LES FÊTES DE SARE EN 1872.
De 1863 à 1876, le village de Sare accueillit les Jeux Floraux institués dès 1851 par Antoine d'Abbadie après son retour d'Ethiopie.
SORTIE DE MESSE SARE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Voici ce que rapporta le journal Le Temps, dans son édition du 21 septembre 1872 :
"Une fête en Pays Basque.
Saint-Jean-de-Luz, 17 septembre.
Vous voulez, monsieur, que je vous raconte ma visite à la fête de Sare. Mais pensez un peu qu’il n’y a eu dans cette fête basque ni taureau pourfendu, ni chevaux éventrés ; pas la plus petite goutte de sang répandue. On n’y a pas savouré l’austère plaisir de voir un homme s'avancer fièrement dans l’arène à la rencontre d'un animal sauvage rendu furieux bon gré mal gré, et se risquer dans un duel où la pauvre bête, seule, contre l’immense foule humaine, assaillie de toutes parts, harassée de fatigue et de rage impuissante, a toutes les chances contre elle et pas une en sa faveur. Non ! cette haute école de courage viril, de lutte à conditions égales, n’a pas eu encore le temps de s’établir dans les paisibles campagnes basques.
L’éducation publique y est réduite à l’emploi de moyens primitifs. Ce n’est pas là que les pères et les mères, pour bien tremper l’âme de la jeunesse, conduisent au Cirque les garçons et les filles, en compagnie des belles señoritas, et leur font admirer d’abord les poses théâtrales du toréador, puis les 8, 12, 16 chevaux livrés sans défense, qui répandent, l’un après l’autre sur le sable, leur sang et leurs entrailles.
GROTTES SARE PAYS BASQUE D'ANTAN |
La noble race basque n’est pas généralement parvenue à ce degré de civilisation. Quand on la laisse à ses instincts et à ses souvenirs nationaux, elle ne connaît, en fait de jeux publics, que le saut, la course, le chant, la danse énergique au son du tambourin, et surtout la pelota, avec ses prodiges d’agilité, de coup d’oeil et de force.
Vous savez à peu près où est situé Sare, à quatre heures de marche environ de Saint-Jean-de-Luz, de l’autre côté de la Rhune. On y arrive en suivant le joli cours de la Nivelle, par Grand-Pé, ou plus directement, par la montagne, que l’on franchit au dessus d’Ascoin.—La fête annuelle se célèbre au commencement de septembre; elle attire un grand concours de spectateurs des communes environnantes, françaises ou espagnoles. La frontière est à une petite distance; vous vous rappelez que c’est par là que don Carlos a pénétré dans son royaume. Il y a encore aujourd’hui à Sare une compagnie de soldats en garnison pour observer ce qui se passe chez nos voisins.
PARTIE DE PELOTE SARE PAYS BASQUE D'ANTAN |
La fête dure deux jours. Le premier est rempli par une partie de pelota au long, autrement dit au rebot. Représentez-vous une place bien unie, de 115 mètres de long, terminée à l’une des extrémités par un mur en pierres de taille d’environ 12 ou 14 mètres de haut. A 35 ou 40 mètres du mur se trouve un buttoir fixe ou mobile.
PARTIE DE PELOTE SARE PAYS BASQUE D'ANTAN |
C’est une plaque bien unie de pierre ou de bois, encastrée dans le sol ou exhaussée de quelques pieds, sur laquelle le premier joueur fait rebondir la balle pour la relancer avec force contre le mur. Elle touche terre avant ou après avoir frappé le mur, et c’est au moment ou elle va retomber pour la seconde fois que l’habile premier joueur du parti adverse la saisit en l’air dans sa main armée d'un long gantelet d’osier recourbé, et la renvoie avec une vigueur et une sûreté de coup d’œil incomparables, à l’extrémité opposée de la place, en lui faisant décrire ordinairement une courbe d’une prodigieuse hauteur.
PARTIE DE PELOTE SARE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Le joueur posté à ce point extrême reçoit la pomme après le premier saut, ou plus souvent en l’air, et à son tour la rejette à ses adversaires. Ceux-ci la reprennent et la renvoient ; et ainsi de suite jusqu’à ce qu’un coup malheureux mette fin à cette lutte, ou que la balle, en touchant le sol, vienne s’amortir ou rebondir à faux.
Je n’entre pas dans le détail des règles assez compliquées du jeu qui fixent les limites à atteindre, les bornes à ne pas dépasser, etc. Ordinairement, il y a 8 ou 10 partenaires engagés, quatre contre quatre, cinq contre cinq. Les cas douteux sont tranchés sur-le-champ par des arbitres expérimentés qui se réunissent sur le lieu précis de l'accident, et confèrent entre eux une ou deux minutes. Les intéressés attendent en silence la décision, qui est généralement acceptée sans murmure.
SARE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Comment vous dépeindre l’extraordinaire souplesse de ces joueurs basques? Il faut un sang-froid imperturbable, une agilité sans pareille pour parer à toutes les péripéties du jeu et se trouver présents partout où il est besoin. On dirait que leur corps est mû par des ressorts d’acier qui se plient, se tendent et se détendent.
Souvent, on est tenté de juger la situation désespérée ; la balle va tomber trop loin d’eux ou trop en arrière pour qu’ils aient le temps de se mettre en position ; mais ils volent, arrivent, se baissent, se tordent, relèvent vivement la balle, et réussissent encore à se donner un centre d’équilibre assez stable pour fournir un jet puissant.
SARE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Les quatre côtés de l’enceinte longitudinale sont occupés par les spectateurs ; l’un des côtés est garni de larges gradins de pierre, dont une partie est réservée aux autorités, aux juges des jeux et aux notables. Tous les hommes du pays assistent à la partie de pelote ; les jeunes filles et les enfants y viennent en nombre ; les ecclésiastiques s’y mêlent aux bourgeois : un ordre parfait et la plus charmante égalité règnent dans cette réunion de plusieurs centaines de personnes.
Tous suivent avec ardeur les accidents du jeu ; les gens les plus graves débattent les points litigieux comme s’il y allait d’un grand intérêt. On applaudit les bons coups ; on encourage les joueurs. Une fois la partie bien liée, on engage les paris, et l’on entend sonner les gros écus de 5 fr. et les pecetas. Au milieu du murmure général s’élève la voix monotone du compteur qui marque, à mesure qu’ils se succèdent, les bons et les mauvais points.
LE COMPTEUR DE POINTS FERDINAND PAYS BASQUE D'ANTAN |
De temps en temps il se fait une halte : on apporte à boire aux concurrents ; le bouffon du village, quelque bossu espiègle et malin, s’avance dans l’arène et vient exciter par ses danses comiques le rire de la galerie.
Ce que je renonce à vous bien décrire, c’est le cadre délicieux du spectacle. Au bout de la place, on voit les jolies maisons du village, la vieille église et sa tour massive, la mairie ; tout à l’entour, un ample cercle de montagnes qui enferme le plus frais bassin de verdure; devant soi, et à quelques pas, les premières pentes, couvertes de plantations de maïs, de prairies, de bois de chênes à basse futaie et de châtaigniers; disséminées çà et là, les riantes maisons basques, à la large façade blanche percée, de fenêtres rouges ou vertes, au toit de saillie, avec des étages qui avancent l’un sur l’autre. Plus haut, les sommets arides des montagnes, que domine la masse de la Rhune. Impossible de vous imaginer un tableau plus calme, plus harmonieux de formes et de couleurs. Si vous voulez du bien à quelque homme de lettres excédé de bruit et de contention d’esprit, envoyez-le faire une cure d’air et de repos à Sare.
LES DANSEURS DE RENTERIA SARE PAYS BASQUE D'ANTAN |
La partie se prolonge jusqu’au dîner, et quelquefois au delà. Mais à midi, la cloche de l’Angelus se fait entendre : aussitôt le bruit s’apaise ; toutes les têtes se découvrent; chacun fait le signe de la croix et récite sa prière : puis le jeu recommence.
Il y a des prix institués : 400 fr., 80 fr. pour le parti gagnant, selon le genre et la difficulté du jeu ; une ceinture de soie pour le partenaire jugé le plus habile, même quand il appartient au parti perdant.
VIEUX PONT SARE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Cette partie de pelota en long occupe la première matinée. On se disperse ensuite pour dîner. L’hospitalité est une vertu encore à la mode dans les vallées basques ; les plus pauvres, m’assure-t-on, aiment à l’exercer et s'offenseraient d’un refus. Pour ma part, j’ai trouvé le plus cordial accueil dans l’aimable famille de M. Goyetche, maire de Sare, pour qui j’étais le matin même un inconnu.
Le soir, après les jeux, vient la danse. en plein air, qui se prolonge assez avant dans la nuit. Vous avez lu la description des sauts basques : je ne me sens pas qualifié pour vous les expliquer. Le lendemain matin, à dix heures, la partie de paume reprend au milieu d’un concours à peu près égal de spectateurs ; mais ce n’est plus la même sorte de jeu que la veille : c’est le blaid. Au lieu de huit ou dix joueurs, il n’y en a que quatre, deux contre deux : tous les coups s’adressent au mur ; il s’agit de saisir la balle en l’air ou au premier bond, et de la relancer contre le mur au-dessus d’une certaine ligne, avec assez de force ou d’adresse pour déconcerter l’adversaire.
SARE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Ce jeu est moins compliqué et moins imposant que l’autre : il demande pourtant les mêmes qualités, l’agilité, le coup d’œil, la vigueur ; on en suit toutes les chances avec le même intérêt.
Il est une partie de la fête encore plus curieuse, bien que moins populaire ; elle occupe ordinairement l'après-midi du second jour : c’est le concours de poésie basque improvisée et chantée. M. d’Abadie, le géographe bien connu, Basque lui-même, a fondé pour cela un prix annuel. Les compétiteurs des deux sexes se tiennent sur l’un des gradins ; on indique le sujet ; il s’agit de le développer sur le champ en vers d’un mètre réglé.
RUE PRINCIPALE SARE PAYS BASQUE D'ANTAN |
La merveilleuse richesse de combinaisons grammaticales qui distingue la langue basque, facilite singulièrement la versification : c’est pourtant un exercice périlleux que d’improviser en quelque langue que ce soit la forme et les idées sans l’aide d’une certaine préparation. Il ne paraît pas au reste que ce concours ait produit jusqu'à présent des pièces dignes de la postérité, mais il maintient en honneur la langue basque, menacée, des deux côtés de la frontière par l’envahissement du français et de l’espagnol.
Vous savez que l’origine de cette langue aussi bien que du peuple qui la parle, est encore un mystère. Elle ne se rattache d’une manière certaine, soit par ses radicaux, soit par son système grammatical, à aucune famille d’idiomes connus. Elle n’a en particulier rien de commun avec nos langues mères européennes ; elle présente seulement des rapports de structure avec le fianois (finnois), et seulement des analogies de procédés d’agglutination (suffixes et affixes), soit avec les anciennes langues américaines, soit même avec les langues sémitiques. Mais il n’y a rien d'assez intime ni d’assez spécifique dans les ressemblances pour donner lieu à des conjectures plausibles.
SARE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Le problème de l'origine des Basques est donc encore ouvert; on l'aborde aujourd’hui de divers côtés à la fois; les naturalistes par l’anatomie comparée, les philologues par la grammaire comparée. Le nom illustre de Humboldt, se mêle à ces recherches comme à tant d’autres. On est arrivé à savoir, en observant toutes les monnaies anciennes et surtout les noms des localités, que la race basque a occupé autrefois toute la chaîne des Pyrénées, qu’elle s’était répandue le long des côtes occidentales de la Méditerranées, dans la plus grande partie de la péninsule ibérique, et au nord, vers la Loire.
L’histoire dit quelle résistance elle opposa aux Romains, aux barbares et particulièrement aux Francs. Refoulée de siècle en siècle, elle a fini par se resserrer sur les deux versants des Pyrénées, dans la partie occidentale de la chaîne. Elle forme encore une population nombreuse et dense dans les provinces basques d’Espagne; en France elle ne compte plus qu’environ 120 000 âmes dans le sud-ouest des Basses-Pyrénées. D’année en année ce nombre diminue ; des milliers d’émigrants la plupart jeunes, quittent le sol natal pour aller rejoindre à Buenos-Ayres et à Montevideo leurs compatriotes, qui forment déjà sur les bords de la Plata une colonie de 50 000 âmes. Un bien petit nombre reviennent, après avoir amassé une petite fortune ; la plupart réduits à leurs bras, sans instruction commerciale ni autre, vivent au jour le jour, un peu plus à l’aise que chez eux, et ne peuvent songer au retour. C’est là une perte sensible pour la France, et l’on s’en inquiète sérieusement dans les arrondissements de Bayonne et de Mauléon.
Quelle fut la civilisation de ce peuple au temps de sa prospérité? On n’en sait rien ; peut-être les études qui se poursuivent aujourd’hui en diverses voies jetteront-elles quelque lumière sur cette question. Mais il y a lieu de croire que la culture d’esprit ne fut jamais très avancée ; la langue en eût conservé des traces.
HÔTEL ATHERBEA SARE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Par exemple, on ne trouve pas, me disait un jeune linguiste de Bayonne, M. Vinson (l’un des rares savants qui appliquent à l’étude du basque les sévères méthodes de la critique philologique), on ne trouve pas de termes anciens pour exprimer des idées religieuses abstraites. — Ainsi, le nom de Dieu, Jincoa, signifie simplement le maître d’en haut : comparez ce mot au Jéhovah hébreux exprimant l’idée de l'Etre.
Il serait à désirer que l’étude de ce problème fut vivement encouragée, et qu’on vint à bout de recueillir tous les indices pendant que les mœurs et la langue vivent encore. Nous ne devrions pas laisser aux savants suisses ou allemands l’honneur de prendre plus d’intérêt que nous à l’histoire d’une langue qui se parle chez nous, et qui fut jadis celle d’une nation belliqueuse et puissante, amoureuse du bruit et du mouvement, toujours prête aux expéditions aventureuses, plus portée à se répandre au dehors qu’à se replier au dedans, mais intelligente, sobre, fidèle, capable d’une activité réglée et qui aurait singulièrement accru la richesse de notre fonds national, si l’on eût cultivé avec soin ses aptitudes naturelles.
HÔTEL LASTIRY SARE PAYS BASQUE D'ANTAN |
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