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mardi 26 septembre 2023

LE MATADOR MANOLETE À PAMPELUNE EN NAVARRE AU PAYS BASQUE EN 1947

LE MATADOR MANOLETE À PAMPELUNE EN 1947.


Manuel Laureano Rodriguez Sanchez dit "Manolete", né le 4 juillet 1917 à Cordoue (Andalousie, Espagne), mort le 29 août 1947 à Linares (Jaén, Andalousie, Espagne), est un célèbre matador espagnol.



matador torero corrida andalousie linares espagne toro
AFFICHE FIESTAS DE SAN FERMIN
PAMPELUNE 10 JUILLET 1947




Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien Paris-Presse L'Intransigeant, le 3 août 1947, sous la 

plume de Gaston Bénac :



"Voir "Manolete"... et mourir !" crient les Espagnols dans l'arène.

Le roi du Toro gagne 100 millions par an.



Je viens de rencontrer des amis qui arrivent d’Espagne et qui croient avoir assisté au plus gros événement que puisse vivre un être humain en l’an 1947. J’ai interrogé, à la fois ironique et sceptique ; je me suis heurté à des hommes qui ont cru voir quelque chose qu’ils ne reverront jamais, et que peu de mortels ont su admirer. S’agit-il d’une éclipse solaire, d'une vision miraculeuse, d’un phénomène scientifique d’ordre surnaturel ?




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L'ART DE MANOLETE LE GRAND TORERO



Non. Il s’agit tout simplement d’un exploit tauromachique jamais égalé. Celui réalisé aux fêtes de la Saint-Firmln à Pampelune par le célèbre matador Manuel Rodriguez y Sanchez de Cordoba, connu sous le nom plus simple de "Manolete".



Et, en même temps, mes amis me tendaient des journaux madrilènes et sévillans relatant, en termes dithyrambiques, la course réalisée par "Manolete" à Pampelune, devant des milliers de spectateurs qui avalent payé leur place au triple tarif et qui n’auraient pas donné pour plusieurs milliers de pesetas la chance qu'ils eurent de voir "ça".



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UNE VERONIQUE DE MANOLETE



Se mettre à genoux !



Et alors jaillissent devant mes yeux les plus étincelantes paillettes d’adjectifs que j'aie pu jamais admirer. Je traduis :


— "Manolete" a produit au cours de cette corrida devant deux toros de don Antonio Urquita (ex-Murube) le plus grand choc moral qu'on ait jamais enregistré en Espagne, écrit l’un d'eux. "Manolete" a surpassé les Belmonte, les Chicuelo, les Guerrita, les Gallito, les Antonio Marquez, les Lalanda, et il s'est montré le dieu de la tauromachie espagnole. On eût voulu lui crier "encore" et se mettre à genoux. Nous avions l'impression d’être des élus et de vivre des minutes qu'aucun mortel ne pourrait vivre, tant la sensation d'art était suprême.


Avec des gestes souples et moelleux, les pieds rivés au sol, "Manolete" faisait passer les cornes du tore à quelques millimètres de son magnifique costume rouge et blanc. Ses "manoletinas" admirables, le galbe du matador, son calme devant l'ouragan mortel, tout cela touchait de façon trop intense au drame pour qu’on puisse le décrire. Puis c’était l’estocade formidable, foudroyante, le fauve étendu à ses pieds...



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MATADOR MANOLETE


Jamais un homme n’a régné sur l’arène comme, à cette minute, régna Manolete Et l’ovation inouïe de la foule, les deux oreilles et la queue du toro offertes au matador paraissaient récompenses bien faibles pour de telles missions.


Et lorsqu'il accomplit ses tours d’honneur, les cadeaux jaillissaient à chaque place des tendidos. Près de mol, un paysan basque jeta son portefeuille, une estivante une croix en brillants... Mais tout cela paraissait bien faible... Nous venions de voir le dieu du toro en chair et en os vivant dans l'arène..."


Et j’en passe...



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MANOLETE A PAMPELUNE
10 JUILLET 1947



200 000 pesetas par corrida.



Manolete, qui vaut plus de 200 000 pesetas pour une corrida en Espagne, qui, si les frontières étalent ouvertes, ne pourrait toréer en France, lui et sa quadrilla (2 picadors, 2 banderilleros, 1 sobresaltiente), à moins de 3 millions, est depuis 4 ans le nouveau dieu de la tauromachie espagnole. Agé de 26 ans, originaire de Cordoue, Manolete, qui supplante dans la gloire des arènes sanglantes tous les "Grands" d’autrefois, de Mazzantini et Guerrita à Ortega et Martial Lalanda, en passant par Chicuelo Ficentès Reverte Bombita est à la fois le plus grand artiste et le plus grand réalisateur qu’ait connu la tauromachie espagnole.



matador torero corrida andalousie linares espagne toro
MATADOR MANOLETE



Il est parmi tous ceux qui, sur les planches, sur le sable ou sur le ring, montrent leur talent aux foules, le plus payé, mais aussi celui qui risque le plus. Car la vie, pour lui, ne tient qu’à quelques millimètres. Mais ces millimètres lui permettent de réaliser 100 millions de bénéfice par an."



(Source : Wikipédia et Du taureau à l’infini: Foire de San Fermín de 1947. Manolete a mangé Pampelune (deltoroalinfinito.blogspot.com))



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vendredi 16 juin 2023

PAMPELUNE - IRUÑEA EN NAVARRE AU PAYS BASQUE EN SEPTEMBRE 1896 (deuxième partie)

 

PAMPELUNE EN 1896.


La guerre d'indépendance cubaine a duré de 1895 à 1898 et de nombreux Basques su Sud ont été envoyés à Cuba combattre l'armée libératrice cubaine, secondée dans un deuxième temps par l'armée des Etats-Unis.






pais vasco antes navarra historia guerra cuba
PORTAL NUEVO PAMPELUNE 1900
PAYS BASQUE D'ANTAN




Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien Le Journal, le 24 septembre 1896, sous la plume de 

Jean Lorrain :

"Soirs d'exil.


I. Pampelune.



Oui, nous en étions arrivés là, à nous asseoir, rendus de chaleur et de fatigue, sur ce banc de jardin public et à regarder défiler les nourrices. Peut-être trouverions-nous sous les rubans envolés qu'elles portent ici, comme par tout l'univers, un minois agréable où reposer nos yeux..., un sourire à petites dents, un regard expressif, une peau fraîche..., nous avions vu tant de faces empâtées, tant de larges prunelles, tranquillement bestiales.



Où sont les jolies femmes d'Espagne, tel était le maussade refrain que nous ressassions depuis la veille ; où se cachaient donc les Espagnoles tant vantées ! Hugo, Musset, Dumas et Théophile Gautier, tous avaient fait blanc de leur imagination, tous avaient donc impudemment menti. Rue de la Compania, où sont les filles, dans les églises, où fréquentent les femmes de toutes les classes, nous n'avions rencontré que des tailles épaisses et des mâchoires lourdes, de noires et courtes femelles comme façonnées à coups de hache, de gros yeux fixes de ruminants et des teints de café au lait ; mais en revanche, que de merveilles de pierre et de bois ajouré, travaillé et sculpté dans les églises et dans la cathédrale, que de retables, que de grilles de chœur, que de stalles renaissance, que de frises à personnages, que de fresques de cloître, une orgie de peinture, de dorure, un paradis de marbre, que de reliquaires, que de chasubles d'un prix inestimable, tissées d'argent, brodées et rebrodées de perles, ensoleillées. Que de tribunes, que de miradores treillagés, feuillagés, rehaussés d'or et de vermillon ! L'Espagne est le pays des émotions d'art répétées et violentes ; on y marche dans de l'Histoire peinte et sculptée à même les murailles ; la poussée du Passé y est demeurée vivante ; c'est un décor splendide, mais ce décor est vide, il est sans premier rôle, et ceux qui s'y promènent, sont à peine des figurants. Et nous étions donc là, échoués mélancoliques, dans ce jardin poussiéreux et brûlant ; c'étaient de pauvres pelouses roussies, coupées de massifs de géraniums, jardin planté presque sur le terre-plein des remparts avec autour de nous la chimérique et fuyante arabesque des montagnes de Navarre en déchiquetures sur l'horizon.



Il était près de cinq heures, les soldats sortaient des casernes, les mêmes soldats qui tout à l'heure avaient interrompu notre promenade sur le chemin de ronde et nous avaient forcé de retourner sur nos pas, et le jardin public était plein d'uniformes. 



Tout petits, des enfants ou presque avec leurs faces imberbes, des yeux naïfs sous leur shako blanc, les carabineros de la reine et tous l'air aussi étonné d'être là, dans Pampelune, loin de Cuba et des Antilles, que leurs compagnons avaient le matin l'air stupéfait d'y partir.



Car nous l'avions vu denier sous nos fenêtres le matin même, le dernier convoi militaire détaché à Cuba : des fanfares, un bruit de foule nous avaient réveillés, attirés au balcon. L'air stupide, résigné, d'un bétail qu'on mène à l'abattoir, il en avait passé trois cents, escortés par des cris, un semblant d'ovation... une centaine de gamins et de vieux ouvriers, l'éternelle foule qui marque le pas derrière les régiments et la foule seule avait de l'enthousiasme. Ils savaient trop ce qui les attend là-bas, sous le climat meurtrier de Cuba, les pauvres petits soldats espagnols, la fièvre jaune et la soif et la faim, les marches forcées au soleil des tropiques, pas même la bataille et le feu des embuscades, mais l'épidémie qui décime les rangs, l'insolation, ce coup de massue qui étale au travers du chemin le fantassin en marche ; puis l'ennemi invisible, le vomito negro, la maladie terrible avec laquelle il n'y a pas à combattre !



pais vasco antes navarra guerra independencia cuba
GUERRE D'INDEPENDANCE DE CUBA
1895-1898



Pauvres petits carabiniers d'Espagne !



Et ils partaient, les bras ballants, sans armes. Ils trouveraient fusils et munitions à Barcelone où les attendait le paquebot.



Résigné, le soldat espagnol, mais héroïque. Il part sans enthousiasme, sans griserie guerrière, sans un hourrah, mais sans un murmure. Depuis un an, l'Espagne a envoyé cent quarante mille hommes à Cuba ; les Philippines lui en enlèvent des milliers toutes les semaines, et, en novembre, quarante mille hommes vont repartir aux Antilles : le convoi est voté ; les colonies boivent le sang de l'Espagne, et le peuple espagnol accepte sans mot dire ces levées en masse, impassible, il supporte, il subit ces terribles saignées, et les partis se taisent, ils attendent la fin de la guerre pour parler ; à l'heure du danger, il ne se rencontre chez eux personne pour tenter un coup d'Etat, faire échec à la reine, troubler l'ordre public.



La dynastie est respectée.



L'Espagne donne là, aux races latines, un exemple héroïque, mieux, un exemple unique : la France et l'Italie peuvent le méditer.



Les bras ballants, les petits carabiniers flirtent avec les nourrices, oh ! un flirt inconnu de nos troupiers français qui seraient déjà installés sur les bancs et serreraient de près les filles. Les soldats espagnols, l'air de petits garçons sages, se tiennent droits sur un rang, faisant face aux nounous. Elles sont assises, leurs nino somptueusement falbalassés de dentelles entre leurs bras ; elles sont coiffées d'éclatants rubans de soie qu'elles portent encore plus longs qu'en France, vêtues de robes claires et assez belles filles, mais d'une beauté lourde et commune qui laisse indifférente l'imagination affinée, même un peu énervée, de l'homme du Nord ; ce ne sont que des femelles, et le désir qu'elles inspirent à ces adolescents noirauds de l'armée espagnole, est nuancée de respect, car ils leur parlent à distance... ils leur parlent en s'accotant à l'épaule des uns des autres, quelques-uns le bras passé autour de la taille d'un camarade : il y en a même qui se tiennent par la main, visiblement hésitants, cherchant une contenance, et nous notons, comme un fait d'exception, le geste enveloppant et l'attitude prenante d'un Dumanet d'Espagne auprès d'une grande fille brune, cambrée et mince, l'air d'une Biacrote, et dont un rouge sourire à dents blanches éclaire tout le visage couleur de safran.. .une fille de la province de Léon, la nourrice au teint de gitane, un Andalou, le carabinier aux gestes caressants.



II Mme Poublique. 



Il est dix heures, une lune bleue découpe en pleine clarté les calles de Pampelune, crénèle étrangement les murailles ruinées, exagère, agrandit l'ombre portée des toits, des miradores et des balcons ; nous suivons une petite rue voisine de remparts, misérables maisons basses aux fenêtres grillées, clôtures en planches, vagues hangars ; l'endroit est d'une solitude encore aggravée par la limpidité de la nuit ; l'enceinte de la ville qui termine la calle n'a pas même à cette heure de soldat en faction. Nous sortons de chez Mme Poublique... Que faire dans cette ville morte, ensommeillée dès huit heures du soir ; il n'y a pas un journal français dans les fonda, il fallait bien tuer le temps. le chasseur de l'hôtel nous a servi de guide. Nous revenons écœurés et mortellement tristes ; la Mme Poublique de Pampelune est comme toutes les Mme Poublique des petites villes de France, d'Espagne et des autres nations. Le spectacle de la prostitution en maisons est un des plus mélancoliques que puisse contempler un homme qui n'a plus vingt ans. Notre curiosité n'a pas même été satisfaite ; nous rapportons de chez Mme Inès la conviction confirmée qu'il existe décidément un abîme entre la femme espagnole et la femme des autres pays. La race ibère échappe absolument à notre tempérament. Nous serons demeurés deux jours pleins à Pampelune, nous aurons battu les carrefours et les places, et la seule femme rencontrée aura été la nourrice de tantôt, la grande brune découplée sous son bonnet à rubans éclatants.


pais vasco antes navarra murallas
MURAILLES PORTE DE FRANCE PAMPELUNE
NAVARRE D'ANTAN


Nous avons congédié notre guide et marchons au hasard des rues... Tout à coup, sur une petite place, un bruit de voix, un rassemblement..., des hommes du peuple, quelques femmes, un caporal de carabiniers va et vient, escorté d'un soldat qui tient une bougie allumée, il se démène, une liste à la main, interpelle d'autres hommes, que nous distinguons rangés sur deux files, ceux que nous avions pris pour la foule ne sont que quelques assistants. La place est déserte, retirée, nous la reconnaissons maintenant ; c'est celle du square de la journée, la place du jardin public, et ce qui se passe sur cette place aux portes même de la ville, ces hommes rangés sous les ordres d'un caporal fébrile, ces chuchotements de femmes et de vieux, ce mystère, cette nuit, tout cela a un air frauduleux et furtif, un caractère d'énigme, de complot attachant.



Nous nous approchons ; les hommes, dont un caporal inscrit et rectifie les noms, sont en tenue de travail, et de travail des champs : ce sont des paysans.



La plupart sont en bras de chemise, la veste jetée sur l'épaule, les pieds nus dans des espadrilles, quelques-uns sans béret, les cheveux au vent : on les a pris à l'écurie, au moulin d'huile, à la charrue ; ils sont tous vigoureux, bien bâtis, dans la force de l'âge, de vingt-cinq à trente ans, et ils se poussent du coude, et ils rient, ils répondent à l'appel en se caressant le dos de bourrades, joyeux de coucher à la caserne, d'avoir quitté leur corvée quotidienne, leur pauvre et poudreux village, aux anges de ce séjour à la ville que l'autorité militaire leur impose. Inconscients de l'inconscience des jeunes animaux en folie, des écoliers et des enfants.



Nous, nous avons compris.



Les cinquante hommes, dont on fait l'appel, sont destinés à boucher les vides creusés dans les casernes par les départs pour Cuba, à reconstituer l'effectif des régiments. Ils ont cent cinquante mille hommes en ce moment dans les colonies, et les Philippines vont nécessiter de nouveaux départs ; alors, on recrute, on recrute, on recrute à force, on recrute en masse, on saigne à blanc les provinces, on décime les campagnes. La scène de recrutement, à laquelle nous assistons, cet enrôlement nocturne, dont un hasard nous a fait les témoins à Pampelune, se passe en ce moment même, se répétera demain, a eu lieu hier dans toutes les villes de l'Espagne, dans les provinces basques surtout, en Navarre, en Guipuscoa, en Biscaye où le pays est carliste, toujours dans l'attente d'un ordre du chef, prêt à une prise d'armes.



Le gouvernement a pris ce moyen d'éteindre petit à petit un parti inquiétant.



Par file à droite, marche. - Le caporal a baragouiné un ordre ; la petite troupe s'ébranle. Elle s'ébranle lourdement, gauchement, dans des rires et des chuchotements. Pauvres gens de la Navarre, reverront-ils seulement leur village de pierres sèches, leur montagne rocailleuse et leur pauvre carré de maïs ; ils défilent dans la nuit claire, quelques-uns ébauchent un pas de danse, un seul d'entre eux a une valise !



Ils sont partis pour la caserne, comme il partent le matin pour travailler aux champs."



A suivre...



(Source : Wikipédia)








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mardi 16 mai 2023

PAMPELUNE - IRUÑEA EN NAVARRE AU PAYS BASQUE EN SEPTEMBRE 1896 (première partie)

PAMPELUNE EN 1896.


La ville de Pampelune, en Navarre, comprend environ 28 000 habitants.





pais vasco antes navarra portal
PORTAL NUEVO PAMPELUNE 1900
PAYS BASQUE D'ANTAN




Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien Le Journal, le 17 septembre 1896, sous la plume de 

Raitif de Bretonne :



"Mardi 8 septembre. De Burguette à Pampelune



Quarante-quatre kilomètres en voiture à travers les pierrailles et les coteaux roussis de la Navarre...



Un soleil d'Afrique surchauffe à blanc le pays, il est quatre heures, et, depuis midi, cahin-caha, nous roulons à raison de huit kilomètres l'heure dans une inénarrable bagnole, la seule que nous ayons trouvée à Burguette, et encore la devons-nous à l'éloquence de notre compagnon de route, un Espagnol de la haute société madrilène, rencontré la veille à Roncevaux, et qui a pris, par les sentiments, l'orgueil national, l'espèce de brute navarraise, tête de cafard et yeux de bandit, qui nous sert de cocher.



Le phaéton tape-cul, où nous sommes empilés, a conduit, la veille, un prêtre fou dans sa famille, et c'est dans cette voiture, hier encore cellulaire, que nous dévorons, oh combien lentement !.... les onze lieues de montées et de descentes, de montées surtout qui nous séparent de Pampelune... Ce qu'elles sont longues et lourdes, ces quatre heures de cahots par ce pays de sablonnières, et ce qu'elle serpente et zig-zague au flanc des montagnes pelées, la route poussiéreuse où nous étouffons. Pas un arbre, pas un brin d'herbe sur ces collines rocailleuses, une étroite bande de gazon pâle tout au fond de la vallée où un invisible rio coule presqu'à sec.



La contrée est d'ailleurs inhabitée ; nous comptons quatre villages en tout durant cette traversée, et quels villages ! Des masures de crépit jaune, aux murs lézardés de chaleur, des toits de tuiles qui s'effritent, logis de misère aux balcons vermoulus pavoisés de loques, toute l'incurie, tout le délabrement de l'Espagne, les êtres et les choses apparus du même ton fauve, de la même argile torréfiée que le sol.



Dans chacun de ces misérables hameaux il faut payer une redevance, un droit de péage pour les chaînes... des vieilles chaînes rouillées sont là, scellées à des bornes, de chaque côté du chemin. C'est un séculaire usage de la Navarre, une dîme prélevée sur le voyageur à l'entretien des routes.



Partout, ce sont des femmes qui remettent au cocher le passe-debout qui nous livre la voie ; laides et sordides, elles ont des yeux hagards dans des faces lourdes, la plupart le ventre déformé de grossesses, toutes la jupe écourtée par une récente fécondité ; les hommes, eux, dorment dans leur crasse et leur paresse, au fond de quelque aguardiente bourdonnante de mouches.



Une infinie tristesse pèse sur ces campagnes, tombe de ce ciel blanc ; et dire que ces ravins désolés, aux côtes arides, ont été le théâtre de la guerre carliste ; c'est dans cette région pierreuse que Don Carlos possède encore ses plus chauds partisans, c'est là que le terrible curé Santa-Cruz donna carrière à ses cruautés de prêtre fanatique et de chef de bande espagnol : exécutions sommaires, mutilations de femmes, fusillades de paysans, dire que c'est de là que partira l'insurrection, s'il en éclate encore. Aussi le gouvernement espagnol lève-t-il en masse pour les Philippines et pour Cuba tous les bras valides de la Navarre.



pais vasco antes religion guerras carlistas
CURE SANTA CRUZ GUERRES CARLISTES
PAYS BASQUE D'ANTAN



Wuarte... de l'eau, un torrent qui devient rivière après une assez large chute à travers une sorte d'écluse de granit, une ancienne maison de noble devenue un moulin, une façon de rue et de paysage, deux posadas et des arbres ! La soif nous râcle le gosier ; nous faisons halte à une aguardiente, on nous sert dans des verres épais d'un demi-litre au moins un refresco delicioso, de l'anisette du pays et de l'eau glacée, mais ils ont dû se mettre à trois : l'aubergiste, sa servante et notre cocher, pour déboucher la bouteille et encore le tire-bouchon leur est-il demeuré en morceaux dans les doigts.



pays basque autrefois navarre calvaire religion dessin
CALVAIRE DE HUARTE
DESSIN DE JACQUES LE TANNEUR



Il s'en allait de vieillesse, ce tire-bouchon bien espagnol.



Nous remontons en voiture, il est cinq heures, l'air commence à fraîchir, les mules ont pris un trot dansant qui fait chanter les grelots des harnais, la route descend, et au tournant d'un talus, ces trois minarets, ces remparts crénelés d'un ton rosâtre de vieil alcaraza, cette ville on dirait mauresque, sur une hauteur, au beau milieu d'un cirque de montagnes... c'est Pampelune.



pais vasco antes navarra murallas
MURAILLES DE PAMPELUNE NAVARRE
PAYS BASQUE D'ANTAN



C'est Pampelune avec à ses pieds le rio de l'Hefra très bleu, mais d'un bleu de soie lumineuse dans le fauve empourpré de terrains et le vert transparent des vignes : les trois minarets sont les deux tours de la cathédrale et le clocher de Saint-Saturnin. Pampelune, toute rose, dans sa ceinture de bastions, occupe le centre d'une plaine. Les Monts de la Navarre courent à dix lieues tout autour d'elle et leur dentelure d'un gris mauve et bleuté se profile avec une délicatesse exquise sur l'or embrasé du couchant... il fait bon vivre.



Le crépuscule est l'heure à laquelle on doit entrer dans les villes.



Mercredi 9 septembre. 


— Elles sont bien espagnoles, les rues de Pampelune, étroites, presque toutes en pente, bordées de maisons de hauteur inégale et bossuées de balcons : l'avancement de grands toits surplombant, fait dans le bleu du ciel de larges échancrures amusantes à regarder d'en bas ; des poutrelles sculptées les soutiennent.



Fraîches et baignées d'ombre, elles ont, ces rues, un aspect de couloirs déjà vu à Fontarabie et, comme à Fontarabie, bon nombre d'écussons gigantesques timbre la façade des anciennes demeures.



Pampelune, une ville ou les pierres vous regardent. C'est cette phrase entendue l'autre été dans la bouche d'un portefaix de Bayonne qui a décidé, de l'équipée de ce mois.



En effet, les pierres vous regardent dans cette Pampelune la sombre, où les lions grimpants du royaume de Léon guettent au coin de presque toutes les calles, sculptés en relief à côté des chastelets de Castille et des triples barreaux d'Aragon ; et puis ce sont, à l'angle de vieux logis des Notre-Dame de cire encastrées dans des niches, des saints Jacques de Compostelle en extase derrière de petites vitres où le soir allume la flamme jaune d'un cierge.



D'énormes câbles, fils télégraphiques ou téléphoniques, courent le long de ces rues et les traversent ; on dirait des filets tendus à hauteur des toits : c'est une note pittoresque de plus, et la ville, ainsi aperçue, avec ses calles bordées de logis à blason et son ciel enchevêtré de cordes, serait délicieuse sans la laideur, que dis-je, pis, sans l'insignifiance irrémédiable de ses femmes.



Jeudi 10 septembre. 

— Car il n'y a pas à dire : les romances ont menti, et les romantiques aussi : les Espagnoles sont laides. J'avais déjà constaté le fait il y a quatre ans, en traversant l'Espagne, de Carthagène à Barcelone, Pampelune et la Navarre, confirmèrent mon opinion, et dussé-je me faire honnir et bannir du très catholique royaume, une jolie femme est un oiseau rare en Espagne.



Goya n'a rien imaginé quand il a peint ses duègnes grotesques et ses ricanantes sorcières, il n'a fait que regarder, mais il a regardé attentivement, et il a magistralement rendu.



peintre espagnol duègnes ménines sorcières
TABLEAU EL AQUELARRE DE GOYA



Nous sommes pourtant ici en pays basque, et les Basquaises de Bayonne, de Biarritz et de Saint-Jean-de-Luz, même d'Hendaye, ont une réputation de beauté dûment méritée et dûment établie ; fines, racées, campées et cambrées, avec des yeux parleurs et des dents blanches, un air de force nerveuse et de santé... Ici, les femmes, rencontrées nu-tête et sous la mantille, promènent des faces lourdes, empâtées, où luisent d'un éclat d'émail de grands beaux yeux inintelligents ; la plupart ont la bouche entrouverte, un sourire figé et le nez gros : mais c'est surtout l'empâtement des joues qui étonne et vous navre... Les cheveux sont très drus et très noirs : mais tout cela manque de flou, de grâce, d'enveloppement. D'ailleurs, ces femmes ont-elles le désir de plaire ?



... Non, il n'y a aucun échange de regard, pas une œillade entre elles et les hommes de leur pays : nous trouvons Pampelune encombrée de soldats ; les rues grouillantes d'uniformes, outre la garnison, qui est assez nombreuse, puisque trois casernes et la citadelle..., il y a aujourd'hui, dans Pampelune, trois cents hommes arrivés de la veille et qui partent demain pour Cuba. Le transport les attend en rade de Barcelone. Eh bien, ces soldats eux-mêmes, la plupart des visages d'enfants, imberbes, à peine des hommes, n'ont aucune flamme dans les yeux, aucune mollesse dans le geste en passant auprès des femmes !



Ils sont à la veille d'un départ. sans retour peut-être ; c est la dernière nuit qu'ils passent dans leur province : ils vivent une minute suprême, une heure décisive de leur existence et ils sont calmes ; passifs et résignés, ils se promènent par la ville, sans une fièvre dans l'oeil dans l'air de leur visage.



Nous autres, Français, nous mettrions les bouchées doubles et ne songerions qu'à vivre intensément et faire revivre, qui sait ? un peu de nous dans une dernière étreinte, un baiser de rencontre qui, par la circonstance, serait mi baiser suprême ; ces Espagnols stationnent bien tranquillement devant les comptoirs des aguardiente, ils montent et descendant les calles en se tenant par la main comme des enfants sages, fument de gros cigares ; et les filles, debout sous les courtines des portes, les regardent défiler de leurs grands yeux de vaches placides, sans un redressement de taille, sans un frôlement de hanche, sans une lueur entre les cils.



Ce peuple a l'air d'être insexué, et pourtant il pullule des mioches dans les rues... et ce pays a produit des artistes de passion, des Qarbaran, des Coello et des Greco, et je ne parle que des peintres, mettant la littérature à part. Des amours d'une violence effrayante (l'Espagne a eu des rois amoureux au delà de la mort) incendient comme de lueurs de torches, les ténèbres de son histoire, et les femmes de ses villes regardent partir, comme pour la parade, des jeunes gens de leur sang que peut-être elles ne verront pas revenir... et elles jettent leur éventail au torero, et se traînent sur les genoux au pied de leur Dame del-Pilar... Etrange pays ! Je commence à comprendre pourquoi Barres, à Séville, déclara y avoir aimé les yeux profonds d'une mule."



A suivre...







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lundi 23 janvier 2023

UNE ENQUÊTE DANS LES PROVINCES BASQUES EN NOVEMBRE 1931 (deuxième partie)

ENQUÊTE DANS LES PROVINCES BASQUES EN 1931.


Le 14 avril 1931 est proclamée la Deuxième République espagnole, à la suite des élections municipales et le roi Alphonse XIII part en exil sans avoir abdiqué.


VUE GENERALE PAMPELUNE 1930
PAYS BASQUE D'ANTAN



Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien Le Journal, le 16 novembre 1931, sous la plume 

d'Edouard Hesley :


"Le "Journal" en Espagne.


Une force en réserve.


(De notre envoyé spécial). Saint-Sébastien, octobre.



A Pampelune, il y a une belle avenue, l'avenue de Las Navas de Tolosa. En m'y promenant, l'autre jour, je m'arrêtai devant un monument assez bizarre. Luxueux, d'une ligne harmonieuse, tout en marbre blanc, il semblait fait pour servir à la fois de socle et de cadre à une statue et j'y pus, en effet, lire cette inscription :

Navarra 

A su hijo esclacerido

Don José Sanjurjo.


MONUMENT A JOSE SANJURJO PAMPELUNE
NAVARRE D'ANTAN


Ce qui veut dire : "La Navarre à son illustre enfant José Sanjurjo." Mais si la dédicace subsiste, l'effigie de celui à qui elle s'adresse a disparu. On ne voit plus sur le soubassement que des figures allégoriques d'un rigoureux anonymat. 


— Ne vous étonnez pas, me dit un ami. Comme vous le savez, Sanjurjo, c'est le nom du général qui commande la garde civile et qui la commandait déjà du temps du roi. Bien qu'il se soit rallié sans retard à la République, on a cru bon de mutiler ce monument aux premières heures de la révolution. Le buste qui le surmontait a été enlevé.



Mon interlocuteur, à ce moment, prit un léger "temps", comme un acteur rompu aux finesses du classique, un "temps" accompagné d'un malicieux sourire. Puis il ajouta : 


— Ne criez pas au vandalisme. Le buste est en sûreté et le temps n'est sans doute pas loin où on le réinstallera ici en grande pompe. 



On connaît la garde civile. Elle a longtemps fait trembler tous ceux qui, en Espagne, aspiraient plus ou moins ardemment à un changement de régime. C'est une troupe prétorienne, composée d'éléments triés sur le volet. Ils sont de trente à trente-cinq mille hommes robustes, courageux, bien nourris, pénétrés d'un esprit de corps exceptionnel, trente ou trente-cinq mille hommes qu'on a choisis, un par un, dès l'adolescence, cohorte qu'aucune propagande ne peut entamer, et dont l'apparition, un jour d'émeute, suffisait à mettre en fuite les foules les plus fanatisées. 



Un jour, à Barcelone, j'ai vu de mes yeux un peloton de cette garde civile, rien qu'en mettant sabre au clair, disperser comme une poussière des milliers de Catalans, qui pourtant ne passent point pour avoir froid aux yeux.



La garde civile fut longtemps le suprême rempart, "le suprême espoir et la suprême pensée" de la monarchie déclinante et de ses partisans. Alphonse XIII, à l'instant décisif, ne voulut pas faire appel à elle. Il lui répugnait de verser le sang espagnol. S'il s'était servi de cette arme, nul ne peut dire comment les choses eussent tourné.



roi espagne 1931
ROI D'ESPAGNE ALPHONSE XIII


Passive dans la main de son chef, la garde civile a passé avec armes et bagages au service de la République, en même temps que Sanjurjo.



La République a reçu ce rempart avec joie. Les incendiaires de couvents à Madrid, les grévistes révolutionnaires dans le sud ont eu déjà l'occasion de constater que certaines institutions survivent à tous les régimes. La garde civile est toujours là.


— Oui, me dit encore l'ami dont je viens de vous parler. C'est cette force aux mains d'un homme aussi résolu que Sanjurjo qui nous permet de rester si calmes et si patients. Malgré les explosions de fanatisme, de sectarisme ou d'anarchie qui peuvent paraître nous menacer nous gardons tout notre sang-froid. Nous ne craignons pas trop pour l'instant d'avoir à nous défendre nous-mêmes. La garde civile s'en chargera.



Je crus pouvoir faire observer que cette phalange exécuterait sans doute les ordres du gouvernement quels qu'ils pussent être.


- Si, d'aventure, fis-je, un gouvernement révolutionnaire, disons, par exemple, communiste, devait s'établir à Madrid, c'est contre les amis de l'ordre, c'est contre vous-mêmes et non contre vos adversaires que cette force s'exercerait.



Mais un sourire, encore, me répondit :


— La garde civile obéira au gouvernement régulier tant que ses chefs, tant que son chef, l'entendra ainsi. Mais devant certains excès, l'affaire, soyez-en convaincu, changerait aussitôt de tournure. D'ailleurs, nous n'en sommes pas là. Et bien des causes encore peuvent jouer efficacement avant cette ultima ratio qu'est l'emploi de la violence, pour permettre à la République de fonder en Espagne un véritable équilibre entre des tendances contraires, si malaisé qu'il soit de les accorder.



Certes, l'incertitude est partout dans la péninsule. "Gouverner toutes les Espagnes", comme on disait plaisamment autrefois, ne sera pas dans les années, et même dans les mois à venir, un problème commode.



Il n'y a pas d'autre principe d'unité, depuis que la monarchie est tombée, qu'un sentiment national, d'ailleurs vivace, unanime et indiscuté. Qu'ils soient d'une province ou d'une autre, tous les Espagnols, c'est un fait, se regardent avant tout comme des Espagnols. Mais, sous cette apparente unité, que de disparates !



Nous venons de donner un regard à la Navarre et aux provinces basques. Nous y avons vu la religion solidement ancrée, l'amour des traditions, le respect presque superstitieux de la propriété individuelle et le sens très fin des hiérarchies.



Si je vous entraînais maintenant dans les grandes villes, je n'aurais pas de peine à vous montrer la bourgeoisie radicale, imbue d'anticléricalisme, pour ne pas dire d'irréligion, novatrice, prompte à s'engouer de systèmes et de théories, et plus apte à se mouvoir dans le domaine des idées que dans le monde des faits.



Mais ce n'est rien encore. Il y a aussi, il y a surtout, les masses populaires qui, jusqu'ici, n'avaient guère eu voix au chapitre et qui se désintéressaient des affaires publiques, parce qu'elles n'y voyaient qu'un jeu de politiciens.



Ces ouvriers d'usine que se disputent deux groupements syndicalistes farouchement ennemis l'un de l'autre, celui des réformistes, celui des chambardeurs, ils ont déjà, quelles que soient leurs tendances, une vue, nette ou confuse, mais enfin digérée des questions sociales.



Il y a plus de vingt ans que des chefs enthousiastes font leur éducation civique. Et quiconque a suivi naguère, à Madrid, les grandioses funérailles de Pablo Iglesias sait bien que le socialisme espagnol a depuis des années, des doctrines et des traditions.



Est-il permis d'en dire autant du peuple illettré des campagnes ? A ceux-là le mot république est venu brusquement apporter des espoirs tellement inattendus qu'il serait fou d'en attendre aucune modération. Songez à ce qu'était encore, au début de cette année, l'état de la grande propriété, surtout dans le sud. Quand vous alliez de Madrid à Séville, le train, par exemple, mettait des heures à traverser les oliveraies du duc de Medina-Celi. Si hardie, et même si brutale, que puisse être la réforme agraire aujourd'hui en préparation, il est bien difficile de croire qu'elle donne pleine satisfaction à des gens longtemps tenus dans une situation toute proche du servage et qui se trouvent affranchis d'un seul coup.



Ajoutez à cela, de parti à parti, de province à province, à l'intérieur de chaque province, au sein même de chaque parti, les rivalité de personnes, toujours si vives en Espagne, fatalement génératrices de nouvelles dissensions.



Une solide armature administrative manque, jusqu'à présent, en Espagne, pour donner un cadre cohérent à tous ces éléments contradictoires. Et je ne signale qu'en passant l'instinct de particularisme qui n'anime pas seulement, comme on pourrait le croire, les Navarrais, les Basques et les Catalans, mais qu'on retrouve à peu près partout.



Le grand remède à ces difficultés, c'est l'éducation populaire. L'Assemblée constituante l'a bien compris. C'est l'école et c'est elle seule qui peut, progressivement, assouplir les esprits, les façonner, les préparer à une espèce de concorde, soit en les unifiant dès l'enfance, soit, ce qui serait mieux, en leur enseignant la tolérance et la nécessité de mutuelles concessions.



Mais elle ne peut agir qu'à la longue. Et d'abord, il faut qu'elle existe. On a voté d'enthousiasme la création de 7 000 écoles. Ce ne sera sans doute pas suffisant et, pratiquement, c'est déjà trop. On aura mille peines à trouver les locaux indispensables. Mais peut-on faire sortir de terre, par un coup de baguette magique, un corps enseignant ? L'œuvre d'éducation à laquelle on s'attache demandera des dizaines d'années avant de porter tous ses fruits. Que se passera-t-il en attendant ?



Les Basques, les Navarrais et, dans toute l'Espagne, ce qu'on peut appeler les éléments de droite semblent compter beaucoup sur les futures élections. Ils fondent leurs espérances sur la victoire qu'ils estiment avoir remportée en faisant accorder aux femmes, d'accord avec les socialistes, la plénitude de leurs droits électoraux.



Ils ont sang doute leurs raisons. Un étranger ne sait rien, à vrai dire, de la femme espagnole. Le mouvement grouillant des grandes villes ne doit pas nous égarer. Parce que nous voyons, dans les rues de Madrid tout un monde d'alertes ouvrières, de jolies, vendeuses et de coquettes dactylos, nous aurions tort d'oublier que la grande majorité des femmes espagnoles vivent presque recluses à la maison. La chevaleresque courtoisie castillane traite avec de cérémonieux égards la femme et la fille d'autrui. Mais, au sein de la famille, l'homme, en ce pays, est resté rigoureusement le maître. Et cela n'est pas vrai seulement du monde aristocratique ou de la haute bourgeoisie. Il en est de même à la campagne, au foyer des paysans.



Appelées sans préparation à voter, que feront les Espagnoles ? Obéiront-elles passivement à leur mari ou à leur père ? Ou prendront-elles un mot d'ordre au confessionnal ? Qui donc oserait d'avance en décider? 



Les catholiques attendent de l'influence du prêtre les plus décisifs résultats. La perspective d'un Etat démocratique où les femmes auraient autant de place que les hommes a certainement pesé pour une fart sur l'attitude de cette large fraction du clergé qui, comme on ne l'ignore pas, a puissamment poussé, lors des élections historiques d'avril, à la fondation du régime.



Seulement, si ces calculs ne sont pas déçus, quelles seront les réactions des groupes adverses, qui sont, eux aussi, nombreux, actifs, exigeants ?


— Il n'y a plus de roi, me disait-on à Madrid la semaine dernière, mais la structure de l'Espagne n'a pas tellement changé. Comme autrefois, nous trouvons face à face divers organismes que leur essence même condamne à se combattre sans répit. D'abord, les différents clans, survivants de l'époque ancienne, et qui faisaient de la vie politique, au fond, une lutte permanente d'équipes se disputant les réalités du pouvoir. Le système des "caciques" rendait sensible cette vérité. Dès qu'un ministère tombait, des hommes nouveaux s'emparaient de toutes les places, et le dernier des cantonniers devait passer la main à un de ses concurrents. Et puis, il y a l'Eglise. Les mouvements de laïcisme qui se produisent aujourd'hui n'en viendront pas à bout si facilement qu'on pense. Une Chambre élue par les femmes peut parfaitement nous conduire, un de ces jours, au "gouvernement des curés". Enfin, l'armée, qui fut pendant si longtemps l'arbitre véritable de la politique, l'armée compte toujours dans ses rangs une multitude d'officiers énergiques prêts à déployer avec allégresse, dans les conflits civiques, une ardeur que la guerre étrangère, improbable, ne paraît guère avoir de chances de requérir. Nous reverrons peut-être, et plus vite qu'on ne croit, les dictatures plus ou moins provisoires et les pronunciamientos.



Hypothèses ? Pronostics hasardeux ? Possible. L'Espagne, en pleine transformation, ménage à chaque prophète, sans doute, bien des surprises. L'affermissement progressif du régime dans un esprit de sages réformes, d'ordre et de paix se déroulera peut-être sans heurts. La raison garde toujours ses chances en pays latin. Et nous souhaitons de tout cœur à nos voisins que, pour eux comme pour tout le monde, son magnifique règne arrive.



Mais peut-être aussi se fera-t-il attendre. S'il devait, hélas ! en être ainsi, le buste de Pampelune reprendrait sans doute sa place. Et nous entendrions encore parler, je pense, de la garde civile et de Sanjurjo."



(Source : Oublier: Monument à Sanjurjo à Pampelune: un sinvivir (acte) (patximendiburu.blogspot.com))



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mardi 20 septembre 2022

LA MORT DE PABLO SARASATE VIOLONISTE ET COMPOSITEUR BASQUE LE 20 SEPTEMBRE 1908 (deuxième et dernière partie)

 

LA MORT DE PABLO SARASATE.


Martin Meliton Pablo de Sarasate y Navascués est un violoniste et compositeur, né à Pampelune le 10 mars 1844, mort à Biarritz le 20 septembre 1908.

mardi 29 mars 2022

LE COURRIER DE PAMPELUNE EN NAVARRE AU PAYS BASQUE EN 1901

LE COURRIER DE PAMPELUNE EN 1901.


Le courrier a longtemps passé directement la frontière pour communiquer entre la Navarre et la Basse-Navarre.




pays basque autrefois navarre poste ptt
LA POSTE VALCARLOS NAVARRE
NAVARRE D'ANTAN



Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Le Petit Troyen, le 23 juillet 1901, sous la plume de 

Sauveur Harruguet :



"Variétés.


Le courrier de Pampelune. 



De Saint-Jean-Pied-de-Port (Basses-Pyrénées), un courrier part chaque jour emportant le courrier d’Espagne. Il s’en décharge à Valcarlos et fait ainsi la navette d’un bout de l’an à l’autre, apportant le soir les nouvelles espagnoles.




Des lettres qu’il apporte à Valcarlos, celles qui doivent suivre vers l'intérieur de l’Espagne sont triées et confiées à un autre courrier, qui va jusqu’à Burguette, d’où part un nouveau service pour Pampeluue. 



Durant quelques années, c’était un certain Ramon Curcheta qui faisait la trotte de Valcarlos à Burguette ; on appelait cela à Valcarlos le courrier de Pampelune



pays basque autrefois navarre hôtel
PLACE ET HOTEL MARCELINO MARTIN VALCARLOS
NAVARRE D'ANTAN



Ce Ramon était un gaillard à pari, un grand brun qui, par une anomalie de la nature, avait des yeux bleus, n’y avait pas froid, par-dessus le marché. Il n’était pas du pays même, mais des provinces basques cependant, de l'Alava, disait-on. Il racontait assez volontiers que son père, alcade de sa commune, avait voulu le marier à une jeune fille qui, pour tout appas, ne lui apportait que des douros. "Tous les douros du monde ne valent pas un beau sourire et une taille bien faite, ajoutait-il en faisant claquer ses doigts ; j ai préféré me faire voiturier". 



Crâne voiturier, même. Il avait toujours deux mules dont il pouvait seul se rendre maître, vicieuses, mais rapides comme le vent. Ça grimpait toute la côte interminable de Roncevaux à une allure qui eût crevé deux fois des chevaux de pur sang. L’on était rendu en un rien de temps à Burguette, où l’on connaissait bien les grelots aigres de l’attelage et aussi le breack aux roues jaunes qui passait si vite, envolé sur ses rideaux étendus comme des ailes. 



Le breack ne roulait que pendant la belle saison. En hiver, la neige lui rendait le chemin impossible. Ramon enfourchait alors l’une de ses bêtes et traversait ainsi le col d’Ibagneta, trempé, les oreilles coupées par le froid, ce qui ne l’empêchait pas de chanter ; à la posada, il buvait un vin chaud, voilà tout. 



Qu’un homme ait une histoire de femme dans sa vie, l’on peut être certain qu’elle lui en vaudra d’autres. Il en était ainsi de Ramon. Son exil de la maison paternelle, pour s’éloigner d’un mariage d’argent, raconté dans les veilles, laissait les hommes indifférents, alors que cela lui valait les sympathies du beau sexe. Le lendemain, les filles, le regardaient un peu plus longuement, sous le prétexte de jeter une lettre dans le sac à dépêches, s’apercevaient qu’il était beau garçon, accrochaient presque un désir au bout de sa moustache noire et stationnaient sur la route les yeux fixés au coude où avait disparu la voiture, écoutant jusqu’au dernier tintement la jacasserie des grelots qu’éteignait la distance. C’était donc là ce Ramon qui préférait une belle fille à des piles d’or.



Ce n’était certes pas à lui que les cavalières faisaient défaut durant les bals des fêtes locales de Valcarlos. Il n’avait pas à les courtiser durant la semaine pour obtenir la faveur d’une danse ; d’un mouvement de sourcil ou d’un geste, il engageait sa danseuse d'un bout de la place à l’autre, et ce n’était jamais la moins jolie. Ajoutez à cela qu’il dansait à ravir le fandango et grattait fort bien la mandoline, et nul ne s’étonnera qu’il fût de toutes les noces et de toutes les fêtes. 



Il logeait à Valcarlos, chez Pedro, une hôtellerie au-dessus de la porte de laquelle le voyageur pouvait lire sur une enseigne à deux faces, du côté de France, en bleu sur fond jaune : "Auverge", et du côté d’Espagne, en noir sur fond rouge : "Posada." Certain soir qu’il causait devant la porte avec l’aubergiste, un mendiant aveugle vint demander la charité. Sa femme l’amena par un pan de sa veste en loques tandis qu’il jouait de l’accordéon, un accordéon plat aux touches blanches et longues comme des dents de mulet. 



pays basque autrefois navarre douanes
DOUANE VALCARLOS 1903
NAVARRE D'ANTAN



A ce moment sortit de l’auberge la femme d’un carabinero nouvellement arrivé. Sans plus de façon, Ramon se leva du banc où il était assis et, prenant la femme par la taille, l’entraîna dans le vestibule de la maison, envolé dans le fandango que jouait l’aveugle. Elle parut se fâcher d’abord du sans-gêne de son cavalier, mais elle était de Saragosse et les Saragossanes aiment fort la danse. La première pirouette la décida. Elle demanda à poser dans un coin la bouteille de vin qu’elle venait d’acheter. Dans ce répit, Ramon écarta quelques outres qui encombraient le vestibule et la danse reprit dans la demi-obscurité que traversait tout au milieu le gros trait de lumière venu de la porte de la cuisine. 



La femme dansait comme pas une, ondulante et légère, avec une grâce sans pareille, quand, au bout de ses bras arrondis au-dessus de la tête, les doigts claquaient, donnant au fandango cette vie aérienne d’ailes battantes que ne possède nulle autre danse. 



Alors, là, tout bêtement, pendant que Pedro accompagnait en tambourinant sur la porte avec le manche de son couteau, dans celte pénombre excitante, Ramon s’éprit de cette femme d’autrui, dont le regard revêtait une langueur d’une fluidité étrange, quand elle passait dans la voie de lumière, la tête inclinée tantôt sur une épaule, tantôt sur l’autre. 



Elle s’appelait Manuela, avait été chanteuse de rues, s’était laissé épouser par un carabinero qui l’avait fait boire à sa gourde  un jour qu’elle avait bien soif, un vilain grigou, jaloux et mauvais, qu’elle dominait tout en le craignant. 



Faut-il donc que le coeur humain soit bizarrement organisé ! Ramon, qui n’avait qu’à vouloir pour obtenir les faveurs des plus jolies filles, lui qui n’avait à cueillir que des sourires, s’amouracha de cette coureuse, tout comme cet affreux carabinero, dont personne n’eût voulu. Et cela, parce qu’elle avait deux grands yeux noirs, profonds, brûlants de vice. 



pays basque autrefois navarre ferme
FERME VALCARLOS
NAVARRE D'ANTAN



Ils eurent des rendez-vous, tandis que le mari était de service, la nuit, à l’affût des contrebandiers. Un matin qu’il rentra de meilleure heure que de coutume, il surprit Ramon chez sa femme. Quand il parut sur la porte, l’amoureux disait de ces bêtises que l’on dit quand on aime, et Manuela souriait. Sans une émotion, sans que le moindre nuage obscurcît son front, la femme vit avancer son mari derrière Ramon, suivit dans l’ombre du jeune homme ses yeux de chat qui brillaient et lui commandaient le silence. Alors un éclair de lame blanchit et Ramon s’affaissa. Le carabinero venait de lui planter sou long couteau entre les deux épaules. 



Elle poussa un éclat de rire : "Tant pis pour lui", dit-elle. Et son rire insultait tant de femmes qui avaient fait pour le beau cavalier inanimé à ses pieds plus d’un vœu superflu.



On apprit le lendemain que Ramon Curcheta avait été trouvé sur la route par le mari de Manuela, râlant, avec un grand trou dans le dos. Et l’on pensa qu’il avait été tué par un contrebandier qui l’avait pris pour un carabinero."







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