LA LANGUE BASQUE EN 1903.
Le Basque (euskara) est la langue d'Europe occidentale la plus ancienne in situ.
Elle était appelée aquitain, dans l'Antiquité et Lingua Navarrorum (langue des Navarrais).
FANDANGO 1903 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Sa présence est antérieure à l'arrivée des deux langues indo-européennes qui, au cours de
l'histoire, allaient devenir majoritaires : le celte, puis le latin.
Voici ce que raconta le journal Le Soleil, le 8 novembre 1903, sous la plume de Jean
Carrère :
"Le Basque.
Je ne sais rien de plus suggestif et de plus charmeur qu’une excursion au pays basque. Pour le pays lui-même, d’abord, un des plus beaux de toute la planète. La rudesse des montagnes de granit s’y marie au calme des vallons penchants ; des gaves emportés résonnent à travers les gorges sonores ; des cascades étincellent sous le soleil, et, au loin, dans l’horizon qu’empourpre la gloire du soleil couchant, mugit et bondit la mer, la grande mer, la plus formidable mer du monde, la mer qui retentit contre les roches de Biarritz ou de Sibour, cette redoutable mer de Biscaye, dont les marins des deux hémisphères ne parlent jamais qu’avec une respectueuse terreur.
MARCHANDES DE POISSONS BAYONNE - BAIONA 1903 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Mais plus encore que le pays de rudesse et de grâce, j’aime à contempler ce miracle ethnique : la race basque. Mystère toujours insondable des révolutions terrestres, d’où vient-elle, cette race étrange et hautaine, ni celte ni aryenne, ni africaine ni sémitique, îlot solitaire des civilisations englouties, si altière et si fine, si forte et si audacieuse, qu’elle semble la transmission fidèle d’un peuple de héros et de Rois ?
Les historiens et les géographes, les philologues et les ethnologues, les poètes aussi, se consument en hypothèses sévères ou splendides sur l'origine de ce peuple. Pourtant, de toutes les suppositions échafaudées, la plus probable est que les Basques sont les survivants de la lointaine civilisation atlante, dont l’Empire immense, englouti par les eaux, dominait jadis les îles et les continents des mers occidentales.
ROUTE NATIONALE BEHOBIE - PAUSU 1903 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Mais quelle que soit l’origine des Basques, il est une manifestation de cette antique race sur laquelle nous restons encore, après des siècles et des siècles, impuissants à formuler une doctrine précise : la langue. Sûrement, ni par ses racines, ni par sa syntaxe, cette langue ne se rattache à aucun des idiomes primordiaux dont sont issus les vocabulaires des peuples d’Asie, d’Afrique et d’Europe. On a trouvé des similitudes dans les racines essentielles de la langue basque, et certains mots qui subsistent de l’ancien langage des Indiens d’Amérique. Pas assez, cependant, pour pouvoir affirmer la parenté incontestable des Basques et des antiques Aztèques et Incas. Notre intuition peut supposer des rapports entre ces deux peuples : la science ne peut encore les prouver. D’autre part, il y a quelques années, un missionnaire français d’origine basque, parti pour la propagation de la foi vers les îles du Japon, s’appliqua à apprendre le langage populaire des montagnards et celui des ouvriers des ports, afin de porter jusque dans le bas peuple de l’Extrême-Orient les effets de sa mission évangélique. Il trouva une langue étrange, difficile à apprendre, fort éloignée du japonais moderne. Mais à mesure qu’il avançait dans la connaissance de ce patois dégénéré, il éprouvait une surprise toujours grandissante : cet idiome populaire, reste d’une langue très antique, avait de nombreux rapports avec le basque ! Notre missionnaire y retrouvait les racines essentielles et même certains mots de sa langue natale. Ce fut une révélation ; et je laisse à l’imagination du lecteur le charme de vagabonder sur ces courants vertigineux d’une histoire disparue.
En tous les cas, d’où que vienne la langue basque, elle est à coup sûr un des phénomènes les plus curieux des survivances ethniques; et on ne saurait trop s’appliquer à favoriser la conservation d’un si curieux témoin des temps préhistoriques. Peut-être un jour ce témoin servira-t-il à nous faire retrouver le secret des lointaines épopées terrestres.
Ah ! si l’Allemagne ou l’Angleterre avaient la bonne fortune de posséder dans leur territoire un enclos où survécût une de ces langues mystérieuses, par quoi s’évoquent des civilisations ensevelies, j’ai la certitude que nos studieux voisins s’appliqueraient, par tous les moyens, à recueillir toutes les manifestations de cette langue, et fonderaient au besoin, pour la maintenir, des instituts et des écoles spéciales.
FOIRE ST JEAN PIED DE PORT - GARAZI 1902 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Et nous, en France, que faisons-nous? Je le donne en cent, en mille ; ou plutôt, non, je n’ai pas à susciter vos recherches, vous avez trouvé déjà : nous cherchons à la faire disparaître !! C’est tout à fait édifiant et on ne peut plus français...
Voilà ce que j’apprends, en effet, par la lettre d’un de mes amis qui habite les flancs superbes des Pyrénées occidentales. Par un travail lent, par une sorte de persécution quotidienne, on s’attache à empêcher les montagnards basques de parler leur idiome ancestral, et on veut les forcer à le remplacer par le français. Il paraît que cette survivance de la langue basque est contraire au progrès et à l’émancipation des esprits. Les fonctionnaires, les instituteurs, les prêtres même, quand ils viennent de France, semblent se coaliser pour extirper le parler basque des montagnes où il a survécu.
Et mon ami, alarmé, perdant pour une fois la sérénité cent fois séculaire de ses aïeux, s’écrie en un désespoir qui tout d’abord m’a inquiété :
— Encore deux générations, et la langue basque aura disparu !
Evidemment, l’hostilité des fonctionnaires et des étrangers venus de France est parfaitement idiote, et je n’ai, certes, nulle envie de l’excuser.
TRAIN GUETHARY - GETARI PAYS BASQUE D'ANTAN |
Mais, à la réflexion, elle me laisse infiniment calme. Et qu’on me permette, ici, de rassurer mon correspondant pyrénéen, et, avec lui, les pessimistes que trouble un incident de l’histoire.
Ni les lois, ni les décrets, ni même les persécutions, ne parviennent jamais à détruire une langue profondément enracinée dans un peuple. On arrive parfois à anéantir une nationalité dans toutes les formes extérieures de sa vie politique; on peut traîner en esclavage un peuple vaincu ; mais, ouvrier mystérieux d’une personnalité collective toujours survivante, la langue subsiste, et, à travers les siècles, maintient sa persistante beauté.
Voyez, par exemple, ce qui s’est passé pour la langue d’oc. Elle a eu, pourtant, dans le passé, des ennemis autrement redoutables que nos fonctionnaires actuels. Le rude Simon de Montfort et ses successeurs ont fait tout ce qui était possible et même impossible pour l’extirper des populations méridionales. Pendant des siècles, les Rois de France et leurs puissants gouverneurs se sont attachés à imposer la langue d’oil comme langue officielle, à l’exclusion de tout autre idiome; — et, huit cents ans plus tard, cette langue, jamais déracinée, toujours renaissante, refleurissait à l’Ouest dans les idylles du poète agenais Jacques Jasmin ; et, au Sud-Est, elle s’épanouissait en gestes de fleurs immortelles dans les œuvres du grand Mistral et de ses disciples.
M LABAT AVEC SON CHEVAL PARTOUT 1903 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Et le basque lui-même, et, avec lui, le breton, croyez-vous donc qu’on n’ait jamais essayé de les faire disparaître ? Ce n’est pas aujourd’hui que se manifeste, pour la première fois, l’esprit "unitariste", la plus sectaire et la plus inintelligente de toutes les tyrannies politiques; et elle n’est, hélas ! le monopole d’aucun régime. De Philippe le Bel à Robespierre, de Louis XI à Napoléon, toutes les formes de l’Etat-despote ont poursuivi cette chimère de domination qui est l'unité absolue. Elle y a survécu pourtant, la France, elle a gardé sa diversité féconde de races et de caractères, et elle a réalisé l’union, bien supérieure à l’unité.
Car les générations comptent à peine dans l’évolution lente d’une race et la transmission d’une langue ; et toutes les tyrannies du monde ne peuvent ni précipiter, ni arrêter le développement ou la survivance civilisatrice aux racines profondes.
On peut donc être bien tranquille, en pays basque, aussi bien qu’en pays celtique : on continuera à y parler, malgré les ronds-de-cuir, le langage pittoresque et magnifique qui y a survécu.
Pour ce qui est des Basques, notamment, il y a longtemps qu’ils ont reçu, sans s’en émouvoir, les ordres des gouvernements divers. Ils ont vu passer les Ibères, les Celtes, les Romains, les Carthaginois, les Vandales, les Goths, les Suèves, les Arabes, les Francs... et ils sont toujours restés Basques.
OUVRIERS SANDALIERS 1903 PAYS BASQUE D'ANTAN |
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