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samedi 2 décembre 2017

LES "ONCLES D'AMÉRIQUE" AU PAYS BASQUE EN 1935


LES "ONCLES D'AMÉRIQUE" EN 1935.


Eskual Herria, terre d'héritiers. Les cadets de la terre Basque sont allés aux Amériques puis, riches, sont revenus au pays.

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A NOTRE ONCLE DANS CIMETIERE
PAYS BASQUE D'ANTAN

Voici ce qu'en raconta le journal Paris Soir, dans son édition du 21 avril 1935 :


"C'est à peu de distance de Paris, en France encore, au cœur d'un peuple souvent visité, toujours méconnu, que m'entraînait, hors saison, l'actualité.


Un facétieux ou naïf métallurgiste, Basque d'origine, m'avait fourni un excellent angle de prise de vues, pour découvrir une terre d'héritiers où les oncles d'Amérique sont légion. Vous vous souvenez, sans nul doute, de l'anecdote. Elle est d'hier. Un ouvrier, maître-nageur intermittent, affirmait à qui voulait l'entendre être le légataire universel de son oncle et parrain, M. Paris, éleveur richissime en Californie !... Près d'un milliard de francs, disait-on.


Sa chance, tour à tour, fut démentie ou confirmée. Elle semble à beaucoup trop belle pour être vraie. Cependant, au pays de prédilection des oncles d'Amérique, au pays basque, les notaires ont à traiter sept à huit successions américaines par mois. Il y en eut de fabuleuses et de décevantes, de prodigieuses et de dramatiques. Sept ou huit héritages pour une population de cent vingt mille âmes !.


De Barcus à Biarritz, des bords du Gave de Pau à la large baie de la Bidassoa, tous les villages basques ont leurs "Américains". Dans certaines communes, chaque famille peut faire dire une messe pour l'Amerikan dena (celui qui est parti aux Amériques). Américains ? Les Basques ne désignent pas ainsi les néonatifs d'outre-Atlantique, mais leurs compatriotes revenus au village après fortune faite et même depuis quelques années après ruine. Indianos, disent de leur côté les Basques espagnols.




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LE RETOUR
PAYS BASQUE D'ANTAN

Partout, depuis la côte d'Argent jusqu'à Mauléon, que ce soit à Biarritz, à Ustaritz, à Cambo ou à Saint-Jean-Pied-de Port, je pouvais lire au fronton des villas neuves : "Villa California" ;"Villa Fresno" (Californie) ; "Villa Argentina" ; "Villa Frisco" ; "Villa Montevideo". Les villas des oncles d'Amérique, qui viennent mourir près de leurs neveux.


... La villa à gauche, sous les arbres.


Je regardai de loin la maison aux tuiles roses, de style basque, à grand toit penché, plus neuve que ses voisines mais non plus grande, sans titre, modeste, inscrite, comme les vieilles fermes tassées par l'âge ses voisines, sur un paysage aux modulations émouvantes où passe la chanson verte des torrents courant vers la mer. Au fond se dessinait l'altière chaîne des sommets pyrénéens, irréelle dans la brume d'argent d'un beau jour de neige ensoleillé. Macaye, avais-je lu sur l'écriteau : un adorable village aux contours accueillants d'où débouchait un puissant attelage de bœufs paisibles, serein, qu'un jeune Basque souple et mince comme un danseur conduisait d'une badine légère. Ici trois cents habitants. Et beaucoup d'oncles en Amérique. La villa à gauche, sous les arbres, est celle d'un neveu.


Le neveu de Macaye, sur la route qui mène de Saint-Jean-le-Vieux à Hasparren, de la Basse-Navarre secrète au Labourd ouvert sur la mer, conduisait chaque jour ses brebis à clochettes sur les flancs verts des coteaux, entre les bruyères grises, les chênes et les genêts.


Il vieillissait comme les arbres et devenait plus solide et plus noueux avec le temps. Son profil de Sioux s'accusait. Pauvre, il savait qu'un oncle fort riche était aux Amériques. Mort ou vif, cet oncle ? Le neveu, illettré comme l'oncle, n'envoyait pas de lettres et n'en recevait pas.


Un jour, le neveu, d'âge adulte, ne conduisit pas son troupeau dans les prés. Il fit un voyage jusqu'à Bayonne et il eut d'étranges conciliabules avec le maire. Les voisins n'y prirent pas garde. La femme basque, responsable du foyer, n'est pas commère. Bientôt le berger, neveu basque d'un oncle d'Amérique, fit construire une ferme neuve. Alors on sut qu'il avait hérité. Le berger basque devenait rentier. Et quelles rentes ! Quelques millions de revenus par an. L'oncle défunt était milliardaire. Depuis, l'héritier gère avec un instinct sur sa fortune. Et personne ne le roule, je vous assure.


L'oncle ? Un cadet de Saint-Martin d'Arossa. Le petit Lacoste, on l'appelait. Il aimait comme tout Basque la contrebande et le jeu du rebot. Flouer les douaniers dans la montagne et battre ses adversaires au fronton de pelote maintient et développe les qualités d'une race : souplesse, ruse, réflexes, force, ingéniosité. La vente des marchandises de contrebande y ajoute peu à peu l'habitude des négoces rudimentaires, du trafic sans code. Dans les Amériques neuves encore non policées, ces facultés valent une fortune. Le petit Lacoste partit il y a quarante ans avec quelques francs en poche, laissa l'élevage, les défrichements, les salaisons, à d'autres et débarqua à Cuba. Il est rusé, il connaît les réactions et les travers des hommes. Le jeu de Mutz — jeu des muets — au pays basque, comme la contrebande et le rebot, ont perfectionné son sens intuitif, son flair. De manœuvre dans une plantation il devient planteur, fabrique du sucre, spécule. Il s'enrichit. Il monopolise vingt ou trente ans après les sucres de la Havane. A peine sait-il signer son nom mais il jongle avec les chiffres comme il jonglait avec la pelote devant le fronton de Saint-Martin d'Arossa. Il vend son monopole et ses plantations aux Américains des Etats-Unis, protecteurs de la Havane. La baisse du sucre de canne survient. Les Américains ne paient pas leurs créances. Lacoste reprend à vil prix les sucres de Cuba et les installations modernes faites par ses acheteurs insolvables. Le voici milliardaire. Satisfait de lui il décide enfin de se marier. Il a soixante-douze ans. Dix ans plus tard l'épouse cubaine est veuve. La succession fastueuse est ouverte. Le neveu basque, comme toujours, n'obtient qu'une petite partie de la fortune. Mais ce fragment sauvé des appétits cubains produit plusieurs millions de rente.




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BERGERS BASQUES EN AMERIQUE
PAYS BASQUE D'ANTAN

Les oncles d'Amérique ? Cela fleure bon la comédie sentimentale ou le vaudeville. L'esprit contemporain habille la fortune de couleurs riantes et n'imagine pas que derrière elle l'Aventure est une ombre souvent tragique. Le clair-obscur du pays basque baigne la vie des oncles. Celui-là après fortune faite vivait aux environs de Biarritz, dans un parc touffu, riche en essences au fond d'une villa somptueuse masquée par de hauts pins entre les branches desquels brille au loin la mer. Multimillionnaire certainement. Milliardaire peut-être. Il était né dans la montagne basque, loin des routes et des gares, mais le village natal lui parut au retour trop étroit. Les oncles qui reviennent très riches préfèrent, pour apaiser leurs fièvres et bercer leurs nostalgies, les sites aux climats privilégiés : Cambo, Ustaritz, Sare et sur la côte : Biarritz ou Saint-Jean-de-Luz.


Il épousa, ce revenant étrange qui ne retrouvait plus un visage connu au temps de sa jeunesse, une Basquaise de quarante ans sa benjamine. Puis il s'enferma dans sa propriété. Haut de taille, haut en couleur, le visage balafré, le front troué d'une cicatrice, un regard à feux tournants, inquiet dans l'orbite creuse, les joues maigres, le nez osseux, l'air d'un chef peau-rouge travesti en Européen, il ne sortait pas de sa propriété. Qu'un "Américain" revînt avec un caractère insociable ne pouvait surprendre. Celui-là, grand seigneur hypocondre, avait des colères démoniaques et menaçait de son "makhila" l'importun qui osait l'aborder. Il n'allait ni sur la route ni sur les plages. Par crainte d'une vendetta, chuchotait-on. Il y avait eu "là-bas" des batailles pour la possession de troupeaux ou le partage de butins. Le Basque est peu curieux. Il entre dans l'Aventure comme dans les ravins aux lumières vertes des montagnes pyrénéennes sans noter pour les autres les incidents dont sa mémoire profite. Paranoïa, délire de la persécution ou simplement menace formelle, condamnation clandestine, décidée par des adversaires vaincus dans la pampa? L'oncle ténébreux, le solitaire du beau parc, ne racontait rien. Son drame reste éternellement dans l'ombre. Les volets de la belle propriété sont clos aujourd'hui. L'oncle a disparu avec sa jeune épouse. Et personne ne sait ce qu'ils sont devenus.


Le poids du succès :


Ces deux frères, deux cadets, vivaient dans une vieille ferme, sur un coteau non loin de la Rhune, dôme altier d'où les touristes peuvent admirer la baie de la Bidassoa, le golfe de Biscaye miroitant de lumière et le paisible et harmonieux pays basque de France. Grands, musclés, souples, ils avaient, l'un et l'autre, près de deux mètres de haut. Eux. aussi aimaient la pelote, le fandango des Basques du Labourd riant et les vertus de la contrebande. Sur la route de Sare, une vieille maison, une ferme délabrée, servait de refuge et de point de départ pour l'Espagne, la nuit. Cette vieille maison a son histoire. Elle appartenait jadis à Irigoyen, pâtre, marin, contrebandier, chef écouté et secret du pays. A quarante-deux ans, par coup de tête, Irigoyen quitta le pays basque et s'en fut aux Amériques où il se maria et prospéra. Son fils devait devenir un jour président de la République Argentine.


Sa maison, quelques années encore, poursuivit son destin basque. Les deux frères, superbes de santé, habiles comme les primitifs à écouter le vent, à lire dans la montagne, à reconnaître les pistes des adversaires, subirent-ils l'emprise du lieu ? Le père Irigoyen avait fait fortune aux Amériques. Ils s'embarquèrent. A Sare, on venait d'apprendre qu'un Basque d'Argentine ruinait les saladeros en remplaçant la viande salée par la viande congelée. L'or affluait dans son établissement. La nouvelle exalta les deux cadets.


Dans la pampa régnait encore la loi du plus fort, du plus rusé, du plus ingénieux. On y disputait aux barbares de la jungle les troupeaux de bœufs sauvages et de bœufs volés aux éleveurs. Beaucoup mieux et beaucoup plus émouvant que le passage à la fin sempiternel de la frontière franco-espagnole.


Les deux cadets avaient dix-huit et vingt ans.


Ils revinrent au pays trente-cinq ans plus tard, grands et fiers toujours, mais méconnaissables cependant. A leurs fils argentins, avocats et banquiers, ils laissaient la direction d'immenses propriétés, grandes comme l'Aquitaine entière. Aux fièvres de Buenos-Ayres, les deux cadets, vainqueurs exténués, préféraient le climat sédatif, la température clémente, les étés mouillés et fleuris d'Eskual-Herria. Quel pouvait avoir été leur passé dans la pampa avec les gauchos et les sauvages, avec les derniers Sioux qui leur ressemblent comme des frères ? Des chapitres obscurs et dramatiques formaient le roman de leur vie et de leur fortune.


Dans un village quiet, argenté, allongé au creux d'une vallée, non loin des Pyrénées peuplées de souvenirs anciens, à quelques kilomètres de Saint-Jean-de-Luz où les fils argentins ne dédaigneraient pas de venir en été, s'éleva bientôt une grande maison, un château d'Américain. Les deux cadets vieillis étaient milliardaires, racontait-on. Ils ne narraient rien cependant des luttes soutenues pendant trente-cinq ans sur les bords de l'Amazone. On ne devait rien savoir. Peu d'années après le retour discret, l'aîné des deux cadets mourut subitement d'une congestion cérébrale et, le mois suivant, il fallut interner le plus jeune.


Misérable et richissime:

En recueillant ces petits romans dignes de l'écran, je ne pouvais m'empêcher de les accorder au récit que me fit un "Américain" — lisez toujours un Basque revenu d'Amérique — un neveu d'ailleurs qui partage avec vingt-neuf personnes : frères, sœurs et cousins, l'héritage d'un oncle millionnaire. Sans compter les enfants naturels improvisés en Amérique du Sud. Mais ceci est une autre histoire.


— Mon oncle, me dit-il, était au Chili où il élevait, sur d'immenses prairies, des bœufs et des vaches. Il devait posséder à cette époque un troupeau modeste de quatre à cinq mille têtes. Mon oncle, avec quelques économies en poche, décide d'acquérir cinq cents bœufs nouveaux. Un gaucho lui révèle l'existence en Argentine d'un Indien bizarre, mi-sauvage, mi-civilisé, au teint plus cuivré que rouge, solitaire endurci, vindicatif, voisin sans peur de la jungle et propriétaire d'immenses troupeaux, à quelques jours de cheval. Mon oncle traversa la frontière avec l'intention de revenir, comme sait le faire un Basque, sans rendre de comptes aux lois qu'il ignore. Effectivement, il découvrit l'Indien qui vivait dans une cabane de torchis, sous la protection d'une solide troupe de gauchos armés de revolvers.


— Vends-moi cinq cents têtes, lui demanda-t-il.

Dans son logis sans air, le sombre éleveur avait vraiment l'air d'un Indien avec ses yeux bleus sous des sourcils épais, le front plat, le nez maigre et busqué, les joues creuses. Il dressa sa haute et mince stature, toisa mon oncle avec énergie et ricana, découvrant ainsi ses dents en or :

— Passe ton chemin. Je ne me dérange pas pour moins de dix mille têtes.


Cet homme, propriétaire de cent mille hectares de prairies et d'immenses troupeaux, était milliardaire si l'on compte en francs et vivait comme un chef peau-rouge vaincu par les blancs.


Mécontent, mon oncle jura en langue basque. L'éleveur richissime et misérable fit un bond, étreignit mon oncle, puis esquissa un entrechat de la danse des volants, un saut basque, danse de nos montagnes de Basse-Navarre, puis se mit à parler le basque avec ivresse.


Il était né à Ainoha. Depuis vingt ans, il n'avait pas utilisé sa langue natale. Il n'avait pas vu de grande ville depuis vingt-cinq ans ! Mon oncle s'étonna.


— Tu es seul ici et tu n'a pas encore été assassiné !


L'éleveur eut un rire sec :

— Je n'ai pas un sou sur moi.


L'argent est dans une banque à Buenos-Ayres. Mes fils et ma femme s'en servent. 


Ses fils ! Le Basque prisonnier des grandes solitudes, milliardaire sans joie, ne les avait pas revus depuis vingt ans, ni sa femme d'ailleurs. Il recevait de temps à autre une photographie. Des lettres, il n'aurait pas su les lire. Mais il ne pouvait abandonner ses troupeaux. Ses "gauchos" l'auraient dépouillé."


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