LE COURRIER DE PAMPELUNE EN 1901.
Le courrier a longtemps passé directement la frontière pour communiquer entre la Navarre et la Basse-Navarre.
Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Le Petit Troyen, le 23 juillet 1901, sous la plume de
Sauveur Harruguet :
"Variétés.
Le courrier de Pampelune.
De Saint-Jean-Pied-de-Port (Basses-Pyrénées), un courrier part chaque jour emportant le courrier d’Espagne. Il s’en décharge à Valcarlos et fait ainsi la navette d’un bout de l’an à l’autre, apportant le soir les nouvelles espagnoles.
Des lettres qu’il apporte à Valcarlos, celles qui doivent suivre vers l'intérieur de l’Espagne sont triées et confiées à un autre courrier, qui va jusqu’à Burguette, d’où part un nouveau service pour Pampeluue.
Durant quelques années, c’était un certain Ramon Curcheta qui faisait la trotte de Valcarlos à Burguette ; on appelait cela à Valcarlos le courrier de Pampelune.
PLACE ET HOTEL MARCELINO MARTIN VALCARLOS NAVARRE D'ANTAN |
Ce Ramon était un gaillard à pari, un grand brun qui, par une anomalie de la nature, avait des yeux bleus, n’y avait pas froid, par-dessus le marché. Il n’était pas du pays même, mais des provinces basques cependant, de l'Alava, disait-on. Il racontait assez volontiers que son père, alcade de sa commune, avait voulu le marier à une jeune fille qui, pour tout appas, ne lui apportait que des douros. "Tous les douros du monde ne valent pas un beau sourire et une taille bien faite, ajoutait-il en faisant claquer ses doigts ; j ai préféré me faire voiturier".
Crâne voiturier, même. Il avait toujours deux mules dont il pouvait seul se rendre maître, vicieuses, mais rapides comme le vent. Ça grimpait toute la côte interminable de Roncevaux à une allure qui eût crevé deux fois des chevaux de pur sang. L’on était rendu en un rien de temps à Burguette, où l’on connaissait bien les grelots aigres de l’attelage et aussi le breack aux roues jaunes qui passait si vite, envolé sur ses rideaux étendus comme des ailes.
Le breack ne roulait que pendant la belle saison. En hiver, la neige lui rendait le chemin impossible. Ramon enfourchait alors l’une de ses bêtes et traversait ainsi le col d’Ibagneta, trempé, les oreilles coupées par le froid, ce qui ne l’empêchait pas de chanter ; à la posada, il buvait un vin chaud, voilà tout.
Qu’un homme ait une histoire de femme dans sa vie, l’on peut être certain qu’elle lui en vaudra d’autres. Il en était ainsi de Ramon. Son exil de la maison paternelle, pour s’éloigner d’un mariage d’argent, raconté dans les veilles, laissait les hommes indifférents, alors que cela lui valait les sympathies du beau sexe. Le lendemain, les filles, le regardaient un peu plus longuement, sous le prétexte de jeter une lettre dans le sac à dépêches, s’apercevaient qu’il était beau garçon, accrochaient presque un désir au bout de sa moustache noire et stationnaient sur la route les yeux fixés au coude où avait disparu la voiture, écoutant jusqu’au dernier tintement la jacasserie des grelots qu’éteignait la distance. C’était donc là ce Ramon qui préférait une belle fille à des piles d’or.
Ce n’était certes pas à lui que les cavalières faisaient défaut durant les bals des fêtes locales de Valcarlos. Il n’avait pas à les courtiser durant la semaine pour obtenir la faveur d’une danse ; d’un mouvement de sourcil ou d’un geste, il engageait sa danseuse d'un bout de la place à l’autre, et ce n’était jamais la moins jolie. Ajoutez à cela qu’il dansait à ravir le fandango et grattait fort bien la mandoline, et nul ne s’étonnera qu’il fût de toutes les noces et de toutes les fêtes.
Il logeait à Valcarlos, chez Pedro, une hôtellerie au-dessus de la porte de laquelle le voyageur pouvait lire sur une enseigne à deux faces, du côté de France, en bleu sur fond jaune : "Auverge", et du côté d’Espagne, en noir sur fond rouge : "Posada." Certain soir qu’il causait devant la porte avec l’aubergiste, un mendiant aveugle vint demander la charité. Sa femme l’amena par un pan de sa veste en loques tandis qu’il jouait de l’accordéon, un accordéon plat aux touches blanches et longues comme des dents de mulet.
DOUANE VALCARLOS 1903 NAVARRE D'ANTAN |
A ce moment sortit de l’auberge la femme d’un carabinero nouvellement arrivé. Sans plus de façon, Ramon se leva du banc où il était assis et, prenant la femme par la taille, l’entraîna dans le vestibule de la maison, envolé dans le fandango que jouait l’aveugle. Elle parut se fâcher d’abord du sans-gêne de son cavalier, mais elle était de Saragosse et les Saragossanes aiment fort la danse. La première pirouette la décida. Elle demanda à poser dans un coin la bouteille de vin qu’elle venait d’acheter. Dans ce répit, Ramon écarta quelques outres qui encombraient le vestibule et la danse reprit dans la demi-obscurité que traversait tout au milieu le gros trait de lumière venu de la porte de la cuisine.
La femme dansait comme pas une, ondulante et légère, avec une grâce sans pareille, quand, au bout de ses bras arrondis au-dessus de la tête, les doigts claquaient, donnant au fandango cette vie aérienne d’ailes battantes que ne possède nulle autre danse.
Alors, là, tout bêtement, pendant que Pedro accompagnait en tambourinant sur la porte avec le manche de son couteau, dans celte pénombre excitante, Ramon s’éprit de cette femme d’autrui, dont le regard revêtait une langueur d’une fluidité étrange, quand elle passait dans la voie de lumière, la tête inclinée tantôt sur une épaule, tantôt sur l’autre.
Elle s’appelait Manuela, avait été chanteuse de rues, s’était laissé épouser par un carabinero qui l’avait fait boire à sa gourde un jour qu’elle avait bien soif, un vilain grigou, jaloux et mauvais, qu’elle dominait tout en le craignant.
Faut-il donc que le coeur humain soit bizarrement organisé ! Ramon, qui n’avait qu’à vouloir pour obtenir les faveurs des plus jolies filles, lui qui n’avait à cueillir que des sourires, s’amouracha de cette coureuse, tout comme cet affreux carabinero, dont personne n’eût voulu. Et cela, parce qu’elle avait deux grands yeux noirs, profonds, brûlants de vice.
FERME VALCARLOS NAVARRE D'ANTAN |
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