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lundi 15 mars 2021

L'AFFAIRE DU "MARIAGE DE RENTERIA" EN GUIPUSCOA AU PAYS BASQUE EN 1856 (première partie)

"LE MARIAGE DE RENTERIA" EN 1856.


En 1856, est jugée à Paris une affaire de mariage de Français à l'étranger.



pais vasco antes guipuzcoa
PLACE DES FUEROS RENTERIA GUIPUSCOA
PAYS BASQUE D'ANTAN




Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Le Droit, le 26 juillet 1856 :



"Tribunal Civil de la Seine (1re Ch.) Présidence de M. Debelleyme. Audience du 23 juillet. 


Succession de M. J.-P. Pescatore. — Demande en compte, liquidation et partage de la Communauté et en délivrance de legs formée contre les héritiers, par Madame Veuve Pescatore. — Demande reconventionnelle en nullité du mariage contracté en Espagne par M. Pescatore et Madame Weber. — Conclusions du Ministère Public.



(Voir le Droit des 11, 12, 13 et 20 juillet.) 



"L’affluence des curieux n’a pas diminué. Longtemps avant l’ouverture des portes, une foule nombreuse composée en majorité de dames et de jeunes avocats assiège l’entrée de la première Chambre. Plusieurs magistrats de Paris et de la province prennent place derrière le Tribunal sur des sièges réservés. Nous remarquons parmi eux MM. Bernard (de Rennes), et Poultier, conseillers à la Cour de cassation. A côté d’eux vient s’asseoir M. l’abbé Coquereau, aumônier général de la flotte. Des dames, qui étaient allées se placer sur l’estrade, auprès du Tribunal, sont invitées par l’huissier de service à en descendre. Me Chaix-d’Est-Ange est au banc du Barreau. Me Dufaure, obligé de plaider à la troisième Chambre de la Cour, est suppléé par Me Péronne, avoué de Mme Pescatore.



A l'appel de la cause, Me Péronne se lève : 

Je demande, dit-il, qu’il plaise au Tribunal m’admettre à prendre des conclusions additionnelles. (M Péronne se dispose à en donner lecture).



M. le président Debelleyme. — Elles ont été imprimés et distribuées. Le Tribunal vous en donne acte,



Voici le texte de ces conclusions : 

Plaise au Tribunal :


I. Sur la première question : M. Pescatore et Mme Weber, en allant à Renteria demander à un prêtre espagnol la bénédiction nuptiale, ont ils voulu contracter un mariage purement religieux, de nature à donner sa satisfaction à des scrupules de conscience, mais ne devant produire aucun effet civil et surtout ne devant pas créer une communauté de biens ? 


"Attendu que tous les faits antérieurs à la cérémonie religieuse de Renteria établissent, et qu'au besoin une enquête démontrera : que M. Pescatore, voulant éviter la publicité indispensable pour la validité d’un mariage civil et, se préoccupant des conséquences qu’un mariage civil eût entraînées et qui eussent affecté sa situation commerciale et les intérêts de sa famille, s’est constamment refusé à contracter un mariage de cette nature ;



Que s'il eût voulu donner à son union avec Mme Weber tous les effets civils, rien ne l'empêchait de se marier en France ; que son voyage à Renteria ne peut s’expliquer que par la volonté d’accomplir une union purement religieuse que la loi française ne lui permettait pas de contracter en France ;



Que cette volonté est démontrée surabondamment par les termes de la lettre adressée le 28 octobre 1851 à l’évêque de Pampelune par le cardinal-archevêque de Bordeaux, lettre dans laquelle le prélat français annonce à l'évêque espagnol qu’il lui adresse M. Pescatore, à qui voudrait ne s’unir que religieusement à une personne habitant avec lui depuis plusieurs années ;



Attendu que Mme Weber ne pouvait ignorer l’intention de M. Pescatore, sa volonté bien arrêtée de ne pas souscrire à un mariage civil, et ce fait qu’en consentant à un mariage purement religieux, M. Pescatore était arrivé à la dernière limite des concessions qu’il voulait faire ;



Qu'en effet, les circonstances révélées par la plaidoirie présentée au Tribunal dans l’intérêt de Mme Weber, établissent : que l’initiative du mariage est venue de ladite dame et qu’elle a rencontré chez M. Pescatore une résistance telle que, pour la vaincre, elle s’est crue obligée recourir à une tentative de suicide plus ou moins sérieuse ;



Qu’en outre, il a été également reconnu au cours des débats, qu'antérieurement au mois d’octobre 1851, Mme Weber avait eu avec le cardinal-archevêque de Bordeaux plusieurs conférences ; que ces conférences lui avaient ouvert les yeux sur sa situation, et qu’enfin l’acte religieux de Renteria, destiné à mettre un terme à cette situation irrégulière, est le résultat des conseils et des efforts du vénérable prélat ;



Qu’il n'est pas possible d’admettre, sans manquer au respect dû au caractère dont est revêtu Mgr de Bordeaux et sans s’écarter de toute vraisemblance, que l’un des membres les plus éminents du clergé français ait pu conseiller à la pénitente qu’il ramenait dans le sein de l’Eglise un acte qui, s’il n’était pas une simple satisfaction donnée à la conscience, devenait une violation flagrante de la loi ;



Attendu que les faits qui ont suivi la cérémonie religieuse de Renteria démontrent également que M. Pescatore n’avait voulu contracter qu’un mariage purement religieux ;



Qu’en effet, M. Pescatore, à son retour en France, a fait transcrire son acte de mariage sur le registre de la paroisse de la Celle Saint-Cloud ; qu’il n’a pas fait accomplir la transcription du même acte sur les registres de l’état civil des communes dans lesquelles il avait une résidence ;



Que cependant M. Pescatore, maire de la commune de la Celle-Saint-Cloud depuis 1852, pouvait facilement, sans aucune publicité, faire transcrire, sur les registres de l'état civil de cette commune, son acte de mariage, s’il eût voulu assurer à ce mariage des effets civils ;



Attendu que Mme Weber, pas plus que M. Pescatore, n’avait eu la volonté de contracter à Renteria un mariage pouvant avoir eu France un reflet civil ;



Que ce fait est démontré par les efforts tentés par ladite dame et ses amis dans le cours de la dernière maladie de M. Pescatore pour arriver à un mariage civil in extremis, projet que la mort de M. Pescatore ne permit pas de poursuivre, mais qui exclut toute idée de mariage civil contracté à Renteria ;



Attendu que ni M. Pescatore ni Mme Weber n’avaient eu la volonté de contracter à Renteria un mariage de nature à créer entre eux une communauté légale de biens ;



Attendu qu’on ne saurait admettre que M. Pescatore, homme habitué aux affaires, négociant exact, ayant la plus grande partie de sa fortune engagée dans sa maison de commerce, s’il eût voulu contracter un mariage produisant des effets civils quant aux biens, se fût marié sous le régime de la communauté légale ;



Que le don de deux cent dix mille francs fait par M. Pescatore à Mme Weber en 1852, les dispositions du testament et des codicilles de 1853, les termes de ce testament et de ces codicilles, aussi bien que les dispositions du testament de 1855, le nom de "madame Weber", intentionnellement donné dans le testament de 1853, par le testateur, à celle qui réclame aujourd’hui les avantages attachés par la loi au titre d’épouse légitime, excluent toute idée de communauté résultant de la bénédiction nuptiale du 8 novembre 1851 ;



Attendu que Mme Weber, en insistant, au lit de mort de M. Pescatore, pour obtenir de lui qu’il augmentât les avantages à elle faits par le testament de 1853, et en s’écriant pour vaincre sa résistance : "J’irai donc vivre dans une mansarde", a reconnu elle-même qu’elle n’avait aucun droit à la communauté qu’elle réclame aujourd'hui ;



Attendu que cet ensemble de faits, qui ne sauraient être mis en doute, démontre jusqu’à l’évidence que la cérémonie religieuse accomplie à Renteria le 8 novembre 1851, dans l’intention de M. Pescatore et de Mme Weber, dans leur pensée constante, n’était qu’une union religieuse et n'avait aucun des caractères d’un mariage civil apte à produire en France des effets civils et à créer une communauté de biens. 



Il. Sur la deuxième question : En admettant contre toute évidence que M. Pescatore et Mme Weber aient eu la volonté de contracter un mariage civil, le mariage contracté le 8 novembre 1851 dans la chambre du curé de Renteria est-il valable aux yeux de la loi française



"Attendu que les articles 170 et 171 du Code Napoléon exigent, pour la validité des mariages contractés en pays étranger entre Français ou entre Français et étrangers, la réunion de trois conditions :


1° L’observation des formes usitées dans le pays où le mariage a été contracté ;


2° L’accomplissement préalable en France des publications prescrites par l’art. 63 du Code Napoléon ;


3° La transcription de l'acte de mariage sur les registres de l’état civil français ;



Attendu, en outre, que l’art. 191 frappe d’une nullité radicale tout mariage entaché de clandestinité. 


1° quant à l’observation des formes usitées dans le pays où le mariage a été contracté : 

Attendu qu’en Espagne le mariage est régi par les décrets du Concile de Trente ;


Attendu qu’aux termes dudit Concile, le mariage ne peut être célébré que par le propre curé ou par un prêtre ayant licence soit du propre curé, soit de l’ordinaire des époux ;


Attendu que le curé de Renteria n’était pas le propre curé des époux ; qu’il ne l’était pas devenu par la permission que lui avait donnée l'évêque de Pampelune, celui-ci n’étant pas l’ordinaire des parties ;


Qu’à la vérité le curé de Renteria avait reçu une délégation du cardinal-archevêque de Bordeaux pour procéder au mariage de M. Pescatore et Mme Weber ;


Qu’il s’agit donc d’apprécier la validité de cette délégation ;


Attendu, en premier lieu, qu’en vertu de la règle lotus régit actum, cette délégation donnée en France par un prélat français ne peut être valable qu’au tant qu’elle ne déroge pas aux maximes fondamentales du droit public et du droit ecclésiastique français ;


Qu’à ce point de vue, d’une part, il était interdit à l'archevêque de Bordeaux de procéder soit directement, doit par l’intermédiaire d'un prêtre autorisé de lui, à un mariage religieux non précédé du mariage civil ; et, d'autre part, l’archevêque de Bordeaux était absolument incompétent pour procéder ou faire procéder à un mariage civil ;


Attendu, en deuxième lieu, que, même en faisant abstraction de ces principes incontestables, et en se plaçant au point de vue purement canonique, la délégation serait encore nulle ;


Attendu, en effet, que l’archevêque de Bordeaux n’était l’ordinaire ni de M. Pescatore ni de Mme Weber ;


Qu’aux termes du Droit canonique, la compétence en matière de mariage est réglée uniquement par le domicile ;


Que le propre curé et l’ordinaire des époux sont le curé et l’évêque dans la paroisse ou dans le diocèse desquels les époux ont leur domicile ;


Attendu que si les habitations que M. Pescatore et Mme Weber avaient à Paris et à la Celle Saint-Cloud présentent les caractères exigés par la loi canonique pour constituer le domicile relativement au mariage, il n'en est pas de même pour le domaine de Giscours dans le diocèse de Bordeaux, où M. Pescatore et Mme Weber faisaient chaque année un séjour momentané ;



Qu’en effet, le Droit canonique exige, pour constituer le domicile relativement au mariage, soit une résidence de six mois, si les époux ont changé de paroisse sans changer de diocèse, et une résidence d’une année si les époux ont changé de diocèse, soit l'animus perpetuo manendi, ou l'animus manendi per majorem anni partem joints à l’abandon de l’ancienne paroisse sans esprit de retour ;



Que tel n’était pas le caractère de la résidence que M. Pescatore et Mme Weber avaient faite à Giscours avant le mariage de Renteria ;



De telle sorte qu’en faisant abstraction de toutes les lois françaises, et en ne se préoccupant que du Droit canonique, le mariage de M. Pescatore et de Mme Weber, s’il n’était pas célébré par le curé de Notre-Dame-de-Lorette, ou par le curé de la Celle-Saint-Cloud, ne pouvait être célébré valablement qu’en vertu d’une délégation de l’archevêque de Paris ou de l’évêque de Versailles ;



Attendu que la délégation ne se présume pas, qu’elle doit être expresse, qu’elle ne saurait résulter d’une dispense de publications de bans, et qu'on ne peut y suppléer par un acte postérieur quelconque ;


Attendu, en fait, qu’aucune délégation émanée de l'ordinaire des époux n’a été donnée à l’archevêque de Bordeaux ;



Que l’acte émané de l'évêché de Versailles ne contient qu’une dispense de publications de bans ; qu’en examinant l'acte émané de l’archevêché de Paris on voit que cet acte a été obtenu sur un exposé de faits inexact ; que l’archevêque de Paris, dans la conviction que l’un des deux époux résidait dans le diocèse de Bordeaux et devait se marier dans ce diocèse, s’est borné à permettre le mariage de son paroissien dans le diocèse de l’autre époux, mais qu’il n’a donné aucune délégation ;



Que cette délégation, eût-elle existé, n’eût pas autorisé l'archevêque de Bordeaux à déléguer le curé de Renteria, car il est de principe en Droit canon que le délégué ne peut subdéléguer ;



Attendu qu’on ne saurait soutenir que l'abjuration de Mme Weber entre les mains du cardinal-archevêque de Bordeaux ait donné à celui-ci le caractère de propre curé ou d’ordinaire de ladite dame ; que cette proposition est formellement repoussée par tous les canonistes ;



Qu'il n’existe aux règles que nous venons de rappeler qu’une seule exception concernant les vagabonds ; qu’à coup sûr cette exception ne saurait être applicable notamment à M. Pescatore ou à Mme Weber, la loi canonique ayant consacré de la manière la plus nette la distinction entre l’étranger peregrinus, et le vagabond vagus, et n’ayant établi de dérogation à la règle qu’à l'égard du second ;



Attendu, en outre, que les décrets du Concile de Trente ont frappé de nullité absolue les mariages clandestins ;



Que tous les caractères auxquels le Droit canonique reconnaît la clandestinité : défaut de publicité, célébration du mariage par un officier religieux incompétent, accomplissement de la cérémonie religieuse hors de l’église et loin des yeux des fidèles, se retrouvent et se reconnaissent dans le mariage du 8 novembre 1851 ;



Que, par tous ces motifs, il est de toute évidence que les formes exigées par la loi espagnole en matière de mariage n'ont pas été observées, et que, par conséquent, la première, et, de l’aveu même des adversaires, la plus essentielle des conditions exigées par la loi française pour la validité des mariages contractés en pays étranger n’a pas été remplie.



2° Quant à l’accomplissement préalable en France des publications prescrites par l’art. 63 du Code Napoléon :


Attendu que le mariage célébré le 8 novembre 1851 à Renteria n’a été précédé en France d’aucune publication ;


Attendu que de la rédaction de l'art. 170 du Code Napoléon ressort la preuve que la loi a fait de l’accomplissement des publications une condition essentielle de la validité du mariage contracté en pays étranger ;


Attendu d’ailleurs qu’il est bien évident que les dispositions de l’art. 170 ont eu en vue les Français résidant en pays étranger et n’ont pu être introduites dans le Code en faveur des Français qui ne passeraient la frontière que pour éluder les lois de leur pays ;


Que si l’on n’a pas toujours considéré l’absence de de publications en France comme entraînant la nullité du mariage contracté eu pays étranger, la doctrine et la jurisprudence ont unanimement proclamé que la nullité doit être prononcée, s’il ressort des circonstances de fait que le défaut de publications et la célébration du mariage en pays étranger n’ont eu d'autre but que de violer ou d'éluder la loi française ;



3° quant à la transcription de l’acte de mariage sur le registre de l'état civil (art. 171) ;


Attendu que M. Pescatore et Mme Weber n’ont pas fait transcrire leur acte de mariage sur les registres de l’état civil français ;


Que cette circonstance, si elle n’est pas de nature par elle-même à entraîner la nullité du mariage, acquiert une grande importance lorsqu’il s’agit de rechercher la clandestinité ;



Quant à la clandestinité : 

Attendu que de tout temps la législation française s’est attachée à proscrire les mariages clandestins ;


Attendu que les dispositions de l’article 191 du Code Napoléon se sont proposé le même objet et ont fait, de la publicité la condition essentielle de tout mariage contracté par tout Français ;


Attendu qu’il appartient aux Tribunaux d’examiner les circonstances dans lesquelles le mariage s'est accompli pour rechercher s'il a été satisfait aux obligations imposées par la loi (arrêt de la Cour de Cassation du 28 mars 1854) ;


Attendu que les caractères auxquels se reconnaît la clandestinité sont : l'absence de publications , le défaut de célébration publique, la célébration devant un officier incompétent, le défaut de transcription sur les registres de l’état civil, en un mot un ensemble de circonstances excluant la publicité ;


Attendu, en fait, que tous ces caractères se retrouvent dans le mariage du 8 novembre 1851 ; que les circonstances de fait qui ont précédé, accompagné et suivi le mariage, le profond secret gardé sur le projet d’union, le voyage de Renteria, le mystère qui a entouré ce voyage, la célébration du mariage dans une chambre particulière, le choix des témoins, le silence gardé au retour sur les faits qui venaient de s’accomplir, la situation de la dame Weber dans la maison de M. Pescatore restant ce qu’elle était auparavant, se réunissent pour établir que le défaut de publicité était le résultat de la volonté réfléchie des parties, et que M. Pescatore et Mme Weber n'avaient eu d’autre but que de se soustraire ouvertement et à dessein aux obligations imposées pur la loi, et de faire impunément à l’étranger ce qu’il eût été impossible de faire en France."



A suivre...


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