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vendredi 12 mai 2023

"UNE HISTOIRE DES BASQUES" PAR ADRIEN PLANTÉ EN 1897 (troisième partie)

 

"UNE HISTOIRE DES BASQUES" PAR ADRIEN PLANTÉ.


Pierre, Raymond, Adrien Planté, né le 4 octobre 1841 à Orthez (Basses-Pyrénées), mort le 27 mars 1912 à Orthez (Basses-Pyrénées), est un député français, historien, félibre et homme de lettres.



maire orthez député basses-pyrénées
ADRIEN PLANTE



Voici ce que rapporta à ce sujet, en 1897, M. Adrien Planté, Président de la Société des Sciences, 

Lettres et Arts de Pau, lors du Congrès de Saint-Jean-de-Luz de la Société d'Ethnographie 

Nationale et d'Art Populaire :



"Les Basques ont-ils une histoire ?



... Car si vos soirées musicales de la place Louis XIV nous offrent le curieux spectacle d'un peuple qui danse au sommet des Pyrénées, comme le disaient Voltaire et Humboldt, elles nous permettent de constater avec quelle dignité atavique, grave dans sa gaieté, s'amuse votre intelligente, votre charmante population luzienne.



Chose particulière, Messieurs, alors que certains auteurs, frappés de terreur au seul nom de Cantabres, de Vascons, ou de Basques, en font des portraits peu séduisants, ils ne peuvent s'empêcher de conclure au respect de vos pères pour leurs lois...



Ecoutez cette page curieuse d'un écrivain français du douzième siècle, Emeric Picaud, auteur du Manuscrit de Compostelle. Les termes en sont un peu crus : prenez-vous-en à son naïf auteur :


"Le Pays Basque ne produit que des pommiers, du cidre et du lait ; leur principal revenu consistait dans les droits de passage qu'ils imposaient aux voyageurs et dans les déprédations directes ou indirectes qu'ils commettaient vis-à-vis d'eux : féroces, et leur visage inspirant l'effroi... ils sont noirs, méchants, perfides et sans foi... Corrompus, violents, sauvages, adonnés à l'ivrognerie et à la luxure, et tellement ennemis des Français que pour la moindre pièce de monnaie ils en assassinent un volontiers... mais, conclut-il, loyaux dans la guerre et respectueux de leur loi."



Si ce portrait est exact, et il faut bien te croire, puisque c'est écrit, ainsi que le disent nos braves paysans, je me hâte de reconnaître que le temps a modifié bien des choses : l'hospitalité basquaise avec sa cordialité aimable n'a plus rien de commun avec le rançonnement dont tremblait encore en écrivant le courageux Emeric Picaud... Peut-être n'était-il jamais venu en Pays Basque. Cela se voit encore de nos jours : on écrit au coin de son feu un beau livre de voyage... aux Pyrénées notamment, et l'on y confond volontiers le Pays Basque et le Béarn, la Soule avec la Navarre, le Gave de Pau avec celui de Mauléon ; mais on obtient des récompenses académiques et l'on est ainsi satisfait d'avoir instruit le peuple !




moine pèlerin 12ème siècle érudit
AYMERIC PICAUD



Au dix-septième siècle, le conseiller de Lancre est envoyé pour instruire, au nom du Parlement de Bordeaux, un procès de sorcellerie en Labourd... Le bon conseiller, habitué à la société raffinée de la capitale de la Guienne, se trouve fort surpris des habitudes simples et naïves des populations basquaises, et il relève, en se scandalisant..., qu'au Pays Basque, hommes et femmes font un usage immodéré du pétun ou nicotine, qui les fait sentir le sauvage... Il va jusqu'à leur reprocher leur danse turbulente et découplée... Voilà votre Muchico, votre Aurescu anathématisés !...



Et il ajoute — excusez-moi — que les Basques ne se nourrissent que de pommes, ne boivent que du jus de pomme (du cidre) et veulent — oh ! je vais glisser, — malgré la prohibition faite à notre premier père, mordre... indûment à bien d'autres pommes.



Enfin, jusqu'à l'aimable président Faget de Baure, qui, dans ses Mémoires inédits, au commencement de notre dix-neuvième siècle, cite ce mot piquant d'un philosophe grincheux évidemment :

"Qu'on me donne le corps d'un Basque, je le fais disséquer, et je parie que l'on trouve sa tête autrement faîte que celle des autres hommes" ; problème dont l'aimable anthropologiste le docteur Collignon nous donnera la solution savamment déduite, vous établissant si le Basque est ou n'est pas brachycéphale ou dolichocéphale !... Quoi qu'il en soit de tous ces griefs plus ou moins justifiés, disons sans fausse modestie que les Basques modernes ne ressemblent plus, heureusement, aux portraits que chacun, aux siècles passés, s'est plu à en faire, et félicitons-nous, avec votre compatriote Chaho, de ce que le Basque, depuis son établissement dans les Pyrénées, n'ait rien conservé d'invariable que sa divine langue et l'amour de la liberté originelle.



Ainsi que j'ai déjà eu l'honneur de vous le dire, d'autres de nos collègues du Congrès vous analyseront vos institutions séculaires ; je ne veux en retenir, pour compléter ce rapide tableau, que l'une des formes les plus saisissantes, la plus classique, de ce respect auquel nous venons de rendre hommage : je veux parler du respect de la femme, que vos pères élevaient à la hauteur d'un véritable culte.



Le paganisme polythéiste n'était pas connu chez les Cantabres : ils adoraient le Dieu unique, maître et souverain Seigneur, dieu innommé, comme dit Strabon, en l'honneur duquel, pendant les nuits de pleine lune, on les voit, devant la porte de leurs habitations avec leurs familles, chanter en choeur, exécuter des danses et célébrer des fêtes qui durent jusqu'au jour...



La théogonie païenne fut dédaignée dans vos montagnes, et quand les Romains voulurent leur faire apprécier le culte des idoles et de leurs dieux, il leur fut répondu par ces mots caractéristiques après lesquels il n'y avait plus à insister :


"Nous n'adorons que Dieu dans l'univers et nous n'élèverons point d'autels aux fantaisies poétiques imaginées par vos chanteurs et vos prêtres ; mais pour vous imiter en quelque chose, nous ne demanderons pas mieux que d'admettre des déesses sur la terre et de les adorer."



Et comme la curiosité des Romains, vivement piquée, demandait quelles étaient ces déesses privilégiées, les Cantabres répondaient simplement, et sans doute une main sur la garde de leur épée, et l'autre sur leur coeur : "Nos femmes, si elles le veulent !"



Un pareil hommage peut-il être jamais refusé par les femmes, Mesdames ? Je ne le crois pas... Les femmes cantabres — vous le leur reprocheriez s'il en eût été autrement, — les femmes cantabres acceptèrent, et on éleva aux dames, aux dominatrices, car en basque "andéré" veut dire femme et domination, des autels de gazon et de fleurs.



J'avoue qu'un pareil culte était plus fait pour séduire que celui de Saturne dévorant ses enfants, de Jupiter avec tons ses vilains défauts, de Junon avec son orgueil, et même de Minerve avec toute sa sagesse, son casque, sa cuirasse et son hibou.



A l'heure actuelle, ce respect de la femme dans la famille s'affirme toujours.



Le Basque ne tutoie jamais sa femme : il est vrai que la femme ne tutoie pas davantage son mari... et, ce qui semble contraire aux traditions de respect envers la femme, telles que nous les constations il n'y a qu'un instant, la maîtresse de maison, l'échéco Andéré, pas plus que la daûne béarnaise, ne s'asseoit à table avec les hommes de la maison, maîtres, hôtes et valets.



Je demandais il y a peu de jours la raison de cette anomalie à une très respectable mère de famille basquaise : elle me répondit en souriant : "Oh ! c'est que les hommes sont les messieurs, les seigneurs... ils nous gagnent la vie !"



Touchante réciprocité de service et d'hommages !



Ces sacrifices que l'amour-propre féminin sait faire de nos jours à l'autorité masculine ne sont évidemment que le rendu du culte prêté autrefois à la femme basquaise. 



Ce respect prend dans la constitution économique de la famille une forme toute spéciale que mettent en lumière les travaux du savant M. Le Play, dont je m'honore d'avoir été l'élève et dont je ne prononce jamais le nom sans un sentiment de respectueuse vénération : il a constaté dans le Pays Basque l'existence de la famille souche, que les Romains avaient eux-mêmes trouvée établie sur votre sol quand ils arrivèrent en Aquitaine.



ingenieur sociologie france
FREDERIC LE PLAY


"L'un des enfants marié près de ses parents vit en communauté avec eux, et perpétue avec leur concours les traditions des ancêtres. Les autres enfants s'établissent au dehors, quand ils ne préfèrent pas garder le célibat au foyer paternel : s'ils s'établissent ailleurs, ils créent de nouveaux foyers qui font souche à leur tour."



Le savant économiste rend hommage à ce système et ajoute :


"Les Baskes avaient une langue dite Euskara, qui s'identifiait avec leur race depuis un temps immémorial, et qui différait de toutes les autres langues de la Gaule. Depuis lors, ces peuples ont été envahis dans les plaines et refoulés dans les montagnes, où ils conservent encore leur langue, leurs moeurs et surtout les coutumes de famille ; et quand toutes les races établies en France sont absorbées par la Révolution, seule la petite nationalité basquaise résiste : elle ne s'est pas fondue, grâce à sa langue, grâce à l'organisation de la famille, qui développe la fécondité de la race et l'ascendant de la femme."



Dans le Pays Basque seul, vous trouvez encore la fille héritière. Quatre filles sont nées dans une maison, un cinquième enfant survient, c'est un garçon : il ira se marier plus tard avec quelque héritière ; mais dans sa maison paternelle il ne sera jamais qu'un quatrième cadet : l'héritière sera la fille aînée.



Cela s'explique logiquement : aventureux, entreprenants, les hommes partaient en guerre à la recherche d'émotions violentes, s'élançaient sur mer à la poursuite de la baleine ou de la morue ; souvent ils ne revenaient pas, les intérêts familiaux étaient compromis. Que faire ? La fille restait au logis, on la mariait.., elle conservait le bien patrimonial, le dirigeait, élevait les enfants issus de son union avec quelque cadet de famille honorable dont elle avait fait choix, prince époux, consort heureux, soumis à l'autorité souveraine de la femme qui l'a enrichi.



pays basque autrefois baleine chasse
CHASSE A LA BALEINE 
PAYS BASQUE D'ANTAN



Situation particulière bien étrange, je le reconnais, qui justifie — dans ce que nos habitudes juridiques pourraient nous faire taxer de naïveté — le mot un peu sévère mis à la mode par notre réalisme contemporain : "On ne choisit pas ses fils, on choisit son gendre."



Le culte des Basques pour la femme n'avait pas échappé à Annibal, lors de son passage dans les Pyrénées. A la suite de discussions violentes entre sou armée et les populations basques, fatiguées par le passage incessant de peuples divers, il eut l'idée géniale de soumettre à l'arbitrage des femmes basquaises les différends soulevés entre les soldats et leurs maris.



Ce malin Carthaginois était bien vite devenu — par l'effet du voisinage — un rusé Gascon.



Ce fut un coup de maître.



Ce que les femmes voulurent, les dieux de l'Aquitaine le voulurent aussi : par celles-là, Annibal eut ceux-ci.



carthage éléphants général annibal
HANNIBAL BARCA
Par © 1932 by Phaidon Verlag (Wien-Leipzig) — "Römische Geschichte", gekürzte Ausgabe (1932), Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=9572568



Quelques siècles plus tard, Strabon, le philosophe géographe, s'en montre scandalisé : en sa qualité de Grec, il eût dû mieux comprendre ces touchantes habitudes familiales.


... Mais ce que le géographe Strabon doit trouver tout simple en Grèce, il le stigmatise en Cantabrie :


"Le pouvoir, dit-il, dont le sexe jouit chez les Cantabres, la dot que les maris apportent à leurs femmes, le titre et les privilèges d'héritière donnés aux filles qui se chargent d'établir leurs frères, tous ces usages ne sont guère un signe de civilisation..."



Or Strabon écrivait soixante ans avant l'ère chrétienne : il y a par conséquent mille neuf cent cinquante-sept ans qu'il constatait l'existence, en Pays Basque, de la famille souche.



A cette époque, je vous le demande, où en était la civilisation familiale dans notre vieille Europe ? où en était notre grande et chère France ? où, sa fidèle alliée l'Angleterre ? l'Allemagne, sa voisine discrète ? la Russie, son amie ? et même la Turquie, sa pupille ? Je ne parle pas de l'Italie : elle se contentait d'être la terre des vieux Romains et des Néo-Grecs : elle n'était pas encore devenue le conservatoire modèle de l'homicide politique ! Strabon, le vieux géographe, était vraiment peu galant, Mesdames ; et quel mauvais parti ne lui ferait-on pas s'il vivait de nos jours ?



Nous l'enverrions se mettre d'accord avec l'école nouvelle des féministes, avec ceux qui ne se contentent plus du pouvoir certain et fort heureux exercé par la femme chrétienne sur les hommes de tous les temps et de tous les pays, mais veulent encore, au nom d'une civilisation débordante, leur donner une fort large part dans la direction des États.



Je ne sais vraiment pas si les affaires publiques y gagneraient beaucoup. Commettrai-je un crime à vos yeux en déclarant que je ne le crois pas ?



Si vous y teniez à tout prix, et uniquement pour vous être agréable, je consentirais volontiers à me déclarer satisfait de voir quelques-unes d'entre vous présider un calme Sénat, et même, au souvenir d'Annibal, l'heureuse Justice de Paix de Saint-Jean-de-Luz ou d'Espelette.



Je ne vous vois pas bien vous jetant dans la mêlée de nos batailles électorales ou parlementaires, discutant au barreau parfois très vivement sur les charmes du mur mitoyen et les prérogatives de la femme dotale, avec quelque confrère peu galant ou peu discret...



Je ne dis pas que ce spectacle nouveau ne présenterait pas un côté piquant que la froideur do nos codes refuse trop souvent à nos thèses masculines.



Mais le charme dont le Créateur a fait l'apanage de votre sexe aurait trop à y perdre : les féministes eux-mêmes les plus résolus, bien vite désenchantés, ne tarderaient pas à demander avec nous que vous veniez reprendre, dans le rayonnement de vos grâces traditionnelles, votre place dans la maison un moment abandonnée, autour du berceau où sommeillent nos espérances ; au pied du lit de souffrance d'êtres chéris, à la table de famille qui sans vous semble vide, en un mot à ce cher foyer domestique dont vous êtes le charme aimé et la providentielle consolation !"



A suivre...







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