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samedi 26 mars 2022

LE TRAITEMENT DE LA FIÈVRE TYPHOÏDE EN LABOURD AU PAYS BASQUE EN 1914

LE TRAITEMENT DE LA FIÈVRE TYPHOÏDE EN 1914.


Pendant la Première Guerre mondiale, la fièvre typhoïde frappe les combattants dans les tranchées.




BIARRITZ MARS 1915



Voici ce que rapporta à ce sujet la Gazette hebdomadaire des sciences médicales de Bordeaux, le 

22 octobre 1922 :



"A propos du traitement de la fièvre typhoïde 

Par le Dr P.-E. Micheleau Professeur agrégé, 

Médecin des Hôpitaux.


Communication à la Société de médecine et de chirurgie de Bordeaux, séance du 28 juillet 1922 :





En vous présentant les résultats thérapeutiques qui font l’objet de ce travail, je n’ai point la prétention de vous signaler un traitement nouveau ou une méthode nouvelle de traitement de la fièvre typhoïde. C’est de traitements déjà connus, de combinaison de traitements déjà connus tout au moins que je me propose de vous entretenir. Au moment où la fièvre typhoïde semble prononcer son offensive estivale coutumière, il m’a semblé qu’il n’était pas inopportun de reparler un peu de sa thérapeutique.



Je n’ai pas davantage l’intention de passer en revue les divers traitements qui lui furent appliqués suivant les divers systèmes. De la longue étude que leur a consacrée Grisolle jadis il concluait qu’aucun n’avait le droit de revendiquer une action certaine et que la fièvre typhoïde demeurait "l’opprobre de l’art". En est-il encore de même aujourd’hui que les efforts de la thérapeutique tendent à la transformer de plus en plus en étymologique et pathogénique de purement symptomatique et empirique qu’elle demeure encore dans la grande majorité de ses actions ? Ce n’est point faire preuve d’une sévérité exagérée que de persévérer à le craindre. Sans doute la méthode spécifique des vaccinations a donné au point de vue prophylactique d’admirables et convaincants résultats ; mais au point de vue thérapeutique pur elle n’en est encore, comme la mésothérapie, qu’à son aurore et, si elle autorise les plus réconfortantes espérances, il semble qu’il y ait encore quelque chemin à parcourir avant de pouvoir compter sur de froides mais certaines réalités.



... A mesure que mon expérience s’augmente et que ma réflexion vieillit, je me sens de plus en plus disposé à partager cette opinion qui m’avait d’abord si fortement choqué. En 1907 ou 1908 je manquai voir mourir deux typiques, les seuls qui m’aient donné des inquiétudes depuis une vingtaine d’années environ de tous ceux que j’ai soignés, parce qu’un médecin étranger qui suivait ma visite hospitalière avait trouvé ma thérapeutique un peu simpliste et avait fini par me convaincre des bienfaits du pyramidon : après deux jours d’usage journalier de 0,40 centigrades de cet antithermique analgésique leur température avait bien baissé, mais ils étaient en état de collapsus avec pouls rapide, défaillant, presque indomptable, sueurs proses, sécrétion urinaire arrêtée, etc. Ils se disposaient à mourir guéris lorsque je supprimai le médicament, leur donnai un bain chaud après avoir tonifié leur cœur et eus la joie de voir leur température remonter au-dessus de 39° d’au-dessous de 37° où elle était tombée et leur maladie reprendre son cycle accoutumé pour les conduire quelques jours après à la effervescence, puis à la guérison selon les lois que la nature a fixées à l’évolution de la dothiénentérie. Je n’ai jamais plus recommencé.



Quelques années plus tard, j’eus l’occasion de suivre de très près le traitement très savant d’une fièvre typhoïde chez un malade qui m’est infiniment cher. Les deux maîtres qui le soignèrent sont parmi ceux qui honorent le plus la médecine française et pour lesquels j’ai conçu et je conserve l’admiration la plus sincère et la plus vive : ils sont demeurés des cliniciens, de vrais cliniciens malgré que leur œuvre expérimentale soit parmi les plus fécondes. Le malade, qui jouissait et qui jouit encore d’une constitution particulièrement robuste, a guéri : donc la thérapeutique eut raison. Mais au cours de sa maladie, qui me parut un peu longue, il ne connut que pendant quelques courtes et rares heures de la nuit la possibilité du repos ; pendant le jour, il ne s’écoulait guère de demi-heure qu’il n’y eût à lui faire quelque piqûre, quelque installation recale, à lui donner quelque lavement ou à lui faire prendre un bain. Sa guérison lui laissa une asthénie dont il mil plusieurs mois à se remettre. Je me suis toujours demandé si, avec un traitement moins minutieux et moins savant, il n aurait pas aussi bien guéri et sa convalescence n aurait pas été plus courte.



Je me le demandais encore lorsque, au mois d'octobre 1914, étant médecin chef de la circonscription sanitaire de Biarritz, je fus chargé d’organiser un service de contagieux. J’en conservai la direction, me proposant d’étudier si, eu série, les résultats seraient aussi favorables que ceux qu’il m’était donné d'observer depuis quelques quinze ans que mon diplôme m’avait conféré le droit de marcher seul. Je dois avouer que je commençai par scandaliser les deux infirmières qui avaient été attachées à ce service en souriant un peu des préparatifs auxquels elles se livraient fébrilement avant l’arrivée du premier malade. Je les scandalisai plus encore lorsque, celui-ci étant entré dans le service d’Aguilera, je répondis à leurs demandes sur l’opportunité de bains froids, installation de sérum glucose, injections hypodermiques de sérum adrénaline ou pas, etc., que j’avais coutume de regarder mes malades faire leur maladie avant de leur prescrire un traitement aussi compliqué, et que je me guidais ensuite sur les indications morbides pour leur opposer une thérapeutique appropriée, une thérapeutique pouvant varier, par suite, suivant celles-ci. Fidèles observatrices de la discipline et remarquablement intelligentes et dévoués railleurs, elles se conformèrent scrupuleusement à mes instructions comme le firent plus tard, après avoir éprouvé la même surprise, mes infirmières de Bagnères-de-Bigorre et les admirables sœurs de l’hospice de Mirecourt. Au bout d’un mois elles déclaraient qu'il était beaucoup plus commode pour elles d'appliquer mes prescriptions et beaucoup moins fatigant pour les malades de les subir ajoutant que, si elles tombaient malades, elles espéraient bien qu'elles ne seraient pas soignées autrement.



Ce traitement est en effet des plus simples. Il consiste à faire boire les malades aussi abondamment qu’ils le peuvent, à leur faire boire de l'eau sous forme d’infusions, de bouillon de légumes, de thé et de café légers additionnés quelquefois d’un peu d’alcool, de limonade vineuse citrique ou tantrique, pas de lait qui leur empâte la bouche, leur donne des flatulences et favorise, contrairement à ce que quelques-uns en ont écrit, les fermentations intestinales : j’ai été ravi, en 1913, de trouver, sur le régime lacté dans les maladies infectieuses en général et la fièvre typhoïde en particulier, une opinion analogue professée aux élèves de son service par mon éminent ami le Professeur Sergent. Il consiste à leur nettoyer la bouche, le nez, la figure, les mains, — ce que l’on appelle les petits soins dans la fièvre typhoïde, — à leur nettoyer le bout inférieur de l’intestin aussi par un lavement d’eau bouillie additionnée d'une à deux cuillerées à soupe de glycérine matin et soir. Cela, c'est le plus important et de beaucoup. J’y ajoutais trois à quatre cachets contenant chacun 0,30 centigrades de sulfate de cuisine et de benzonaphtol par jour et, de temps à autre, suivant les indications, une injection d’huile camphrée et quelques centigrades d'adrénaline, de caféine ou de spartéine : la spartéine passait encore pour un tonique du cœur et m’a paru l'être en effet. Chez quelques-uns, qui me parurent particulièrement infectés, je fis faire en plus quelques injections de Lantol qui fut très aimablement mis à ma disposition par le fabricant, M. Couturieux.



En dehors de toute considération théorique, un traitement ne vaut d’ailleurs que par ses résultats. Quels furent-ils ?



De 1900 à 1913 je n’ai vu mourir soit dans ma pratique privée soit dans ma pratique hospitalière aucun typhique ; je les ai tous vus guérir, au contraire, et guérir sans aucune complication. Leur convalescence se fit sans aucun incident, elle me parut relativement courte, la vie ordinaire ayant pu être reprise après deux mois, exceptionnellement trois.



Du 19 octobre 1914 à décembre 1918 à Bagnères-de-Bigorre, à Zuydcoote, à Mirecourt j'ai soigné environ 150 typhiques. Réduisons ce chiffre à 100 pour être bien sûr qu’il n’est point exagéré. J’ai compté 8 morts. Si je fais abstraction d’un typique que je trouvai à Bagnères-de-Bigorre dans un état de cachexie avancée, ce chiffre se réduit à 7. Encore est-il discutable, comme vous le verrez.



Obs I — Vers le 15 novembre 1914, je fus appelé à examiner un blessé, Charles G..., trente-deux ans, d’une formation chirurgicale très jalouse de son autonomie, dont la température évoluait entre 39° et 40* sans que rien dans l’état de sa blessure le justifiât. Je portai le diagnostic de fièvre typhoïde, qui ne fut pas accepté, et dis de m’envoyer le malade, ce qui ne fut pas accepté davantage. Je conseillai à tout le moins de surveiller son alimentation et de le mettre à la diète liquide rigoureuse. On continua à l’alimenter, on augmenta même son alimentation sous prétexte de faiblesse. Le 28 novembre, la situation n’ayant cessé d’aller en s’aggravant et la température dépassant 40°, on l’envoya dans mon service. Il y arriva dans un état très grave et succomba le 8 décembre, sa température s’étant constamment maintenue au-dessus de 40°.



Obs. II. — Dans les premiers jours de décembre je fus mandé à Hendaye pour voir le soldat Charles B..., vingt-cinq ans, évacué d’Amiens convalescent de fièvre typhoïde. Dès son arrivée, la fièvre avait repris et l’on craignait qu’il ne fît une rechute. Il était fatigué et amaigri, mais ne présentait aucune réaction fébrile, sans doute sous l’influence de l’aspirine que j'appris plus tard qu'on lui avait donnée. Je recommandai de le considérer comme un suspect, de le mettre au lit, de prendre sa température, de le tenir à la diète liquide et de ne lui donner à manger, et encore très peu, que lorsque le thermomètre aurait bien démontré qu’il était tout à fait guéri. Le 11 décembre, je fus rappelé auprès de lui par téléphone. Je le trouvai avec une température de 40,3 et j’appris que, les cinq jours précédents, bien que sa température fût remontée et se fût maintenue au-dessus de 40° il était demeuré levé et l'on n'avait cessé de forcer son alimentation sous prétexte qu'il était "si faible". Transporté à Aguilera dans un état des plus graves, il succomba le 23 décembre après avoir eu des hémorragies intestinales le 11 et le 16 et une perforation intestinale le 21.



Obs. III. — Le 2 janvier 1913, je suis appelé à voir le soldat Joseph G..., vingt-trois ans, en traitement depuis plusieurs jours et dont la température atteint 40,6. On a continué de le nourrir. Je porte le diagnostic de fièvre typhoïde à la période d’état et fais transporter cet homme à Aguilera. Sa fièvre évolue avec un état général d’infection très grave : diarrhée profuse infecte, vomissements, délire, langue de perroquet, prostration, température autour de 39°, pouls au-dessus de 100. Le 21, les battements du cœur s’affaiblissent et prennent le rythme embryocardique, les vomissements deviennent incoercibles à tel point que, le 26, je suis obligé de recourir à des installations de solution glucose auxquelles je fais ajouter, le 2 février, un lavement alimentaire avec du lait et un jaune d'œuf, la température étant tombée aux environs de 37°. La situation ne s'améliore pas, le pouls demeure rapide et petit malgré l'abaissement de la température. Le 7 au matin la température remonte brusquement au-dessus de 39° et le malade succombe.



Obs. IV. Le 3 janvier 1915, je suis appelé à voir le soldat Joseph G..., trente-deux ans, depuis plusieurs jours hospitalisé pour asthénie et fièvre. Sa température est de 39,3 le soir. Il se lève et mange malgré sa fièvre. Je le fais entrer à Aguilera avec le diagnostic de fièvre typhoïde de moyenne intensité. La température tombe à 38° le 9 janvier pour évoluer entre 37° et 38° jusqu’au 21, après quoi elle s’abaisse au-dessous de 37°. Le 26 janvier l’alimentation est progressivement reprise. G... se lève et se promène dans le parc de la formation le 1er février. Le 4, il demande à sortir pour aller se faire raser. Il en profite pour faire un excès de nourriture et de boisson. Le 3, la température remonte et une rechute se dessine. Le 11, la température retombe au-dessous de 37° et la guérison semble cette fois certaine. L’alimentation est reprise avec les mêmes précautions progressives. Mais la température, sans être élevée, demeure un peu instable, le malade ne se remet pas, il continue de maigrir. Il finit par succomber le 26 février dans un état de véritable cachexie.



Obs. V. Le 17 février 1913, entre à Aguilera, venant de Chalons ou il avait été soigné depuis le 3 janvier pour "fièvre typhoïde épidémique" d'allure assez irrégulière le soldat Léopold T..., vingt-sept ans. La température est tombée au-dessous de 37° le 10 février, il est parti de Chalons le 14. Malgré la fatigue et l’alimentation solide du voyage, la température s’est maintenue entre 36,8 et 37,2. Malgré cela cet homme est dans un état de prostration considérable. Le 23 février, sans aucune raison apparente, la température remonte brusquement à 40,3 puis à 40,5 avec vomissements, tremblement, accélération extrême du pouls qui passe à 130. Les accidents vont en s'accentuant, sauf la température qui s’abaisse progressivement à 38° le 27. Le 28 le malade succombe dans un état presque comateux.



Obs. VI. — Le 9 mars 1914 est évacué sur Aguilera, venant d’une formation de Biarritz, le soldat François T..., trente-trois ans, évacué du front le 27 janvier avec le diagnostic de "douleurs rhumatismales". Aux douleurs du début a succédé vers le 20 février un état d’infection gastro-intestinale avec fièvre élevée, diarrhée et hémorragies intestinales. Ce malade a continué à se lever bien qu'il tombât plusieurs fois par jour, "n’ayant pas la force de se tenir debout", et à être alimenté. Le 9 mars, la température est à 39° ; la prostration est extrême, le pouls petit et rapide, à 120, intermittent, il existe du délire presque sans arrêt. La température oscille entre 39° et 40 jusqu'au 12 mars, l'état général demeurant le même. Le matin du 12 mars, à la suite d’une hémorragie intestinale, la température tombe au-dessous de 37°, mais elle remonte le soir même au-dessus de 38° pour se maintenir entre 38° et 39°, atteignant quelquefois 39,4 jusqu’au 27 mars. Il semble, en même temps, se produire un peu d’amélioration. Après le 27 mars elle baisse progressivement jusqu’à tomber au-dessous de 37° le 31 ; mais l’état général redevient mauvais, les vomissements se répètent jusqu’à rendre l’alimentation impossible. Le pharynx semble se paralyser, le malade ne faisant plus aucun mouvement de déglutition et laissant la salive elle-même s'écouler incessamment le long de sa bouche ? La mort survient dans un état demi comateux le 6 avril 1915.



Obs. VII. — Le 3 mars 1913, entre à Aguilera, le soldat Louis G..., vingt-quatre ans. La température est à 40° ; elle se maintient aux environs de 40°, plus souvent au-dessus, jusqu’au 3 mai, soit pendant soixante jours ; fièvre typhoïde très grave avec vomissements, diarrhée, hémorragies intestinales, prostration, délire. Le 3 mai, la température commence à s’abaisser. On donne alors un peu de lait qui est très bien supporté et n’amène pas de reprise de la fièvre. Le 8 mai, l'amélioration étant très nette depuis le 6 où la température est tombée au-dessous de 37°, la femme d'un voisin de lit qui est venue voir son mari lui donne des bonbons. La température remonte immédiatement, les vomissements reprennent et il meurt le 9 mai dans la soirée.



L’analyse de ces observations permet de dire que, sur ces 7 morts, l’un peut être considéré, celui de l’Observation IV, comme s’étant littéralement suicidé par les abus prématurés de nourriture et de boisson qu’il fit ; un autre, celui de l'Observation VII, fut assassiné par les bonbons qu’on lui donna alors qu'il commençait sa guérison après une fièvre typhoïde particulièrement sévère ; pour les cinq autres, je me crois autorisé à dire, toute déontologie mise à part, que le traitement qui leur fut tout d’abord appliqué, et quelquefois malgré mon avis, ne leur fit pas précisément le plus grand bien. Je me crois également autorisé à penser que ma thérapeutique si simple, dont je vous ai exposé les principes, fit peut-être du bien à ceux qui guérirent, qu’elle ne leur fit surtout pas de mal.



Quant au pourcentage de guérisons que la statistique semblerait permettre de lui rapporter, je vous ai dit tout à l’heure que j’y croyais très peu. Je suis de plus en plus convaincu que dans les maladies infectieuses, qu’elles soient épidémiques, endémiques ou sporadiques, intervient toujours un facteur ou un ensemble de facteurs qui nous échappent et qui constituent soit le génie épidémique, soit la constitution médicale du moment. Ce sont ces facteurs qui font la gravité soit symptomatique soit évolutive de ces maladies. Comme la rougeole, dont nous sommes tous appelés à voir évoluer quelques cas chaque année et qui guérit le plus souvent toute seule, alors qu’elle constitue d'autres fois ces redoutables épidémies de catarrhe suffocant sur lesquelles les anciens épidémiologistes ont appelé si judicieusement notre attention, la fièvre typhoïde évolue parfois avec une terrible gravité ou avec une grande bénignité, au contraire. Je crois que celles que j'observe depuis vingt ans appartiennent à cette dernière catégorie et qu’ainsi s’expliquent pour leur majeure part les résultats particulièrement favorables que je viens d’avoir l’honneur de vous rapporter."





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