L'AFFAIRE STAVISKY ET BAYONNE.
C'est une crise politico-économique qui secoue la France à la fin de décembre 1933, mettant en cause de nombreuses personnalités y compris en Pays Basque Nord.
Comme je vous l'ai indiqué précédemment, puisque nous sommes samedi, voici un autre article
sur le "feuilleton" de l'affaire Stavisky et ses répercussions au Pays Basque.
Voici ce que rapporta à ce sujet la Gazette de Bayonne, de Biarritz et du Pays basque, le 17 janvier
1934 :
"Les mystères de l'Affaire Stavisky.
La valise mystérieuse et la lettre violée (?)
Le suicide de Stavisky est encore discuté.
Doit-on se fier au calme signalé par la presse et constaté depuis deux jours, encore que l'instruction, quoi qu'on en puisse croire, n'ait pas chômé ? Car le juge chargé à Bayonne d'une affaire aussi formidable et qui s'y consacre eu toute activité, en toute conscience et en toute indépendance, ayant encore sur les bras, pour employer une locution courante, l'affaire d’Ossès à la veille d'être appelée devant la cour d'assises des Basses-Pyrénées, ne cesse pas de suivre l’affaire de Bayonne.
Apres les perquisitions au domicile de Tissier, qui ont eu lieu hier, doit avoir lieu, aujourd'hui, une nouvelle perquisition chez M. Garat.
Mais l'événement "sensationnel" du jour, c'est l’arrivée des deux valises de Stavisky et de sa lettre, qu'on a appelé le "testament" du mort.
Que sortira-t-il des deux valises scellées, si longues à venir et de la lettre fermée, puis ouverte, à ce qu’on a dit à Chamonix, de l’aventurier ?
Que trouvera-t-on dans les valises ?
De vieux papiers au lieu de documents révélateurs ? Des cailloux du chemin, au lieu de bijoux précieux ?
Que dira la lettre, violée ou inviolée ?
En tout cas, c'est un fait dont le juge de Bayonne témoigne sa surprise que si elle a été ouverte à Chamonix, elle ne lui soit pas parvenue plus tôt.
On a beau jeu de dire que des journalistes inclinent à "romancer" dans cette affaire.
La vérité, c’est que le roman est là tout fait, réel, dramatique, tragique.
Les opérations de M. d’Uhalt.
Hier après-midi, une perquisition a été opérée au domicile de Tissier en présence de Mlle Sabatier et de deux témoins.
Au cours de cette perquisition, le juge s’est saisi de huit documents (lettres), qui paraissent présenter de l’intérêt ; ils seront examinés soigneusement.
Demain après-midi, une perquisition aura lieu au domicile de M. Garat.
Le juge a reçu deux caisses contenant les deux valises et divers objets saisis dans la villa de Chamonix.
Mme Stavisky a écrit au juge pour lui demander de lui garder certains objets auxquels elle tient.
M. d'Uhalt compte aussi recevoir la fameuse lettre de Stavisky.
À une question qui lui est posée au sujet de cette lettre, il s’étonne qu’elle ne lui soit pas parvenue plus tôt.
Il attendait cette lettre pour l’ouvrir. Si, comme l'ont fait connaître les journaux, cette lettre a été ouverte à Chamonix, il s’étonne que le parquet de cette ville ne lui en ait pas envoyé plus tôt la copie.
Demain matin, on travaillera à la classification du dossier et des commissions rogatoires seront envoyées à Paris et à Orléans.
Après un incident.
Le dimanche de l'arrestation de M. Garat, au Palais de Justice, un incident né d’un malentendu se produisait entre Me Delmas, avocat de Tissier et M. Blandinières, envoyé spécial de la "Dépêche".
MAÎTRE DELMAS ET TISSIER EXCELSIOR 24 JANVIER 1934 |
Bien que tous les journalistes en aient été témoins, aucun journal ne l’avait mentionné, puisque le malentendu dissipé, Me Delmas et M. Blandinières s’étaient serré la main sans arrière-pensée.
Mais le "Sud-Ouest" d'avant-hier, rapporte le fait avec des commentaires et parle d’un ami obligeant qui intervint et partit pour informer Me Delmas de "la mauvaise tournure de l'incident et des suites fâcheuses qu’il allait comporter"... Quelles suites fâcheuses ?... Un duel, pas moinsse !
Or, "l’ami obligeant" c’est moi, et je ne veux pas arrêter mon obligeance à une démarche auprès de Me Delmas ; elle ira jusqu’à rectifier le compte rendu inexact qui fut apporté au "Sud-Ouest".
Voici les faits tels qu’ils se sont déroulés. Quelqu'un ayant dit à Me Delmas que M. Blandinièrcs avait écrit sur lui dans la "Dépêche" des appréciations plus que désobligeantes, Me Delmas lui fit de très sévères reproches et s’éloigna sans vouloir écouter les explications du journaliste.
Or, M. Blandinières n'avait fait que citer les paroles d’un tiers en toute objectivité, s’acquittant de son devoir d’informateur, ce dont on put se rendre compte en lisant le passage incriminé : citation entre guillemets. Dans l’ambiance énervante de la tragique attente, quelqu’un déclara péremptoirement que l’affaire n’en pouvait rester là.
— "Alors, dit notre confrère, que voulez-vous que je fasse ? Que je gifle Me Delmas ?
— Me Delmas a quatre ans de boxe anglaise, répondit un autre qui le connaît bien, et vous suivra sur tous les terrains."
C’est alors que Me Delmas rentrant dans la salle des Pas-Perdus, je m’avançai vers lui et lui donnai à lire le passage de la "Dépêche".
S’étant convaincu, après lecture, qu’il avait accusé à tort M. Blandinières, très dignement, devant les journalistes assemblés, Me Delmas vint s’excuser auprès de lui : "Il y a eu erreur de ma part, dit-il, je tiens à m’en excuser et je vous tends la main ; j’espère que vous ne me la refuserez pas."
Après cette explication, M. Blandinieres serra loyalement la main de Me Delmas, et je serais fort étonnée que M. Blandinières, confrère correct et fort galant homme, soit pour quelque chose dans la rédaction romancée qui a paru dans le "Sud-Ouest".
"Ami obligeant"... peut-être, comme l’affirme le "Sud-Ouest", mais informateur toujours consciencieux, véridique et impartial, je me devais de mettre au point les événements où l'on me met en cause. C’est fait."
Un monument d’inconscience.
Sous ce titre, nous lisons dans L'Indépendant de Pau : L’appel aux Bayonnais signé par seize conseillers municipaux est apparu à beaucoup comme un monument d’inconscience. Ce factum, on le voit, critique les conseillers qui ont donné leur démission et accuse le gouvernement de manœuvre politique.
"Nous restons dignes de votre confiance", disent à leurs concitoyens les seize signataires, en tête desquels se trouve, ce qui explique tout, M. Simonet, défenseur de M. Garat.
Au moment même où le pays tout entier s’émeut de voir confondre le pouvoir politique avec l'intérêt personnel, M. Simonet, adjoint au maire, entraîne quinze de ses collègues à la défense de son client. Avocat, il se sert de son mandat municipal en faveur de ce dernier. Cela a profondément surpris le public.
Voilà une municipalité qui s'est laissé voler par un escroc qu’il eût été pourtant bien facile de démasquer et qui a le culot de dire aux électeurs: "Nous restons dignes de votre confiance !"
Que faudra-t-il donc faire pour démériter ?
Leur situation était assez peu reluisante comme ça, sans que les élus bayonnais y ajoutent ce geste qui semble presque une provocation ou un défi.
Le premier devoir du conseil eût été au contraire de s'en aller pour, notamment, permettre à M. Simonet, avocat de M. Garat, de reprendre toute sa liberté.
Le pire c’est la situation actuelle. Elle constitue un paradoxe inouï. Comment M. Simonet ne s’en rend-il pas compte ? Comment ses collègues ont pu se solidariser avec lui ?
M. Simonet, adjoint au maire, faisant fonctions de maire, défendant le maire qui a laissé dévaliser la ville, en faisant appel, en même temps, aux électeurs en faveur de la municipalité. N'est-ce pas là une chose inouïe ?
Voilà ce que la majorité du public pense à Bayonne.
On pense aussi que M. Simonet eût été mieux inspiré en surveillant le Crédit municipal pour éviter à ses administrés les lourdes pertes qu'ils vont subir.
M. Garat a incontestablement commis de lourdes fautes. Les inculpations relevées contre lui sont écrasantes, et l'instruction qui se poursuit ne paraît pas devoir le mettre en meilleure posture.
Certes, Stavisky était le plus rusé, le plus habile des escrocs, mais cela n'atténue en rien les fautes de ceux qui se sont fait ses complices.
Les amis politiques de M. Garat plaident l'ignorance, l'inconscience... Que n’ont-ils révélé cela plus tôt ? Eux qui depuis vingt ans, ont fait de M. Garat leur porte-drapeau auraient dû mieux apprécier les qualités et les défauts de leur chef.
Déclarations de M. Depardon à propos des chèques trouvés à son ordre.
Le juge d'instruction de Bayonne se livre actuellement à un examen approfondi des nombreux chèques signés par Stavisky qui ont été saisis dans différentes banques et qui lui ont été transmis.
L’attention du magistrat avait été attirée, on s'en souvient, sur le fait qu'un certain nombre de ces chèques étaient établis au nom d’un employé de l’escroc, M. Depardon. Nous avons eu un assez long entretien avec M. Depardon qui a bien voulu nous faire les déclarations suivantes :
— Ce que vous avez dit est parfaitement exact. Je n’étais, en effet, auprès de M. Alexandre, qu'un simple employé, à qui, fréquemment, certes, ont été confiées des missions importantes. Mais, en pareil cas, j'exécutais seulement des ordres, sans être mis, en quoi que ce fût, au courant des intentions qu’ils cachaient, pas plus que le facteur qui délivre une lettre n'est à même de savoir ce qu’elle contient.
— Et comment avez-vous connu Stavisky ?
— Oh ! c’est très simple. J'avais, au début de 1929, quitté la banque où je travaillais. Me trouvant ainsi à la recherche d’un autre emploi, j’appris, par une annonce, que M. Alexandre cherchait un collaborateur. Je me présentai, fus agréé, et entrai à son service au mois d’avril.
— Nous avons dit qu’en plus des chèques établis par Stavisky à votre nom, pour vous permettre de régler le paiement des coupons, venus à échéance, de la "Compagnie Foncière", d'autres l'avaient été également pour vous permettre de réaliser, en son nom, certaines opérations de bourse. Pourriez-vous nous indiquer de quel genre d’opérations il s'agissait ?
— "M. Alexandre, nous répond M. Depardon, s’était toujours vivement intéressé au marché des matières premières de New-York. Comme ses affaires ne lui laissèrent bientôt plus le temps de s’occuper de ce marché, il m’avait chargé non seulement de faire, d’après des ordres précis de lui, des opérations en son nom, mais aussi de surveiller et de suivre cet important marché.
Il m’avait fait confiance au point de faire ouvrir un compte à mon nom dans une banque parisienne, ce qui me permettait de faire, au jour fixé, les opérations dont il me chargeait à l’avance.
M. Alexandre était mon patron et les opérations de Bourse qui m’étaient commandées faisant partie de mes fonctions, j’ai trouvé tout naturel, pour la commodité de ces opérations, d’avoir un compte en banque alimenté par M. Alexandre et régulièrement contrôlé par lui."
— Mais saviez vous quel personnage se cachait sous ce nom ?
— Je vous le répète, je n’étais qu'un employé pour qui le patron était un homme très riche, qui contrôlait d’importantes affaires et qui jouait gros jeu à New York.
— Lui donniez vous quelquefois des conseils pour ses spéculations ?
— Rarement, car très courtois et très bon avec tous ses employés, il restait distant néanmoins.
"Plusieurs fois, je me permis de lui faire remarquer que sa position sur le marché était dangereuse, trop chargée. Mais il ne suivait jamais les conseils de prudence et s'il réalisa quelques belles opérations, dans l'ensemble il a perdu beaucoup d’argent à ce jeu."
— Et quel est, demandons-nous, le résultat de l'interrogatoire que vous avez subi ?
— Il m’a permis, je crois, d'établir mon entière bonne foi, mais je ne pense pas qu'il ait apporté à l’enquête beaucoup d’éléments intéressants. En tout cas, je fais établir, actuellement, à la banque, où M. Alexandre m'avait fait ouvrir un compte, un relevé qui me permettra d'indiquer avec précision de quelle façon ont été employées les sommes d'argent qui en furent retirées.
L'examen des vingt cinq chèques permettra t-il au juge d instruction de découvrir des indications nouvelles ?
C'est un point sur lequel nous ne tarderons sans doute pas à être fixés.
JOSEPH GARAT MAIRE DE BAYONNE |
La santé de M. Garat.
La France de Bordeaux avait dit que l’état de santé de M. Garat, à la prison, était aussi bon qu’il pouvait l’être en de pareilles circonstances.
Mais on dit aujourd'hui — d'après M. Pierre Simonet, nous a-t-on affirmé — qu'il mange à peine, ne dort plus, et ne répond pas toujours aux questions qu'on lui pose — qu'il serait, enfin, fort abattu.
Les perquisitions.
C'est cet après-midi qu'a lieu la perquisition au domicile de M. Garat.
A l'Instruction.
Le bruit avait couru, hier soir et ce matin encore, qu’une nouvelle inculpation avait été ou allait être formulée.
Ajoutons que M. Camille Aymard, excipant de son mauvais état de santé, a demandé à être admis à l’hôpital de Bayonne.
CAMILLE AYMARD PHOTO AGENCE MEURISSE |
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