LES BASQUES À SAINT-PIERRE-ET-MIQUELON.
C'est sur un territoire de 242 km2, composée de deux îles principales : Saint Pierre et Miquelon, à vingt kilomètres du Canada avec Terre-Neuve, et ses célèbres bancs de morue que s'est constituée cette huitième province Basque, non officielle.
Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Ce Soir, le 22 mai 1938, sous la plume de Louis Parrot :
"Une colonie française allait mourir.
La vieille et glorieuse escale des morutiers aux côtes d'Amérique.
Saint-Pierre et Miquelon seront sauvées si l'on veut bien en faire des bases pour l'aviation maritime...et si la crème d'oursin supplante le caviar sur la table des gourmets.
Dinan, 21 mai (par téléphone).
— Pour les marins normands et bretons, pour les pêcheurs basques qui s'en furent, dès les débuts du XVIe siècle, à la conquête de nouveaux continents, de l'autre côté de l'Océan, la capitale de la France n'était pas Paris. C'était Brest, Saint-Malo, Coutances...
Les terres qu'ils découvrirent et sur lesquelles ils se fixèrent portent aujourd'hui encore des noms semblables à ceux des rivages de France. Dans cet immense empire de la brume et des glaces, on parlait autrefois d'une ville mystérieuse, Brest, chef-lieu de la Nouvelle-France, capitale bretonne du Labrador où vivaient, vers 1600, quelques milliers de pêcheurs et de marchands.
Le Bulletin des Iles de la Madeleine, publié à Cap-aux-Meules en langue française à l'usage de sept à huit mille Madelinots, parle parfois de ces anciennes capitales des îles franco-américaines.
Depuis longtemps, la vraie capitale des possessions françaises du Nord de l'Amérique n'est plus Québec ou Montréal, c'est aujourd'hui Dinan.
On s'étonnerait de ce que la vieille ville d'Anne de Bretagne, cette curieuse cité bretonne aux rues tortueuses, aux vieilles églises, aux remparts dressés sur l'admirable vallée de la France, ait quelque lien avec ces îles lointaines, si l'on ne savait que leur "administrateur spirituel" n'est autre que le maire de la ville, M. Michel Geistdoerfer. Député des Côtes-du-Nord et président de la commission de la Marine marchande à la Chambre, M. Geistdoerfer représente également Saint-Pierre-et-Miquelon au Conseil supérieur de la France d'outre-mer, dont il est le vice-président. Dinan qu'il administre depuis des années doit à cet homme débordant d'activité la création de maintes œuvres sociales et d'un splendide aéroport. Demain, notre colonie américaine lui devra peut-être sa résurrection.
MICHEL GEISTDOERFER DEPUTE DES CÔTES-DU-NORD |
Sant-Pierre-et-Miquelon ! Souvenirs d'école...
Pour l'enfant amoureux de cartes et d'estampes, ces deux noms n'évoquent rien d'autre que deux minuscules points noirs sur la planisphère et deux mots soulignés d'un trait rouge pour indiquer qu'il s'agit bien des colonies françaises.
S'il veut des renseignements plus complets, les dictionnaires lui apprendront que ces colonies ont une superficie de 2 800 hectares, que quatre mille âmes y vivent dans une situation fort précaire et que, tout compte fait, il ne s'agit là que d'îlots perdus.
CARTE DE TERRE-NEUVE |
Ilots perdus ? Seraient-ils perdus pour la France ? On croirait que ces deux îles, ces deux fragments de notre territoire national se sont tellement éloignés de la côte française, qu'ils ont disparu un jour dans les brumes et que nous les avons définitivement perdus de vue. Mais regardez la carte. Les côtes déchiquetées de Terre-Neuve, de ce continent glacé qui pèse de tout son poids sur elles, ressemblent tellement aux côtes de Bretagne qu'elles en ont pris jusqu'aux noms : baie des Trépassés, cap Frehel, Belle-Ile...
Sans doute, Saint-Pierre-et-Miquelon devaient appartenir au même archipel que Belle-Ile et qu'Ouessant. Ce n'est pas de leur faute si elles ont eu l'imprudence de dériver si loin, s'il faut un bon mois pour toucher l'archipel, après être descendu au Canada, s'être embarqué pour Terre-Neuve, avoir parcouru 600 kilomètres en chemin de fer et pris à Saint-Johnes la chaloupe à vapeur qui vous met, deux heures plus tard, à la hauteur de l'Isle-aux-Chiens, copie minuscule et parente pauvre de l'île Saint-Pierre. Ce n'est pas de leur faute, non plus, si les pouvoirs publics ont oublié qu'elles sont une de nos plus anciennes colonies, depuis plus longtemps françaises que certaines de nos provinces les plus françaises.
Et puis, des bruits ont couru.
On a dit, on a publié que devant l'impossibilité où la France se trouvait de faire vivre la colonie, on allait déporter, rapatrier — si l'on ose dire — ces quatre mille Français, descendants des Basques, des Normands et des Bretons qui la colonisèrent voici bientôt trois siècles. Des esprits malveillants, ou intéressés, ont laissé entendre, voici déjà trois ans, que la France avait demandé an Canada de lui concéder une enclave pour y établir les Saint-Pierrais. Certains autres ont prétendu que la population serait, sons peu, invitée à se rendre sur d'"autres terres de colonisation".
Ce serait mal connaître la France que de lui prêter d'aussi ridicules intentions. A l'heure où une véritable "course aux îles" met aux prises les pays d'Occident, pour qui la possession du moindre rocher représente la possibilité d'un relais aérien, d'une escale, la France abandonnerait Saint-Pierre, "désaffecterait" ces îles et donnerait ainsi raison à ceux qui lui dénient toute qualité de puissance colonisatrice.?
Il ne peut en être question.
— Au contraire, m'apprend M. Michel Geistdoerfer que je rencontre ce matin devant cette chambre des métiers de Dinan qu'il a fondée, nous allons sauver notre colonie de la déchéance qui la guette. On a trop ignoré, en France, quelle était la situation économique de nos deux îles, les seuls restes de notre empire d'Amérique du Nord. Ruine, misère, chômage.. tous les malheurs sont venus à la fois. Mais, nous allons y remédier d'urgence. Tenez, voici le programme sur lequel nous nous sommes arrêtés et qui devra être exécuté sans retard.
DRAPEAU DE ST PIERRE ET MIQUELON |
Le Quai des Brumes.
— Où est-elle, monsieur, nous disait un Saint-Pierrais, l'époque où l'on buvait du champagne à même les tonneaux ! C'est bien fini maintenant. Tout ça c'est de l'histoire ancienne...
De fait, la colonie a une histoire; cela vaut dire qu'elle a connu des jours malheureux, des heures funestes mêlées à des heures glorieuses, des années sombres et des moments de prospérité. Mais ces derniers ont été toujours les plus courts... Depuis plus de 250 ans que nous appartient l'archipel, la chronique saint-pierraise ne compte plus les catastrophes économiques et les infortunes militaires : nos amis les Anglais y firent de fréquentes incursions et, à plusieurs reprises, de longs séjours.
En 1793, leur flotte s'empara de Saint-Pierre. Toutes les maisons furent détruites : dans la crainte qu'elles ne fussent rapidement reconstruites, on emporta les matériaux et cet arbre de la Liberté que les sans-culottes saint-pierrais venaient de planter devant la maison commune, un beau sapin qu'ils étaient allés chercher à Terre-Neuve, car il n'y avait pas d'arbres à Saint-Pierre.
CARTE ST PIERRE 1793 |
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