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samedi 6 novembre 2021

LE NATIONALISME BASQUE EN 1907 (deuxième et dernière partie)

 

LE NATIONALISME BASQUE EN 1907.


Dès la fin du 18ème siècle, l'idée de nationalisme Basque commence à naître, en Pays Basque Sud (Hegoalde).




pais vasco antes nacionalismo
SABINO ARANA GOIRI

Voici ce que rapporta à ce sujet le journal La Revue, dans son édition du 15 décembre 1907, sous 

la plume d'Angel Marvaud :



"Le Nationalisme Basque.



Le programme du Parti a été adopté à l’assemblée de Bilbao, le 15 juillet 1906. Il se résume dans ces quatre mots inscrits sur son drapeau par l’apôtre Arana-Goiri et qui sert à ses disciples actuels de cri de ralliement et de guerre :

Jaun-Goikua eta Lagi-Zarra

(Dieu et anciennes lois)  



Malgré la réprobation officielle de l’évêque, qui a interdit les sermons dans toutes les cérémonies religieuses organisées par les nationalistes, le Parti recrute tous le jours de nouveaux partisans dans le jeune clergé paroissial : les prêtres plus avancés en âge, continuent à rester Carlistes ou intégristes (dans le sens de Nocedal). 



Quant au clergé régulier, son attitude est encore malaisée à définir : il semble se tenir en dehors de la lutte : bien plus d’un bon Père capucin voit d’un oeil favorable le mouvement nationaliste. Les Jésuites, au contraire, attendent trop de la monarchie régnante pour se prononcer ouvertement en faveur de ce nouveau parti "catholique".



Les "nationalistes" basques, les bizcaitarras, veulent rendre à leur patrie — en ce qui concerne les quatre provinces espagnoles — sa situation d’avant 1839 ; pour le pays de Laburdi et de Zuberoa, dans les Basses-Pyrénées françaises, ils réclament l’abrogation des lois révolutionnaires de 1789. Mais leurs aspirations vont bien au delà du domaine politique.



La caractéristique de ce petit peuple est d’être foncièrement hostile aux idées modernes : tout, dans le "libéralisme" (au sens où on emploie encore ce mot au sud des Pyrénées, comme chez nous vers 1830) l’inquiète et l’effraie. Ces gens, qui n’hésitent pas à traverser l’Océan pour chercher fortune au Nouveau-Monde, se montrent timides en matière politique et religieuse. Jetés là-bas dans un creuset intense où entrent en fusion et s’allient les idées émancipatrices importées des quatre coins du globe, ils coudoient de longues années les aventuriers de tous pays sans se mêler à eux, et reviennent au foyer natal avec les mêmes convictions et les mêmes répugnances qu’au moment de leur départ ; ils y rapportent le même esprit de tradition et de fanatisme, et se montrent aussi résolus qu’avant à défendre pied à pied, l'Euskadi — comme ils désignent l’ensemble des pays basques — contre le parlementarisme et la liberté des cultes.



pais vasco antes politica vasca
PNV 1906
PAYS BASQUE D'ANTAN


Le programme nationaliste a un quadruple objet : 

1° Que le peuple basque suive les enseignements de la vraie religion chrétienne comme les ont suivis et observés ses ancêtres ;

2° Que les usages et coutumes tombes en désuétude soient remis en honneur ; qu’on respecte ceux qui subsistent et combatte les usages "exotiques" si préjudiciables.

3° On se propose de ressusciter les institutions juridiques, économiques et autres de l’ancien temps ;

4° De développer les arts et les lettres basques "qui sont une manifestation de la nationalité basque", et de répandre la langue basque (l'euskera) de façon qu’elle soit seule parlée dans la contrée.



Et le manifeste ajoute : "Comme règle de sa façon de faire et de procéder dans ces différents ordres d’idées, le Parti se conformera aux préceptes de la plus pure morale chrétienne, telle que l'a sanctionnée une tradition constante."



Cette phrase en dit plus long sur le nationalisme basque, sur son caractère, ses tendances, et sur les influences qui y prédominent, que ne sauraient le faire de longs commentaires.



Le Parti ne se rattache a aucun des groupes représentés aux Cortès de Madrid. Si les Basques ont placé autrefois tout leur espoir en Don Carlos, il paraît bien qu’ils n’aient plus en lui aucune espèce de confiance. Un petit livre, intitulé "Ami Vasco" dont l’auteur signe "Iber" — nous fournit de précieuses révélations à cet égard. A en croire Iber, les Basques n'auraient pas de plus grand ennemi que le carlisme : c’est à lui qu'on doit la perte des fueros et aussi ce mépris qu'affectent certaines grandes familles du pays depuis 1833 pour la langue nationale.



Quant au prétendant, voici le portrait qu’on nous en fait : "Ni avant, ni après, ni pendant la guerre, Don Carlos n'a témoigné ces qualités extraordinaires qui seraient nécessaires pour sauver le peuple basque. Son talent ne dépasse guère la médiocrité, il n'est pas supérieur à cet égard à la plupart des monarques actuels, et il est même inférieur à beaucoup d’entre eux. En tant que militaire, il n’a jamais gagné de bataille de quelque importance. Quant à sa prudence et à sa sagacité politique, il suffit de rappeler que durant la dernière campagne, il ne fut entouré que de traîtres, auxquels il prodiguait la plus entière confiance, qu'il négligea toutes les occasions favorables pour le triomphe de sa cause, et qu’il est impossible de citer dans toute son histoire politique un seul fait où il ait montré des qualités de gouvernement. Son caractère moral, enfin, se trouve tout entier dans les fêtes et les bals qu’il donnait à Durango et ailleurs, tandis que les malheureux Basques se faisaient tuer pour lui sur les champs de bataille..."



Toutes les luttes passionnées que se sont livrées les carlistes et les nationalistes ces dernières années, les ardentes campagnes de presse au moment des élections, les rencontres à main armée qui ont à diverses reprises ensanglanté le pavé de Vitoria ou de Bilbao, trouvent leur explication dans cette âpre et mordante diatribe. Don Carlos, au dire des nationalistes, ne saurait aimer plus sincèrement les libertés basques qu'aucun autre Bourbon de sa famille. Il ment donc effrontément, lorsqu’il promet leur rétablissement. Pas une goutte de sang basque ne coule dans ses veines : comment l’ "Euzkadi" identifierait-elle sa cause avec celle de cet étranger, de cet Espagnol "d'au-delà de l'Ebre ?"



Le Parti nationaliste ne compromet pas davantage sa cause avec celle des autres partis "intégriste" ou "fuériste". Il repousse même ce mot de "fuero" qui implique — selon le dictionnaire de l’Académie espagnole — un sens de privilège et d’exemption pour lui substituer le terme plus expressif en basque de "Lagi-Zarra" (les lois antiques) : ces prétendus fueros, en effet, "loin d’être des privilèges concédés par des rois ou des gouvernements étrangers, sont des lois propres que les Basques ont faites pour eux-mêmes dans l’exercice de leur absolu souveraineté, sans l’intervention d’aucun pouvoir extérieur."



Les bizcaitarras ne comptent donc que sur leurs propres forces. Ils possèdent, d’ailleurs, une organisation très complète. Pour entrer dans le parti, il faut être Basque — d’origine ou de naissance — et âgé de plus de seize ans. Chose curieuse, les prêtres et les religieux, aux termes du règlement, en sont exclus.



La direction est confiée à des "juntes" ou assemblées municipales, des conseils régionaux et un conseil suprême, nommé à l’élection secrète. Le Parti a ses commissions de culture (pour l’instruction et l’éducation de la jeunesse Basque), d’action sociale, d’émigration, etc. Il a son hymne national "L’arbre de Guernica", et son journal hebdomadaire "L’Aberri" (la Patrie) qui doit devenir quotidien : un capital de cent vingt-cinq mille pesetas est déjà réuni dans ce but. Le Parti a des représentants non seulement dans les pays basques français, mais aussi à l’étranger, c’est-à-dire à Madrid et à Paris. Il compte des adhérents dans les diverses colonies basques établies en Amérique et aux Pays-Bas. Enfin, il a son trésor, alimenté par des quotes ordinaires volontaires, au mois ou l’année, et des quotes extraordinaires, imposées le cas échéant par les assemblées régionales.



Tous ces détails minutieusement réglés suffiraient à montrer que nous ne nous trouvons pas en présence d’un mouvement éphémère. Le Parti ne vient que de naître : sa première assemblée générale — la seule qu’il ait tenue depuis sa constitution définitive — est du 8 décembre de l’an dernier, jour de l’Immaculée-Conception. Chaque année, à pareil date, l’assemblée doit se réunir dans une ville différente. L’année dernière, c’était Bilbao. Pour cette année, on parle de Pampelune.



On ne saurait donc faire encore la moindre prédiction sur l’avenir du nationalisme basque. Il faut attendre et observer. Le Parti ne compte peut-être pas plus aujourd’hui de dix mille membres actifs, partagés entre plus de trente Batzokis ou Sociétés nationalistes, mais il peut avoir confiance dans la sympathie de l’immense majorité des Basques et il espère, de fait, les enrôler tous, avant trente ans, sous son drapeau. C’est ce que nous annonce "L’Ami Vasco". Nous lisons aussi dans ce petit livre — si étrange que cela paraisse — que les nationalistes, pour atteindre leur but, n’hésiteront pas, le cas échéant, à faire appel à l’étranger, à l’Anglais ou à l’Allemand, peu importe!.



Gardons-nous, au reste, d’attacher à cette déclaration une importance excessive. Tant que les nationalistes borneront leurs manifestations à porter des fleurs et à prononcer des discours sur la tombe de Sabino Arana, on aura raison à Madrid de fermer les yeux. Mais l’exemple des Catalans — qui ont réussi, aux dernières élections, à rester maîtres chez eux — soulève dans la Péninsule un vent de régionalisme, que les pays basques seront sans doute les premiers à ressentir. Le gouvernement espagnol aurait tort, s’il espérait — comme il a essayé de le faire à Barcelone — endiguer et contenir le nationalisme (disons : le séparatisme) en favorisant ouvertement ou en sous-main les partis les plus avancés. Bilbao est le centre principal du socialisme espagnol, c’est là qu’il a remporté ses plus grands succès. Aux élections législatives de mai, on comptait même qu’avec l’aide officielle, son chef Pablo Iglesias serait élu. L’événement a déjoué ces prévisions : et la lutte a été circonscrite entre les conservateurs et caristes d’une part et les nationalistes d’autre part.



Les socialistes de Bilbao — comme les républicains avancés de Barcelone — ne sauraient être pour la monarchie espagnole que de douteux alliés — et, ce qui plus est, des amis dangereux. En faisant de l’étatisme et de l’anticléricalisme des articles de leur programme, ces partis extrêmes — outre qu’ils inquiètent par leurs revendications sociales et leurs idées semi-anarchistes les classes capitalistes et les amis de l’ordre — surexcitent les défenseurs du nationalisme et leur procurent de nouveaux adeptes parmi les éléments "neutres".



Tout ceci ne suffit-il pas à montrer que ce mouvement, qui heurte nos portes — je dirai même qui a gagné une partie de notre territoire — mérite autre chose qu’un simple intérêt passager de curiosité ?"



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