LA BATAILLE DE VITORIA-GASTEIZ EN 1813.
La bataille de Vitoria fut livrée le 21 juin 1813, entre les troupes françaises qui escortaient le roi d'Espagne, Joseph Bonaparte dans sa fuite et un conglomérat de troupes britanniques, espagnoles et portugaises sous le commandement du maréchal Arthur Wellesley, vicomte de Wellington.
BATAILLE DE VITORIA-GASTEIZ 21 JUIN 1813 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Voici ce que rapporta le journal Le Temps, dans son édition du 28 septembre 1902, sous la
signature de Gaston Deschamps :
"Méditation sur un champ de bataille.
Vitoria (Espagne), septembre 1902.
Un clair de lune sépulcral, sur un paysage de désolation et de mort. La vaste plaine est sombre sous les clartés bleues de la nuit étoilée. L’immense solitude est hantée, ça et là, par des silhouettes d’arbres fantômes. L’horizon est barré par une longue montagne, toute noire, qui ressemble à un catafalque. Je ne sais si cette impression est un résultat nécessaire de toute cette ombre et de tout ce vide... Jamais je n’ai rien vu de plus funèbre. Un voile de deuil recouvre ici les hommes et les choses. Hélas ! c’est l’Espagne, telle que l’ont faite les Bourbons des siècles mornes. On dirait que le nez triste de Charles IV s’allonge démesurément dans la forme des nuages qui, de temps en temps, s’avancent à travers l’azur sombre et dominent la mélancolie de ce décor. Je songe à la séculaire pesée des lois injustes et des coutumes barbares qui ont épuisé la sève du noble peuple d’Espagne, et réduit des terres fertiles à une stérilité que les Arabes de la décadence n’avaient pas connue. C’est à peine si, de distance en distance, les rayons lunaires font miroiter un reflet d’argent en quelque flaque d’eau stagnante,— seule gaieté de ce lieu lugubre. Pas une lumière dans les villages. Les métairies, éparses sur ce plateau sablonneux, sont muettes et aveugles. Chacun de ces murs en pierres sèches a l’air d’être bâti pour masquer une embuscade d’escopettes et de tromblons. On se souvient que, récemment encore, au temps des guerres carlistes, les fenêtres de ces pueblos, sournoises et perfides comme des meurtrières d'échauguettes, crachaient sur des peaux espagnoles les provisions de balles qu’on n’avait pas épuisées contre les Français.
Quelques vers de Victor Hugo chantent dans ma mémoire :
L’Espagne me montra ses couvents, ses bastilles ;
Burgos, sa cathédrale aux gothiques aiguilles;
Irun, ses toits de bois ; Vitoria, ses tours.
J’avoue qu’il faut avoir une belle imagination de poète romantique pour apercevoir des "tours" à Vitoria. Il y en avait peut-être en 1811, lorsque le petit Hugo, fils d’un général français au service du roi d’Espagne, vint rejoindre son père à Madrid. Modeste voyageur, je n’ai vu à Vitoria que des rues sans couleur locale et un monastère dé visitandines, tout neuf. La ville haute ou "vieille ville" (villa vieja) qui, à cause de son nom, pourrait attirer le touriste en quête d’émotions pittoresques, se compose de cinq ou six ruelles où grouille une amusante marmaille. Et pas la moindre tour !... Cependant, comme je n’aime pas la pédanterie qui consiste à dauber sur les fantaisies des poètes, je dirai volontiers qu’on voit, sur la façade de la Casa consistorial, les armes de Vitoria : un château-fort, supporté par des lions. Voilà, évidemment, les tours que Victor Hugo a vues. Quant aux lions de Vitoria, il ne semble pas les avoir remarqués.
On s’est pourtant battu, bien battu dans cette plaine. Les Anglais et les Français ont illustré, ici, la mémorable journée du 21 juin 1813, par un de ces combats qui honorent les vainqueurs sans déshonorer les vaincus, et dont un historien impartial, M. Guillon, vient de publier un récit très complet. Nous avons perdu la bataille de Vitoria. Mais nous avons gagné, au cours des siècles, tant d’autres batailles, que nous pouvons bien parler de celle-ci sans amertume et sans rancune.
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Donc, un corps de cent mille hommes, commandés par Wellington, prit ses cantonnements aux alentours de Vitoria, dans la journée du 20 juin 1813. Cette armée, après avoir échappé au maréchal Marmont, avait triomphé bruyamment d'une petite troupe de cinq mille Espagnols, Français et Hessois, enfermés dans la citadelle de Badajoz. La prise de Badajoz nous a été contée par un témoin oculaire, le sergent Lawrence, qui servait dans l’armée britannique, et qui décrit copieusement les joyeuses conséquences de cette victoire :
... On roula des barriques de vin dans la rue, et on les défonça pour que chacun pût y boire. Quand les officiers essayaient de rétablir l’ordre en renversant les barriques, les hommes, qui étaient ivres, se couchaient à terre pour boire à même le ruisseau.
Lorsque toute cette canaille fut ivre-morte et qu’un certain nombre de soldats furent morts de leurs excès, alors seulement la pauvre ville put respirer un peu. Le matin, on mit de garde quelques troupes fraîches, et on dressa quelques potences, mais on ne s’en servit guère. Deux ou trois officiers avaient été tués en essayant de rétablir l’ordre. Lord Wellington punit tous les coupables en leur supprimant leur grog pour quelque temps.
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On pourrait être surpris des succès d’une pareille armée ; si l’on ne savait à quel point le commandement, dans l’état-major de l’armée française, avait été affaibli par des mutations incessantes et par lé défaut d’unité dans la direction de l’ensemble. Toutefois, Wellington échoua devant Burgos, dont il assiégea vainement le castillo, occupé par le général Dubreton, excellent officier qui, avec 2 000 fantassins repoussa cinq assauts successifs. Cette belle défense fut inutile. Inutile aussi, la vive attaque du général Souham, qui rejeta Wellington dans la vallée du Douro. Les exigences du protocole avaient malheureusement obligé nos généraux à se mettre sous les ordres de Joseph, roi d’Espagne. Or, M. Guillon décrit fort bien les qualités et les défauts de ce monarque :
... Joseph n’exécutait que de faux mouvements (tantôt sur sa droite, tantôt sur sa gauche) qui n’avaient d’autre résultat que de fatiguer les troupes et de leur enlever toute confiance dans les talents stratégiques de leur chef...
Le pauvre Joseph était plus indécis que jamais... Ce prince valait beaucoup mieux que les Bourbons qui l’avaient précédé. Mais il était permis aux Bourbons d’être "ignorants, vaniteux ou imbéciles". Ils avaient pour eux la tradition. Il n’était pas permis à Joseph d’être seulement intelligent, instruit, affable et d’humeur pacifique. Il y fallait autre chose...
Joseph était fait pour la vie molle et facile d’une petite cour italienne. Il vivait dans un cercle intime, où l’on trouvait, avec le maréchal Jourdan, dont le roi appréciait fort la franchise et la probité, le général Belliard, gouverneur de Madrid, qui avait conquis tout le monde par ses manières agréables, et que les Espagnols appelaient la fleur des courtisans, les généraux Saligny et Merlin, le comte Miot de Melito, le spirituel secrétaire Deslandes et plusieurs Espagnols de distinction.
Sa bonté naturelle l’égarait... Le général Bigarré en parle avec beaucoup de sympathie, comme Jourdan, comme le général Hugo, comme tous ceux qui 1’approchaient.
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Voici, en effet, le témoignage que le général Bigarré, dans ses Mémoires, a rendu en faveur du roi Joseph, dont il était aide de camp :
Joseph convenait parfaitement pour roi à la masse des Espagnols instruits et propriétaires. Mais les prêtres redoutaient le système de gouvernement adopté en France et, pour cette raison, tenaient à conserver un Bourbon sur le trône d’Espagne. Ils firent donc tout ce qu’ils purent pour empêcher le peuple de s’attacher au nouveau roi. Joseph ne fut pour le peuple espagnol, dont l’ignorance et la crédulité sont au-dessous de tout ce que l’on peut dire, qu’un souverain sans principes religieux et sans conduite. On le représenta, dans plusieurs caricatures, la figure enluminée, le corps gros, les jambes de travers, tenant dans chacune de ses mains une bouteille pleine et, sous les pieds, un crucifix.
Ce document d’ordre privé et qui n’enregistre qu’une impression personnelle, s’accorde parfaitement avec le douzième bulletin de l’armée française d’Espagne, où je lis notamment ceci :
Les moines espagnols sont tirés de la lie du peuple. Ils sont ignares et crapuleux. On ne saurait leur trouver de ressemblance qu’avec des artisans employés dans les boucheries. Ils en ont l’ignorance, le ton et la tournure. Ce n’est que sur le bas peuple qu’ils exercent leur influence. Quant aux malheureux paysans espagnols, on ne peut les comparer qu’aux fellahs d'Egypte. Ils n’ont aucune propriété. Tout appartient aux moines ou à quelque nation puissante.
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Excellent, comme d'habitude. Juste qu'on ne parlait (ni ne parle aujourd'hui) de la Bataille de Vitoria-Gasteiz (appellation très récente).
RépondreSupprimerMais bien, hélas, de la triste bataille de Vitoria.