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mercredi 24 novembre 2021

LA LANGUE BASQUE PAR ABEL HOVELACQUE EN 1876 (première partie)

LA LANGUE BASQUE PAR ABEL HOVELACQUE EN 1876.


Abel Hovelacque, né le 14 novembre 1843 à Paris, et mort le 22 février 1896 à Paris, est un linguiste, anthropologue et homme politique français.




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ABEL HOVELACQUE


Voici ce que rapporta Abel Hovelacque dans la Bibliothèque des Sciences Contemporaines, en 

1876 :



"La langue basque.



Cette langue si remarquable, si intéressante, n'est guère parlée aujourd'hui que par 450 000 individus, sans grande originalité sociale, sans existence politique distincte ; les trois quarts d'entre eux, environ, appartiennent à la nationalité espagnole, et un quart (120,000 approximativement) à la nationalité française. Il est entendu que nous ne parlons ici que des individus parlant la langue basque et que la question spéciale de la race reste en dehors de cette statistique ; nous savons, en effet — grâce aux excellents travaux de M. Broca — qu'il y a Basques et Basques ; que les Basques espagnols, par exemple, sont de sang bien moins mélangé que les Basques français.



On a longtemps cherché à tracer les limites de la langue basque ; c'est seulement en ces derniers temps que l'on est arrivé à des résultats qui, pour ne pas être sans doute tout à fait irréprochables, méritent cependant une véritable confiance. La carte dressée récemment par M. Broca, et publiée par lui dans la Revue d'Anthropologie, nous semble particulièrement recommandable. Essayons de donner une idée plus ou moins nette de son tracé. Partant d'un point de la côte situé un peu au sud de Biarritz, la ligne frontière passe au sud-est de Bayonne, longe d'assez près l'Adour, et, par un brusque mouvement du nord au sud, contourne le territoire de la Bastide-Clairence ; elle remonte, non moins brusquement vers l'Adour, et passant au-dessous de Bidache, de Sauveterre, de Navarreins, s'approche, quelque peu d'Oloron, mais sans atteindre cette ville. Un retour presque horizontal vers l'ouest l'amène à Tardets même ; de là elle gagne le pic d'Anie et pénètre sur le territoire espagnol. Elle se dirige sur Navascues, contourne, au nord, les environs de Pampelune, redescend vers Puente la Reina, passe également un peu au-dessus d'Estella, de Vitoria, atteint vers le nord-ouest Orduna et remonte vers Portugalete pour aboutir à la mer. La plus grande largeur du pays basque (depuis Orduna jusqu'à 5 kilomètres environ à l'ouest d'Oloron) serait donc, approximativement, de 190 kilomètres ; sa hauteur varierait de 50 à 80 kilomètres. 




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ANTHROPOLOGUE PAUL BROCA



Des renseignements puisés à une autre source, non moins sûre, concordent de tous points avec ceux qui précèdent : la ligne frontière, nous dit-on, partie du golfe de Gascogne, un peu au-dessous de Biarritz, rejoint l'Adour au bas de Saint-Pierre-d'Irube (à 2 kilomètres au sud-est de Bayonne), suit ce fleuve jusqu'au delà d'Urcuit, le quitte alors pour englober Briscous et Bardos (à l'exclusion de la Bastide-Clairence), puis Saint-Palais et Esquiule (près d'Oloron) pour aboutir au pic d'Anie. En Espagne, la limite du pays basque s'étend jusqu'en dehors de la vallée de Roncal (vers l'Aragon) ; après Burgui, elle s'infléchit à gauche vers Pampelune, qu'elle contourne extérieurement, pour redescendre jusqu'au delà de Puente la Reina, et revenir ensuite, presque en ligne droite, à Vitoria, d'où elle remonte vers la mer, qu'elle atteint un peu à l'ouest de Portugalete. Le pays basque se compose donc de la province espagnole de la Biscaye presque tout entière, du Guipuzcoa, de la partie septentrionale de l'Alava et de près de la moitié de la Navarre ; il comprend en outre, en France, une commune de l'arrondissement d'Oloron, celui de Mauléon, et celui de Bayonne presque intégralement ; ce qui correspond aux anciennes divisions locales de la Soule, de la Basse-Navarre et du Labourd.





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CARTE LINGUISTIQUE LANGUE BASQUE 1863



Il n'y a pas de preuve historique, de preuve vraiment historique, que le basque ait occupé dans les temps anciens une aire géographique plus étendue. Nous reviendrons plus loin sur la question dite ibérienne. En France, sans aucun doute, l'on ne peut démontrer avec certitude que le basque ait été en usage dans aucun des villages où le gascon se trouve aujourd'hui employé de façon exclusive. Par contre, il est incontestable qu'en Espagne il a perdu du terrain depuis plusieurs siècles : Pampelune, tout espagnole aujourd'hui, était basque jadis. Et de nos jours il est facile de constater une altération très sensible de la langue basque dans les localités un peu importantes où se fait plus vivement sentir l'activité de la vie moderne et où le contact est plus fréquent avec les étrangers ; le langage de Saint-Sébastien, par exemple, et celui de Saint-Jean-de-Luz sont particulièrement incorrects, et l'on y rencontre un grand nombre de mots espagnols ou français.



Autre fait d'une grande importance : la carte de M. Broca ne comprend pas seulement les trois zones : gasconne (Bayonne, Orthez, Oloron), basque (Tolosa, Saint-Jean-de-Luz, Mauléon), espagnole (Vitoria, Estella, Pampelune) ; elle en compte quatre très distinctes, qui sont, du nord au sud : zone gasconne, zone basque, zone mixte basque et espagnole, zone espagnole. La zone mixte basque et espagnole, large parfois de 15 à 20 kilomètres, parfois excessivement minime, contient, entre autres localités assez connues, Bilbao, Orduna, Agiz, Roncal. Dans son mémoire sur la répartition de la langue basque, M. Broca a expliqué ingénieusement l'absence d'une zone analogue entre le basque et le gascon. "En Espagne, dit-il, le basque se trouve aux prises, sur sa lisière, avec le castillan, dans des conditions d'infériorité qui rendent inévitable l'empiétement graduel de cette dernière langue. Mais en France la langue qui entoure le basque n'est pas, comme le castillan, une langue officielle, administrative, politique et littéraire ; ce n'est qu'un idiome populaire, un vieux patois qui n'a aucune force expansive, qui est, au contraire, en voie d'extinction. Il n 'y a aucune raison pour que ce patois supplante le basque, ni pour que le basque empiète sur lui. Les deux idiomes restent donc stationnaires, égaux dans leur faiblesse et menacés l'un et l'autre par le français, qui les remplacera tôt ou tard. La langue que les Basques ont intérêt à apprendre, c'est le français. 



Tous ceux qui ont quelque instruction le connaissent déjà ; tous les habitants des villes de quelque importance le parlent ou le comprennent. Chaque ville, chaque bourg deviendra ainsi un foyer de diffusion ; il arrivera un moment où le basque ne sera plus parlé que dans les hameaux les plus isolés et dans les vallées les moins accessibles, et là même il finira par tomber en désuétude. Il périra donc sous l'influence d'une cause qui, sans doute, n'agira pas sur tous les points avec la même rapidité, mais qui agira partout à la fois. On ne le verra pas reculer pas à pas, comme il fait en Espagne, où le castillan l'envahit de proche en proche, car il n'est pas plus menacé sur sa lisière que dans le reste de son territoire. Il n'est pas dit, toutefois, que le basque doive se maintenir jusqu'à la fin dans ses limites actuelles. Il est assez probable que le patois béarnais qui l'entoure disparaîtra avant lui, et qu'alors le français, venant presser directement sur la frontière basque, la refoulera peu à peu vers le sud, c'est-à-dire vers les Pyrénées, dont les hautes vallées seront probablement le dernier refuge de la plus ancienne langue de l'Europe."



Le nom propre, le nom original du basque est escuara, euscara, uscara —- suivant les dialectes — d'où, en français "euscarien", synonyme de "basque". Les Espagnols donnent à la langue basque le nom de vascuence, à ceux qui la parlent le nom de Vascongados. Nous ne saurions nous prononcer sur l'origine de ces différents mots. En ce qui concerne escuara, l'étymologie la plus probable — encore qu'elle ne soit pas avérée — est sans doute celle de M. Mahn ; ce mot signifierait "manière de parler", "langage." Les explications que l'on obtient des Basques eux-mêmes, à ce sujet, sont des plus fantaisistes, ce dont nous ne devons pas nous étonner ; lorsqu'ils comparent leur langue aux idiomes des peuples qui les entourent, les Basques se trouvent si complètement désorientés qu'ils tombent aussitôt dans la plus naïve admiration pour leur parler maternel. L'un d'eux, le jésuite Larramendi, dont le livre porte ce titre présomptueux : "El impossible vencido" — l'impossible vaincu — fait à peu près du basque la source commune de toutes les autres langues ; un autre, Astarloa, affirme que chacune des lettres de l'escuara possède une valeur mystérieuse ; un troisième, l'abbé Darrigol, démontre, à l'aide de Beauzée, l'éternelle perfection de ladite langue ; Chaho invente son ingénieuse théorie des "voyants" basques, dont la civilisation précoce a été étouffée par les Celto-Scythes barbares ; l'abbé d'Iharce de Bidassouet fait de l'escuara la langue dont se servit le Père éternel pour converser avec le premier des Juifs. 




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AUGUSTIN CHAHO



Est-il quelque insanité à laquelle n'ait donné prétexte ce précieux débris des idiomes de l'Europe antique ? A la vérité l'escuara offrait des difficultés d'étude insurmontables à ceux qui n'étaient habitués qu'à commenter les textes grecs et latins au moyen de procédés empiriques ; aussi les savants du moyen âge regardaient-ils volontiers la langue basque comme une énigme indéchiffrable, comme un problème insoluble. Un proverbe conservé dans le nord de l'Espagne prétend que le diable lui-même demeura chez les Basques sept longues années durant sans parvenir à entendre un seul mot de leur langue. Ainsi s'explique cette remarquable définition d'un dictionnaire espagnol : Vascuence.

Lo que esta tan confuso y oscuro que no se pue de entender. "Basque". Ce qui est si confus et obscur qu'on ne le peut entendre."



Par malheur, beaucoup d'érudits fort peu linguistes, beaucoup d'amateurs étrangers, ont voulu résoudre le problème, sans préparation spéciale, et leurs efforts infructueux n'ont fait qu'exalter l'infatuation qu'inspirait déjà aux Basques le spectacle de tant d'efforts stériles. L'on a pu dire, non sans une certaine apparence de vérité, que l'étude du basque menait droit à la folie ; mais les choses sont bien changées aujourd'hui qu'il existe une méthode linguistique. Le sphinx, mieux entrepris, a livré son secret, et bien qu'il reste encore nombre de points à éclaircir, il est présumable que le jour n'est pas éloigné où l'on pourra se féliciter de connaître à fond les lois nombreuses et complexes de la langue basque. Il y avait assurément de bonnes, d'excellentes choses dans les écrits d'Oihenart, de Chaho, et surtout de Lécluse ; mais les travaux tout récents signés L.-L. Bonaparte, W. van Eys et Julien Vinson, ont fait faire à la question des progrès décisifs."



A suivre...




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