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mardi 2 mars 2021

LA FRONTIÈRE FRANCO-ESPAGNOLE AUX ALDUDES EN BASSE-NAVARRE AU PAYS BASQUE EN 1841

LES ALDUDES EN 1841.


La commune des Aldudes compte, en 1841, 2 832 habitants et est administrée par le Maire Charles Schmarzow.




BLASON DES ALDUDES BASSE-NAVARRE
PAYS BASQUE D'ANTAN



Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Le Siècle, le 29 juin 1841 :



"...La question relative aux Aldudes est sans doute une des plus minimes qui puissent exister entre la France et l'Espagne, mais dans un moment d'irritation, elle peut servir de prétexte à une rupture, et il est important dès lors qu'elle soit bien connue pour éviter tout malentendu. 



Le principe adopté pour la délimitation de ce pays est que chaque versant de la chaîne des Pyrénées appartient au pays qui lui est contigu ; d'après ce principe, le versant nord appartiendrait en entier à la France et le versant sud à l'Espagne. Cependant ce principe a souffert de nombreuses exceptions; elles comprennent : 1° à l'avantage de la France, l'ex-Cerdagne française, dans le département des Pyrénées-Orientales, faisant partie du bassin de la Sègre ; dans le département des Basses-Pyrénées, une portion de la forêt d'Irati, faisant partie du bassin de l'Irati, affluent de l'Aragon ; 2° à l'avantage de l'Espagne, la vallée d'Âran, en Aragon, faisant partie du bassin de la Garonne ; le Val Carlos, en Navarre, faisant partie du bassin de la Nive ; quelques portions des Aldudes faisant partie du même bassin ; la vallée d'Urdach et de Zugarramurdi, en Navarre, faisant partie du bassin de la Nivelle, et la partie supérieure d'un petit ruisseau qui se jette dans la Nive, à Bidarray.  



Lorsque les détails de la délimitation furent réglés en 1783, la France avait un grand intérêt à ménager l'Espagne, qui avait été sa fidèle alliée, pendant la guerre de l'indépendance américaine, contre l'Angleterre, et les instructions données au général d'Ornano, chargé de cette délimitation pour la France, furent rédigées dans un sens très favorable à l'Espagne. Il en résulta que les intérêts français furent presque partout sacrifiés. Ce traité n'a jamais été ratifié, les circonstances étant venues modifier la situation respective des deux pays. Depuis lors, la question a été examinée des deux parts, et un projet de compensation a été proposé à la France par les commissaires, d'après lequel la France reprendrait la vallée d'Aran, le val Carlos, les Aldudes entières et la ligne de la Nivelle, et rendrait la Cerdagne française et la forêt d'Irati. Les territoires se compenseraient à peu près, et il y aurait à l'avantage de la France une population d'environ 2 000 âmes. Mais, en s'arrêtant à la ligne de la Nivelle, à l'ouest, la France fait une large concession ; car, si l'on jette un coup d'oeil sur la carte, on verra que la chaîne est loin de se terminer au bassin de cette rivière, mais qu'elle englobe celui de la Bidassoa et se termine au cap du Figuier, qu'on appelle en basque la montagne d'Aïrquibel, et qui était le promontoire d'Oiarso de Strabon. Une partie du bassin de cette rivière jusqu'à Véra appartient en entier à l'Espagne ; le reste, de Véra à la mer, forme frontière entre les deux pays. Mais cette ville très peuplée, et qui n'a jamais cessé d'appartenir à l'Espagne depuis 1512, que la Navarre a été réunie à la couronne de Castille, ne pourrait sans grands inconvénients changer de nationalité. Il n'en est pas de même des autres parties qui ne se composent que de villages peu importants. Dans tous les cas, le port du Passage, qui est derrière la montagne d'Aïrquibel, ne peut appartenir à ce système ; il fait partie du bassin d'une autre petite rivière qui ne peut être regardée comme appartenant au versant français, pas plus que toutes celles qui se jettent dans le golfe de Gascogne jusqu'à Santander. 



Mais il y aurait un très grand avantage à ce que le traité fût conclu sur les bases, ci-dessus qui sont, sauf ce qui concerne la Bidassoa, entièrement conformes au principe général de la délimitation par les deux versants.



Quant aux Aldudes, voici ce qui concerne ce petit pays, dont l'histoire est très intéressante à étudier sous les rapports politiques et sociaux. 



Lorsque la Navarre fut incorporée à la Castille, par la faute des rois Charles VIII, Louis XII et François Ier, qui ne soutinrent point la maison d'Albret, absorbés qu'ils étaient par leurs absurdes prétentions sur l'Italie la be mérindad de Navarre, qu'on appelait mérinda de Ultra-Puertos, ou d'au-delà des ports (on appelle ainsi les cols dans les Pyrénées), resta seule à la maison d'Albret et a depuis été réuni, sous Henri IV, à la couronne de France, qui en a fait son second titre de suzeraineté. Ce royaume de Navarre ne comprend que quatre cantons actuels, ceux de Saint-Jean-Pied-de Port, de Baigorry, de Saint-Palais et d'Iholdy. Les dernières vallées opposées des deux pays étaient, dans la Navarre française, la vallée de Baigorry, et dans la Navarre espagnole la vallée d'Erro, séparées toutes deux par les cols d'Ourliague et d'Ibagnotie, Les chefs-lieux de ces vallées étaient seuls habités, et les pasteurs qui en faisaient partie, remontant leurs vallées respectives, faisaient paître leurs troupeaux aux environs de la ligne de partage dans une roue d'environ 50 000 mètres à peine habitée et qui suffisait amplement au parcours des bestiaux. Mais les pasteurs français en s'étendant vers le sud y formèrent des établissements ; ce n'étaient d'abord qu'une chapelle entourée de cabanes, puis cette chapelle devenait une paroisse et une commune ; le premier établissement, au sud de la vallée de Baigorry, fut celui de Banca, où existe une forge importante ; le deuxième fut celui des Aldudes. Ce petit pays, au sud de la vallée de Baigorry, était d'abord indivis, comme son nom l'indique (Aldudes, en vieil espagnol le doute). Ce pays était alors entièrement boisé, et les pasteurs des deux pays venaient l'habiter l'été ; ils y construisirent alors des cabanes, et pour le service religieux une chapelle nommée Sainte Marie des Aldudes, que venait desservir tous les dimanches un vicaire de Baigorry. Ces cabanes devinrent successivement plus habitables et finirent par devenir des maisons véritables pour toute l'année. C'est ainsi qu'une population mixte, venue des vallées d'Erro et de Baigorry, a formé dans ce petit pays un établissement fixe qui se compose aujourd'hui de plus 2 700 âmes. Une portion de cette population était espagnole et reconnaissait la juridiction de l'alcade d'Erro, l'autre était française, c'était la plus nombreuse, et la coutume l'assujettit à la loi française, de plus elle dépendait de Baigorry pour la juridiction ecclésiastique. Cependant les habitants d'origine espagnole conservèrent leur nationalité et ils la conservent encore, car il y a aujourd'hui même dans la commune cinq à six familles espagnoles qui ne sont point soumises aux lois françaises et présentent l'anomalie unique d'une population étrangère jouissant de ses droits au milieu du sol français. 



Le traité dé 1785 reconnut cet état de choses ; mais au lieu de transporter la ligne frontière à la crête des montagnes, les commissaires tracèrent trois lignes droites purement arbitraires qui coupent les parties supérieures des ruisseaux extrêmes du versant français, laissant ainsi entre ces lignes et la crête des montagnes une zone qu'on appelle pays indivis ou pays quint, lequel est l'objet du litige actuel. Mais le traité de 1785, même en supposant qu'il fût admis, par la France et ratifié par les deux pays, ce qui n'est pas, a laissé libres et intactes les conventions coutumières entre les deux populations frontalières. Qui stipulera que les pasteurs des deux frontières pourront faire paître leurs troupeaux dans le pays contesté, mais de soleil à soleil seulement, et ne pourront construire que des habitations ou cabanes en branchages pour la saison des pâturages seulement ? 



Voilà les modestes privilèges que l'on conteste à nos pasteurs, privilèges dont les Espagnols eux-mêmes jouissent dans toute l'étendue de la frontière des Pyrénées, et qui n'est que le résultat de la nature même des choses, la ligue de séparation ne pouvant être tellement marquée qu'on puisse empêcher les bestiaux de la franchir. 



Le gouvernement espagnol s'est assez peu occupé en général des réclamations ou des prétentions de ses régnicoles de la vallée d'Erro, d'autant plus qu'ils appartiennent à un pays presque indépendant ; mais il les a laissé faire, et s'ils n'ont pas manqué de faire valoir ces prétentions lorsqu'ils ont cru l'occasion favorable, ils l'ont fait en 1852, en occupant de fait le pays indivis et en s'emparant des troupeaux de nos pasteurs ; ceux-ci les ont repris à main armée et les ont poursuivis jusque dans leurs villages. Cette fois ils ont été plus prudents et ils se sont bornés à une notification menaçante. Les alcades des vallées d'Erro et de Baztan ont signifié aux maires des Aldudes et de Baigorry que si les pasteurs français menaient paître leurs troupeaux le 25 mai sur le territoire indivis, on les confisquerait. 



La population mâle des Aldudes, au nombre de 1 809 hommes, s'est rendue sur le territoire avec ses troupeaux ; ils avaient des tambourins pour musique militaire, un chirurgien pour panser les blessés et un vicaire pour les assister. Deux compagnies de troupes françaises étaient réunies sur le territoire français pour en empêcher l'accès. Les autorités françaises avaient, dès le 15 mai, prévenu les autorités espagnoles de ce qui se passait, pour empêcher toute collision, et dès lors ces autorités avaient tout le temps nécessaire pour ramener à l'ordre les alcades qui se permettaient de signifier eux-mêmes des ultimatum à une population étrangère. Ces mêmes autorités ont mieux aimé en référer à leur gouvernement, lequel n'a pas donné signe de vie et n'en a pas moins pompeusement déclaré, dans les cortès, que si le territoire était menacé, il le ferait respecter. 



Le territoire espagnol n'a point été violé : les pasteurs français étaient dans leur droit en occupant le 25 mai, jusqu'au coucher du soleil, une zone où ils ont le droit de parcours, les autorités civiles et militaires françaises étant en observation sur le territoire français pour empêcher toute collision. Chacun était donc dans son droit. 



Cela n'empêchera pas les Espagnols, qui se rendent momentanément à la conviction de leur impuissance, de nous garder rancune et de réserver leurs prétendus droits pour une meilleure occasion, et c'est une raison de plus pour les deux gouvernements de terminer promptement à l'amiable une question qui peut devenir un prétexte de brouille, si on la laisse livrée aux prétentions de l'intérêt particulier. 



Ce qu'il y a de plus étonnant dans toute cette affaire, c'est que les habitants de la frontière dé France sur ce point ont exercé pendant la dernière guerre une admirable hospitalité envers leurs voisins espagnols. Le territoire des Aldudes a été le refugium peccatorum des deux partis, qui y ont reçu successivement asile et protection selon leurs fortunes respectives, et le village de Valcarlos, qui est aujourd'hui le plus acharné contre nous, à été le plus secouru par ses voisins de Saint-Jean-Pied-de-Port et de Baigorry ; il doit même à leur intervention efficace et généreuse de n'avoir jamais été exposé aux horreurs de la guerre civile, et c'est ainsi que l'on récompense ses bienveillants défenseurs."






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