poli et forment un escalier magique fait de marches de feu, montant sur le bleu firmament. Au dessus des prés verts, unis et sombres comme un épais tapis, l'incendie céleste inonde de ses reflets une longue nappe de ciel, bordée d'une lueur de nuages bleus. Les blanches maisons, du village enveloppées de lumière se détachent sur le fond noir des coteaux comme d'énormes blocs de craie. Tout à l'extrémité de l'horizon, les hautes cimes rougissent, les rochers nus et bouleversés prennent des teintes de pierres antiques, couvertes encore de débris d'ocre et de minium, et on dirait une Acropole supportant les ruines féeriques de quelque Parthénon ibérique.
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Puis, les bandes rouges du ciel s'affaissent et se replient. Le sombre noir s'avance, chassant toute lumière sur son passage ; la nuit absorbe les violets et les roses ; les verts s'obscurcissent, et la pénombre identifie tout sous sa masse immense qui impose le repos à cette nature fatiguée des ardeurs du jour. On n'entend plus que la voix des faucheurs qui s'appellent en rentrant au logis, les clochettes des vaches qui regagnent la chaude étable, et, pendant que le frais étend son humide manteau sur les plaines, le soleil, quittant à regret nos horizons attristés, lancé un dernier feu au-dessus de nous, et, entre deux crêtes, on voit un coin de ciel d'un rose tendre, tendre comme le cou d'une blonde jeune fille bordé d'un ruban bleu chatoyant et clair comme du satin.
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