LES "ONCLES D'AMÉRIQUE" EN 1935.
Eskual Herria, terre d'héritiers. Les cadets de la terre Basque sont allés aux Amériques puis, riches, sont revenus au pays.
A NOTRE ONCLE DANS CIMETIERE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Voici ce qu'en raconta le journal Paris Soir, dans son édition du 21 avril 1935 :
"C'est à peu de distance de Paris, en France encore, au cœur d'un peuple souvent visité, toujours méconnu, que m'entraînait, hors saison, l'actualité.
Un facétieux ou naïf métallurgiste, Basque d'origine, m'avait fourni un excellent angle de prise de vues, pour découvrir une terre d'héritiers où les oncles d'Amérique sont légion. Vous vous souvenez, sans nul doute, de l'anecdote. Elle est d'hier. Un ouvrier, maître-nageur intermittent, affirmait à qui voulait l'entendre être le légataire universel de son oncle et parrain, M. Paris, éleveur richissime en Californie !... Près d'un milliard de francs, disait-on.
Sa chance, tour à tour, fut démentie ou confirmée. Elle semble à beaucoup trop belle pour être vraie. Cependant, au pays de prédilection des oncles d'Amérique, au pays basque, les notaires ont à traiter sept à huit successions américaines par mois. Il y en eut de fabuleuses et de décevantes, de prodigieuses et de dramatiques. Sept ou huit héritages pour une population de cent vingt mille âmes !.
De Barcus à Biarritz, des bords du Gave de Pau à la large baie de la Bidassoa, tous les villages basques ont leurs "Américains". Dans certaines communes, chaque famille peut faire dire une messe pour l'Amerikan dena (celui qui est parti aux Amériques). Américains ? Les Basques ne désignent pas ainsi les néonatifs d'outre-Atlantique, mais leurs compatriotes revenus au village après fortune faite et même depuis quelques années après ruine. Indianos, disent de leur côté les Basques espagnols.
LE RETOUR PAYS BASQUE D'ANTAN |
Partout, depuis la côte d'Argent jusqu'à Mauléon, que ce soit à Biarritz, à Ustaritz, à Cambo ou à Saint-Jean-Pied-de Port, je pouvais lire au fronton des villas neuves : "Villa California" ;"Villa Fresno" (Californie) ; "Villa Argentina" ; "Villa Frisco" ; "Villa Montevideo". Les villas des oncles d'Amérique, qui viennent mourir près de leurs neveux.
... La villa à gauche, sous les arbres.
Je regardai de loin la maison aux tuiles roses, de style basque, à grand toit penché, plus neuve que ses voisines mais non plus grande, sans titre, modeste, inscrite, comme les vieilles fermes tassées par l'âge ses voisines, sur un paysage aux modulations émouvantes où passe la chanson verte des torrents courant vers la mer. Au fond se dessinait l'altière chaîne des sommets pyrénéens, irréelle dans la brume d'argent d'un beau jour de neige ensoleillé. Macaye, avais-je lu sur l'écriteau : un adorable village aux contours accueillants d'où débouchait un puissant attelage de bœufs paisibles, serein, qu'un jeune Basque souple et mince comme un danseur conduisait d'une badine légère. Ici trois cents habitants. Et beaucoup d'oncles en Amérique. La villa à gauche, sous les arbres, est celle d'un neveu.
Le neveu de Macaye, sur la route qui mène de Saint-Jean-le-Vieux à Hasparren, de la Basse-Navarre secrète au Labourd ouvert sur la mer, conduisait chaque jour ses brebis à clochettes sur les flancs verts des coteaux, entre les bruyères grises, les chênes et les genêts.
Il vieillissait comme les arbres et devenait plus solide et plus noueux avec le temps. Son profil de Sioux s'accusait. Pauvre, il savait qu'un oncle fort riche était aux Amériques. Mort ou vif, cet oncle ? Le neveu, illettré comme l'oncle, n'envoyait pas de lettres et n'en recevait pas.
Un jour, le neveu, d'âge adulte, ne conduisit pas son troupeau dans les prés. Il fit un voyage jusqu'à Bayonne et il eut d'étranges conciliabules avec le maire. Les voisins n'y prirent pas garde. La femme basque, responsable du foyer, n'est pas commère. Bientôt le berger, neveu basque d'un oncle d'Amérique, fit construire une ferme neuve. Alors on sut qu'il avait hérité. Le berger basque devenait rentier. Et quelles rentes ! Quelques millions de revenus par an. L'oncle défunt était milliardaire. Depuis, l'héritier gère avec un instinct sur sa fortune. Et personne ne le roule, je vous assure.
L'oncle ? Un cadet de Saint-Martin d'Arossa. Le petit Lacoste, on l'appelait. Il aimait comme tout Basque la contrebande et le jeu du rebot. Flouer les douaniers dans la montagne et battre ses adversaires au fronton de pelote maintient et développe les qualités d'une race : souplesse, ruse, réflexes, force, ingéniosité. La vente des marchandises de contrebande y ajoute peu à peu l'habitude des négoces rudimentaires, du trafic sans code. Dans les Amériques neuves encore non policées, ces facultés valent une fortune. Le petit Lacoste partit il y a quarante ans avec quelques francs en poche, laissa l'élevage, les défrichements, les salaisons, à d'autres et débarqua à Cuba. Il est rusé, il connaît les réactions et les travers des hommes. Le jeu de Mutz — jeu des muets — au pays basque, comme la contrebande et le rebot, ont perfectionné son sens intuitif, son flair. De manœuvre dans une plantation il devient planteur, fabrique du sucre, spécule. Il s'enrichit. Il monopolise vingt ou trente ans après les sucres de la Havane. A peine sait-il signer son nom mais il jongle avec les chiffres comme il jonglait avec la pelote devant le fronton de Saint-Martin d'Arossa. Il vend son monopole et ses plantations aux Américains des Etats-Unis, protecteurs de la Havane. La baisse du sucre de canne survient. Les Américains ne paient pas leurs créances. Lacoste reprend à vil prix les sucres de Cuba et les installations modernes faites par ses acheteurs insolvables. Le voici milliardaire. Satisfait de lui il décide enfin de se marier. Il a soixante-douze ans. Dix ans plus tard l'épouse cubaine est veuve. La succession fastueuse est ouverte. Le neveu basque, comme toujours, n'obtient qu'une petite partie de la fortune. Mais ce fragment sauvé des appétits cubains produit plusieurs millions de rente.
BERGERS BASQUES EN AMERIQUE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire