LE CHÂTEAU DE MARRAC À BAYONNE.
Ce château a été construit, au début du 18ème siècle, par Anne de Neubourg, reine d'Espagne en exil.
Napoléon l'a acheté en mai 1808 aux frères Aaron et Abraham Marqfoy.
CHÂTEAU DE MARRAC BAYONNE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Le Siècle, dans son édition du 7 octobre 1845 :
"Souvenirs intimes du temps de l'Empire.
Histoire anecdotique et pittoresque des habitations Napoléoniennes hors de Paris.
Le petit château de Marrac, près de Bayonne.
"... L'abdication forcée du vieux roi-Charles IV avait servi merveilleusement les projets de l'empereur, dont la politique tendait évidemment à éteindre la dynastie régnante en Espagne pour y substituer la sienne. Il aurait voulu peut-être que Ferdinand VII régnât sous la condition d'une sorte de vasselage ; mais il ne pouvait vouloir à aucun prix qu'il régnât par l'acclamation du peuple et de l'armée. Médiateur naturel entre le père et le fils, il ne tarda pas à exiger, du fils par le père, une abdication qui lui livrait l'Espagne.
Le prince des Asturies, Ferdinand VII, arriva à Bayonne le 20 avril ; des appartements lui avaient été préparés dans la maison Dubroc, sur la place d'armes, où il descendit avec son frère don Carlos. Vers les trois heures de l'après-midi, Napoléon se rendit à cheval auprès du prince espagnol, qu'il embrassa, aux acclamations du peuple. A six heures, les voitures impériales amenèrent à Marrac les deux princes et les grands seigneurs espagnols qui les avaient accompagnés dans leur voyage. L'empereur et l'impératrice leur firent le meilleur accueil, et après le dîner, la jeune cour, comme on l'appelait à Marrac, fut reconduite à Bayonne avec le même cérémonial. Aussitôt après, le général Savary, aide de camp de l'empereur, somma le prince des Asturies de remettre la couronne d'Espagne en échange du petit royaume d'Etrurie, que Napoléon lui offrait ; le prince repoussa avec dédain la proposition : il devait bientôt être forcé d'y accéder.
Le jour que ce prince était parti de Madrid, Murat avait exigé, lui aussi, la mise en liberté du prince de la Paix, que le peuple avait failli massacrer, et qui vint à son tour à Bayonne. Il précéda de deux jours l'arrivée de Charles IV et de la reine Marie-Louise, sa femme, qui occupèrent à l'hôtel du gouvernement les mêmes appartements que l'empereur avait lui-même habités avant d'aller à Marrac. Une longue file de voitures et de chenaux suivait le cortège et semblait annoncer une longue absence. On eût dit déjà d'une cour exilée emmenant à la hâte ses effets les plus précieux et ses plus fidèles serviteurs. Charles IV se rendit à Marrac, où il fut reçu par Napoléon entouré de tous les grands officiers de sa maison civile et militaire. Un mal de jambe rendait difficile et pénible la marche du vieux roi, qui dit à l'empereur en montant le grand escalier du château :
— Je vous en prie, sire, mon frère, soutenez-moi, j'en ai besoin.
ROI CHARLES IV D'ESPAGNE |
Napoléon lui répondit en souriant :
— Eh bien ! appuyez-vous sur mon bras et ne craignez rien : je suis fort, moi ! .
Charles IV, vieillard de haute taille et de manières simples, portait sur ses traits ce caractère facile et débonnaire qui avait compromis l'Espagne et qui l'avait soumis lui-même, pendant tout son règne, à la volonté de la reine Marie-Louise, sa femme, et, par elle, au joug du favori Manuel Godoy. Charles IV avait accepté ces deux dominations, et, en arrivant à Bayonne, son unique pensée était d'obtenir de Napoléon une vie paisible avec sa femme et son favori, dont il ne pouvait pas plus que la reine se séparer.
Ferdinand VII fut bientôt circonvenu pour céder la couronne d'Espagne. La reine et Godoy mirent dans leurs obsessions une insistance sans égale. L'insurrection de Madrid du 2 mai donna à Napoléon encore plus d'impatience et le chanoine Escorquitz lui-même conseilla l'obéissance à son royal élève. Ce jour-là, en revenant de Bayonne où il avait été voir le vieux roi, l'empereur traversa avec agitation les appartements du château et se rendit dans les jardins. Après avoir fait quelques tours il appela toutes les personnes qu'il avait mises dans la confidence de ses projets, et, comme un homme plein d'un sentiment qui l'oppressait, il leur raconta dans ce style pittoresque, plein de verve et d'originalité qui lui était propre, tout ce dont il venait d'être témoin : sa narration avait en quelque sorte transporté ses auditeurs au milieu de la scène. Il peignit Charles IV reprochant à son fils l'outrage fait à ses cheveux blancs et la perte de la monarchie espagnole, que lui-même avait su conserver intacte au milieu des désordres de l'Europe.
— C'était le roi Priam, ajouta Napoléon.
Puis après un moment de silence, poursuivant son récit :
— La reine vint ajouter, dit-il, à cette scène, en éclatant en menaces et en invectives contre Ferdinand. Après lui avoir reproché, en termes amers, de les avoir détrônés, elle me demanda de le faire monter sur l'échafaud. Quelle femme ! quelle mère ! Elle m'intéressa malgré elle et malgré moi pour son fils qui, j'en suis certain, ne vaut pourtant guère mieux qu'elle.
Le 6 mai, Ferdinand rendit la couronne à son père qui en avait déjà disposé en faveur de Napoléon dans un traité secret signé la veille. Les infants don Antonio, don Carlos et don Francisco avaient adhéré pour leur part à la même renonciation.
Charles IV et son fils Ferdinand partirent successivement de Bayonne ; le premier pour le château de Compiègne, qui, comme nous l'avons dit précédemment, lui avait été assigné pour résidence avec une liste civile de trente millions de réaux (environ sept millions de notre monnaie), et le second pour Valençay avec une rente apanagère de douze cent mille francs. Napoléon proclama son frère Joseph roi d'Espagne et des Indes. Le peuple espagnol seul protesta généreusement contre cette usurpation par une prise d'armes générale ; mais pas un seul des corps officiels de l'Etat ne fit entendre une parole de résistance : le cardinal primat d'Espagne, quoique Bourbon lui-même, fut le premier à envoyer à Bayonne, où une junte extraordinaire avait été convoquée, l'adhésion la plus dévouée et la plus explicite.
ENTREVUE DE BAYONNE 1808 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Joseph Bonaparte, pour ainsi dire arraché à son paisible et attrayant royaume de Naples, arriva le 7 juin à Marrac, quelques heures après la promulgation de l'acte qui le dotait de la couronne d'Espagne. Napoléon était allé au devant de lui et l'avait fait monter dans sa voilure pour l'entretenir des intérêts puissants qui commandaient son acceptation, en lui disant entre autres choses :
— Je puis mourir. Murat qui a un parti dans l'armée, je le sais, Eugène qui, jeune encore, a conquis l'estime de la nation, se disputeraient ma succession avant que tu ne puisses arriver du fond de l'Italie pour la recueillir. Il ne faut pas que la couronne de France sorte jamais de notre famille. Ta place est en Espagne. Là, en cas de mal heur, tu me succéderas naturellement et sans obstacles. D'ailleurs, cet arrangement terminera, je l'espère, nos querelles de ménage. Je donnerai Naples à Murat s'il daigne l'accepter, avait repris Napoléon après un temps d'arrêt avec une inflexion de voix ironique.
JOSEPH BONAPARTE PAR WICAR 1808 |
La voiture qui portait les deux frères s'arrêta devant le péristyle du château. Joséphine, entourée de ses dames, reçut son beau-frère au bas du grand escalier. Les grands d'Espagne, rassemblés dans la galerie, se précipitèrent au-devant de Joseph en le nommant leur roi, aux acclamations de tous ceux qui assistaient à cette brusque intronisation.
Cependant ce n'avait pas été sans de grandes hésitations que Napoléon s'était déterminé à faire cet autre 18 brumaire de rois. Les lettres qu'il adressait au grand-duc de Berg (Murat), alors à Madrid, et qui sont des chefs-d'œuvre de politique, prouvent jusqu'à quel point il redoutait la possibilité d'une guerre nationale avec l'Espagne. L'orgueil de Murat, ou plutôt son impétuosité naturelle, le poussèrent à châtier trop sévèrement les rebelles de Madrid ; dès lors, toute espérance de paix fut perdue, et Napoléon lui-même s'écria, en apprenant l'affaire du 2 mai :
— Murat, sans s'en douter, vient de forger à l'Espagne cinquante mille fusils et cent pièces de canon dans les ateliers de Manchester.
L'empereur touchait juste et l'Angleterre ne tarda pas en effet à jeter en Espagne des armes, des munitions, des trésors et des soldats.
En apprenant de la bouche même de Napoléon les suites funestes pour ses anciens sujets de la journée du 2 mai, le vieux Charles IV dit en pressant les mains de Napoléon :
— Mon frère, je prévoyais ce malheur. Les hommes coupables qui, pour satisfaire leurs passions, ont agité le peuple, croyaient pouvoir le contenir : ils se sont engloutis dans l'abîme qu'ils avaient ouvert.
Charles, sur invitation de Napoléon, nomma sur le champ le grand-duc de Berg lieutenant général du royaume des Espagnes et des Indes, et l'on montre encore dans le château de Marrac, la table où cette espèce d'abdication fut signée par le petit-fils de Philippe V.
ENTREVUE DE BAYONNE 1808 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire