THÉOPHILE GAUTIER AU PAYS BASQUE EN 1840.
C'est en 1840 que Théophile Gautier, accompagné de son ami Eugène Piot traverse le Pays Basque pour aller à Madrid.
Je vous ai déjà parlé de ce voyage dans un article précédent.
Voici ce que raconta La Gazette nationale ou Le Moniteur Universel, dans son édition du 29
septembre 1856, sous la signature de Théophile Gautier :
"...Nous avons à peine mis le pied sur la jetée, que déjà la mendicité espagnole nous tend la main en psalmodiant sa litanie plaintive, et nous donne l’occasion d’exercer la plus belle des vertus chrétiennes, la charité. Une foule de petits Murillos en haillons nous suivent se poussant, se culbutant ; des fillettes de sept ou huit ans se joignent à la troupe et nous débarrassent en un clin d'œil de ce que nous possédions de cuivre. La baguette de l’alguacil, qui nous attendait à la porte de ville, eut bientôt dissipé cette marmaille, dont l'avidité naïve nous amusait plus qu’elle ne nous importunait. Il y avait, parmi cette bande déguenillée, des teints couleur de cigare, des veux de braise brillant à travers des cheveux incultes, des physionomies charmantes sous leur masque de crasse dont un peintre eût fait son profit.— Une des petites filles, convenablement débarbouillée et vêtue, eût figuré avec avantage sur le devant d’une calèche, à côté d'un king-Charles de duchesse.
DEBARCADERE FONTARRABIE PAYS BASQUE D'ANTAN |
D’immenses pans de muraille de vingt pieds d'épaisseur, détachés par la mine, ont roulé dans les fossés de la ville démantelée, où ils reprennent peu à peu l’apparence de rochers, grâce aux plantes pariétaires qui s’y accrochent. La nature aime à parer les ruines. — Où le canon a fait un trou, elle met une touffe de fleurs.
La grande rue de Fontarabie aboutit à une porte, autrefois fortifiée, par où nous entrâmes, et s'élève en suivant une pente assez rapide jusqu’au palais du gouverneur. Cette inclinaison qu’évitent avec soin , les édilités modernes, a presque toujours pour résultat une perspective d’un effet pittoresque.
PORTE FONTARRABIE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Les maisons s’étagent avec une variété de lignes charmante, et semblent s'arranger à souhait pour l'aquarelle ou le décor d'opéra. Cette rue de Fontarabie nous restera longtemps dans la mémoire : figurez-vous des façades, les unes blanchies a la chaux, les autres noircies par le temps ; des toits saillants soutenus par des poutres sculptées ; des balcons surplombants, d'une serrurerie digne de Biscornete ; de blasons déroulant leurs lambrequins au-dessus des portes ; des palais aux planchers effondrés, aux fenêtres veuves de carreaux, faits pour loger des princes ou des artistes, et n’abritant plus que des chauves-souris. — Splendeurs disparues, gloires évanouies! — Où sont les nobles hôtes qui animaient ces superbes demeures ? — L'ortie pousse au foyer, et la couleuvre se glisse parmi les pierres. — Les villes meurent comme les hommes, et Fontarabie est une ville morte. Seule la maison de Dieu est restée debout ; l’or brille au sanctuaire d'un éclat tout neuf ; et la cité à moitié déserte, qui ne peut soutenir ses toits, a élevé récemment un magnifique retable dans son église.
En quittant la rue principale, où s’est réfugié un reste de vie, on passe par des ruelles à moitié écroulées, où le pas d'un vivant sonne comme dans une nécropole. Ces rues feraient le désespoir d’un Philistin, mais ce ne sont pas les moins belles pour l’artiste. Les anciennes formes des temps qui ne sont plus y subsistent intactes à travers les dégradations et les ruines. L'affreuse maçonnerie moderne ne s’y montre nulle part, et au moins nul guide du voyageur, nul dictionnaire géographique ne dira de Fontarabie : "Jolie petite ville propre, bien bâtie, bien pavée, tirée au cordeau."
Du haut des remparts on découvre le golfe de Gascogne, la grande mer où quelques chevaux d’écume secouent leurs crinières d’argent. — Là-bas, au delà de ce bleu infini, est l’Amérique, le nouveau monde d'où jadis les galions apportaient l’or des Incas aux rois d’Espagne. Une dizaine de barques de pêcheurs tirées sur le sable attendent l'heure de la marée pour aller prendre des sardines.
Ne croyez pas, d’après cette rédaction mélancolique, que nous ayons envie d’ajouter un chapitre aux Ruines de Volney ; — nous ne sommes pas déclamateur de notre nature, et la tristesse que tant de solitude et d'abandon avait pu nous inspirer fut bientôt dissipée.
Attirés par le passage assez rare d'une bande de voyageurs dans cette ville éloignée de la route que suivent les diligences, quelques visages de femme d’une beauté radieuse se montraient aux miradores des maisons les moins détruites, avec toute la grâce et toute la coquetterie espagnoles. C'étaient des têtes pâles aux lèvres rouges, aux dents étincelâmes, aux yeux de velours noir, d’un calme brûlant, d’une passion endormie comme en ont peint Murillo, Velasquez et Goya. — Deux ou trois paires d’yeux comme celles-là suffisent à ressusciter une ville défunte, et à faire de Fontarabie le plus agréable séjour du monde. — Quelques instants nous eûmes l’idée d'abandonner le feuilleton à tout jamais, et de finir nos jours dans une maison sans plancher en face de l'un de ces balcons.
... Nous saluâmes de la main Andaye, assise sur l’autre rive, en regrettant de ne pouvoir boire à sa santé quelques larmes d’or de l’eau-de-vie qui l’a rendue célèbre.
LIQUEUR HENDAYE PAYS BASQUE D'ANTAN |
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