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mercredi 31 mars 2021

LES "PANDERISTES" ET LE CIRQUE PAR THÉOPHILE GAUTIER EN 1853

 LES PANDERISTES.


Le pandero est un tambour sur cadre semblable à un tambourin, mais au cadre plus profond et plus large. On le retrouve en Espagne (aussi "pandereta"), en France (aussi "tambour de Basque") au Portugal ("pandeiro") et en Italie ("tamburelo").




pays basque autrefois pandero
PANDERO ET ZAMBOMBA





Voici ce que rapporta à leur sujet le journal Vert-vert, du 22 janvier 1853, sous la plume de 

Théophile Gautier :



Les Panderistes Espagnols. 



Le Cirque, pour varier ses exercices équestres, a donné un intermède gracieux et bizarre, sous ce titre : les Panderistes, qui nous a fait le plus vif plaisir et a obtenu le plus grand succès. Qu'est-ce que des Panderistes ? demanderont tout d’abord les lecteurs curieux. Nous leur répondrons : ce sont des Pandereteros, et ils ne seront guère plus avancés. Un peu de patience, et tout s’expliquera. Pandero veut dire tambour de basque en espagnol, d'où panderetero, joueur de tambour de basque, que M. Dejean traduit par panderiste, comme de guitare on dérive guitariste ; vous voilà suffisamment édifiés, et vous avez compris de quoi il s’agissait.



Interrompant la fanfare rythmée qui règle le galop automatique des chevaux, l'orchestre fait entendre un prélude de cachucha. Vous vous attendez à voir jaillir de l’écurie des danseuses au grand peigne d’écaille, à la jupe rose frangée de volcans en dentelle noire, avançant leur petit pied cambré, secouant au bout de leurs doigts la grappe sonore des castagnettes ; mais deux hommes paraissent seuls ; ils se plantent au milieu de l’arène, se piètent dans une pose gracieuse et fière, écoutant d’un air distrait la ritournelle de l’air.



Ils sont jeunes, petits, minces, nerveux, fins comme des chevaux de race, d’une tournure héroïque et cavalière qui ne rappelle en rien les molles afféteries du danseur ; on sent qu’ils pourraient activer un convoi de mulets chargés de contrebande, manier l'espingole du guérillero ou planter les banderilles dans les épaules d’un taureau de Colmenar ou d’Utrera tout aussi bien que tanner le pandero pour l’ébahissement des Parisiens. Tous deux portent le sombrero calanestécimé, aux houppes de soie, aux bords de velours retroussés en turban, la veste passementée avec ses ferrets, ses aiguillettes et ses boutons de filigrane, la large ceinture de soie rouge, la culotte de punto, les guêtres de cuir de Ronda piquées d’arabesques et semblables à des knémides grecques ; c’est-à-dire le plus galant costume du monde moderne.



A un moment donné, ils jettent leur sombrero, comme le matador jette sa montera quand il va marcher sur le taureau ; ils secouent leurs noirs cheveux, font frissonner les plaques de cuivre de leurs tambours de basque et commencent. L’un des tambours fait le dessus, l'autre la basse, et l’air entier de la Cachucha est redit par les panderos avec une précision, une volubilité et une puissance de rythme extraordinaires.



La peau d’âne ronfle et babille sous le pouce des merveilleux panderistes et semble traduire toutes les notes comme un instrument complet. Bientôt la mesure s’accélère, une sorte de fièvre s’empare des deux Espagnols ; ils frappent leurs tambours de basque avec la tête, avec le coude, avec le genou, avec le pied ; ils se cambrent, ils se renversent, ils rasent la terre de leurs épaules, simulant, les poses de la danse dont ils exécutent l’air ; une ivresse de sonorité, un vertige de rythme, une folie de vitesse les emportent tous deux ; ils disparaissent presque au centre d’un éblouissant tourbillon de mouvement et de bruit ; puis, comme des chevaux arabes lancés à fond de train que le cavalier arrête subitement sur leurs quatre jambes, au risque de briser leurs jarrets d’acier, au plus fort de leur impétuosité, ils se figent sans transition dans une pose immobile, rêveuse et sereine ; et, comme s’il ne s’était rien passé tout-à-l'heure, ils semblent penser aux causeries sous les balcons de Grenade, aux brunes Andalouses qui se font une jarretière de la devise du taureau, aux bois d’orangers et de lauriers roses ou les jets d'eau jaillissent en fusée d’argent, aux mules couvertes de capes bariolées suivant d’un pied sur l'étroit chemin de la sierra d’Elvire...On ne saurait imaginer la grâce et le charme de ce temps d’arrêt au milieu de cette exécution fougueuse et passionnée.



L’air reprend, et l'effrénée bacchanale rythmique continue plus furieuse, plus échevelée, plus enragée que jamais. Nous ne savons pas comment les Menales jouaient du tambour de basque aux fêtes nocturnes de Lycoeus, quand les torches brillaient à travers les forêts de pins et que les panthères lascives se roulaient dans les herbes comme des chats en amour ; mais elles ne devaient pas en jouer d’une manière plus orgiaquement frénétique. A coup sur, elles ne gardaient pas cette justesse dans la fureur, cette précision de métronome au milieu du vertige ; car, chose admirable ! ce rythme, qui a pris le mors aux dents, ne frappe pas un temps à faux de ses sabots effarés ; ses bonds impétueux, désordonnés, gardent sévèrement la mesure.



Dans une de ces poses d’arrêt, les jeunes hommes placent leur panderos entre leurs genoux, et par le frémissement de leurs muscles ils les font résonner, palpiter et marquer le temps comme s’ils les tenaient à la main, sans que le corps se dérange d'une ligne, sans que rien trahisse l’effort.



En les entendant, il vous passe devant les yeux une troupe de danseuses idéales : vous croyez voir se tordre et se pâmer la Dolorès Serral, la Pepita Diez, l’Oliva, la Petra Camara, la Rosa Espert, toute la bande aux yeux noirs, aux dents blanches, dans un fourmillement de paillettes, dans un tourbillon de dentelles, sous une pluie de roses et de jasmins, accompagnées par le classement des castagnettes de toutes les Espagne.


danseuse catalane
SERRAL DOLORES ET MARIANO CAMPRUBI 1834
DANSANT LE BOLERO 


danseuse 1835 stephan
PETRA CAMARA




L’air fini, les panderistes saluent avec une majesté d'hidalgos, et se retirent au milieu des applaudissements de cette salle faite comme une place de taureaux. Un cheval pie commence son évolution circulaire, secouant un écuyer qui essaie nous ne savons quels exercices sur son dos. Quant à nous, une invincible nostalgie s’était emparée de notre âme, nostalgie qui dure encore à l’heure où nous écrivons ces lignes, près d'un feu de charbon dont le vent rabat la fumée, devant une fenêtre fouettée par la pluie, à la lueur d’un ciel blafard.— Nous avions oublié complètement le Cirque, ses chevaux, ses fanfares et ses ventilateurs aux lames de ferblanc tournant avec un bruit de crécelle ; nous ne voyions plus la belle frise de Barrias et de Gosse ; nous étions transportés, par un de ces mirages si fréquents de la pensée, à Malaga, au balcon de l'auberge des Trois-Rois...



...Ce malheureux air de tambour de basque du Cirque a réveillé en nous toutes sortes de souvenirs endormis, et nous a fait saigner le coeur le plus agréablement du monde ; il nous faudra plus d'un mois pour nous en remettre. Aussi, pourquoi diable allions-nous entendre des pandereteros, nous que le moindre cliquetis de castagnettes, que le plus léger ronflement de tambour trouble si profondément, et qui possédons à un degré si nerveux  et si maladif le sens de l'Espagne ! - Trois voyages au-delà des Pyrénées n'ont pas assouvi cette passion bizarre. Ni l'Italie, ni l'Afrique, ni l'Asie, ni la Grèce, malgré leurs merveilles, n'excitèrent jamais chez nous ce regret nostalgique qui fait pour nous de la cacucha une sorte de Ranz des vaches impossible à entendre."



(Source : Wikipédia)



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