UNE FÊTE ROYALE À BIARRITZ EN 1902.
Natalija Obrenovic, née Natalia Kesko le 14 mai 1859 à Florence et morte le 5 mai 1941, à Saint-Denis, dite aussi Nathalie de Serbie, est l'épouse de Milan Obrenovic, prince de Serbie, puis roi de Serbie sous le nom de Milan 1er, en 1882.
GRAVURE REINE NATHALIE DE SERBIE 1876 |
En 1891, la reine Nathalie, en désaccord avec son mari, est contrainte de quitter la Serbie.
Voici ce que raconta le journal Le Figaro, dans son édition du 26 août 1902, sous la
plume de Gaston Deschamps,au sujet d'une fête, à Biarritz, chez cette reine :
"La fête chez la Reine.
Biarritz, 24 août.
La fête fut exquise et fort bien ordonnée.
...C'était, au bord de la mer, en un décor à la fois charmant et sauvage, chez une reine qui, si l'on en croit les écritures de la diplomatie, n'a plus de royaume, et qui cependant règne souverainement par l'impérieux prestige de l'intelligence, de la beauté, de la divine charité.
PALAIS SACHINO BIDART PAYS BASQUE D'ANTAN |
Ici, on l'appelle la reine Nathalie ; ou plutôt : la Reine, tout court. Cette appellation simple, familière, exempte des apprêts et des pédantismes dont le protocole est coutumier, sied à cette Majesté secourable aux pauvres, consolatrice des affligés, amie des humbles. C'est ainsi que, dans les contes de fées, on désigne les mystérieuses et bienfaisantes Dames qui sont venues de loin pour visiter les chaumières, et dont la présence bénie répand au foyer des misérables une sorte de lumière quasiment surnaturelle.
Tout ce pays de Biarritz, encombré de bâtisses qui ne sont pas toutes esthétiques, égayé par des fêtes qui ne sont pas toujours dignes d'un si magnifique cadre de montagnes et de mer, est ennobli par le voisinage de la Reine.
PALAIS SACHINO BIDART PAYS BASQUE D'ANTAN |
Qu'importe que cette Reine n'apparaisse point sur un trône, la couronne en tète, le sceptre en main, les épaules chargées du fardeau d'un manteau de Cour ? Elle ne préside point ces sortes de conciliabules inquiétants qui se tiennent à huis clos et qu'on appelle des Conseils de ministres. Elle n'ouvre point de sessions parlementaires. Elle n'est pas obligée de recevoir, à l'occasion du jour de l'an et des fêtes carillonnées, les compliments verbeux des corps constitués. Elle est affranchie du joug de l'Etiquette. Elle ne dépend que d'elle-même et n'a pas besoin de consulter un maître des cérémonies pour savoir si elle a le droit d'ouvrir son ombrelle au soleil ou de glisser une pièce blanche dans l'escarcelle d'un malheureux. Quelle est la reine régnante qui n'envierait le sort de la belle et bonne reine Nathalie ?
REINE NATHALIE DE SERBIE |
Hier et aujourd'hui, son palais de Sachino, semblable à une demeure de féerie, s'est ouvert à une foule de visiteurs et de visiteuses, dont l'hommage, stimulé par une curiosité bien légitime, n'avait rien de cette cauteleuse servilité qui gâte et alourdit les révérences des plus flexibles courtisans et des chambellans les mieux stylés. Ce fut démocratique et seigneurial. Entrait qui voulait. Seulement, près de la grille, au seuil embaumé de verveine et de chèvrefeuille, le salut d'une jeune fille, gracieuse et rose comme l'aurore, quêtait discrètement quelques oboles, destinées à une oeuvre pie. Oh ! ce droit de péage n'était pas abusif. Deux sous pour chaque piéton. Les automobiles, les landaus, les bicyclettes acquittaient un impôt plus élevé, attendu que les propriétaires ou locataires de ces sortes de véhicules ont toujours plus de deux sous dans leur poche. La Reine avait voulu que tout le monde pût entrer dans son admirable jardin. De sorte qu'en suivant les sinuosités des allées sablées, le long des parterres étoiles de fleurs, près du bassin d'eau pure où se reflétait l'azur du ciel, on voyait passer des groupes qui semblaient imaginés à plaisir par un peintre fantasque. Les citadins de Biarritz, en costume, d'élégante villégiature, veston ouvert, gilet de piqué blanc, canotier de paille légère, coudoyaient les paysans des villages d'alentour. Mais il faudrait trouver un autre mot que celui de "paysan" pour qualifier les laboureurs et les bergers de ce pays. Les montagnards basques ont des allures de gentilshommes. Ils sont fiers et libres. Ils marchent la tète haute sous le béret crânement chiffonné, la taille svelte et cambrée, le jarret alerte et nerveux. Ils parlent peu, ce qui est une marque d'intelligence. Ils ne s'étonnent jamais. Ils ne rient point aux éclats. Bref, ils se distinguent par toutes sortes de vertus aristocratiques où apparaît la finesse d'une race plus ancienne que les familles inscrites sur l'Almanach de Gotha. Leurs femmes — leurs filles surtout, dans le sobre épanouissement de la vingtième année — ont un caractère de noblesse native. Depuis Saint-Jean-de-Luz jusqu'à Cambo et d'Ascain à Saint-Etienne-de-Baïgorry, il n'y a pas une laitière, pas une pastoure, pas une lavandière qui ne soit digne d'être demoiselle d'honneur ou dame d'atours chez une reine. Elles marchent avec une grâce rythmée, comme si la cadence de leurs pas était réglée par la musique d'un illusoire fandango. Les brunes Basquaises, venues à la fête chez la Reine en cotillon simple et coiffées tout bonnement de leurs opulents cheveux, n'eurent pas à redouter la concurrence des riches mondaines de Biarritz, fières du linon brodé qui rehaussait leurs charmes et des fleurs artificielles qui ornaient leurs chapeaux.
REINE NATHALIE DE SERBIE DURANT UNE MANIFESTATION BIARRITZ 1906 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Le palais de Sachino, rendez-vous habituel de cette foule composite et harmonieuse, naquit un beau jour d'une fantaisie de la Reine. Ses quatre murs en pierre, massifs comme les remparts d'une forteresse, ont pris possession, puissamment, d'une falaise escarpée dont la Nature semblait avoir défendu l'accès à la volonté humaine. Bâtir sur cette dune mouvante, quelle gageure ! Faire pousser des arbres sur ce gravier, quel caprice royal ! Maintenant, l'herbe rase du promontoire a été remplacée par des pelouses veloutées. Un terreau fertile, apporté de loin, retenu par des murs et par des talus, prodigue la sève à des plantes étonnées de résister aux rudes caresses du vent de mer. Là où le désert d'un stérile rivage livrait le passant à toutes les menaces du soleil, de la bise ou de là pluie, on est protégé par des charmilles, éventé par les larges feuilles des platanes, garanti de l'orage et de l'ondée par des refuges de verdure ou par les tuiles de quelque maisonnette habilement cachée au milieu des futaies. Et, malgré ces travaux de défense et de protection, commandés par la fragilité de notre pauvre vie humaine, on sent que la Reine interdit à ses architectes et à ses jardiniers toute entreprise contre la beauté des choses éternelles. Cette demeure est docile à ce paysage. Le palais s'élève au sommet du promontoire, en face de la mer, comme pour l'achèvement d'une acropole. La grande avenue, les allées, les labyrinthes suivent le contour de la colline et ménagent des perspectives où se précisent les lignes âpres de la falaise et les courbes de la grève. Deux sentiers, tracés à flanc de coteau , descendent vers une plage de sable blond ourlé d'argent par les volutes écumeuses des vagues. On sent que, dans la création de ce palais magique, il n'y a pas une pierre qui n'ait été dédiée, en guise d'ex-voto, au culte de la mer. Dans toutes les chambres on entend la mer ; et ainsi une symphonie grandiose accompagne les discours des hommes et des femmes, en combat la frivolité, en guérit, au besoin, l'inguérissable malice. Jusqu'au fond des berceaux de verdure, derrière les rideaux d'arbres qui masquent le terre-plein, réservé aux joueurs de tennis, on entend la mer. Et du haut de la terrasse, si l'on s'accoude au balustre monumental, on voit la mer comme jamais je ne l'ai vue.
PALAIS SACHINO BIDART PAYS BASQUE D'ANTAN |
Loin, très loin, sous la coupole ardente du ciel, l'immense étendue bleue se prolonge, indéfiniment, vers un horizon qui semble fuir et n'avoir pas de limites. Un miroitement vaste fait resplendir au soleil le "sourire innombrable " des flots. La clarté de cet après-midi est si transparente, qu'on peut suivre, de golfe en golfe — par delà le cap du Figuier, la côte d'Espagne et les arrière-plans des montagnes cantabriques — un panorama d'azur et d'or glorifié par la lumière triomphale. On dirait que ce belvédère, aussi large qu'une esplanade, aussi majestueux qu'un autel, a été construit pour célébrer l'Apothéose de la Mer.
PALAIS SACHINO BIDART PAYS BASQUE D'ANTAN |
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