LE GOUFFRE D'UTCIAPIA EN 1940.
Le Pays Basque a sur son territoire de nombreux gouffres, tant au Nord qu'au Sud.
SPELEOLOGUE MAX COSYNS |
Je vous ai parlé dans un article précédent des gouffres de la Soule en 1926.
Voici ce que rapporta le journal Le Figaro, dans son édition du 15 mai 1940, au sujet d'un de
ces gouffres souletins :
"Exploration d'un des gouffres les plus fantastiques des Pyrénées avec M. Max Cosyns, le
héros de la stratosphère par Norbert Casteret.
Un spéléologue français, M. Norbert Casteret, a passé "une notable partie de sa vie sous terre",
visité, exploré sept cents cavernes et gouffres, dont il découvrit et "désobstrua" de ses mains un
certain nombre. Il raconte ses voyages dans un livre : Mes cavernes, qui va paraître
prochainement.
L'auteur a pu descendre en compagnie du héros belge de l'ascension stratosphérique, M. Max
Cosyns, dans un gouffre du pays basque, décrit par Martel comme l'un des plus "fantastiques,
sinistres et captivants" que l'on puisse imaginer. Ensemble ils ont découvert un de ses
précipices inférieurs.
M. Casteret décrit sa descente pittoresque aux vestibules de l'enfer dans la page inédite que
voici :
"La nuit qui précéda ma première exploration en compagnie de Max Cosyns et Vander Elst fut peuplée de rêves pénibles où se brouillaient des voyages interstellaires et des chutes dans des abîmes de cauchemar !
Le lendemain, pénétrant dans la région des canons, une longue marche ascensionnelle en forêt nous mena, Max Cosyns et sa femme, Van der Elst, deux porteurs et un mulet, à quatorze cents mètres d'altitude, au gouffre d'Utciapia, l'un des plus profonds du pays basque.
Avec l'aide des deux porteurs (dont l'un est le fils d'Arnaud Bouchet, qui guida autrefois Martel dans les mêmes parages), mes amis mettent en batterie l'étrange trépied qui m'avait intrigué la veille.
Une légère potence en tube d'acier, terminée par une poulie à gorge, est adaptée, au bâti du treuil et surplombe le gouffre. Une pesante bobine, portant enroulé un filin d'acier, est posée en arrière sur un chevalet et le fil métallique est engagé dans les tambours du treuil, puis passé dans la poulie.
Tout est prêt pour la descente, car, en même temps, je me suis harnaché d'une bricole de parachutiste, fort lourde et encombrante, mais qui, paraît-il, est assez confortable pour les plongées dans le vide. Un petit poste téléphonique fixé à la poitrine et mon casque muni du photophore frontal complètent l'équipement.
NORBERT CASTERET EN 1938 |
Ne tenant qu'à un fil...
Je me suis fort intéressé à tous les préparatifs, on m'a expliqué le fonctionnement du treuil, muni d'une démultiplication, d'un frein et d'un cliquet de sûreté. Mais c'est le filin qui m'intéresse maintenant et je ne cesse de le considérer d'un œil soupçonneux. Le câble, m'est-il dit, — je trouve ce mot de câble bien gros -, est formé d'un certain nombre de fils d'acier galvanisé, spécialement traités et tréfilés ; mais ce que je retiens surtout et qui frappe autant ma vue que mon imagination, c'est son épaisseur qui n'est que de cinq millimètres !
L'expression "ne tenir qu'à un fil" ne me parut jamais plus appropriée et plus désagréable qu'au moment où, ayant engagé l'anneau terminal du câble dans le mousqueton de ma bricole, j'avançai délibérément d'un pas qui me suspendit dans le vide en faisant ployer et grincer le treuil métallique, qui me parut aussi déplorablement léger et flexible...
Tout étant paré, les ailes actionnent les manivelles du treuil et je commence à descendre, accompagné par la crécelle métallique du cliquet.
En passant au niveau de la lèvre du gouffre, mes yeux embrassent la vision de ce paisible coin de forêt et, subitement, je vois défiler l'aspect familier, mais toujours impressionnant, d'une bouche d'abîme aux parois luisantes d'humidité, capitonnées de scolopendres, de mousses et hérissées de quartiers de roches inclinées vers le vide comme des gargouilles.
Je tourne, tourne...
Après quelques tâtonnements, je parviens à accrocher convenablement cet engin bien à l'aplomb du treuil ; puis, ayant engagé mon câble de soutien dans la gorges de la poulie - ce qui doit éviter les flottements et l'usure contre la riche - je continue à descendre.
Sous le surplomb s'évase notablement et la descente s'opère de ce fait hors de portée des parois, isolé dans le vide.
Aussi je ne tarde pas à ressentir les inconvénients de cette situation, car un lent mouvement giratoire commence, qui va rapidement s'amplifier et s'accélérer de la plus désagréable façon. Dans l'obscurité déjà complète, ma faible lampe de casque n'accroche que quelques détails de murailles cyclopéennes, et bientôt le tournoiement devient tel que mes yeux ne peuvent plus rien enregistrer. Passif, je tourne, tourne, et dans mon esprit passent et repassent certaines phrases de Martel sur ce gouffre d'Utciapia : "Les chutes énormes des blocs de pierres, l'inconsistance des parois, interdisent la descente au delà de quarante mètres. Ce serait une tuerie sous les avalanches de cailloux..."
Là où les frottements des échelles contre les parois désagrégées détachaient des avalanches de pierres qui interdirent jadis la descente à Martel, je passe aujourd'hui en silence sans rien toucher, suspendu au centre du puits géant. Un seul point de contact existe, celui où la polie-araignée agrippée à son rocher fait entendre son menu grincement décroissant et écarte le fil des murailles meurtrières. J'enregistre la supériorité de ce procédé ; mais, en même temps je ressens les affres d'un malaise comparable au mal de mer.
Le premier balcon.
A ce moment seulement, je pense au téléphone que je porte sur ma poitrine. A l'aide du bouton, j'envoie un appel à la surface et la conversation s'engage le long du câble. d'acier qui, outre son rôle de soutien, fait aussi office de fil téléphonique. Tant de perfectionnements me raccommodent un peu avec ledit fil. On me demande si ça tourne un peu. Je réponds que "ça" tourne beaucoup et vite. D'en haut la voix me promet que je n'en ai plus pour bien longtemps et que je ne tarderai pas à toucher le fond du gouffre ou du moins un premier balcon, car plus bas le puits continue, inexploré. La descente vertigineuse et tournoyante se poursuit, véritable plongeon dans les entrailles de la terre, et, brutalement, après avoir entrevu confusément une sorte de talus, mes pieds se posent sur un amas de pierrailles et de branches d'arbres.
Surpris par le contact de ce sol déclive et le fouillis de branchages, je perds l'équilibre ; alourdi par la pesante bricole et mon attirail, je chois sur les genoux, me hâtant de téléphoner pour faire arrêter le déroulement du treuil qui continue à m'entraver dans des spires du câble d'acier.
C'est ici le premier relais où je dois me déséquiper et attendre la venue d'un camarade.
Préalablement, j'ai décroché de ma ceinture et allumé ma fidèle lampe à acétylène qui me révèle enfin un peu de ce grand puits où je suis descendu presque en aveugle. Au-dessus de moi, très haut, très loin, je devine une faible lueur diffuse : celle du ciel, tamisée par les frondaisons de la forêt. A mes pieds, un talus instable et abrupt s'enfonce dans l'ombre et disparaît dans la gueule béante d'un gouffre inférieur dont nous allons tenter la descente aujourd'hui.
Dédié au professeur Barbicane.
PROFESSEUR BARBICANE DE LA TERRE A LA LUNE DE JULES VERNE |
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