LE SOUS-PRÉFET DE BAYONNE EN 1829 VOULUT PROSCRIRE LE MAKILA.
Le Makila, le simple bâton, compagnon habituel du pélerin et du voyageur pauvre, n'était en somme, qu'une arme défensive obligatoire et gratuite.
Offensive aussi à l'occasion : les valets, les femmes et le enfants connaissaient bien "Martin-
bâton"; les campagnes, enfin, n'ont pas perdu le souvenir des bastonnades inter-villages du
dimanche après vêpres.
Les Basques avaient su améliorer le Makila d'origine et le rendre plus efficace par l'adjonction
d'une pointe de fer susceptible d'inspirer le respect.
COUPLE GASCON DONT HOMME AVEC MAKILA |
Un Sous-Préfet de Charles X, en poste à Bayonne depuis un an, rendit le Makila basque
(amélioré) responsable des accidents survenus dans les réunions, fêtes, foires et marchés.
Il chercha donc à le proscrire.
Il adressa à cet effet, en Septembre 1829, une circulaire aux Maires de l'arrondissement.
Le Makila ne fut pas nommé.
S'était-il fait traduire le mot et l'avait-il trouvé trop général ?
Le terme plus descriptif et administrativement plus précis de "bâton ferré" - en Français, bien
sûr - lui fut préféré ; il convenait mieux aux desseins sous-préfectoraux.
Les archives municipales de St-Jean-de-Luz mentionnent :
"Une triste expérience a souvent démontré combien dangereuse était l'habitude trop généralement répandue dans cette contrée du port des bâtons ferrés.
L'usage de ces armes qui constituent de véritables massues a trop souvent ensanglanté et changé en scènes d'homicides les fêtes populaires.
Certes, à cette époque, comme à la nôtre, les fêtes se terminaient parfois mal chez nous. Ailleurs aussi où l'on ne portait pas le Makila meurtrier, les moyens et l'imagination n'ayant jamais manqué à ce sujet."
Pour un administrateur de Charles X, ce Sous-Préfet n'était pas dépourvu de sens
psychologique.
De prudence au moins.
JEUNES BASQUES AVEC MAKILA PAYS BASQUE AUTREFOIS |
L'interdiction qu'il envisageait, véritable révolution dans la nature même de l'instrument visé,
lui parut délicate et difficile.
Il renonça donc à une mesure générale.
Après un long éloge du "caractère personnel et du poids de l'autorité " des Maires de la région,
il demanda des "mesures locales prises simultanément... (par) les magistrats municipaux... dont
l'influence peut le plus fructueusement appuyer l'action légale pour une prohibition qui peut,
jusqu'à un certain degré, contrarier les idées reçues..."
TYPE BASQUE AVEC MAKILA |
La suite ne manque pas de saveur :
"Je n'ignore pas qu'une opposition prise dans les vœux de la population peut... environner de quelque défaveur la prohibition que j'ai en vue. Je sais que le Basque considère son bâton comme le compagnon obligé de sa parure de fête, mais lorsqu'il apprendra de vous... qu'on veut le garantir contre ses propres excès, qu'on n'entend pas qu'on dépose l'usage de porter un bâton ; qu'on veut seulement qu'on le dépouille du fer qui le rend dangereux..."
Nous y voilà ! De bien longues approches pour arracher le crochet de la vipère.
Le sens de la psychologie dont nous avons fait l'éloge, peut-être un peu trop tôt, était plus
tactique que profond.
TYPE DE FRONTALIER AVEC MAKILA |
Plus administratif, surtout, car Monsieur le Sous-Préfet ne manqua pas, à la fin, d'assortir les
mesures qu'il faisait prendre par les autres, des menaces habituelles au personnel d'autorité :
"Vos représentations verbales... seront je crois assez efficaces... mais il convient qu'elles soient appuyées de quelques moyens comminatoires" : arrêtés municipaux, procès-verbaux, et traduction devant les tribunaux.
Tout comme les makilas, les fleurs offertes par l'Administration cachent souvent des fers
menaçants.
Le Sous-Préfet avait tort de ne voir dans le "bâton ferré" du Basque qu'un accessoire de
théâtre "compagnon obligé de sa parure de fête".
Définition bien tournée sans doute mais insuffisante, au moins à cette époque.
Plus dangereux que le simple bâton du pauvre et du pèlerin des autres provinces, le makila
l'était certainement.
S'il lui arriva d'être utilisé comme arme offensive - comme le couteau, les fourches ou les fusils
de chasse - il était surtout une arme défensive dans un pays où l'on circulait longuement à pied
à travers des campagnes peu et souvent mal peuplées.
BASQUE AVEC CHAHAKOA ET MAKILA |
Les attentats contre les voyageurs y étaient monnaie courante. Deux exemples tirés aussi des
archives municipales de la commune de St-Jean-de-Luz :
-"Un vol d'argent a été commis le 5 de ce mois dans le bois de Saint Pée sur la personne du Sr Sabin Palacio d'Espelette qui se retirait du marché de Saint-Jean-de-Luz... ; les voleurs qui étaient au nombre de trois avaient eu soin de se déguiser pour ne pas être reconnus."
-"Un Commissaire espagnol a été arrêté dans la Lande entre Souraïde et Ustaritz par huit brigands armés qui lui ont enlevé environ 2 200 F en pièces espagnoles de 5 francs et d'un franc et qui l'ont maîtrisé. Ces brigands paraissent s'organiser en bande dans ce pays."
Il n'y avait pas que les brigands.
Aussi les animaux sauvages : ours en montagnes, sangliers et loups contre lesquels on
organisait des battues (en mars 1816, en juin 1817, Pentecôte 1826, février 1833, mars 1844 et
avril 1845), enfin les chiens errants, très redoutés parce que souvent porteurs des germes de
rage.
Les fers aiguisés constituaient, dans ces rencontres, un secours plus efficace que les simples
bâtons.
On peut penser qu'ils ont, à travers les siècles, transpercé plus de chiens sauvages (plus souvent
affamés que contaminés) que de malheureux chrétiens.
Peut-on reprocher aux Basques d'avoir perfectionné et rendu plus efficace l'arme des pauvres ?
Eternel procès contre les progrès dans l'efficacité, outils ou armes, avec leurs bons et leurs
moins bons aspects, que le Sous-Préfet de la Restauration a voulu refaire dans son
arrondissement.
COUPLE BASQUE DONT HOMME AVEC MAKILA PAYS BASQUE AUTREFOIS |
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