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mardi 13 mars 2018

LE "MAKHILA" DANS L'HISTOIRE AU PAYS BASQUE EN MAI 1923


UNE HISTOIRE DU "MAKHILA".


Le makila ou makhila, a été longtemps pour les Basques un compagnon fidèle, de route, de défense ou d'apparat.

 
pays basque 1900
VIEIL HOMME BASQUE AU MAKHILA
PAYS BASQUE D'ANTAN

Voici ce que rapporta à ce sujet le chanoine J B Daranatz dans la Gazette de Biarritz-Bayonne et 

Saint-Jean-de-Luz, dans son édition du 4 mai 1923 :


"Le Makhila par M. le Chanoine Daranatz.


Le bâton de route du Basque. 


On n'imagine guère le Basque, allant au marché ou à une partie de pelote, sans sa ceinture rouge, sans un makhila à la main. Au Labourd, à vrai dire, ce double usage fut jadis plus en faveur qu’à présent. Mais le makhila reste toujours le compagnon de route obligé du Souletin et du Bas-Navarrais. 


Cet ami fidèle, le Basque le garde chez lui, accroché à la boiserie de sa grande pendule ou, mieux encore, derrière la porte de sa chambre. 


D'où vient l'appellation de makhila ? Pourquoi l'a-t-on choisie ? 


Le terme de makhila pourrait avoir des origines vénérables par sa très haute antiquité si, comme l’affirment d’aucuns, il provenait de la langue syriaque. L’on sait que les ancêtres des Basques, les Ibères, ont été de longs siècles en Espagne, en contact avec les Phéniciens. Et les Phéniciens parlaient le syriaque. Or, en syriaque, le mot makhel signifie battre, frapper. Rien de plus naturel que les Ibères aient baptisé le bâton du nom de makhil, makhila, ce qui frappe ou aide à battre. 



pays basque autrefois
FRONTALIER BASQUE AVEC MAKHILA
PAYS BASQUE D'ANTAN

Dans ses Analogies de l'Etrusque avec le Basque (Paris, Leroux,1918, p.41), M. F. Butavand donne au makhila comme analogies sémitiques : makhel, en hébreu, mokh'alat en arabe.


Pour Van Eys, le mot de makhila vient du latin baculum, bâton.


Mais Shucharde, avec plus de raison encore, retrouve dans le makhila le bacillum, qui à l'époque de César, se prononçait bakillu et signifiait aussi un bâton. La transformation du b initial en m est, d'après les linguistes, tout à fait normale ; plus naturel encore le changement en a de la syllabe inaccentuée en u.


Quoi qu'il en soit de son sens étymologique, le makhila désigne un bâton de bois de néflier, élégant et redoutable à la fois, ouvragé avec le plus grand soin, comme nous allons le voir.



pays basque autrefois
PAYSAN AVEC MAKHILA
PAYS BASQUE D'ANTAN

Bois souple, effilé, noueux et résistant, le néflier abonde sur les flancs de nos Pyrénées. Mais, pour le transformer en makhila, une longue opération s'impose.


Les fines arabesques, si remarquables par leur relief, leurs contours variés, et qui constituent pour l'étranger un très vif sujet d'admiration, proviennent de piqûres au couteau, artistiquement ménagées sur le bois de néflier deux ans avant sa coupe.


Après cette première opération, on entoure de linge la tige de néflier, pour empêcher la pluie de pénétrer dans les incisions. A la sève montante de continuer ensuite l'ouvre, en donnant du relief à tous les dessins gravés à la pointe du couteau; des boursouflures se produisent naturellement aux endroits piqués.


Le néflier-nature est clair. Pour lui donner une couleur plus foncée, on le laisse, après sa coupe, environ sept à huit heures dans la chaux vive. Puis les tiges de néflier sont passées sur un brasier ardent; elles en deviennent plus souples et plus faciles à redresser. Le bois peut dès lors être monté en makhila : finie la préparation éloignée.




pays basque 1900
VIEUX BASQUE AVEC MAKHILA
PAYS BASQUE D'ANTAN

Voici comment la tige de néflier va se transformer en makhila.


Le makhila se compose de deux parties distinctes, inférieure et supérieure, tige de néflier et poignée, s'emboîtant l'une dans l'autre, et présentant, toutes deux, un cachet original, absolument dissemblable.


Examinons d'abord la partie inférieure ou tige de néflier proprement dite. Cette tige, ouvragée et colorée comme nous venons de le dire plus haut, rendue encore plus brillante par un frottement énergique à l'huile de noix, porte, à ses deux extrémités deux armes redoutables : en haut, un aiguillon ; en bas, une véritable massue.


L'aiguillon, pointe d'acier allongée, acérée, fait corps avec la tige. Il est solidement fixé ou mieux, planté dans le vif du makhila, dans la tige ; une virole conique dentelée, en cuivre, serre vigoureusement le col de cet aiguillon.



biarritz autrefois
FEMME AVEC MAKHILA
PAYS BASQUE D'ANTAN

Le bas de la tige s'engage dans un tube de cuivre, maillechort, argent ou damasquiné, dentelé et conique, appelé douille. Sur cette douille, repoussée au marteau et plombée à l'intérieur, chaque fabricant grave volontiers, au gré de son savoir, de son imagination ou de ses intérêts personnels, quelques sentences ou proverbes basques, d'originales fioritures, ou bien sa signature, sa marque de fabrique.


Voici des devises fréquemment apposées sur les makhilas :


Orhoitzapena, souvenir ; quelquefois, dans le sens de la menace, souviens-t'en, gare !

Eskual-herriko orhoitzapena, souvenir du Pays Basque.

Nere makhila, mon bâton.

Hau da nere makhila, voici mon bâton.

Emak hor Puttil ! Vas-y donc mon brave !

Egun argitan hr zazu urhea, andrea eta oihala, l'or, la femme et le linge, prenez-les en plein jour.

Bururik ez duenak ez du chapel beharrik, qui n'a pas de tête n'a pas besoin de chapeau.

Orga izarrago, karranka handiago, plus la charrette est usée, plus elle fait de bruit.

Idiak marruma egin beharrean, orgak egiten du, la charrette grince, tandis que ce serait au boeuf de mugir.

Viens, si tu l'oses,

Tu peux venir, j'ai mon makhila.

Semper paralus, toujours prêt.

Je blesse et je tue.

La liberté avec mon makhila.

Frappe, il te sera ouvert.

Je frappe juste et ferme.

Ultima ratio, raison ultime.

Pour le juste, contre l'injuste, etc. 

Pendant la guerre, on a gravé souvent : Alemanek hazta, nik bi makhila sista, que les Allemands y touchent, de mon makhila je (leur assène) deux coups pénétrants.




macaye autrefois
GANICH DE MACAYE AVEC SON MAKHILA
PAYS BASQUE D'ANTAN

Un makhila figura à l’exposition de 1889 et y obtint un prix d'honneur. Sa douille, dont le modèle est sous nos yeux, représentait un sanglier, une bécasse, un renard et un lièvre, avec leurs noms basques : basa urdia, pekada hacheria, erbia. Puis ces mots : Larresoron egina. J. Ainciart. Egun argitan harzatzu urrea andrea eta oiltala ahalaz. Idiac behar luke marruma egin eta orgac egiten du. 


A l’extrémité inférieure de la douille, et bouchant complètement son orifice, se place le sou, donnant aux yeux du Basque, sa valeur au makhila. (Dirai-je en passant, qu’en 1879 sur 1 800 pièces d'argent celtibériennes, avant de 2 200 à 2 400 ans d âge, et découvertes à Barcus par la dame d’Ezpelia, 300 pièces furent achetées par un perruquier de Navarrenx, pour ferrer des makhilas !) 


Dans un trou placé au milieu du sou et du centre de plombage, s’emboîte une sorte de pique ou trèfle, qui termine l'extrémité de la tige.




pays basque 1900
VIEIL HOMME BASQUE AVEC MAKHILA
PAYS BASQUE D'ANTAN

Distincte de cette tige, la partie supérieure ou poignée du makhila est couronnée par un pommeau, d'ordinaire en corne blonde ou foncée, parfois en argent, ivoire, or d'Eibar, etc. Ce pommeau ou oignon prend corps avec une poignée de vingt centimètres de long, recouverte d'une tresse originale en cuir, faite à la main ou à l'aide d'une aiguille. La couleur de cette tresse est noire ou jaune foncé ; l'extrémité inférieure de la tresse, ourlée d'un croisement de cuir ou olive ; une petite virole dentelée, couronne la tresse tout au-dessous du pommeau ; cette virole, de même style que la douille du bas du makhila. Certains fabricants trop modernes et point Basques, remplacent la tresse de la poignée par une douille en cuivre. Ils commettent là une grosse faute. 


Le makhila traditionnel porte la tresse. 


La poignée est creuse, en forme de tube. Et justement, dans ce tube, vient se visser ou se dévisser à volonté, l'aiguillon qui surmonte la tige inférieure. 


Est-ce tout ? Le makhila est-t-il complet ? Non, pas encore. 


Afin de le porter plus facilement, on enfile dans un anneau ou bélière de cuivre, placé sur le milieu de la poignée, une dragonne ou cordon en cuir tressé. de couloir noire ou jaune foncé, se terminant par une petite olive. 

Voilà le makhila




avant pays basque
PAYSAN BASQUE AVEC MAKHILA
PAYS BASQUE D'ANTAN

Appui souple, commode, distingué, reposant. Arme redoutable aussi ; il possède, à portée de main, dans son aiguillon ou lance, un poignard acéré et pénétrant ; son bout plombé forme une terrible massue aux coups mortels. Dans la main du paysan qui pousse son bétail au marché, il sert d’aiguillon ; quand le paysan rentre chez lui, après vente rémunératrice des animaux, c’est un porte-respect. Car, on peut l’affirmer, la ferrure du makhila inspire une salutaire crainte aux plus téméraires. 


Le makhila n’a-t-il pas eu, comme toutes choses en ce bas monde, son évolution historique ? Bien grand mot, peur une si petite chose ! — Je veux dire, par exemple : le makhila n’était-il pas autrefois un bâton beaucoup plus grand que celui d’aujourd’hui ? Les makhilas portés par les bergers de nos montagnes sont notablement plus longs que les makhilas-cannes de la ville.


Ne serait-il pas possible qu’il eût été jadis, en même temps qu’une arme, l'instrument du bouvier pour piquer les bœufs ? Et l’espèce de poignard qu’il porte aujourd’hui dans le manche n’aurait-il pas été jadis un. simple aiguillon ? Et, aujourd'hui même, doit-il être considéré surtout comme une arme? Autant de questions souvent débattues et solutionnées en sens divers.  



pays basque avant
VIEUX BASQUE AVEC SON MAKHILA
PAYS BASQUE D'ANTAN

Une chose certaine, c’est que, dans la main des vieux Basques de la montagne, en voit assez souvent le pommeau de corne du makhila remplacé par une pièce de monnaie ou quelque chose en métal, ressemblant à une pièce de monnaie, toute plate. Forme ancienne ou fantaisie ? Peut-être l'un et l'autre à la fois. 


L'industrie du makhila a été et continue à être en faveur au Pays Basque. Elle a eu et elle possède encore des représentants attitrés dans les principaux centres de la Soule, de la Basse-Navarre et du Labourd : à Mauléon, à Tardets (même à Navarrenx et à Pau), à Saint-Palais, à Hélette, à Saint-Jean-Pied-de-Port, à Larressore (un véritable maître dans son art, Jean Ainciart, dit Quillot), à Espelette, à Saint-Jean-de-Luz et à Bayonne (chez Mialet et chez Lapeyre). On peut dire que ces deux dernières maisons, dont la vente annuelle est de plusieurs milliers de makhilas, ont donné à cette fabrication tous les perfectionnements désirables. 



bayonne autrefois
FABRICANT DE MAKHILAS
PAYS BASQUE D'ANTAN

La mode, déterminée par une intelligente et abondante réclame, devait s'en mêler. Les Anglais ont adopté le makhila, de prime abord. Pendant la guerre, les soldats canadiens en commandèrent par milliers, à telle enseigne qu'une maison d'équipements militaires de Montréal fit à une fabrique de Bayonne une grosse commande, que cette dernière ne put satisfaire ; à la demande de nos poilus, des quantités de makhilas ont pris le chemin des tranchées ; des makhilas d'honneur furent offerts à des généraux du front, tout comme, dans nos joutes littéraires, à nos meilleurs poètes. Enfin, depuis quelques années le high-life porte volontiers le makhila, jusque sur les rues de nos cités.


Un souvenir personnel. Le 24 avril 1912, j'accompagnais Mgr Gieure au Vatican, comme secrétaire. Présenté au Pape Pie X par l'évêque de Bayonne, j'offris au Saint-Père, avec le premier volume des Recherches sur la Ville et sur l'Eglise de Bayonne, un makhila d'honneur, à pomme d'argent, au chiffre pontifical. Pie X, avec un large sourire, s'écria : "Baculum Senectutis", mon bâton de vieillesse. Puis, je dévisse l’aiguillon. "Oh ! oh !" reprend Sa Sainteté d'une voix plus forte, les bras étendus et en riant de bon cœur. L’aiguillon rentre dans son fourreau, et Pie X agrée aimablement le makhila en disant : "Je m’en servirai". 




pays basque autrefois
JEUNES BASQUES AVEC MAKHILA
PAYS BASQUE D'ANTAN

On ignore généralement qu’il existe en Espagne une Vierge au makhila : c’est "La Virgen de la Fuensanta". Sous ce vocable, la sainte Vierge est représentée debout, Jésus sur son bras gauche et à sa main droite un makhila, symbole sans doute de sa toute-puissance. L'Espagne possède même plusieurs sanctuaires de la "Virgen de la Fuensanta", dont plus célèbre est celui de Cordoue. 


Chaussé de sandales blanches, serré de rouge à la ceinture, un béret bleu sur la tête, l’air dégagé, taille droite et souple, démarche aisée et légère, regard vif et assuré, le Basque marche fièrement, son makhila à la main." 






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