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dimanche 14 mars 2021

LA LANGUE BASQUE ET LA LANGUE HONGROISE EN 1877 (première partie)

LA LANGUE BASQUE ET LE MAGYAR.


Il existe, depuis longtemps, de nombreuses hypothèses sur l'origine de la langue Basque.

Vers les années 1860, le prince Louis-Lucien Bonaparte, linguiste distingué, trouve des similitudes entre les langues finno-ougriennes, dont le Magyar et la langue Basque.




pays basque autrefois langue magyar
ESSAI SUR LA LANGUE BASQUE 1877 
PAR JULES VINSON



Voici ce rapporta à ce sujet Jules Vinson :



"Je me trouvais à la fête de Sare, en plein bays basque, il y a cinq ans déjà, et je parlais linguistique avec M. Antoine d'Abbadie à la générosité duquel cette fête doit tout son éclat. C'est à Sare en effet que se tient tous les ans le concours de poésie basque ; c'est là que l'heureux vainqueur reçoit le prix fondé par M. d'Abbadie, une somme de 80 fr., ainsi qu'un makhila (bâton national) argenté, offert au meilleur poète par M. Amédée de Laborde Noguez, d'Ustaritz. Tout en causant du progrès des études basques et de quelques publications récentes, nous en vînmes à remarquer que l'Allemagne avait donné aux travaux relatifs à la un très médiocre contingent. M. d'Abbadie se souvint alors que le savant euscarisant de Londres, le prince Louis-Lucien Bonaparte, lui avait parlé d'un mémoire en hongrois, paru il n'y avait pas longtemps à Pest. M. d'Abbadie ne connaissait pas ce mémoire et ne le possédait point dans sa riche bibliothèque.



Le prince Bonaparte, auquel je dois déjà beaucoup de renseignements précieux, voulut bien, sur ma demande, me donner le titre exact de ce travail. Mon ami Abel Hovelacque fit un voyage en Hongrie quelques mois après et se chargea de me procurer cette pièce rare et si peu connue. Un autre de nos amis Émile Picot, alors consul de France à Temesvàr, voulut bien s'en occuper lui- même ; il eut l'obligeance de se rendre à Pest, d'y chercher l'auteur du mémoire, M. Fr. Ribàry, et de lui exposer ma requête. Ce ne fut pas sans peine, paraît-il, qu'on parvint à réunir les deux livraisons du journal magyare où avaient été publiées les deux parties de ce travail ; la complaisance de mes amis triompha de tous les obstacles, et le 28 mai 1872 je recevais les deux brochures si impatiemment désirées.



Mais il fallait se rendre compte de la valeur de ce travail. Au premier abord, bien que je n'y comprisse absolument rien que les citations basques, il m'avait beaucoup plu par sa disposition méthodique : il me tardait de voir ce qu'il contenait, et le plus simple me parut de le traduire en français. Ce ne fut qu'une année après, le 15 juillet 1873, que je pus commencer cette traduction ; je la terminai le 26 août suivant. Le tamoul et le basque m'ont donné l'habitude des langues de la forme du hongrois ; aussi n'éprouvai-je point à traduire le mémoire de M. Ribary de difficulté sérieuse. Pendant l'été de 1874, je relus et révisai ma traduction qu'on m'avait proposé de faire imprimer. Je dus la revoir une troisième fois et me mettre en rapport avec l'auteur que j'avais besoin de consulter à propos de certains passages qui m'embarrassaient un peu. Le 10 novembre 1875, j'expédiai à Paris à mon ami Picot, qui a fait preuve en tout ceci d'une complaisance inépuisable, le manuscrit complet et mes notes complémentaires.



Je me suis permis en effet d'ajouter au texte de M. Ribàry d'assez nombreuses notes ; mais j'ai eu soin de les en distinguer soigneusement. Je n'ai conservé, au bas des pages, que les annotations mêmes de l'auteur ; quant à mes remarques, mes berichtigungen, elles sont indiquées par de gros chiffres qui renvoient à la fin du volume. Elles étaient d'ailleurs indispensables, et je les ai réduites au strict nécessaire ; bien des points touchés par M. Ribâry demandaient quelques explications supplémentaires ; il fallait indiquer des faits tout récemment découverts ; il était utile enfin de rectifier quelques erreurs et quelques inexactitudes. Ces erreurs et ces inexactitudes n'ont rien qui doive surprendre : elles sont toutes naturelles et l'on doit seulement s'étonner qu'elles n'aient pas été plus nombreuses. Quand on songe que M. Ribàry étudiait l'escuara très loin du pays basque, quand on se rend compte des documents qu'il a consultés, quand on voit quels mauvais livres il a pris pour guides, on demeure vraiment confondu des résultats qu'il a obtenus et le mérite de sa brochure en devient beaucoup plus considérable.



Elle présente en effet de remarquables qualités et respire un véritable esprit scientifique ; elle contient l'essai d'analyse le plus méthodique dont le verbe basque, ce sphinx redoutable de la linguistique moderne, ait encore été l'objet. C'est pourquoi j'ai cru devoir respecter d'une manière absolue le texte de l'auteur ; je ne l'ai "corrigé" nulle part. Je l'ai d'ailleurs traduit aussi littéralement que possible, dût la forme en souffrir quelque peu : je crois qu'une traduction ne doit jamais être tellement française qu'elle fasse oublier l'original, et j'estime qu'il faut faire sentir au lecteur que les propositions qui sont mises sous ses yeux ont été pensées dans une langue étrangère.



L'étude de M. Ribàry est d'autant plus digne d'éloges que ce n'est point l'œuvre d'un linguiste. M. R. en effet ne prétend point à ce titre ; il s'honore surtout d'être un historien et de professer l'histoire à l'Université de Pest. Ce n'est qu'en passant, m'écrit-il, qu'il s'est occupé de linguistique et principalement pour y chercher des données sur les affinités naturelles des peuples. En 1859, il a publié une étude sur la langue mordvine qu'il comparait au finnois et au hongrois; cette étude était précédée d'un essai historique sur la famille ougro-finnoise. C'est en lisant la brochure du prince Bonaparte : Langue basque et langue finnoise, que l'idée lui vint d'étudier le basque pour vérifier les conclusions de cette brochure ; mais ses études l'entraînèrent plus loin qu'il ne se l'était proposé et il fut amené à présenter à l'Académie de Pest le mémoire spécial dont on lira ci-après la traduction.



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LANGUE BASQUE ET LANGUES FINNOISES 1862
PAR LE PRINCE LOUIS-LUCIEN BONAPARTE



...L'Académie hongroise, fondée en 1825, n'a commencé ses travaux qu'en 1830. Elle s'est occupée tout d'abord de la préparation d'une grammaire ainsi que d'un grand dictionnaire, dont les auteurs sont Grégoire Czuczor et Michel Togarassy et qui n'a été terminé qu'en 1872. François Toldy a tiré de l'oubli beaucoup d'ouvrages des derniers siècles. Antoine Reguly s'est l'un des premiers adonné à la linguistique ; de 1846 à 1854, il a fait un voyage scientifique en Finlande et dans le pays des Vogoules et des Ostiaques, mais sa mort prématurée ne lui a pas permis de recueillir tout le fruit de ses travaux; c'est M. Paul Hunfàlvy qui a publié les deux ouvrages de Reguly : Le pays et le peuple vogoul (A vogul föld és nép) et Légendes vogoules (Vogul Mondak).



...Toutes ces personnes publient incessamment d'excellents livres ; mais la plupart de ces volumes restent lettre morte pour les autres savants de l'Europe ; écrits en hongrois, ils sont en effet inaccessibles à presque tous les travailleurs. On le regrette d'autant plus que quelques travaux de la même école, composés dans des langues plus répandues et notamment les magistrales Ugrische Studien de M. Budenz, sont justement appréciés et tenus en haute estime.



Les langues finnoises sont si peu connues que j'ai presque été tenté de mettre en tête de ce volume une courte notice analogue aux descriptions des naturalistes et donnant sommairement la caractéristique de ces idiomes, s'il est permis de s'exprimer ainsi. Mais je n'aurai certainement pas affaire à des lecteurs tout à fait étrangers à la science du langage ; au surplus, cette publication a pour sujet l'escuara et non le magyare. Aussi vais-je me borner à rappeler en quelques traits rapides les principes essentiels de la linguistique moderne, à esquisser, au point de vue de l'étude positive des langues, la physionomie générale du basque et à rendre compte d'une façon aussi exacte que possible de sa répartition géographique et de ses variations dialectales. J'ajouterai quelques détails sur un problème qu'a effleuré M. Ribàry et que j'appelle "la question ibérienne". Mon but principal, en écrivant les lignes qu'on va lire, est en même temps de protester une fois de plus contre ces amateurs de rencontre, étymologistes désordonnés, poursuivants tenaces de la chimère de l'unité des langues, champions inflexibles de l'absolu, qui entrevoient sans cesse la liaison du sémitisme avec l'aryanisme, et qui, en attendant, ont inventé le touranisme. Expression commode, sonore, tout à fait vide de sens néanmoins, le touranisme a déjà fait quelque bruit dans le monde : il commence heureusement à être fortement battu en brèche par une vaillante armée de travailleurs ennemis des rêveries et des nébulosités métaphysiques.



La langue basque est une de celles qui ont le plus préoccupé les spécialistes ; sa position dans la série générale des idiomes est cependant aujourd'hui bien définie ; c'est une langue agglutinante et incorporante, avec des tendances au polysynthétisme. Elle se place par conséquent, dans la seconde grande classe morphologique des linguistes, entre les langues finnoises et celles de l'Amérique.



On sait que la science du langage, c'est-à-dire du phénomène essentiellement caractéristique de l'espèce humaine, est une science purement naturelle et n'a rien de commun avec la philologie, étude principalement historique. Qu'on l'appelle linguistique, glottique, glottologie et même, par un abus trop persistant, philologie comparée, la science du langage suit la méthode des sciences naturelles et ne procède que par l'observation et l'expérience. L'objet direct de son activité sont les organismes phoniques qui expriment d'une manière sonore la pensée et ses diverses manières d'être. Ces organismes sont des produits spontanés et inconscients des organes, soumis, en leur qualité d'êtres naturels, à la grande loi de la variabilité perpétuelle suivant les influences de milieu, de climat, etc., mais aussi incapables d'être modifiés sous l'action d'une volonté extérieure ou intérieure qu'un quelconque des êtres organisés qui nous entourent.



Le but du langage étant l'expression de la pensée et de ses nuances, du fait qui est à sa base et des modifications éprouvées par ce fait suivant le temps ou l'espace, on a constaté que les divers idiomes ont employé des moyens différents pour rendre le mieux et le plus vite possible l'idée, conception ou intuition, et sa forme variable, pour traduire avec exactitude la signification et la relation. On a classé à ce point de vue les langues en trois grands groupes : le premier, celui des langues isolantes où les racines monosyllabiques sont toutes significatives et où les relations ne s'expriment que conventionnellement, c'est-à-dire ne s'exprimaient pas à l'origine; le second, celui des langues agglutinantes où les relations sont rendues par des racines jadis significatives réduites à un rôle secondaire et subordonné ; enfin le troisième, celui des  langues à flexion où le changement de relation est indiqué par une modification dans la racine même, dans la voyelle radicale. On a reconnu que les idiomes du second groupe ont été isolants et que ceux à flexion ont passé par les deux autres états ; il faut en conclure que le langage est essentiellement progressif et variable dans le sens d'une amélioration constante de l'expression des relations. Mais, en étudiant les idiomes contemporains, nous constatons au contraire qu'ils sont souvent, à ce point de vue, inférieurs à leurs devanciers.



La contradiction n'est cependant qu'apparente. Ainsi que l'a démontré Schleicher, les langues naissent, s'accroissent, demeurent stationnaires, dépérissent et meurent, vivent en un mot de la même manière que les êtres organisés. Il y a eu dans toute langue deux périodes principales, celle du développement formel, pendant laquelle l'idiome passe de la première forme à la seconde en réduisant certaines racines à un rôle secondaire et dépendant, puis de la seconde à la troisième par un nouvel effort pour exprimer simultanément la signification et la relation ; — et celle de la décadence formelle, pendant laquelle, le sens primitif des affixes s'oubliant de plus en plus, ils s'usent, s'altèrent peu à peu et finissent souvent par se perdre. La décadence formelle commence dès qu'une langue arrive à l'histoire ; elle occasionne souvent des cas remarquables de métamorphose régressive. Une observation qui doit être présentée à ce propos, c'est que les langues agglutinantes connues ne sont arrivées à la vie historique, c'est-à-dire n'ont commencé à décroître, que sous l'action d'un idiome étranger soit isolant soit flectionnel. Pendant leur décadence, les langues peuvent néanmoins se donner des formes nouvelles ; mais ce sont alors uniquement des composés de mots exerçant déjà une fonction : l'homme historique n'a plus à sa disposition de racines nues.



Les êtres linguistiques sont d'ailleurs soumis à la loi terrible de la lutte pour l'existence, de la concurrence vitale. Beaucoup d'entre eux ont péri sans laisser de traces ; d'autres nous ont au moins légué quelques monuments écrits. Le basque, fortement pressé par le latin et ses dérivés, a sensiblement reculé en Espagne : au-delà de ses limites, en Navarre, il y a beaucoup de villages dont les noms sont basques mais où l'on ne parle plus que l'espagnol, et la région extrême du basque dans cette province n'a conservé cet idiome que chez le moindre nombre de ses habitants. Partout d'ailleurs, il s'altère : les enfants introduisent dans le vocabulaire des mots romans à la place des vieilles expressions indigènes ; dans les endroits où le contact avec les étrangers est le plus fréquent, où l'activité de la vie moderne se fait le plus vivement sentir, à Saint-Sébastien et à Saint-Jean-de-Luz, le langage devient d'une incorrection choquante. Tout fait prévoir la mort prochaine de l'escuara ou euscara ; c'est le nom que donnent au basque ceux qui le parlent. Ce mot parait signifier simplement "manière de parler" : tous les peuples ont eu, plus ou moins, la prétention qui poussait les Grecs à traiter les étrangers de Barbares.



Le prince L.-L. Bonaparte compte actuellement, sans parler des émigrants établis au Mexique, à Montevideo et à Buenos-Ayres, 800 000 Basques dont 660 000 en Espagne et 140 000 en France."



A suivre...



(Source : www.gallica.fr)



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