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mercredi 10 novembre 2021

LE PASSÉ ET L'AVENIR DE L'ÉMIGRATION BASQUE EN 1913 (deuxième partie)

 

PASSÉ ET AVENIR DE L'ÉMIGRATION BASQUE EN 1913.



Des centaines de milliers de Basques, du Nord et du Sud, ont émigré, partout dans le monde, et en particulier de l'autre côté de l'Atlantique, pendant des décennies, depuis 1830 environ.



emigracion vasca barco
BATEAU DE L'EMIGRATION
PAYS BASQUE D'ANTAN


Voici ce que rapporta à ce sujet le journal La Grande Revue, le 25 mars 1913, sous la plume de L. 

Bey :



"Le passé et l'avenir de l'émigration Basque.






..."A Buenos-Aires, le jeune Basque commence par être "lochero", c'est-à-dire que, garçon dans une ferme, il porte le lait, chaque matin, à la ville voisine. Quand il s'est libéré des dettes du voyage, il économise et acquiert un petit troupeau, vaches ou moutons. C'est au berger basque que l'Argentine doit l'essor extraordinaire de son élevage. Il dirige droit devant lui ses premières bêtes dans les profondeurs de la Pampa. Le troupeau décuple, centuple. Au bout de vingt ans, le berger revient à la ville. Chaque année, il a vendu les cuirs, les laines. Il liquide son stock et, si le moment est favorable, il se trouve possesseur d'une cinquantaine de mille francs. Il s'embarque et au pays il connaîtra le bonheur d'être propriétaire et de labourer son champ. Sans ce voyage, il serait resté métayer attaché à la glèbe, en qualité de salarié.




pays basque emigration argentine
LECHERO ARGENTINE 1875


Les plus audacieux qui tiendront à rester dans leur patrie d'adoption profiteront de leurs premiers capitaux pour se lancer dans la grande spéculation des terrains, des laines, des cuirs, etc. Ils y rencontreront souvent la ruine, mais parfois aussi la chance leur reste fidèle. Alors ils deviennent des puissances comparables à celles que se créèrent les Luro, Sancinena, Fortabat et d'autres. Il en est qui renoncent à leur nationalité pour remplir un rôle dans la politique argentine. Dans cette voie, des Basques sont parvenus aux plus hautes situations, voire à la Présidence.



pays basque 1900
PEDRO LURO ARGENTINE
PAYS BASQUE D'ANTAN


Le Basque-Argentin à qui les grandes spéculations sont interdites borne son ambition à tenir un petit commerce à Buenos-Ayres ouvre un commerce, un hôtel, une épicerie. C'est l'Auvergnat ou le Savoyard de l'Amérique.



Au Chili, le  jeune Basque fait une évolution plus rapide. Il entre dans une maison de commerce où l’on vend de tout, où souvent les paiements s’effectuent en marchandises d'échangée. Il tire de chacune de ses opérations une valeur immédiate, d'une lettre qu'il écrit pour un client d'occasion, d'un conseil d'affaire, même d'une consultation médicale. Arrivé timide, guindé, fruste, l'habitude du trafic qui donne assurance et confiance. Son patron, qui suit son développement, l'associe aux bénéfices, l’envoie fonder un nouveau comptoir.



Il commence à avoir une situation personnelle et il songe a marier. Alors il fait un premier voyage, aller et retour, en France. Maintenant c’est un monsieur. Si sa famille a quelque notoriété, il n'a ici que l’embarras du choix parmi les héritières. La dot que l’élue lui apportera triplera de valeur au Chili et lui permettra de s’installer pour son compte. En moins de dix ans, ce sera la fortune, en dépit de la dépréciation du change. La piastre de 5 francs ne vaut que 1 fr. 50. Les Basques-Chiliens ont constitué un groupement commercial qui se soutient énergiquement et qui fait concurrence à celui des Anglais et des Allemands. Grâce à cette cohésion, les chances de réussite sont bien supérieures, au Chili, à celles qu'offrent les autres pays de l'Amérique. Sur 100 retours, 80 appartiennent à l'élément chilien et donnent des hommes de valeur. Leur comité célèbre, chaque année, la fête de l’indépendance, avec le même cœur qu'ils fêtaient là-bas le 14-Juillet.



Ici, chacun d’eux élève la maison dont le rêve hantait les nuits d'exil, et qui s'ajoutent à celles qui font du pays basque un nouveau jardin de la France. Ce n’est point le château historique mais la maison cossue qui reflète le bonheur tranquille, sous le bon soleil, et abritée par un rideau de chênes contre les vents d’autant. Le peuple l'appelle "le château de l’Américain".



Telles sont les légendes et aussi les résultats qui entretiennent le courant migrateur et lui causent son mirage. 



Les pertes.



Il ne faut pas s'en tenir aux seules apparences. 



Le Basque-Américain qui rentre dans ses foyers avec l’auréole de la fortune est certainement la meilleure réclame pour le pays qui a été pendant quelques années sa patrie adoptive. Son retour décidera au départ une vingtaine de jeunes gens qui, ici, où l’agriculture est dans l'enfance, où l’industrie est précaire, et où le commerce languit, ne parviendraient pas à une situation indépendante. Aussi à ce spectacle du succès palpable, toutes les hésitations tombent. Ils partent isolés, ou par petits groupes, munis de lettres de recommandation, sûrs de retrouver un parent, un ami, qui les guidera dans les débuts. La séparation n’est même pas trop pénible. Ceux qui restent savent que le voyageur ne s’en va pas dans l’inconnu. Puis, ils sont si nombreux ceux qui suivent la même voie !



L’effet du retour est si considérable que les Etats d’Amérique devraient, ce semble, s’en réjouir et le favoriser. Le contraire se produit. Ils envisagent avec une susceptibilité manifeste l’émigration à temps qui s'en retourne avec un capital acquis. Ils y voient presque une sorte de vol, tout au moins une forme d'ingratitude.



Ce sentiment égoïste s'explique par l’état d’esprit qui domine dans l'Amérique latine. Ses nationaux, ou ceux qui le sont devenus, en faisant souche dans le pays, qui s’y sont naturalisés, entendent vivre aux dépens de ceux qui arrivent après eux. Par droit de premiers occupants, ils s’attribuent les privilèges, les fonctions, les rentes, l'autorité. Les derniers venus ont le devoir de faire valoir terres, revenus, fonctions, d’après un cahier de charges dûment établi. Aux Italiens, les moissons et les choses du bâtiment ; aux Espagnols, le défrichement ; aux Anglais, l’exploitation des chemins de fer, aux Français, les vignobles de Mendoza et le commerce du détail à Buenos-Aires. Quant aux serviteurs de l’Etat, on a pensé les retenir à perpétuité par le décret qui rendait les retraites valables pour ceux-là seuls qui les touchaient dans le pays. Il a fallu faire une exception à cette règle peur assurer le recrutement des membres de l’enseignement. 



Tout s'emploie, se coalise pour faire à l'immigré peau neuve, peau américaine, ce qui a provoqué la boutade de M. Clemenceau, au cours de son voyage de conférences américaines : "L'immigré devient argentin avant de s'argenter."



Il y a d’abord l’opposition absolue entre les deux lois de recrutement militaire. Pour la loi française, tout enfant né de Français sur la terre étrangère est Français. La loi argentine le déclare Argentin du seul fait qu’il est né en Argentine. Par suite, le jeune Français est condamné à devenir insoumis au point de vue de l'une ou l'autre des deux nations. Il est insoumis pour l'Argentine si, à vingt-et-un ans, il se met à la disposition du Consul pour établir son service en France. Il est insoumis pour la France s'il n'accomplit pas cette formalité, et il faudra qu'il attende quarante-deux ou quarante-cinq ans pour rentrer sans s'exposer au Conseil de Guerre.  Cette mesure est à l’avantage du pays migrateur, en ce sens que le jeune expatrié, avant son service militaire, se trouve dans l'impossibilité de revenir avant un délai de vingt-cinq ou trente ans. Il se marie, entre temps, et c’est une unité perdue pour la mère-patrie.



Aux obstacles de la loi militaire qui s’opposent au retour des jeunes gens partis sans avoir accompli leur service en France, s’ajoute pour ceux qui voudraient réaliser des fortunes moyennes la différence du cours monétaire. La piastre chilienne de 5 franc vaut 1 fr. 30 en France ; le peso argentin 1 fr. 8o. Les liquidations aboutissent à la ruine. Un capital de 50 000 francs en Amérique ne représente que 13 000 francs en France. Aussi les immigrés qui possèdent un modeste avoir hésitent à le réaliser. Les plus décidés au retour laissent leur situation à des mandataires, à des associés. Ils ne sont pas plus tôt rentrés que l’inquiétude les reprend. Ils ne tardent pas à revenir en Amérique pour consolider leur situation qu'une plus longue absence compromettrait.



D’ailleurs, en Amérique, une fortune moyenne permet une existence plus large qu’en France, si elle se borne aux besoins matériels. Tout abonde : la population argentine, évaluée a 9 millions d'habitants dispose de 29 millions d’animaux de race bovine, de 67 millions de race ovine. Les céréales atteignent la même proportion.



La vie ne devient chère que si elle s'entoure de luxe ou seulement de confort. Ces derniers éléments sont fournis par l'Europe avec une majoration de 15 %. Les salaires domestiques sont fantastiques. La rareté de l’argent fait tout payer en papier-monnaie, sur lequel sévit l’agiotage. Le jeu s’exerce sous toutes les formes, sur la spéculation des terrains, des laines, sur les paris dans les courses de chevaux, dans les parties de pelote. Le fonctionnement de la justice soulève des récriminations générales. Les chances de ruine sont devenues plus nombreuses que celles de la fortune. Telles sont les considérations qui ont conduit les économistes à classer les Etats de l’Amérique du Sud parmi les pays pauvres, en dépit de ses débouchés dans le commerce, dans l’industrie et dans l’agriculture."



A suivre...


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