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samedi 13 mars 2021

VINGT ANS D'INTIMITÉ AVEC EDMOND ROSTAND AU PAYS BASQUE (sixième partie)

 


VINGT ANS D'INTIMITÉ AVEC EDMOND ROSTAND.


Paul Faure a été l'ami et le confident d'Edmond Rostand pendant de très nombreuses années.



pays basque autrefois cambo rostand
LE PEINTRE PASCAU, FAURE ET ROSTAND ET MADAME ROSTAND  EN 1902
PAYS BASQUE D'ANTAN
COLLECTION MUSEE BASQUE BAYONNE


Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Les Annales politiques et littéraires, sous la plume de 

Paul Faure, dans son édition du 1er septembre 1927 :



"Arnaga, chef-d'oeuvre de Rostand. — Dessins, Croquis, Maquettes. — Premiers Travaux. —

Henry Bauer et Coquelin. — Départ  pour Paris. — Les Camelots et le discours. — 

Triomphale réception à l'Académie française. — Les années d'enfance contées par la mère de Rostand.



Retour des Rostand à Cambo. Accueil triomphal à la gare. La villa Etchegorria pleine de fleurs. Des monceaux de dépêches. Et un temps admirable.



Rostand est gai ; mais son triomphe à l'Académie, les fleurs, les dépêches ne sont pas tout dans sa bonne humeur. Il la doit aussi à la pensée qu'il va pouvoir se replonger dans la création d'Arnaga, s'y consacrer pendant des mois, sans être interrompu par rien. De longtemps, plus de voyage à Paris, plus de déplacements. Immobilité à Cambo.



Dès le lendemain de son arrivée, il court au chantier de sa future demeure.



Il y a tant d'ouvriers, sur ce plateau encore si récemment sauvage, qu'on ne sait si c'est une maison qu'on édifie ou une ville. Cette foule d'hommes occupés à piocher, défoncer, planter, cette procession de tombereaux qui ne cessent de déverser de la terre, ces monceaux de pierres, ces treuils, ce charroi continu, ce va-et-vient des contremaîtres donnant des ordres, tout cela rappelle, par l'activité, par la rapidité, par les transformations à vue d'oeil des lignes et des aspects, les travaux de la dernière Exposition Universelle, qui, du jour au lendemain, métamorphosaient un quai en sentier de jardin, faisaient pousser des palais en quelques nuits, plantaient en quelques semaines une allée de vieux arbres.



pays basque autrefois rostand
ARNAGA CAMBO
PAYS BASQUE D'ANTAN



Quand on pense à la rapidité avec laquelle s'éleva Arnaga, rapidité d'autant plus étonnante que presque tout ce qui servit à son ornementation fut envoyé de loin, de Bordeaux, de Paris, de Toulouse, du centre de la France, et même d'Angleterre, on serait tenté de croire que, s'il se fût agi de n'importe qui, les choses n'eussent pas marché avec cet ensemble. Mais il s'agissait de Rostand ; il était tellement l'homme du jour, depuis Cyrano tout le monde allait à lui dans un tel élan, qu'on se mettait en quatre pour lui être agréable. De même que, jadis, furent édifiées des cathédrales par des hommes qui en posaient chaque pierre, en sculptaient chaque détail, avec la foi, avec le désir de les vouloir belles, de même fut bâti Arnaga. Le moindre geste du moindre de ses ouvriers semblait rayonner de bonne volonté.



Personne ne fut attendu par Rostand avec plus d'impatience que l'architecte Tournaire. Dès que, sautant du train, il allait au chantier, Rostand partait le rejoindre. Pas un instant de la journée n'était perdu. Les plans en mains, tous deux voltigeaient de pierre en pierre, discutaient, combinaient, dans une activité de paroles et de gestes qui ne s'arrêtait pas une minute.



Un jour, on porta à Rostand une dépêche de sa mère et de son père qui lui annonçaient leur arrivée à Etchegorria pour un séjour de quarante-huit heures.



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ETCHEGORRIA CAMBO
PAYS BASQUE D'ANTAN



— Que va dire mon père, s'écria-t-il, quand il verra cet immense chantier, ces ouvriers en train de bouleverser la colline ? Il me traitera de fou !



Eugène Rostand, économiste célèbre, est un homme souriant. Par son aspect rond et amène, il fait penser à un chanoine satisfait et bien portant. Physiquement, il ne ressemble que vaguement, un peu par le nez peut-être, à son fils. Mme Eugène Rostand a la mobilité et la vivacité marseillaises. Elle a une voix forte et l'accent de la Provence. Je ne décrirai pas son visage, il a été extraordinairement rendu dans ses lignes et son expression par l'admirable crayon qu'en a fait Pascau.



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EUGENE ROSTAND


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ANGELE ROSTAND



Dès le jour de leur arrivée, Rostand emmena ses parents passer l'après-midi à Arnaga.




Je marchais à côté de Mme Eugène Rostand, Rostand était devant avec son père. Je ne pus ainsi entendre ce que dit celui-ci quand il aperçut le vaste plateau grouillant d'ouvriers. Mme Eugène Rostand, elle, s'arrêta, poussa une exclamation, leva les bras au ciel ; mais ces manifestations de l'ahurissement n'avaient rien de tragique, elles étaient, au contraire, empreintes d'indulgence et de bonne humeur.



J'avais là une excellente occasion d'obtenir des détails sur l'enfance du poète. Je ne donnai pas le temps à Mme Eugène Rostand de s'extasier sur les splendeurs ébauchées d'Arnaga, je la questionnai sans discrétion. Elle ne se fit d'ailleurs pas prier pour me répondre et eut même l'air ravie d'évoquer le passé de son fils.



pays basque autrefois rostand
ARNAGA CAMBO
PAYS BASQUE D'ANTAN



— Si je vous demande, lui dis-je, de me parler des jeunes années de votre fils, c'est que presque rien de l'enfance d'un être n'est sans conséquence. Chez l'enfant, les moindres impressions sont profondes, laissent en lui des traces que la vie n'efface guère. L'atmosphère dans laquelle il s'est développé, les êtres qui l'ont entouré, les paysages devant lesquels il a vécu sont autant de circonstances qui agiront sur lui, favoriseront ou empêcheront son éclosion, décideront peut-être de son avenir.



— C'est vrai ; mais ne croyez pas que l'enfance d'Edmond ait eu rien de bien particulier. Tout ce qu'on en peut dire, c'est qu'elle fut tranquille. Vous le savez, elle s'écoula presque toute à Marseille, et cela ne fut peut-être pas inutile au développement des dons de poète qui étaient en lui. Avec sa lumière, ses rues animées, ses foules bariolées, ses bateaux, son port, son aspect coloré, Marseille, par les masses d'images éblouissantes qu'elle offre sans cesse, ne peut qu'enrichir une sensibilité d'artiste. Et j'aime à croire que si le cours de ses études n'avait, plus tard, mené Edmond à Paris, il fût demeuré à Marseille, — ou, du moins, en Provence, comme tous ses ascendants.



"Originaires d'Orgon, petit village des environs d'Avignon, tous les Rostand naquirent, vécurent, moururent dans notre région. Alexis Rostand, arrière-grand-père d'Edmond, maire de Marseille, est élu député ; mais, ne pouvant se résoudre à quitter sa ville, il refuse le mandat que lui offrent ses concitoyens. Son fils Joseph, fonctionnaire à Marseille, s'éprend d'une Gaditane, Mlle Ferrari, dont il a deux enfants : Alexis, que vous connaissez, qui épouse une Marseillaise, et Eugène, mon mari. Je suis, moi, une pure Marseillaise, née à Marseille, ainsi que mes filles, Mme Mante et Mme de Margerie. Vous le voyez, toutes les racines de la famille d'Edmond plongent dans Marseille.



bouches du rhône
ORGON 
BOUCHES-DU-RHÔNE



Pas de petit garçon plus sage, plus raisonnable qu'Edmond. Il était le contraire des autres enfants, généralement turbulents et batailleurs. Il était ce qu'il est, en somme, aujourd'hui : plutôt silencieux et concentré. Il lisait beaucoup, adorait Walter Scott, et Napoléon le fascinait. Très vite son imagination fut vive ; très vite aussi s'indiqua chez lui le don de l'observation. Nous habitions alors, rue Monteaux, une maison qui est encore à nous ; c'est là, et à l'école Thédenat, aujourd'hui disparue, que se passa l'enfance d'Edmond. Son principal amusement était le guignol. Aidé d'un vieux domestique, un certain Antoine, ancien marin, il avait installé un petit théâtre de pupazzi, dont il faisait les décors et habillait les personnages. Sauf l'ancien marin et Mme Rey, la mère d'Ernest Reyer, le compositeur, personne n'assistait à ses représentations. J'ai dit qu'Edmond était la sagesse même ; pas tout à fait, cependant. Il y avait trois choses pour lesquelles il donna toujours du fil à retordre à ceux qui l'élevèrent : le réveil, la table, ses vêtements. Le réveil était un drame : il fallait littéralement tirer le dormeur du lit. A table, pour obtenir que mon fils avalât quelque chose, personne ne devait le regarder. Quant à ses vêtements, s'ils avaient la moindre tache, la moindre déchirure, c'étaient des scènes à n'en plus finir. Un jour, il eut un affreux chagrin pour avoir perdu un grand col. Mme Rey, touchée d'un tel désespoir, lui en donna un autre de précieuse dentelle, un si beau qu'Edmond ne voulut plus le quitter ; et un peintre de Marseille, M. Lagier, fit son portrait avec.



A l'école Thédenat, il fut un bon élève, sans plus. Il y était célèbre par ses bizarreries. Il avait, entre autres, l'étrange et coûteuse manie de jeter son mouchoir chaque fois qu'il s'en était servi ; aussi en avait-il toujours un paquet dans ses poches, comme on a un paquet de cigarettes. Heureusement qu'il ne s'enrhumait pas souvent ! De cette école, il a gardé un souvenir morose. La monotonie des jours toujours pareils, le lever à l'aube ; le départ, chaque matin, la tête encore brouillée de sommeil ; le retour, le soir, la serviette bourrée de devoirs à faire avant l'heure du coucher : tout cela, évidemment, n'était pas fait pour enchanter un imaginatif comme lui. Mais, en revanche, quelle joie quand arrivaient les grandes vacances ! Quel délice ! D'autant plus qu'elles marquaient le départ pour Luchon où, du matin au soir, la vie n'était qu'amusements.



Nous restions là-bas deux mois, jusqu'à la rentrée des classes. Le départ était un déchirement. Mon fils aima toujours les Pyrénées, les préféra à la ville natale, peut-être parce qu'elles servirent de cadre à cette époque ensoleillée entre toutes qu'est pour les jeunes gens la période des vacances, et à cette autre, plus ensoleillée encore, des fiançailles : car c'est à Luchon que mon fils devait rencontrer Mlle Rosemonde Gérard.



Vous voyez qu'Edmond ne fut guère différent des autres enfants de son âge. Peut-être seulement qu'un observateur attentif eût deviné sa sensibilité, sa perspicacité et son imagination.



Il grandissait. Le moment des études sérieuses et de la préparation au baccalauréat était venu : l'école Thédenat ne suffisait plus. Nous le mîmes au lycée de Marseille. Il y fut tout de suite un élève exceptionnel. Plusieurs de ses condisciples et de ses maîtres, que j'ai souvent vus depuis, aiment à en évoquer le souvenir. M. Bonnefon, chargé alors du cours de littérature française au lycée, — et qui occupe, aujourd'hui, une chaire à la Faculté d'Aix, — m'a souvent dit le plaisir qu'il avait à lire la copie d'Edmond à tous les élèves. L'actuel principal du collège de Dreux, qui était le camarade de classe de mon fils, a récemment conté, dans une lettre aux Annales, le brillant condisciple qu'il eut en Edmond ; Paul Brulat s'en souvient, lui aussi.



Une date est particulièrement marquante dans ces années de collège : celle où Edmond présenta à M. Doin, son professeur, une traduction en vers français de la pièce de Catulle sur le moineau de Lesbie. Le premier mouvement du professeur fut de se fâcher. Cette liberté était un tel accroc aux règlements ! Mais il trouva ces vers si parfaits que, loin de se fâcher, il ne put s'empêcher d'en faire la lecture du haut de sa chaire aux élèves, qui les accueillirent par des bravos. Edmond était sacré poète. C'est cette même année (1884) qu'il publia ses premiers poèmes dans Mireille, petite revue qui paraissait à Marseille.



De tous ceux qui dirigèrent l'instruction d'Edmond, celui qui veilla le plus attentivement sur lui fut certainement son père. Mais ce fut un maître sévère ! Mon fils avait-il les meilleures notes, arrivait-il premier dans les compositions, quelques mots d'encouragement étaient sa seule récompense. Ces compositions hebdomadaires, mon mari en recevait chaque samedi soir, par les soins du proviseur, le résultat pour toute la classe. Il le lisait aussitôt à Edmond, mais en commençant par l'élève arrivé dernier. Edmond tremblait un peu, il ne se rassurait qu'à mesure que, l'énumération diminuant, son nom tardait à venir. Pour prolonger le supplice, mon mari faisait une pause entre chaque nom, s'arrêtait, prenait son mouchoir, toussait.



Vint le baccalauréat, qu'Edmond passa brillamment. Puis mon mari, malgré son regret d'abandonner son élève, résolut de l'envoyer à Paris.



Et ce fut Stanislas.



Séparation pénible pour nous et pour Edmond.



Pensez donc ! Nous ne l'avions jamais quitté. Tout, de ce changement, lui fut un chagrin : les adieux rue Monteaux, le long voyage, l'arrivée à Paris, le dépaysement dans l'immense ville qu'il n'avait jamais vue, le brouillard de là-bas après la belle lumière de Marseille, puis les bâtiments maussades, rébarbatifs, du collège, la grosse porte qu'on ouvre et referme, l'attente dans le parloir sévère, la première entrevue avec le supérieur, les longs couloirs, les dortoirs. Personne, certes, n'a gardé un souvenir agréable de ces entrées au collège, qui sont un peu des entrées en prison ; mais pour Edmond, choyé, imaginatif, sensible, ce fut peut-être pire que pour les autres. Et son premier contact avec les élèves (il m'a conté cela bien souvent, il en riait plus tard) ne fut pas pour lui adoucir ces impressions si tristes. Ses condisciples l'attendaient avec cette curiosité malicieuse dont on guette toujours, dans les écoles, le nouveau venu. Leur attente ne fut pas déçue ; ils eurent de quoi exercer leur raillerie sur l'accent marseillais, sur la façon méridionale de rouler les r, qu'Edmond avait en ce temps-là. Mais ces moqueries ne durèrent pas. En composition française, en histoire, en philosophie, Edmond se classait premier. Les élèves n'en revenaient pas, d'autant plus que rien, chez le silencieux "nouveau", n'annonçait de si brillants débuts. De ce jour, les rieurs de la veille devinrent ses amis.



Edmond sortait les jeudis et les dimanches ; et les sorties lui étaient d'autant plus agréables que son correspondant, M. de Villebois-Mareuil, était un homme charmant. Il n'avait rien de pontifiant, rien du correspondant habituel qui se pose en maître et continue le professeur, auquel il n'est que juste que l'enfant désire échapper un peu.



M. de Villebois-Mareuil était un camarade pour Edmond ; s'il lui parlait de ses études, s'il les surveillait et s'y intéressait, il tenait surtout à le distraire. Aussi, chaque jeudi, chaque dimanche, allaient-ils ensemble au théâtre et au restaurant, comme deux amis du même âge.



C'est de ce temps-là que datent les premières oeuvres de mon fils : Les Petites Manies, une pièce restée inédite, et une nouvelle en prose : La Bruyère. C'est en ce temps-là aussi qu'il connut à Stanislas un vieux maître d'études, prodigieusement laid de visage, mais sentimental, triste, rêveur, d'une imagination ardente, un pauvre bonhomme, tout rayonnant d'une belle âme que les malheurs n'arrivaient pas à ternir : c'est celui dont Edmond a fait le Pif-Luisant des Musardises, et auquel il a probablement songé en écrivant Cyrano.



Mais tout cela, il vous le contera lui-même mieux que moi. Il a d'abondants souvenirs sur Stanislas. Il vous parlera de ses condisciples, dont plusieurs devaient arriver à la notoriété, comme Pierre Lasserre et Henri Vaugeois. Il vous parlera d'un certain Desjardins, un extraordinaire professeur, passionné de poésie, qui commentait Homère en dansant des danses grecques, et qui pleura le jour de la mort de Victor Hugo. En somme, avec tous les amis qu'il se fit, la sympathie de ses maîtres, la compagnie de Villebois-Mareuil, ses succès aux concours, Edmond ne passa pas trop désagréablement ses deux années d'internat. Et puis, elles furent coupées par les vacances : en août et septembre, Luchon avec ses délices ; au premier de l'an et à Pâques, la rue Monteaux, la vieille maison retrouvée. Mais les pupazzi étaient oubliés. Le grand amusement était, maintenant, l'arrangement de la maison, le bouleversement des meubles, des tentures, des tapis, des objets. Je vous donne ce détail, parce qu'il annonce Arnaga.



Edmond avait atteint l'âge de choisir une carrière. Lui n'en voyait qu'une : les lettres, la poésie. Sa pensée prenait si rapidement et, il faut le dire, si parfaitement, la forme du vers, qu'être poète lui semblait ce qu'il y avait de plus désirable au monde. Il s'en ouvrit à son père, et ce fut tout de suite l'obstacle. Mon mari, qui adorait les vers, qui en avait lui-même publié deux volumes, écouta Edmond avec un secret plaisir, mais qu'il se garda bien de laisser voir. La poésie, lui dit-il, pouvait être un passe-temps, une élégance, un art d'agrément, comme la flûte ou le violon, mais elle n'était pas une profession, un but. Aussi exigea-t-il qu'il eût une carrière précise, et qu'il commençât par faire son droit ; cela n'empêchait pas la littérature.



Tomber de Musset en Dalloz, passer de la prosodie au code, la chute était d'importance ; mais Edmond, habitué à ne pas s'insurger contre les décisions paternelles, se résigna. Tout ce qu'il obtint, ce fut de faire son droit à Paris.



Il fut tel à Paris qu'à avait été à l'école Thédenat et à Stanislas : sérieux, studieux. Il travaillait ; mais chaque soir, les cours terminés, il allait chez son ami Henry de Gorsse, le futur auteur dramatique ; et là, on parlait beaucoup plus de littérature que de droit. C'est à cette époque (1888) que l'Académie de Marseille, distribuant plusieurs prix, dont un important, le prix du Maréchal de Villars, donna pour sujet de concours : Deux Romanciers de Provence. Le Roman Sentimental et le Roman Naturaliste : Honoré d'Urfé et Zola. Edmond eut le prix. Ce succès ne pouvait qu'encourager l'écrivain naissant. Plus que jamais, Edmond pensa aux lettres. Et si, des fois, il travailla son droit avec ardeur, ce fut pour s'en débarrasser vite et se consacrer davantage à la poésie.



En août, la Faculté fermée, Edmond nous rejoignit à Marseille, et nous partîmes pour le bienheureux Luchon, où on retrouva Henry de Gorsse et les distractions habituelles. Le grand amusement de cette année fut le théâtre. Les pupazzi de la rue Monteaux, la petite scène aux décors installés par l'ancien marin, avaient laissé à Edmond un souvenir tenace. Et il se proposait, maintenant, d'écrire de petits dialogues que joueraient, non pas des poupées de toile et de son, mais de vrais acteurs. Il est certain que, dès cette époque, Edmond avait le sens du théâtre, et particulièrement du théâtre d'imagination. Tout de suite, il se révéla, aux yeux de ceux qui assistèrent à ses premiers essais, comme ayant une connaissance innée de tout ce qui est l'art de l'acteur. D'instinct, il savait les silences qui donnent de la valeur aux mots comme les pauses dans la musique ; il avait l'intuition des gestes qu'il faut, des attitudes, des expressions, de tout ce par quoi un rôle prend du relief. Avec Henry de Gorsse, il installa une scène dans le jardin de notre villa et joua devant quelques amis plusieurs pièces, notamment le Jean-Marie, de Theuriet, et une Nuit, de Musset.


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HENRY DE GORSSE


Cet amour du théâtre n'empêcha pas les excursions en montagne. Elles reprirent de plus belle ; et il ne se passa pas de jour que mon fils n'entreprît quelque ascension à pied ou à cheval avec ses amis, dont de Gorsse était toujours. L'hospice Saint-Béat, le Portillon, Superbagnères, le Pont-du-Roi, toutes les courses possibles dans les environs de Luchon, ils les firent et les refirent. On partait tôt, le matin. A midi, on déjeunait au bord die quelque cascade, à l'ombre des sapins. On revenait le soir juste à temps pour dîner.



Promenades d'autant plus inoubliables que c'est au cours de l'une d'elles qu'il fit la connaissance de Mlle Rosemonde Gérard. Sortant du couvent, elle était venue passer l'été à Luchon avec sa mère. Un jour, dans une excursion au Port-de-Vénasque, elle eut un accident de cheval. Elle avait un anneau d'argent qu'elle perdit ; mon fils lui en offrit un autre. Vous le connaissez par le poème dont elle est l'auteur, et que Chaminade a mis en musique. Assez sérieusement blessée, elle fut soignée par Mme Constans, la femme du ministre. C'est pendant sa convalescence qu'elle se fiança à Edmond, et le 8 avril 1890, à Paris, qu'ils se marièrent.



Leurs premières années de mariage, leur installation rue Fortuny, Les Deux Pierrots, Les Romanesques, tout cela, c'est à ma belle-fille de vous le conter. Et tenez, voici qui tombe à merveille. Je l'aperçois qui vient à nous."



En effet, Mme Edmond Rostand, qui était venue nous rejoindre à Arnaga, avançait vers nous, entre son beau-père et son mari. Elle nous interrogea, de ce mouvement de la tête un peu à droite et de ce sourire qui lui sont familiers.



— Je racontais à Paul Faure, fait Mme Eugène Rostand, les années d'enfance d'Edmond : Marseille, Stanislas, puis Luchon, puis vos fiançailles.



Rostand lève lentement les bras au ciel, dans un geste qui exprime que tout cela est loin.



M. Eugène Rostand, un peu à l'écart, regardait l'immense chantier, la foule des ouvriers bousculant le terrain, entassant les pierres. Il se tourna vers nous.



— Il voit grand, Edmond, fit-il, il voit grand !



Le jour se décolorait.



C'était l'heure de rentrer, l'angélus sonnait à Espelette. On entendait la cloche qui se balançait là-bas, au sud. Elle se balançait lentement, lentement, tout au fond du silence."



A suivre...







 



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