LE PAYS BASQUE SOUTERRAIN EN 1932.
Depuis des milliers d'années, le Pays Basque possède des canyons, des gouffres et des abîmes.
EDOUARD-ALFRED MARTEL PAYS BASQUE D'ANTAN |
Voici ce que rapporta la Gazette de Bayonne, de Biarritz et du Pays Basque, dans son édition
du 18 mai 1932 :
"Les beaux sites de nos contrées.
Le Pays Basque souterrain.
S'il est un nom bien connu du grand public français, c'est bien celui de A.-E. Martel, l'explorateur de tant de gouffres et d'abîmes, le révélateur des "avens" du Massif Central, le découvreur de Padirac, le pionnier hardi de tant de redoutables descentes parmi les eaux souterraines et les grottes dangereuses du monde obscur des calcaires profonds. Mais combien de nos compatriotes se doutent-ils que l’activité de M. Martel ne s’est point bornée aux grands Causses : à travers la France entière, l'Europe même, il a étendu le champ de ses si curieuses recherches. Voici que les deux tomes de la "France ignorée" qu’il nous donne aujourd’hui serait pour maints d'entre nous, la plus incroyable des révélations.
Or, tout un chapitre du tome second est consacré au Pays Basque souterrain, "terroir du rêve enchanteur et de splendeurs naturelles insoupçonnées" ; de fait, à parcourir cette multitude de plans, de coupes, de photographies splendides, c'est une vision magique et inconnue qui se lève soudain devant notre regard, et qui flotte longtemps encore devant nos yeux éblouis. Comment, sans le secours de l'image, pourrions-nous donner une idée de ces pages si denses, d’une magnificence inouïe, consacrées au plus inconnu des aspects toujours mystérieux de l'Eskual Herria ? Tentons cependant la gageure.
GAVE LE SAISON TARDETS - ATHARRATZE 1906 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Un premier monde de formes étranges et de sites grandioses s’étend à travers la Haute-Soule, le long du gave de Larrau et du gave de Sainte-Engrâce, dont la réunion forme le Saison. Hautes de 300 mètres, larges parfois de 3 mètres à peine, ces cluses gigantesques font disparaître le soleil au fond de leurs abîmes, étalant parfois la falaise à pic de leur roche nue, la recouvrant plus souvent encore des fougères arborescentes, des halliers élancés, des hêtres prestigieusement accrochés sur la paroi à pic. Dans le ciel bleu qui s’entrevoit à peine, tournoie le vol éperdu des vautours et des oiseaux de proie de la montagne ; en bas, roule et gronde le torrent blanc d'écume à travers le fracas des rocs écroulés. "Visions de Dante et de Gustave Doré", cluses plus belles et plus curieuses que celles du Fier, du Sautet, de la Diosaz, du Trent, proclame sans crainte M. Martel.
L’illustre auteur n’hésite pas à les mettre au tout premier rang des merveilles naturelles de l'Europe : or, le jugement de M. Martel en pareille matière, est de ceux qui emportent adhésion. C'est l'Eskual Herria qui garde jalousement - et trop modestement encore, - les sites les plus splendides qu'il peut nous être donné de contempler. De longue date cependant, le Malin se laissa prendre à leur grandiose beauté : pour les admirer davantage, il construisit, en une seule nuit, le Pont d’Enfer, bien connu des rares touristes de ces régions ; mais le Diable dut s’enfuir le matin, au chant du coq, laissant son trésor enfoui : plus d’un paysan souletin ne désespère pas encore de le trouver malgré l’incertaine et périlleuse présence des mauvais démons qui errent en ces lieux tragiques. M. Martel raconte lui-même comment, en 1908, il se heurta au mauvais vouloir de quelques-uns de ses guides : ayant franchi, impavides, superbes de force physique et de résistance, les passes les plus dangereuses, grimpé au long des cordes frêles sur des dizaines de mètres, nagé des heures dans l’eau froide du torrent, certains d’entre eux apportèrent la plus mauvaise volonté à s’enfoncer dans la fissure jusqu’alors inconnue du canon d’Holçarte.
GORGES HOLCARTE LARRAU- LARRAINE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Cette admirable fissure, bientôt divisée en deux bras divergents, s’ouvre à 2 kilomètres 500 du village de Larrau : elle concentre les eaux du pic d’Anie, au terme de leur long parcours souterrain. L'expédition de 1909 suivit parmi les lacs et les cascades "cette incroyable cassure", jusqu’à un lac souterrain enveloppé d'une sombre terreur : il fut impossible de remonter la cascade qui y débouche. Après cinq heures d’excursion dans l’air (si l’on peut dire), avec cordes et échelles, il fallut s’arrêter, rapportant les féeriques photographies qui ornent aujourd'hui l’ouvrage de M. Martel.
ROUTE ET GAVE LARRAU - LARRAINE PAYS BASQUE D'ANTAN |
En revanche, sur le gave de Ste-Engrâce, le canon de Cacouetta est aménagé et longé par un fantastique sentier. Du moulin de ce nom, de la cote 440 m., à celle de 540 m., franchi d’une douzaine de passerelles rustiques dans l’entaille géante de ses murailles verticales, le torrent déploie sa romantique grandeur. Deux autres canons complètent la merveille, dirigés eux aussi Nord-Sud, parallèles à celui de Cacouetta et finissant comme lui dans l’artère collectrice de Sainte-Engrâce : dans l'écartement des grandes tours du calvaire, les cascades bondissent de toutes parts, les grottes se creusent, les abîmes s’enfoncent parmi les stalactites, masquant leur entrée parmi les ormes, les hêtres, les buis géants. Uhadjarre et Heylé sont ainsi les pendant de Cacouetta ; Heylé possède même le redoutable abîme qui est le second de France par sa profondeur : 275 mètres !
CACOUETTA SOULE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Plus au Sud, vers les hautes crêtes de la frontière, le sol calcaire devient une véritable écumoire, percé de ces "lecias" (selon le nom basque local), où l'on jette les charognes mortes et dont certaines connurent des chutes mortelles. Notre ouvrage multiplie ici les coupes et les croquis. C'est la région du pic d'Arlas (2 062m.), de la belle forêt de Léche. De ces dizaines d’abîmes, retenons le gouffre d’Escuret, entonnoir évasé, aboutissant à un long puits vertical que bouche la neige à 91 mètres de profondeur. Plus haut vers 1 800-1 500 mètres, s’étend un vrai "lapiaz" jurassien où le calcaire présente comme la série effilée d’immenses tranchants de sabre, miné de trous cylindriques où s'enfoncent les eaux. Rarement les sondages ou la descente sont possibles.
De Tardets à Saint-Jean-Pied-de-Port, un second secteur comprend cependant les gouffres analogues de la forêt des Arbailles : l’eau reparaît en résurgences à Aussurucq, au petit établissement de bains de Garaïbrè qui se cache dans un frais vallon près de Saint-Just-Ibarre, et surtout aux sources de la Bidouze. Car la Bidouze a une double source : l’émergence Est a pu être remontée en bateau sur 60 mètres jusqu’à une fantastique caverne, véritable salle de siphonnement ; l'émergence Ouest comporte, sous terre, trois bassins successifs avec cascatelles. jusqu’à une salle de 10 mètre de haut.
Voici encore la vallée, devenue riche à sa tête, de la rivière d’Aussurucq, où, sur 10 kilomètres, entonnoirs, marmites, crevasses et puits jalonnent le lit disparu en profondeur. Voici, près d’Ahusquy, la véritable écumoire qu’est le vallon d’Aphoura. Au Sud-Ouest, d'autres gouffres accompagnent la Nive du Laurhibar ; celle de Béhérobie naît encore à une émergence ; mais surtout les forêts inspirent ici à M. Martel, les plus lyriques accents : celle d’Orion, avec ses sept gouffres arrondis, celle d’Iraty surtout, aux futaies quasiment vierges, aux ifs sans pareils, aux frondaisons cyclopéennes : "elle est l’une des plus belles d’Europe"; elle doit être rationnellement aménagée pour conserver intacte la nature qui s’y déploie ; elle doit devenir un jour le Parc National Basque. "Dômes séculaires des châtaigniers aux contorsions de géants", "fougères plus hautes que nos montures", que ne trouve-t-on pas ici !
FONTAINE AHUSQUY - AHUSKI PAYS BASQUE D'ANTAN |
Avec Isturitz et Sare, nous rentrons dans un monde plus connu. A Isturitz, un ruisseau a creusé un tunnel et arrondi une grotte sous une colline. Eboulis et concrétions bouchèrent l’entrée d’amont; alors le ruisseau contourna la colline par un lit aérien aujourd’hui desséché. Car un troisième avatar a fait revenir l’eau juste sous la grotte actuelle par un cours souterrain de 500 mètres allant de la vieille tour au moulin d’Urbianstéguy. Isturitz était — comme Saint-Martin-d’Arbéroue, — un refuge préhistorique. Malgré certaine exploitation des os fossiles comme phosphate de chaux et du guano des chauves-souris, elle a livré des trésors préhistoriques.
GROTTES ISTURITZ - ISTURITS PAYS BASQUE D'ANTAN |
Avec ses 750 mètres de ramifications, la grotte de Sare a-t-elle une autre entrée en territoire espagnol ? Non sans raison, les gens du lieu le croient volontiers. En tout cas, c’est une admirable coupe que nous en donne M. Martel : deux étages superposés communiquent entre eux au "pont crevé" ; en dessous, le ruisseau souterrain en creuse un troisième, paraissant en source près de la grande salle où l’on a pu aménager un petit lac artificiel. Une inscription rappelle la venue de Napoléon III et de l’impératrice Eugénie le 20 septembre 1858. A l’autre extrémité, la grotte se prolonge par un couloir large et haut de 0 m. 50 que ferment des éboulis.
GROTTE SARE - SARA PAYS BASQUE D'ANTAN |
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