PAMPELUNE EN 1896.
La ville de Pampelune, en Navarre, comprend environ 28 000 habitants.
Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien Le Journal, le 17 septembre 1896, sous la plume de
Raitif de Bretonne :
"Mardi 8 septembre. De Burguette à Pampelune.
Quarante-quatre kilomètres en voiture à travers les pierrailles et les coteaux roussis de la Navarre...
Un soleil d'Afrique surchauffe à blanc le pays, il est quatre heures, et, depuis midi, cahin-caha, nous roulons à raison de huit kilomètres l'heure dans une inénarrable bagnole, la seule que nous ayons trouvée à Burguette, et encore la devons-nous à l'éloquence de notre compagnon de route, un Espagnol de la haute société madrilène, rencontré la veille à Roncevaux, et qui a pris, par les sentiments, l'orgueil national, l'espèce de brute navarraise, tête de cafard et yeux de bandit, qui nous sert de cocher.
Le phaéton tape-cul, où nous sommes empilés, a conduit, la veille, un prêtre fou dans sa famille, et c'est dans cette voiture, hier encore cellulaire, que nous dévorons, oh combien lentement !.... les onze lieues de montées et de descentes, de montées surtout qui nous séparent de Pampelune... Ce qu'elles sont longues et lourdes, ces quatre heures de cahots par ce pays de sablonnières, et ce qu'elle serpente et zig-zague au flanc des montagnes pelées, la route poussiéreuse où nous étouffons. Pas un arbre, pas un brin d'herbe sur ces collines rocailleuses, une étroite bande de gazon pâle tout au fond de la vallée où un invisible rio coule presqu'à sec.
La contrée est d'ailleurs inhabitée ; nous comptons quatre villages en tout durant cette traversée, et quels villages ! Des masures de crépit jaune, aux murs lézardés de chaleur, des toits de tuiles qui s'effritent, logis de misère aux balcons vermoulus pavoisés de loques, toute l'incurie, tout le délabrement de l'Espagne, les êtres et les choses apparus du même ton fauve, de la même argile torréfiée que le sol.
Dans chacun de ces misérables hameaux il faut payer une redevance, un droit de péage pour les chaînes... des vieilles chaînes rouillées sont là, scellées à des bornes, de chaque côté du chemin. C'est un séculaire usage de la Navarre, une dîme prélevée sur le voyageur à l'entretien des routes.
Partout, ce sont des femmes qui remettent au cocher le passe-debout qui nous livre la voie ; laides et sordides, elles ont des yeux hagards dans des faces lourdes, la plupart le ventre déformé de grossesses, toutes la jupe écourtée par une récente fécondité ; les hommes, eux, dorment dans leur crasse et leur paresse, au fond de quelque aguardiente bourdonnante de mouches.
Une infinie tristesse pèse sur ces campagnes, tombe de ce ciel blanc ; et dire que ces ravins désolés, aux côtes arides, ont été le théâtre de la guerre carliste ; c'est dans cette région pierreuse que Don Carlos possède encore ses plus chauds partisans, c'est là que le terrible curé Santa-Cruz donna carrière à ses cruautés de prêtre fanatique et de chef de bande espagnol : exécutions sommaires, mutilations de femmes, fusillades de paysans, dire que c'est de là que partira l'insurrection, s'il en éclate encore. Aussi le gouvernement espagnol lève-t-il en masse pour les Philippines et pour Cuba tous les bras valides de la Navarre.
CURE SANTA CRUZ GUERRES CARLISTES PAYS BASQUE D'ANTAN |
Wuarte... de l'eau, un torrent qui devient rivière après une assez large chute à travers une sorte d'écluse de granit, une ancienne maison de noble devenue un moulin, une façon de rue et de paysage, deux posadas et des arbres ! La soif nous râcle le gosier ; nous faisons halte à une aguardiente, on nous sert dans des verres épais d'un demi-litre au moins un refresco delicioso, de l'anisette du pays et de l'eau glacée, mais ils ont dû se mettre à trois : l'aubergiste, sa servante et notre cocher, pour déboucher la bouteille et encore le tire-bouchon leur est-il demeuré en morceaux dans les doigts.
CALVAIRE DE HUARTE DESSIN DE JACQUES LE TANNEUR |
Il s'en allait de vieillesse, ce tire-bouchon bien espagnol.
Nous remontons en voiture, il est cinq heures, l'air commence à fraîchir, les mules ont pris un trot dansant qui fait chanter les grelots des harnais, la route descend, et au tournant d'un talus, ces trois minarets, ces remparts crénelés d'un ton rosâtre de vieil alcaraza, cette ville on dirait mauresque, sur une hauteur, au beau milieu d'un cirque de montagnes... c'est Pampelune.
MURAILLES DE PAMPELUNE NAVARRE PAYS BASQUE D'ANTAN |
C'est Pampelune avec à ses pieds le rio de l'Hefra très bleu, mais d'un bleu de soie lumineuse dans le fauve empourpré de terrains et le vert transparent des vignes : les trois minarets sont les deux tours de la cathédrale et le clocher de Saint-Saturnin. Pampelune, toute rose, dans sa ceinture de bastions, occupe le centre d'une plaine. Les Monts de la Navarre courent à dix lieues tout autour d'elle et leur dentelure d'un gris mauve et bleuté se profile avec une délicatesse exquise sur l'or embrasé du couchant... il fait bon vivre.
Le crépuscule est l'heure à laquelle on doit entrer dans les villes.
Mercredi 9 septembre.
— Elles sont bien espagnoles, les rues de Pampelune, étroites, presque toutes en pente, bordées de maisons de hauteur inégale et bossuées de balcons : l'avancement de grands toits surplombant, fait dans le bleu du ciel de larges échancrures amusantes à regarder d'en bas ; des poutrelles sculptées les soutiennent.
Fraîches et baignées d'ombre, elles ont, ces rues, un aspect de couloirs déjà vu à Fontarabie et, comme à Fontarabie, bon nombre d'écussons gigantesques timbre la façade des anciennes demeures.
Pampelune, une ville ou les pierres vous regardent. C'est cette phrase entendue l'autre été dans la bouche d'un portefaix de Bayonne qui a décidé, de l'équipée de ce mois.
En effet, les pierres vous regardent dans cette Pampelune la sombre, où les lions grimpants du royaume de Léon guettent au coin de presque toutes les calles, sculptés en relief à côté des chastelets de Castille et des triples barreaux d'Aragon ; et puis ce sont, à l'angle de vieux logis des Notre-Dame de cire encastrées dans des niches, des saints Jacques de Compostelle en extase derrière de petites vitres où le soir allume la flamme jaune d'un cierge.
D'énormes câbles, fils télégraphiques ou téléphoniques, courent le long de ces rues et les traversent ; on dirait des filets tendus à hauteur des toits : c'est une note pittoresque de plus, et la ville, ainsi aperçue, avec ses calles bordées de logis à blason et son ciel enchevêtré de cordes, serait délicieuse sans la laideur, que dis-je, pis, sans l'insignifiance irrémédiable de ses femmes.
Jeudi 10 septembre.
— Car il n'y a pas à dire : les romances ont menti, et les romantiques aussi : les Espagnoles sont laides. J'avais déjà constaté le fait il y a quatre ans, en traversant l'Espagne, de Carthagène à Barcelone, Pampelune et la Navarre, confirmèrent mon opinion, et dussé-je me faire honnir et bannir du très catholique royaume, une jolie femme est un oiseau rare en Espagne.
Goya n'a rien imaginé quand il a peint ses duègnes grotesques et ses ricanantes sorcières, il n'a fait que regarder, mais il a regardé attentivement, et il a magistralement rendu.
TABLEAU EL AQUELARRE DE GOYA |
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