SAINT-SÉBASTIEN EN 1904.
En 1904, Saint-Sébastien est une destination prisée par les têtes couronnées, mais aussi les touristes "ordinaires".
VUE GENERALE ST SEBASTIEN - DONOSTIA 1904 PAYS BASQUE D 'ANTAN |
Voici ce que rapporta le journal Le Rappel, dans son édition du 19 septembre 1904, sous la
signature de Lucien Victor-Meunier :
"Album de voyage.
Hendaye, 15 septembre.
Me voici arrivé aux dernières feuilles de cet album. Je crayonne ceci, assis à la terrasse de l'hôtel, avec la mer bleue devant moi, en attendant que la voiture vienne nous chercher, nos malles et nous, pour nous conduire à la gare.
VUE DU PALAIS DE MIRAMAR ST SEBASTIEN - DONOSTIA 1904 PAYS BASQUE D'ANTAN |
C'est le retour. Je n'ai plus que la journée d'hier à conter.
Elle a été toute de soleil et de gaieté tintinnabulante et chatoyante autour de nos yeux et de nos oreilles, si bien que j'en ai éprouvé une sorte de griserie infiniment douce.
Ah ! cette vision de Saint-Sébastien la nuit !...
VUE DU CHÂTEAU ST SEBASTIEN - DONOSTIA 1904 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Nuit chaude et parfumée, une de ces nuits frémissantes où il semble que des baisers d'amour, épars dans l'air, se posent sur votre front, sur vos paupières, sur vos lèvres. Les larges avenues plantées d'arbres à grandes feuilles sont pleines de murmures ; les terrasses des cafés éblouissent, débordent sur la chaussée, s'étalent ; partout des femmes, des femmes en robes claires, en robes blanches, avec de grands chapeaux blancs, ah ! que de blanc ! quelle suavité que tout ce blanc !
Un fouillis de dentelles, un envolement de mousselines ; les éventails s'agitent, les fleurs se penchent. Sous l'arc fermement dessiné des sourcils noirs, les prunelles noires s'ouvrent en des profondeurs où se perd le regard fasciné. Le rouge saignant des bouches charnues rehausse l'éclat des pâleurs splendides. Des ombres duvetées estompent le dessin pur des lèvres. D'adorables fossettes se creusent et l'ampleur des rires heureux découvre les dents étincelantes, fait se gonfler les gorges dont le modèle exquis apparaît par les entrebâillements des mantilles, des fichus négligemment posés, tout blancs sur le rose.
PASEO ST SEBASTIEN - DONOSTIA 1904 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Les manches, un peu tombées, laissent voir les bras ronds dont la chair a le poli du marbre. Les doigts s'allongent, nerveux et souples, chargés de bagues, soulevant les verres où chatoient dans l'écrasement scintillant de la glace pilée, les boissons orangées ou vertes, ou blanches. Des pieds, si petits, dans les bas à jour, passent sous les jupes ; et, parfois, la brusque tension des étoffes révèle les contours harmonieux du corps qui tout entier vibre aux frissons de volupté qu'on respire avec l'air même, à poumons enivrés.
On boit, on chante, on fume ; des exclamations gutturales coupent les chants confus qui s'élèvent çà et là, mêlés à des soupirs de guitare, à des ricanements de castagnettes.
Saint-Sébastien, en belle fille indolente, étendue au bord de la mer, s'abandonne tout à la joie de vivre, au bonheur d'aimer.
ENTREE DU PORT ST SEBASTIEN - DONIOSTIA 1904 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Un moment, l'espace s'emplit de crépitements de fusillade et les longues traînées lumineuses du feu d'artifice balafrent le ciel que le rassemblement des étoiles fait plus sombre, noir comme sont noirs les yeux de toutes ces femmes.
Un peu partout, on danse ; des couples enlacés disparaissent en tournoyant sous les arbres, dans le mystère des larges feuilles étalées et tremblotantes ; et toute la nuit, Saint-Sébastien ainsi boira, chantera, fumera, dansera, aimera, jusqu'à ce que, derrière les montagnes, se montrent les premières lueurs de l'aube.
Alors, sans doute, les souffles d'amour envolés des chambres où l'on est deux feront palpiter les longs stores qui voilent, comme avec une pudeur lascive, chaque croisée...
PLAGE ST SEBASTIEN - DONOSTIA 1904 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Nous, le fidèle architecte et moi, nous avons dû prendre le dernier train ; à onze heures vingt, je crois. Il était minuit et demi lorsque nous avons entamé les trois kilomètres qui séparent la gare d'Hendaye de Hendaye-plage. La nuit était très claire ; la lune, croissant rouge, émergeait de l'horizon ; la mer, basse, s'entendait à peine. Nous marchions côte à côte, écoutant en nous la rumeur des souvenirs que nous rapportions de là-bas.
Oh ! être, dans ce décor de féerie de Saint-Sébastien, avec, à son bras, la femme aimée et qui vous aime ! avoir sa part de tout cet amour dont on est à la longue imprégné comme de ces parfums âpres et doux à la fois qui finissent par pénétrer dans la peau !...
PASEO DE LA CONCHA ST SEBASTIEN - DONOSTIA 1904 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Combien mélancolique, ce retour dans la nuit. Elle était chaude et caressante, sans un frisson, si sereine qu'une grande douceur, qu'un apaisement profond s'épandait dans l'âme. Ah ! pauvre, qui est seul, par une telle nuit!...
C'était le retour. Ce soir, tout à l'heure, on sera de nouveau à la table de travail, l'outil à la main, cette plume parfois si légère, parfois si lourde, qui par moments tressaille entre les doigts qui la tiennent comme si elle vivait, et qu'à d'autres instants, on soulève avec tant de peine. Allons ! du courage!...
ALDERDI EDER ST SEBASTIEN - DONOSTIA 1904 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Mais faut-il maintenant narrer par le menu cette journée passée à Saint-Sébastien ? J'ai commencé par la fin, je ne me sens guère plus la force de retourner au commencement.
Nous avons visité sommairement la ville ; nous avons, cela va sans dire, été échanger un salut cordial avec Paul Déroulède, n'ayant que notre nom à lui dire pour qu'il sache qu'en politique un abîme infranchissable nous sépare, mais voulant, dans une pensée que tous les gens de cœur comprendront, certes ! apporter à cet exilé la poignée de main d'un Français ; puis, nous avons été à la plaza de toros.
PLAZA DE TOROS ST SEBASTIEN - DONOSTIA 1904 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Le roi assistait à la corrida. Oh ! le pauvre petit roi, blanc et blême, dont les mains ont à peine la force d'applaudir et dont la front semble accablé par le poids de sa casquette de chef de gare. Je l'ai vu de tout près lorsque, le spectacle fini, il est monté en voiture. Il serre vraiment le cœur. Misère physiologique ; quel sang pauvre ! quels muscles débiles. Il promenait des regards atones qui ne voyaient rien, sur la foule qui restait muette, ne témoignant même pas de curiosité. Comme il paraissait chétif et nul au milieu de cette immense cohue, bariolée, pimpante, joyeuse, exhalant une telle chaleur de vie sous le grand soleil !
La mer était superbe, aussi bleue que l'est la Méditerranée dans les plus beaux jours. Au loin, il y avait des petites voiles, toutes blanches. La fumée d'un steamer traînait, floconneuse, à l'horizon. Pas un nuage au ciel.
QUAI DU PORT ST SEBASTIEN - DONOSTIA 1904 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire