VOYAGE EN DILIGENCE EN 1861.
La diligence est une voiture hippomobile pour le transport en commun.
LE DEPART DE LA DILIGENCE 1818 DESSIN DE GEORGES CRUIKSHANK |
La diligence atteint son apogée en Europe au 19ème siècle. La grande diligence est alors divisée
en 3 compartiments : de l'avant vers l'arrière, le coupé (parfois le cabriolet), la berline ou
l'intérieur et à l'arrière la rotonde peu appréciée des voyageurs.
Voici ce que rapporta au sujet d'un voyage au Pays Basque, en diligence, le journal Le Soleil,
dans son édition du 21 février 1903, sous la plume de George Light :
"Vingt-quatre heures en diligence.
En mai 1861, très jeune encore, mais écœuré déjà par des déceptions prématurées, je me décidais à quitter un pays où je ne trouvais que des désillusions et j'allais chercher le calme de l’esprit dans la belle et chevaleresque Espagne.
L’Espagne ! La patrie des alcades revêches et des sérénades amoureuses, des mariolas langoureuses et des toréadors endiablés, des cigarettes parfumées et des castagnettes sémillantes, quelle séduction !
Précisément, un ami de mes parents qui s'était réfugié chez eux pendant la tourmente déchaînée en décembre, m’offrait une une lettre de recommandation pour un de ses amis intimes, le marquis de Laguna, riche propriétaire, demeurant à Vitoria, capitale (chef-lieu) de la province d'Alava.
Donc, muni de cette lettre, d'une grammaire espagnole et d’un dictionnaire franco-espagnol, je pars pour Vitoria, un beau soir, et d'une traite j’arrive à Bayonne, où je suis forcé de m'arrêter, puisque le train ne va pas au-delà, et où j'ai à prendre la diligence qui se rend à Madrid, en passant par Vitoria.
DILIGENCE AUTREFOIS |
Après deux jours consacrés à visiter la ville et à parcourir ma grammaire espagnole, je vais retenir ma place au bureau de la diligence.
— Une place pour Vitoria, dis-je à l'employé.
— Quelle place voulez-vous ?
— Une place de coupé, parbleu !
— Très bien ! Vous avez la première, soyez ici demain matin, à six heures ; on n’attend pas les retardataires.
Le lendemain matin, à six heures précises, je me rends au bureau et je suis bien étonné de le trouver fermé ; mais, voyant devant la porte une vieille diligence, j'attends patiemment ; au bout d’un quart d’heure, arrivent les employés, bientôt suivis d'hommes en habits de voyage et de cinq solides percherons, qu’on s’empresse d'atteler. Des voyageurs arrivent également. On empile les bagages sur la voiture et on fait l'appel. Le coupé et la rotonde se remplissent, sans que j’entende mon nom : je vais réclamer ; mais on m’appelle et l'on me fait signe de monter sur l'impériale. Je proteste :
— Mais j'ai retenu la première place de coupé !
— Eh bien ! Prenez-la ; vous voyez bien qu’on vous l’a réservée.
J’apprends alors que, dans les diligences espagnoles, le coupé s'appelle berlina et l'impériale cupé.
DILIGENCE BAYONNE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Je prends allègrement mon parti, d'autant plus qu’ainsi placé je verrai mieux le pays, et me voilà installé sur l'impériale, entre le conducteur et un Auvergnat, ouvrier boulanger à Madrid, où, parait-il, tous les ouvriers boulangers sont originaires de l’Auvergne.
Nous partons ; mais, dès les premiers cahots, ma tête va se cogner contre la voiture et des valises dégringolent sur mon dos ; je réussis à fixer ces maudites valises et, pour épargner des heurts à ma pauvre tête, j'étends fortement les jambes, restant ainsi à demi-allongé ; seulement, dans cette position, je ne vois que le dos du postillon et je me rassieds, au grand détriment de ma tête, attendu, que ce cette vieille guimbarde cahote horriblement. Je prends le parti de m'adresser au conducteur :
— Vous ne pourriez pas me donner une place en bas ? dis-je.
— No entiendo, me répond-il en souriant.
Bon ! C’est un Espagnol qui ne parle pas français. Je prie l’Auvergnat de traduire ma requête ; mais il m'assure que c'est inutile, qu'en bas tout est pris ; je bénis sa complaisance et, à l'aide de mon dictionnaire, je fais moi-même cette traduction ; mais le conducteur me répond encore, avec le même sourire :
— No entiendo.
Plus tard, j'ai pu reconnaître que ma phrase était suffisamment correcte ; mais je prononçais si mal que le conducteur était bien excusable de ne pas comprendre.
Toutefois, j'avais remarqué qu'il avait offert un cigare au postillon en disant :
— Toma !
Je me résous à prendre celui-ci pour interprète et je l’appelle :
— Thomas ?
Sans se retourner, le postillon me tend sa main, croyant que je vais lui donner quelque chose. Ne sachant pas que "Toma" veut dire : "prends", je lui saisis la main, je la serre amicalement et je le prie d'exposer ma peine au conducteur ; ce qu'il fait aussitôt ; le conducteur explique qu’il tâchera d'arranger la situation, à la frontière, et que ce n’est pas possible auparavant.
Forcé de me résigner, je contemple le pays, qui est magnifique, splendide : la route traverse des champs verdoyants ; à droite des fermes, des villas et parfois la mer ; à gauche et en face, de superbes montagnes d'un bleu intense, que surmontent des pics neigeux d'une blancheur éclatante.
A un certain moment, mes regards sont attirés par une ville pittoresque, dont les hautes maisons blanches ou rouges semblent se baigner dans la mer ; acharné après mon souriant conducteur, je lui dis, après avoir fabriqué une phrase aussi élémentaire que concise :
— El nombre de esta ciudad (le nom de cette ville) ?
— San Juan de Luz ! s'écrie-t-il, avec son perpétuel sourire.
ST JEAN DE LUZ EN 1882 DESSIN DE CHARLES HENNEBUTTE |
J'entends "Candelous", ce qui ne m'apprend rien ; mais ma physionomie exprime une vive satisfaction et, en effet, je suis ravi d'être parvenu à me faire comprendre.
Je continue à admirer ce merveilleux paysage : la montagne et la mer, et nous atteignons enfin la Bidassoa, c'est à dire la frontière. Là, nos nous arrêtons pour faire viser nos passe-ports par un commissaire de police, installé sur ce point à cet effet ; ce commissaire est très gracieux et me donne spontanément de bons avis sur certaines précautions à prendre en voyageant dans la patrie de Don Quichotte ; mais, au lieu de lui adresser les remerciements qu'il mérite, je me renferme dans une réserve pleine de dignité.
Nous repartons et prenons le pont jeté sur la Bidassoa ; vers le milieu, à la hauteur de la fameuse île du Faisan, où fut décidé le mariage de Louis XIV, j'aperçois l'autre extrémité du pont, avec la sentinelle espagnole, et, pris d'enthousiasme, je jette dans la rivière mon papier Job et mon tabac français, que je devais regretter d'ailleurs ; mais nous voici en Espagne, la patrie des cigarettes... Enfin !"
BIDASSOA 1830 |
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