BAYONNE ET BIARRITZ COMMUNES DU LABOURD AU PAYS BASQUE VUES PAR HIPPOLYTE TAINE EN 1858 (deuxième partie)
BAYONNE ET BIARRITZ VUES PAR TAINE EN 1858.
Hippolyte Taine, né le 21 avril 1828 à Vouziers (Ardennes) et mort le 5 mars 1893 à Paris 6ème arrondissement, est un philosophe et historien français, membre de l'Académie française.
PORTRAIT D'HIPPOLYTE TAINE PAR LEON BONNAT
En 1855, Hippolyte Taine part suivre une cure médicale dans les Pyrénées au terme de laquelle il
rédigera son célèbre Voyage aux Pyrénées.
Voici ce que rapporta à ce sujet Hippolyte Taine dans son livre Voyage aux Pyrénées :
A une demi-lieue, au tournant d'un chemin, on aperçoit un coteau d'un bleu singulier : c'est la mer. Puis on descend, par une route qui serpente jusqu'au village.
Triste village, sali d'hôtels blancs réguliers, de café et d'enseignes, échelonnés par étages sur la côte aride ; pour herbe, un mauvais gazon troué et malade ; pour arbres, des tamarins grêles qui se collent en frissonnant contre la terre ; pour port, une plage et deux criques vides (port des Pêcheurs et port Vieux). La plus petite cache dans son recoin de sable deux barques sans mâts ni voiles, qu'on dirait abandonnées .
L'eau ronge la côte, de grands morceaux de terre et de pierre, durcis par son choc, lèvent à cinquante pieds du rivage leur échine brune et jaune, usés, fouillés, mordus, déchiquetés, creusés par la vague, semblables à un troupeau de cachalots échoués.
Le flot aboie ou beugle dans leurs entrailles minées, dans leurs profondes gueules béantes ; puis, quand ils l'ont engouffré, ils le vomissent en bouillons et en écume contre les hautes vagues luisantes qui viennent éternellement les assaillir. Des coquilles, des cailloux polis se sont incrustés sur leur tête. Les ajoncs y ont enfoncé leurs tiges patientes et le fouillis de leurs épines ; ce manteau de bourre est seul capable de se coller à leurs flancs et de durer contre la poussière de la mer.
LA ROCHE PERCEE BIARRITZ VOYAGE AUX PYRENEES 1855 H TAINE
A gauche, une trainée de roches labourées et décharnées s'allonge en promontoire jusqu'à une arcade de grève durcie, que les hautes marées ont ouverte et d'où la vue, par trois côtés, plonge sur l'Océan. Sous la bise qui siffle, il se hérisse de flots violâtres ; les nuages qui passent le marbrent de plaques encore plus sombres ; si loin que le regard porte, c'est une agitation maladive de vagues ternes, entrecroisées et disloquées, sorte de peau mouvante, qui tressaille et se tord sous une fièvre intérieure ; de temps en temps, une raie d'écume qui la traverse marque un soubresaut plis violent. Cà et là, entre les intervalles des nuages, la lumière découpe quelques champs glauques sur la plaine uniforme ; leur éclat fauve, leur couleur malsaine, ajoutent à l'étrangeté et aux menaces de l'horizon. Ces sinistres lueurs changeantes, ces reflets d'étain sur une houle de plomb, ces scories blanches collées aux roches, cet aspect gluant des vagues donnent l'idée d'un creuset gigantesque, dont le métal bouillonne et luit.
PLAGE DE BIARRITZ PAR GUTAVE DORE VOYAGE AUX PYRENEES 1855 H TAINE
Mais, vers le soir, l'air s'éclaircit et le vent tombe. On aperçoit la côte d'Espagne et sa traînée de montagnes adoucie par la distance. La longue dentelure ondule à perte de vue, et ses pyramides vaporeuses finissent par s'effacer dans l'ouest, entre le ciel et l'océan. La mer sourit dans sa robe bleue, frangée d'argent, plissée par le dernier souffle de la brise ; elle frémit encore, mais de plaisir, et déploie cette soie lustrée, chatoyante, avec des caprices voluptueux, sous le soleil qui l'échauffe. Cependant, des nuages sereins balancent au-dessus de lui leur duvet de neige, la transparence de l'air les entoure d'une gloire angélique, et leur vol immobile fait penser aux âmes du Dante arrêtées en extase à l'entrée du paradis.
La nuit, je suis monté sur une esplanade solitaire où est une croix, et d'où l'on voit la mer et la côte. La côte noire, semée de lumières, s'abaisse et s'élève en bosselures indistinctes. La mer gronde et roule sourdement. De temps en temps, au milieu de cette respiration menaçante, part un hoquet rauque, comme si la bête sauvage endormie se réveillait ; on ne la distingue pas, mais, à je ne sais quoi de sombre et de mouvant, on devine un dos monstrueux qui palpite ; l'homme est devant elle comme un enfant devant la bauge d'un léviathan. Qui nous promet qu'elle nous tolérera demain encore ? Sur la terre nous nous sentons maîtres ; notre main y trouve partout ses traces ; elle a transformé tout et mis tout à son service ; aujourd'hui le sol est un potager, les forêts un bosquet, les fleuves des rigoles, la nature une nourrice et une servante. Mais ici subsiste quelque chose de féroce et d'indomptable. L'Océan a gardé sa liberté et sa toute-puissance ; une de ses vagues noierait notre ruche ; que là-bas en Amérique son lit se soulève, il nous écrasera sans y penser ; il l'a fait et le fera encore : à présent il sommeille, et nous vivons collés à son flanc, sans songer qu'il a parfois besoin de se retourner.
II.
Il y a un phare au nord du rivage, sur une esplanade de grève et d'herbes piquantes. Les plantes ici sont aussi âpres que l'Océan. Ne regardez pas la place à gauche ; les piquets de soldats, les baraques de baigneurs, les ennuyés, les enfants, les malades, le linge qui sèche, tout cela est triste comme une caserne et un hôpital. Mais au pied du phare, les belles vagues vertes se creusent et escaladent les rochers, éparpillant au vent leur panache d'écume ; les flots arrivent à l'assaut et montent l'un sur l'autre, aussi agiles et aussi hardis que des cavaliers qui chargent ; les cavernes clapotent ; la brise souffle avec un bruit joyeux ; elle entre dans la poitrine et tend les muscles ; on respire à pleins poumons la vivifiante salure de la mer.
Plus loin, en remontant vers le nord, des sentiers rampent le long des falaises. Au bas de la dernière, la solitude s'ouvre ; toute chose humaine a disparu ; ni maisons, ni culture, ni verdure. On est ici comme aux premiers âges, alors que les vivants n'avaient point paru encore, et que l'eau, la pierre et le sable étaient les seuls habitants de l'univers. La côte allonge dans la vapeur sa longue bande de sable poli ; la plage dorée ondule doucement et ouvre ses golfes aux rides de la mer. Chaque ride avance, écumeuse d'abord, puis insensiblement s'aplanit, laisse derrière elle les flocons de sa toison blanche, et vient s'endormir sur la rive qu'elle a baisée. Cependant une autre approche, et derrière celle-ci une nouvelle, puis tout un troupeau qui raye l'eau bleuâtre de ses broderies d'argent. Elles chuchotent bien bas, et on les entend à peine sous les clameurs des vagues lointaines ; nulle part la plage n'est si douce, si riante ; la terre amollit son embrasement pour mieux accueillir et caresser ces mignonnes créatures, qui sont comme les petits enfants de la mer."
A suivre...
Merci ami(e) lecteur (lectrice) de m'avoir suivi dans cet article.
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