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samedi 9 mars 2024

L'ARMÉE FRANÇAISE À LA FRONTIÈRE DES PYRÉNÉES AU PAYS BASQUE AU DÉBUT DU 19EME SIÈCLE (deuxième partie)

 

L'ARMÉE FRANÇAISE AU PAYS BASQUE À LA FIN DU 18ÈME SIÈCLE.


La frontière, au Pays Basque, a, souvent, été le théâtre de manoeuvres militaires.



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CHASSEURS A PIED BASQUES 1794-1815
PAYS BASQUE D'ANTAN




Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien Le Spectateur Militaire, dans plusieurs éditions, sous 

la plume du Lieutenant-Colonel J. B. Dumas :


  • le 1er mars 1909 :



"Couverture de la zone-frontière des Pyrénées. 


Manœuvres de couverture du maréchal Soult en 1813.




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MARECHAL JEAN-DE-DIEU SOULT


Battue à Vitoria le 21 juin 1813, l’armée française se trouvait en juillet sur la frontière des Pyrénées, de Saint-Jean-Pied-de-Port à l’embouchure de la Bidassoa. Elle y contenait l’ennemi. Le maréchal Soult arrivait à Bayonne le 12 juillet pour prendre le commandement. Il disposait de 69 000 hommes. En face de lui, l’armée de Wellington comptait 90 000 hommes.



Dès la fin de juillet, le maréchal Soult prenait l’offensive par Saint-Jean-Pied-de-Port et par le col de Maya, afin de secourir Pampelune. Il parvenait à percer jusqu’à 10 kilomètres de Pampelune ; mais, après une lutte de deux jours, (28 et 29 juillet), il était rejeté en France, ayant perdu 13 000 hommes. (Sorauren.)



Le 31 août, il effectuait une nouvelle tentative pour délivrer Saint-Sébastien ; il était repoussé avec une perte de 3 600 hommes.




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BATAILLE DE SAINT-SEBASTIEN GUIPUSCOA
DU 7 JUILLET AU 8 SEPTEMBRE 1813
TOILE DE DENIS DIGHTON
Par Denis Dighton — https://artuk.org/discover/artworks/the-storming-of-san-sebastian-197101, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=24853084



Wellington se trouvait alors à la tête de 131 000 hommes. Le 7 octobre, il prenait l’offensive, surprenait le passage de la Bidassoa et enlevait la Croix-des-Bouquets près de Saint-Jean-de-Luz, la Baïonnette en avant d’Ascain et la montagne de la Rhune.



Le 8 septembre, Saint-Sébastien, après une énergique défense et cinquante-neuf jours de tranchée ouverte, avait dû se rendre. Pampelune se rendait le 31 octobre après quatre mois de siège.



Le 10 novembre, Wellington reprenait l’offensive contre le maréchal Soult établi sur les deux rives de la Nivelle, de Saint-Jean-de-Luz à Urdax. Il forçait le centre français à Saint-Pé, après un combat acharné et repoussait le maréchal sous Bayonne.



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DUC DE WELLINGTON


Le 9 décembre, l’ennemi passait la Nive à Ustarits, à Larressor, à Cambo et à Itsatsou et parvenait avec sa droite jusqu’à Saint-Pierre-d’Irube, coupant la route de Bayonne à Saint-Jean-Pied-de-Port, tandis que sa gauche ne pouvait dépasser Villefranque, mais atteignait Anglet. Rassemblant alors ses forces à Bayonne, le maréchal débouchait sur la rive gauche de la Nive et attaquait sans succès l’armée de Wellington, divisée par la Nive et campée à Bidart, Arcangues, Arraunts, Ustarits et Saint-Pierre-d’Irube. Dans la nuit du 12 au 13 décembre, il faisait une nouvelle tentative eu lançant 3 divisions par la rive droite. Un retour offensif de Wellington avec 30 000 hommes forçait le maréchal à se replier sous Bayonne même, avec 6 000 hommes de pertes et après avoir infligé à l’ennemi 8 000 hommes de pertes.



Manœuvres de couverture de 1814.


Au début de 1814, l’armée du maréchal Soult (60 000 hommes) s’était repliée sur la rive droite de l’Adour de Bayonne à Port-de-Lanne (7 kilomètres nord-ouest de Peyrehorade, au nord du confluent des gaves et de l’Adour).



Trois divisions gardaient Bayonne et les camps retranchés qui s’y appuyaient. Trois divisions occupaient Saint-Etienne, Saint-Martin-de Seignans et Saint-Laurent, au nord de l’Adour. Deux divisions tenaient la rive gauche de la Bidouze, vers Bardos, en avant de la rivière, poussant des postes de couverture jusqu’à la Joyeuse, à Labastide-Clairence, Bonloc, Hélette. La réserve d’artillerie et les parcs étaient à Dax. Un pont de bateaux, jeté sur l’Adour à Port-de-Lanne, assurait les communications transversales.



L’armée tenait défensivement Saint-Palais à 30 kilomètres en avant de sa gauche, et elle s’était ménagé des débouchés en organisant des têtes de pont sur la Bidouze à Saint-Jean, à Bidache et à Came en avant de Peyrehorade, quartier général du maréchal.



Enfin, en avant encore, la division Harispe gardait Saint-Jean-Pied-de-Port à 30 kilomètres de Saint-Palais, soutenue à 35 kilomètres en arrière par un échelon de recueil, la brigade Paris, établie sur le gave de Mauléon.



On organisait défensivement Dax et Peyrehorade. On améliorait Bayonne, Navarrenx, Lourdes et Pau. On tentait, sans aucun succès, d’entraîner les populations et de former des partisans.



De son côté, Wellington avait établi sa base de ravitaillement et son quartier général à Saint-Jean-de-Luz. Son armée y recevait par mer tous les approvisionnements qui lui étaient nécessaires, y compris les fourrages manquant entièrement alors dans ces pays.



La plus grande partie des forces avait été portée entre la Nive et l’Adour, de Villefranque à Urcuray. La cavalerie, à peu de distance du front, surveillait la Joyeuse, pendant qu’une division, étendue jusqu’à Urt sur la rive gauche de l’Adour, couvrait le flanc gauche en avant. Les réserves étaient à Saint-Pé et à Itsatsou.



Le 2 janvier, le maréchal Soult écrivait, de Bardos, au Ministre de la guerre :


"J’ai pris des dispositions pour défendre de vive force le passage de l’Adour si l’ennemi l’entreprend. Dans le cas où le passage serait forcé, je laisserai à Bayonne une garnison de 12 000 hommes et je porterai le théâtre de la guerre entre la Nive et l’Adour, appuyant ma droite à Dax, que j’ai fait mettre en état de défense, et ma gauche aux montagnes de Baygoura, afin de me préparer à passer la Nive pour attaquer les ennemis sur leurs derrières, aussitôt que j’en aurai le moyen."



A suivre...




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vendredi 4 août 2023

IRUN EN GUIPUSCOA AU PAYS BASQUE EN AOÛT 1913

IRUN EN 1913.


Cent ans après la bataille de San-Marcial à Irun, en 1813, un monument commémoratif est inauguré par la France et l'Espagne, en août 1913.


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MONUMENT DU CENTENAIRE DE LA BATAILLE DE SAN MARCIAL IRUN 1813
INAUGURE EN 1913



Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire, le 26 août 

1913, sous la plume de Stéphan :


"La France aux fêtes d'Irun.



Le 31 du présent mois, la municipalité de la ville frontière espagnole d’Irun célébrera le centenaire de la bataille de San-Marcial, où l’armée franco-hispano-portugaise fut victorieuse des troupes françaises, que commandait le maréchal Soult. C’est le droit des Espagnols de fêter l’anniversaire de leurs victoires et même, si nous nous plaçons à leur point du vue, nous pouvons convenir que c’est leur devoir : en effet, dans le temps ou nous vivons, la menace de la guerre étant sans cesse suspendue sur la tête de tous les peuples, les nations exposées à ce terrible péril ont raison de ne laisser échapper aucune occasion d’exciter la fibre patriotique et de glorifier la vertu militaire en évoquant le souvenir des victoires qu'elles ont remportées et des soldats qui sont morts pour la cause du pays. 



Mais la municipalité d’Irun a invité M. Eugène Etienne, ministre de la guerre, le gouverneur militaire de Bayonne, le préfet des Basses-Pyrénées, les sénateurs et les députés de ce département à prendre part aux fêtes qu'elle organise. Il ne semble pas que cette municipalité ait fait preuve de tact en adressant cette invitation aux personnalités officielles que l’on vient de dire, et même on pourrait avancer qu’elles ont manqué de goût et tout au moins de délicatesse quand elles ont pris cette initiative ; mais, en tout cas, ces personnalités commettraient une faute grave et compromettraient fâcheusement la dignité de notre pays si elles acceptaient de s’associer à cette commémoration d’une défaite française. Car ces fêtes d’Irun ne sont pas autre chose puisqu’il ne s’agit point du tout d’élever un monument à la mémoire des soldats tombés de part et d’autre à San-Marcial. 



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SAN MARCIAL IRUN 1813
PAYS BASQUE D'ANTAN


C’est à ce titre seulement que le gouvernement de la République française a pu, l’année dernière, participer officiellement, par l’envoi d’une mission spéciale, aux cérémonies célébrées en Russie â l’occasion de la guerre francorusse de 1812. La Russie, évidemment, célébrait bien sa victoire sur Napoléon Ier, mais elle la célébrait sans éclat, je veux dire sans ostentation, car, en fait, les solennités consistaient principalement en inauguration de monuments élevés en l’honneur des soldats de l’armée et de ceux de l’armée française et, d’un musée de souvenirs de la guerre. 



Pourtant, quoique cette participation de la France à la commémoration de la guerre de 1813 pût se justifier par cette raison que je viens d’exposer, j’estime quelle était regrettable. Même alors que la Russie est devenue notre alliée il est humiliant pour nous que notre pays soit représenté officiellement à des cérémonies sur lesquelles plane le souvenir d’un désastre terrible d’où date le déclin de notre puissance militaire. En outre, il ne pouvait être que très blessant pour les représentants de la France d’assister à l’inauguration d’un musée où sont recueillies les dépouilles de notre armée trouvées sur le champ de bataille, ou plutôt abandonnées dans ces campagnes couvertes alors d’une neige qui pour tant de nos soldats fut un linceul. 



L’Allemagne, qui célèbre cette année les batailles de Leipzig, de Lutzen et de Baulzen, où elle fut victorieuse des armées de Napoléon, n’a pas eu l’indiscrétion d’inviter la France à s’associer à ces commémorations, pas plus qu'elle ne songe à l’inviter à cette fête de la capitulation de Sedan - le Sedantag - qui est devenu de l’autre coté des Vosges une seconde fête nationale. 



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SEDANTAG BERLIN 1914



L’année dernière, à propos de la participation de la France aux fêtes de Moscou, je faisais remarquer ici qu’il était singulier et même scandaleux, que le gouvernement de la République, qui a volontairement oublié de commémorer le centenaire des victoires napoléoniennes, même de victoires telles que Marengo, Iéna, Austerlitz, Ulm et Wagram, eût jugé bon de s'associer à la défaite que les armées françaises se virent infliger en 1812, et non point par l’armée ennemie, mais par la neige el le froid. Encore y avait-il, pour ce cas particulier, l’excuse ou, tout au moins, la circonstance atténuante que j’ai indiquée. Il n’y en aurait aucune dans le cas où elle participerait aux fêtes d'Irun, et, il serait honteux, alors que le gouvernement de la République n’a pas célébré le. centenaire des victoires de la France en Espagne qu’elle célébrât celui de sa défaite. Il se peut que le gouvernement de la République n’aime pas Napoléon, son régime et sa conception de la liberté, mais la France de 1913 est solidaire de celle de 1813, et nous devons aujourd'hui, que nous soyons royalistes, bonapartistes ou républicains, être fiers des victoires des armées françaises, qu'elles soient celles de la République, celles de l’Empire ou celles de la Monarchie, et nous attrister au souvenir de leurs défaites. 



tableau peintre salon guerre napoléon russie
TABLEAU L'ARMEE FRANCAISE QUITTE MOSCOU
ABEL MARCELLI SALON 1912



On veut espérer que le gouvernement, tout désireux qu’il doive être en ce moment de ce concilier les sympathies de l'Espagne, pour arriver à conclure avec elle une entente cordiale, premier pas vers une alliance que les deux pays ne peuvent que reconnaître désormais nécessaire, ou veut espérer, dis-je, que le gouvernement comprendra qu’il n'a pas le droit, de s’associer aux fêtes d’Irun, qu'il n’a pas le droit d’aller à Irun humilier la France. 



Dira-t-on que l'Espagne serait froissée d’un tel refus ? A qui, chez nous, l’idée de s’estimer blessé viendrait-elle si, le gouvernement de la République célébrait l'anniversaire d’une des nombreuses et éclatantes victoires que les troupes françaises ont, sous la monarchie, remportées sur les troupes espagnoles et invitant le gouvernement de S. M. le roi Alphonse XIII à y assister, l'Espagne déclinait cette invitation ? Personne, assurément. 



Aussi bien, le gouvernement de la République vient-il de recevoir une leçon méritée ou, tout au moins, de se voir donner un exemple qu’il n’a qu’à suivre, s’il n’a pas encore répondu par un refus poli â l’invitation de la municipalité d’Irun : les sociétés musicales des Basses Pyrénées, invitées par les organisateurs à prendre part à la célébration du centenaire de la bataille de San-Marcial, ont déclaré ne pouvoir se rendre à ces fêtes, qui doivent rester purement espagnoles.


guerra napoleon pais vasco antes
SAN MARCIAL IRUN 1813
PAYS BASQUE D'ANTAN


On dit qu’une musique militaire a été autorisée à participer aux fêtes d’Irun. La population de la frontière française proteste avec raison contre une telle autorisation qui serait, de la part du gouvernement français, une marque de faiblesse et un acte de complaisance qui équivaudrait à une lâcheté. Que les Espagnols, s’il leur plaît, célèbrent leur victoire, c’est, je le répète, leur droit absolu. Mais nous nous refusons à admettre que des musiciens français soient commandés pour aller se faire entendre au cours d’une fête dont l’occasion est une victoire remportée sur des soldats français. On veut espérer que le gouvernement de la République qui, en ce moment, est patriote et qui a, en de récentes circonstances, fait tout son devoir de gouvernement français, ne laissera pas commettre un tel scandale et ne le commettra pas non plus pour son compte. La France ne doit pas aller à Irun."








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mardi 4 avril 2023

JOURNAL D'UN OFFICIER ANGLAIS AU PAYS BASQUE EN 1813 ET 1814 (troisième et dernière partie)

 

JOURNAL D'UN OFFICIER ANGLAIS EN 1813 ET 1814.


Pendant les guerres napoléoniennes qui se sont passées au Pays Basque Nord et Sud, en 1813 et 1814, des écrits de soldats et officiers anglais qui y ont participé sont parvenus jusqu'à nos jours.



pais vasco guerra antes historia napoleon ingleses
BATAILLE DE VITORIA-GASTEIZ 21 JUIN 1813
PAYS BASQUE D'ANTAN



Voici ce que rapporta à ce sujet l'hebdomadaire La Revue Politique et Littéraire, le 13 août 1892, 

sous la plume de Jacques Normand :



"The Subaltern." 

Journal d’un officier anglais, 1813-1814. 



Je n’ai pas la prétention, non plus que notre auteur, d'ailleurs, d’entrer dans le détail de toutes les opérations qui eurent lieu autour de Bayonne. Le plan de Wellington, qui consistait à couper entièrement l'armée de Soult de la ville, après l’avoir attiré hors des travaux qu’il y avait élevés, était couronné de succès. Le maréchal se retirait sur Peyrehorade, puis sur Orthez, où, après une sanglante bataille, il commençait son admirable et savante retraite sur Toulouse.



Bayonne, qui était regardée avec raison comme le boulevard du Sud-Ouest en France, restait donc seule devant l’invasion, avec une garnison suffisante comme nombre, mais composée en grande partie de recrues inexpérimentées. Soult, d'ailleurs, avait mis les fortifications en excellent état et avait confié le commandement en chef au général baron Thouvenot, un officier expérimenté et énergique, qui s’était déjà distingué par sa défense de Burgos.



général guerre napoléon
GENERAL PIERRE THOUVENOT



La première opération que durent entreprendre les alliés pour investir la ville fut de s’emparer de la rive droite de l’Adour. Il fallait pour cela faire traverser le fleuve à un détachement d'infanterie, afin de protéger le pont que lord Wellington avait résolu d’établir. Le passage se fit sans encombre, sur des radeaux improvisés.



Ce pont sur l’Adour devait être formé de chasse-marées, de petits navires et de bateaux plats, recouverts transversalement par des planches de sapins et reliés entre eux avec des cables solides. Ces navires, réunis à Socoa, attendaient un bon vent pour faire leur entrée dans l’Adour. On sait combien cette entrée est difficile dès que la mer devient un peu forte, et cela est fréquent dans le golfe de Gascogne. La "barre" est une des promenades les plus fréquentées par les baigneurs de Biarritz, et à juste titre, car il est difficile de voir une lutte de flots plus belle. Par les gros temps, le spectacle est saisissant.


pays basque autrefois adour
ADOUR 1814
PAYS BASQUE D'ANTAN

On comprend sans peine combien il était malaisé pour la flotte anglaise de franchir cette redoutable barre, d’autant plus que ce n’était pas l’époque des grandes marées et que, comme le dit un peu naïvement notre officier, on ne pouvait retarder les opérations militaires pour les attendre. Le contre-amiral Penrose, commandant la croisière, décida que, dès la première brise favorable, on forcerait le passage à tout prix. C’est le 24 janvier qu’il eut lieu. Le récit qu’en fait le lieutenant est d’une simplicité poignante. La mer devient pour un moment notre alliée aveugle et engloutit bien des êtres jeunes et vaillants :


En montant sur une éminence, nous aperçûmes une escadre d’une trentaine de petits navires qui cinglaient, toutes voiles dehors, vers la barre, sur laquelle les vagues, portées par un vent du nord-est, brisaient en écume blanche. Les bords du fleuve et toutes les hauteurs étaient remplis de généraux et d’officiers d’état-major. Personne ne parlait : l’escadre et ses manoeuvres, dont dépendaient la vie des braves gens qui la montaient, semblaient absorber l’attention générale, et chacun regardait dans la même direction en silence et dans la plus complète immobilité.


Les navires, portés par la brise, s’avançaient avec une vitesse effrayante ; les vagues s’élevaient si haut, et il y avait si peu d’eau sur la barre, qu’il me semblait qu’on m’enlevait un poids de la poitrine quand je les voyais soudain appuyer sur le gouvernail et virer de bord. De la mer, la perspective devait être effrayante, et des marins anglais eux-mêmes se demandèrent pour la première fois de leur vie s’ils pourraient faire face au danger. Leur hésitation ne fut pas de longue durée ; un bateau espagnol, à rames, maoeuvré par le lieutenant Cheyne et cinq marins du Woodlark, se jeta avec beaucoup d’à-propos sur une vague ; celle-ci le porta jusqu’au delà du banc de sable, et il fut salué par de longues acclamations quand on le vit s’avancer fièrement dans le fleuve. Le deuxième navire était une prise, un grand bougre de pêche français, monté par les marins d’un transport, et suivi de près par une canonnière commandée par le lieutenant Cheshire ; tous les deux franchirent heureusement la barre, mais le quatrième fut moins heureux. C’était une goélette pleine de monde et commandée par le capitaine Elliot ; je ne sais pas si le vent changea soudainement ou si malheureusement quelque cordage se rompit, toujours est-il que, au moment où la goélette prenait la lame, la voile principale de son mât de derrière s’abattit ; elle présenta aussitôt le flanc aux brisants et chavira immédiatement. Son brave capitaine et plusieurs de ses hommes périrent ; le reste de l’équipage fut heureusement sauvé.


L’horreur que nous éprouvâmes à la vue de ce naufrage fut de courte durée, car notre attention fut attirée bientôt sur les autres navires qui approchaient. Ils traversèrent tous sans encombre, sauf un chasse-marée qui partagea le sort de la goélette. Le petit navire tournoya un instant, juste assez pour nous laisser voir les gestes désespérés des marins et nous permettre d’entendre leurs cris, puis il fut frappé par une vague énorme et chavira la quille en l’air. Pas un homme n’échappa. Parmi eux se trouvaient plusieurs aspirants de marine, tous jeunes gens d’avenir...



Le pont une fois établi, les alliés envoient de grandes forces sur la rive droite de l’Adour. La facilité avec laquelle le général français laissa s’effectuer ces opérations semble incompréhensible à certains historiens, d’autres l’expliquent au contraire par des considérations où il serait superflu pour nous d’entrer. Après un combat sanglant au Boucau, les Français doivent se retirer, et les alliés établissent leurs postes avancés au village de Saint-Étienne, à demi-portée de la redoute la plus proche.



Dès lors, l’investissement de Bayonne se trouve complet. Et il est curieux de voir combien, même en pleines hostilités, — à cette époque où le service obligatoire ne drainait pas en quelque sorte l’élément viril de tout un peuple, — l’activité, la vie continuaient aux abords des armées belligérantes. De véritables marchés, où l’on semble presque oublier l’état de guerre, s’établissent à quelques pas des champs de bataille :


Le village de Boucan présentait à cette époque un curieux spectacle. Il n’avait pas été abandonné par ses habitants ; tous ou le plus grand nombre étaient restés tranquillement chez eux. Leurs petits magasins n’étaient pas fermés, et une foule de chalands encombraient les auberges ; cuisiniers, domestiques, hôtesse, hôtelier étaient en mouvement du matin au soir. Des foules de paysans allaient et venaient, chargés d’œufs, de beurre, de fromage, de volailles ; ces marchandises étaient exposées en vente au centre de la place, un grand carré entouré de murs élevés, dont les côtés étaient occupés par des tentes de cantiniers, des échoppes de porter et de pâtissiers. Il y avait même des tables chargées d’objets de quincaillerie, de souliers, de bas, etc. En outre, la place était remplie de monde, soldats et paysans, qui riaient, et parmi lesquels régnait la plus grande gaieté. C’était une source constante de distractions pour l’observateur ; par exemple, les efforts inutiles d un soldat anglais pour faire la cour à une jolie Française, ou ceux non moins vains d’un grave Allemand qui cherchait à tromper quelque paysan plus avisé et plus positif que lui. Le croisement de toutes les langues de l’Europe, les essais faits de tous côtés pour faire comprendre par signes ce que la parole ne pouvait rendre offraient encore un agréable passe-temps. Sous cette apparente confusion régnait un ordre parfait. Il n’y eut pas un seul cas de violence fait aux habitants ou aux propriétés.



Pendant ses dernières pages, le journal du lieutenant se ressent de la monotonie d'un blocus. Campé toujours dans le même emplacement, n’ayant avec les assiégés que des engagements assez rares, bornant son rôle, la plupart du temps, à protéger ses hommes et à se protéger lui-même contre une canonnade et une fusillade incessantes, il n’a plus rien de rare à raconter, et comme la sincérité est sa plus grande qualité, il ne raconte rien ou presque rien. L'intérêt ne commence à renaître qu’au moment où le siège va prendre fin et où la nouvelle de l’entrée des alliés à Paris arrive dans le camp anglais, dans la nuit du 11 avril 1814. Il serait difficile de dire l’effet que produisit ce message :


Nous pouvions à peine y croire, et quelques-uns mêmes allèrent jusqu’à affirmer que la chose était impossible. Ensuite vint la pensée de la paix, d’une cessation immédiate des hostilités et d’un prompt retour en Angleterre, auprès de nos amis et connaissances ; enfin, et c’est le sentiment qui domina le plus, la crainte d’être mis en demi-solde. Pour le moment, cependant, nous nous réjouissions à la pensée d’être délivrés des travaux ennuyeux et incessants d’un siège, et nous prévoyions avec plaisir que nous allions entrer en relations amicales avec les braves gens contre lesquels nous avions si longtemps combattu sans aucun sentiment de haine. Je crois aussi que la connaissance de ce qui s'était passé à Paris causa quelque relâchement dans la vigilance avec laquelle nous nous étions gardés jusque-là ; du moins je ne peux pas exprimer autrement la complète surprise de nos avant-ports au village de Saint-Étienne quelques nuits après.



Cette surprise fut la fameuse sortie du 14 avril : sortie désespérée des assiégeants et sur la légitimité de laquelle les Français et les Anglais ne sont point d'accord. Ces derniers prétendent, en effet, que le général Thouvenot, informé par un parlementaire anglais de la cessation des hostilités entre les deux nations, n’avait plus le droit d’ordonner la sortie ; les Français prétendent, au contraire, qu'il ne devait tenir aucun compte de cette communication du parlementaire ; que, tant qu’il n’avait reçu aucun avis officiel du maréchal Soult, sous les ordres directs de qui il était placé le devoir du commandant de place était de ne rien changer à sa manière de faire et de tenir toujours et quand même. Notre jeune lieutenant, naturellement, prend le parti de ses compatriotes et qualifie cette sortie "d’essai de tricherie". L’expression est cruelle et d’ailleurs, l’historien anglais Napier fait bonne justice de cette accusation. Il dit, en effet, en propres termes, que le gouverneur fit naturellement peu de cas de communications irrégulières qui pouvaient avoir pour but de le tromper.



Quoi qu'il en soit, cette sortie fut sanglante de part et d'autre. Le souvenir en est encore bien vivant à Bayonne et dans tout le pays. Vers trois heures du matin, les troupes anglaises sont soudain réveillées par le bruit d’une fusillade aux avant-ports. Les piquets sont engagés sur toute la ligne. Les clairons sonnent. On s'habille, on s’équipe en hâte, et un quart d'heure après le 85e d’infanterie est chaudement et désespérément engagé. De cet engagement, le lieutenant nous donne un récit mouvementé, qui confirme les récits des historiens bayonnais Morel et Baylac :


L’ennemi était sorti en deux colonnes d’attaque. L’une s’était dirigée vers l’église et la rue de Saint-Étienne ; l’autre, ayant forcé la barricade de la grande route, s'avançait vers le château, où nous avions commencé à établir une batterie de mortiers. Cette sortie avait été préparée si habilement, que les sentinelles qui se trouvaient devant ces deux divisions furent surprises avant de pouvoir décharger leurs armes en signe d’alarme. Nos piquets, pris à 1'improviste, furent assaillis par l’ennemi, qui s’avança sur le bord même des tranchées, où nos hommes étaient couchés, et les fusilla à bout portant. Un poste commandé par un sergent, et préposé à la garde du canon placé dans le village, fut pris de la même façon et le canon capturé. Ceux qui étaient dans l’église furent préservés du même sort, uniquement grâce au soin qu’on avait pris de barricader les portes de façon à ce qu’un seul homme à la fois pût pénétrer dans l’intérieur. L’église fut entourée et assiégée, mais vaillamment défendue par le capitaine Forster, du 38e régiment, et par ses hommes...


Les assaillants s’élevaient à cinq ou six mille hommes, et les nôtres, n’étant pas plus de mille, perdaient rapidement du terrain. La grande route et plusieurs chemins parallèles étaient au pouvoir de l’ennemi, le village de Saint-Étienne rempli de Français, quand sir John Hope (le général en chef de l’armée alliée) arriva à l’entrée d’un chemin creux dont la défense avait été confiée à une troupe nombreuse qui était en pleine retraite.


— Pourquoi allez-vous dans cette direction ? leur cria le général.

— L’ennemi est là, répondirent-ils. 

— Eh bien, il faut le chasser. 


En disant ces mots, sir John donna de l’éperon à sa monture. Une masse de Français qui étaient devant lui firent feu, et son cheval tomba. En s’apercevant de la chute du général, les Anglais se mirent à fuir, et sir John Hope, qui était un homme de grande corpulence, qui avait en outre deux blessures graves et une jambe engagée sous son cheval, resta à la merci des assaillants...


Un combat comme celui que je viens de décrire est toujours accompagné d’un carnage plus grand des deux côtés que ne l’est une bataille donnée dans les règles et combattue avec méthode. De notre côté, neuf cents hommes étaient tombés ; du côté de l’ennemi, plus de mille, et le combat avait eu lieu sur un espace si restreint, que même l’œil expérimenté d’un vieux soldat aurait conjecturé, d’après les tas de cadavres, que les pertes étaient plus considérables. La rue de Saint-Étienne en particulier était couverte de morts et de blessés. Autour du canon, ils gisaient en monceaux ; un artilleur français était tombé là avec sa mèche dans la main ; il était étendu, la tête fendue en deux. La bouche et la culasse de la pièce étaient enduites de sang et de cervelle ; derrière elle se trouvaient plusieurs cadavres de soldats des deux nations, dont la tète avait été évidemment brisée à coups de crosse. Des armes de toute sorte, les unes brisées, les autres entières, étaient semées partout. Parmi les morts, de notre côté, se trouvait le général Hay, frappé par une balle qui pénétra dans l'intérieur de l’église par un créneau. C’était, en un mot, une des affaires les plus rudes et les moins satisfaisantes de toute la guerre ; de braves gens étaient tombés quand leur mort n’était plus utile à leur pays et beaucoup de sang avait coulé en vain.



Le 20 avril, la guerre fut considérée comme terminée. Le 28 avril, le drapeau blanc remplace le drapeau tricolore sur les remparts de Bayonne. Mais les troupes et la population n’admettaient qu’à contrecœur le nouvel état de choses, et le lieutenant affirme que tous les canons qui durent saluer le drapeau blanc étaient chargés de boue et de sable, "comme si cette turbulente garnison avait résolu d’insulter autant qu'elle le pourrait à une autorité à laquelle elle ne se soumettait que parce quelle y était contrainte". En ce cas, et après les souffrances d’un pareil siège, il semble bien que cette turbulence peut s’appeler du courage.



Le journal de campagne du Subaltern se termine par quelques réflexions philosophiques où perce l'âme du Révérend Père. Et, comme dernières lignes, nous lisons ce distique, assez peu de circonstance, nous paraît-il, après le récit d'aussi sombres batailles :


Te each and ail a fair gond night 

And rosy dreams and slumberg bright. 


A chacun et à tous une excellente nuit, 

Des rêves couleur de rose et un sommeil léger.



Pendant mon séjour à Biarritz, j'ai parcouru toutes les localités citées par le jeune officier : Saint-Sébastien, Irun, Fontarabie, Hendaye, Urrugne, Bidart, le Boucau, Bayonne ; j’ai pu aisément, carte en main, suivre toutes les opérations racontées par lui ; au lac Mouriscot, autour duquel on s’est tant battu et d'où la sentinelle affolée croyait voir, par la nuit de tempête, surgir des fantômes, un petit pêcheur m’a dit avoir trouvé de vieilles baïonnettes rouillées et un boulet de canon à moitié enfoui dans la vase. Au cimetière Saint-Étienne, j’ai vu, pieusement entretenues, les tombes des officiers anglais où la nombreuse colonie anglaise va faire un pèlerinage annuel. J’ai vu tout cela, et il m’a semblé, par moments, mener l’existence rude et glorieuse d’un de ces vaillants...



pays basque autrefois cimetiere
CIMETIERE DES ANGLAIS BAYONNE
PAYS BASQUE D'ANTAN


Aujourd’hui, dans ces lieux où la mort farouche a sévi, la vie joyeuse éclate. Anglais, Espagnols, Français se coudoient, se saluent et s’unissent dans la constante chasse au plaisir ; les rapides voitures de Biarritz, avec leurs cochers galonnés d'argent, sillonnent les routes ; on joue, on danse au Casino ; sur la plage grouillante de monde, à l’heure du bain, les bouquetières portent leurs paniers fleuris dont les senteurs se mêlent aux brises salées. Moins d’un siècle passe et tout s’efface, tout s'oublie... Et l’on se demande à quoi a servi tant de sang répandu dans le passé, — et aussi bien à quoi servira, dans un siècle, tout le sang qui se répandra peut-être, hélas ! dans l'avenir."



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samedi 4 mars 2023

JOURNAL D'UN OFFICIER ANGLAIS AU PAYS BASQUE EN 1813 ET 1814 (deuxième partie)

 

JOURNAL D'UN OFFICIER ANGLAIS EN 1813 ET 1814.


Pendant les guerres napoléoniennes qui se sont passées au Pays Basque Nord et Sud, en 1813 et 1814, des écrits de soldats et officiers anglais qui y ont participé sont parvenus jusqu'à nos jours.



pais vasco guerra antes historia napoleon ingleses
BATAILLE DE VITORIA-GASTEIZ 21 JUIN 1813
PAYS BASQUE D'ANTAN



Voici ce que rapporta à ce sujet l'hebdomadaire La Revue Politique et Littéraire, le 13 août 1892, 

sous la plume de Jacques Normand :



"The Subaltern." 

Journal d’un officier anglais, 1813-1814. 



... Chose à remarquer dans presque toutes les guerres entre nations civilisées, ce souci de la nourriture, ce besoin constant du soldat d’assurer et d’améliorer son ordinaire, crée en quelque sorte un lien, une communauté de vie entre les parties belligérantes. On s’est battu furieusement hier, on se battra encore demain ; aujourd’hui, aucun engagement n’a lieu, une manière de trêve tacite s'établit, on se rapproche, les avant-postes fraternisent, les soldats cessent d'être des ennemis pour redevenir des hommes et comprendre les souffrances et les désirs que peuvent éprouver d’autres hommes. Ne les éprouvent-ils pas quotidiennement eux-mêmes, d’ailleurs, et n'est-il pas des moments où dans les âmes les plus vulgaires, sans même qu’elles en aient conscience, les grandes idées d’humanité se font jour ?



Le lieutenant nous raconte, "comme preuve de l'excellente intelligence qui régnait entre les armées belligérantes", que plus d’une fois, pêchant dans la Bidassoa, il s’avança dans l’eau jusqu’au milieu de la petite rivière, les piquets de l'ennemi étant sur la rive opposée :


Les soldats français descendaient en foule pour assister à mes exploits et me désignaient les endroits où je pouvais espérer la meilleure pêche. Dans ces occasions, la seule précaution dont j’usais était de me mettre une jaquette rouge, et je pouvais alors approcher sans aucun risque à quelques mètres de leurs sentinelles.



Plus tard, peu avant l’investissement de Bayonne, après une suite de combats meurtriers où on s'était massacré avec rage, le jeune Anglais se trouve en grand’garde, à deux portées de fusil à peine de l'ennemi. Un officier français arrive en parlementaire. Il est porteur de lettres d'officiers anglais et de soldats pris dans les dernières actions ; il les lui tend, ainsi que plusieurs sommes d'argent et des vêtements de rechange pour les Français prisonniers des Anglais. La conversation s'engage entre les deux officiers ; un serrement de mains la termine, et on se quitte les meilleurs amis du monde :


Je n’avais pas encore atteint le haut de la colline, raconte-t-il ensuite, que je m’entendis appeler par une sentinelle ; en me retournant, je vis l’individu avec qui j’avais causé, assis au milieu d’un petit groupe d’officiers français, et suivant des yeux une vieille femme qui s’approchait de nos lignes avec une grande bouteille qu’elle élevait en l’air pour attirer mon attention. Elle avançait ainsi en criant sans cesse à haute voix, et quand je l'eus rejointe à quelques mètres en avant des sentinelles, elle me donna la bouteille qui contenait de l’eau-de-vie et qui était un cadeau des officiers français. Ceux-ci me faisaient dire que si je pouvais leur remettre un peu de thé en échange, ils me seraient fort obligés. Je répondis à mon Mercure femelle que je n'en avais pas avec moi ; je la chargeai cependant de tous mes remerciements pour ces messieurs et de les informer que j’en envoyais chercher au camp. Elle partit en me promettant de rester en vue une demi-heure et de s’approcher dès que je lui ferais signe.


Mon clairon se dépêcha et revint bientôt avec un quart de livre de thé noir environ, la moitié de ce qui restait dans ma cantine. Les officiers français avaient attendu, assis à la même place, et tous se levèrent quand j’agitai mon bonnet. La vieille femme aperçut immédiatement le signal ; elle s’approcha, je lui remis le paquet avec des excuses infinies pour son exiguïté, et j’eus la satisfaction de voir que, quoique léger, il parut acceptable à ces messieurs. Ils levèrent leurs coiffures en signe de remerciement, je leur rendis leur salut, et chacun de nous regagna son poste.



Cette manière de comprendre les hostilités de part et d’autre est fort agréable, mais elle peut donner lieu à des abus. Vers la fin de la guerre une si bonne intelligence régnait entre les avant-ports que Wellington dut intervenir. Voici le fait qui l’y détermina :


Un officier d’état-major (je ne dirai pas sur quel point de la ligne), en faisant sa ronde une nuit, constata la disparition de tout un piquet commandé par un sergent. Il en fut à la fois surpris et alarmé, mais son alarme fit place au plus grand étonnement lorsque, s’étant avancé pour s assurer qu’il n’y avait pas quelque mouvement dans les lignes ennemies, il aperçut par la fenêtre d’un cottage d’où sortait un bruit de fête tout le poste assis de la façon la plus amicale au milieu d’un détachement français et causant gaiement. Dès qu’il se montra, ses hommes, souhaitant une bonne nuit à leurs compagnons, retournèrent avec le plus grand sang-froid à leur poste. Il faut ajouter, pour être juste, que les sentinelles avaient gardé le leur fidèlement et qu’aucune intention de déserter n’existait de part ni d’autre. En fait, c’était une sorte d’usage, les postes français et anglais se visitant à tour de rôle.



Ne pense-t-on point au siège de Sébastopol et aux bonnes relations qui s’y établissaient entre les officiers russes et français ? Une poignée de mains entre deux coups de sabre, une conversation d’une politesse exquise entre deux commandements de "feu" ! Cela montre la noblesse de la guerre, assurément, mais cela ne prouve-t-il pas aussi quelle est la plus monstrueuse et la plus révoltante des conventions ?



Officier subalterne et presque toujours aux avant-postes, c’est la vie des avant-ports que nous peint surtout notre auteur. Quiconque a fait la guerre en simple soldat ne peut jamais oublier l’impression profonde qu’il a ressentie quand, pour la première fois, il s’est trouvé en sentinelle, la nuit, devant l’ennemi. C’est assurément une des émotions les plus vives qui se puissent imaginer. Passe encore quand la nuit est claire et que la lune permet de voir assez au loin pour distinguer les objets; mais quand l'obscurité est épaisse, quand elle dévore tout à quelques mètres à peine ! La main sur la gâchette du fusil, l’oreille aux aguets, l’œil douloureux à force de chercher à percer ce voile opaque, le corps frissonnant d'une nervosité froide, l'imagination peuplée de fantômes, l’esprit tourmenté par la responsabilité encourue, — on se sent dans un "état d’âme" dont nos modernes psychologues auraient peine à rendre l'affolante cruauté. Les soldats de l’armée de Wellington, — Anglais, Espagnols ou Portugais, — n’étaient pas à l'abri de cet "effroi de la nuit" qui prend les plus braves à la gorge et que Toppfer a si bien dépeint dans une de ses Nouvelles genevoises. Et cet effroi, augmenté encore par les circonstances, produisait un résultat inattendu, la désertion :


Pendant que l’armée anglaise occupait la rive espagnole de la Bidassoa, un grand nombre de désertions eurent lieu, au point de causer une sérieuse diminution de nos forces. Comme c’était un événement qui arrivait rarement auparavant, beaucoup d’opinions furent hasardées sur les causes qui les produisaient. Pour ma part, je les attribuais à une terreur superstitieuse de la part des hommes, et en voici la raison. C’est généralement l’habitude, quand on est en présence de l’ennemi, de mettre des sentinelles doubles, mesure qui, entre autres résultats heureux, augmente beaucoup leur confiance ; mais telle était la nature du pays où nous nous trouvions, qu’il était le plus souvent impossible de le faire, la chose n’ayant du reste d’importance qu’à l’entrée des défilés, pour assurer le repos de l’armée. Or, dans cette contrée accidentée, chaque pouce de terrain pour ainsi dire avait été le théâtre d’une action ; il arrivait souvent que les morts, tombant parmi les rochers et les falaises, ne pouvaient être enterrés, et c’était justement là que les sentinelles étaient placées. Chacun sait que les soldats et les marins sont excessivement superstitieux. Il n’était pas agréable, même pour les moins faibles d’esprit, de passer deux ou trois heures d’une nuit de tempête au milieu de carcasses mutilées et à demi dévorées, et je reçus un jour cette réponse d’un de nos plus braves soldats, au moment d’aller en faction : "Je ne crains aucun homme vivant ; mais, pour Dieu, monsieur, ne me mettez pas à côté de lui ". Mon opinion était donc que beaucoup de sentinelles, subjuguées par une terreur superstitieuse, ne pouvaient plus rester à leur poste et, sachant qu’une punition sévère les attendait si elles retournaient vers les piquets, passaient à l’ennemi plutôt que d’endurer des tortures imaginaires.



Pour obvier à cet inconvénient sérieux, on prit le parti de mettre les sentinelles doubles. Mais, parfois, la faiblesse des détachements d’avant-ports ne permettait pas d’user de cette précaution. Par une sombre nuit d’hiver où le vent et la neige faisaient rage, où les hurlements des loups se mêlaient aux grognements des chiens sauvages en quête de corps à dévorer, le lieutenant est obligé de placer une sentinelle seule dans un endroit où on s’était récemment battu et encore couvert de cadavres, dont plusieurs avaient des fragments d'uniformes anglais :


Je visitai ce poste un peu avant minuit, une demi-heure après que j’y avais placé la sentinelle ; elle n’était ni debout ni assise, mais appuyée contre un arbre et complètement recouverte de neige glacée. Son fusil s’était échappé de sa main et reposait sur la poitrine d’un cadavre voisin. A mon approche, l’homme ne répondit pas et, en l’examinant de plus près, je m’aperçus qu’il était évanoui. Je le fis ramener au poste, insensible, quoique vivant. On le frotta, on le réchauffa, et il nous raconta son aventure.


Le caporal l’avait à peine quitté, nous dit-il, quand ses oreilles furent frappées d’un bruit si terrible qu’il ne pouvait pas être produit par une créature vivante ; il aperçut ensuite à travers l’obscurité une troupe de démons dansant sur le bord du lac, et un fantôme vêtu de blanc s’avança vers lui en gémissant péniblement ; il voulut appeler, mais la voix ne sortit pas de son gosier, et il lui fut impossible de proférer un cri. Il jura en outre que le mort s’était levé sur son séant et l’avait regardé fixement ; après quoi il avait perdu tout souvenir et s’était retrouvé au poste. Je n’ai aucune raison de croire que cet homme fût poltron. Ainsi que le lecteur peut le supposer, j’accueillis son histoire par un grand éclat de rire, mais il y persista, et, s’il vit aujourd’hui, il y croit encore sans nul doute.


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BATAILLE DE ST-SEBASTIEN 1813
PAYS BASQUE D'ANTAN


Cette anecdote, ainsi que toutes celles citées jusqu’ici, se placent pendant les opérations militaires qui ont précédé le siège, opérations savantes où Wellington et Soult ont rivalisé d’habileté stratégique ; où, de part et d’autre, les troupes ont fait des prodiges de valeur, et qui n’ont pas duré moins de six mois, depuis la prise de Saint-Sébastien (30 août 1813) jusqu’à l’investissement régulier et complet de Bayonne (27 février 1814). Le jeune Anglais nous raconte successivement le passage de la Bidassoa (6 octobre) ; l’abandon inexpliqué des belles positions défensives de Hendaye et de Béhobie par les Français, frappés de panique ; le campement à Hendaye ; l’attaque et la prise d’Urrugne, où le 85e régiment passe la nuit dans l’église, à la lumière triste et vacillante de trente ou quarante petites chandelles de résine. Plus loin, c’est une description, en quelques lignes, du joli château d’Urtubie :


Je n’y laissai faire aucun dégât par mes hommes, ajoute le lieutenant, et le seul pillage que je me permis fut celui d’une grammaire de la langue espagnole intitulée : Grammaire et dictionnaire français et espagnol, nouvellement revu, corrigé et augmenté par Monsieur de Maunory, suivant l'usage de la cour d'Espagne. Sur la couverture se trouvait l’inscription suivante : Appartient à Lassalle Briguette, Lassalle. Ce livre est encore chez moi, et comme nous sommes aujourd’hui en paix avec la France, je saisis cette occasion d’informer M. Briguette que je suis prêt à le lui rendre, s’il veut bien me donner son adresse.


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BAYONNE EN 1814
PAYS BASQUE D'ANTAN


Le 17 novembre, l’armée alliée prend ses quartiers d’hiver. Les troupes anglaises accommodent tant bien que mal à leur usage les maisons basques. Avec ce souci du confortable qui ne le quitte jamais, le lieutenant, grâce à d’ingénieux arrangements, réussit à se faire un home très convenable. Le 8 décembre, les hostilités recommencent. Le village de Bidart est pris. Les Français tentent un furieux retour offensif. Telle est l’énergie de leur attaque, que, pendant un moment, ils balayent tout devant eux. Un corps portugais, occupant le village d’Arcangues, lâche pied ; un régiment anglais est mis en déroute ; le général Sir John Hope n’échappe que par miracle à nos soldats ; tous les résultats acquis par les alliés vont être compromis, quand Wellington arrive au galop :


L’effet fut électrique : "Il faut garder votre position, mes enfants, cria-t-il ; il n’y a rien derrière vous. Chargez ! charge !" Un cri s’éleva ; beaucoup de fuyards qui avaient perdu leur corps se mirent en ligne sur notre flanc ; nous ne fîmes qu’une décharge et nous nous élançâmes à la baïonnette. L’ennemi ne soutint pas l’attaque ; ses rangs furent brisés, et il se mit à fuir dans un désordre complet.


pais vasco guerra antes historia napoleon ingleses
BATAILLE DE VITORIA-GASTEIZ 21 JUIN 1813
PAYS BASQUE D'ANTAN


C’est à Bidart, définitivement conquis par eux, que nous retrouvons les Anglais, dans les premiers jours de janvier, cantonnés et solidement établis. Notre lieutenant, malgré la rigueur exceptionnelle de l’hiver, semble avoir gardé de ce cantonnement un souvenir particulièrement agréable. Un joli "cottage" où s’installe, une chasse abondante, et surtout... Oh ! Révérend R. Gleigh, une fois entré dans les ordres et devenu un saint homme, ne vous est-il pas arrivé de penser plus que de raison à certaine aventure que vous nous contez avec une bonhomie charmante, et, à ce souvenir, n’avez-vous pas quelque peu rougi de confusion ? En 1814, vous étiez un jeune officier de dix-sept ans, et, vive Dieu ! vous aviez bien raison, faisant la guerre aux Français, de traiter les Françaises de façon moins inhumaine. Mais je veux vous laisser parler vous-même et narrer la chose tout au long. Je craindrais, en la modifiant, d’en dire trop ou pas assez et d’ôter quelque saveur à cette petite aventure de jeunesse, dont votre âge mûr s’est indigné peut-être, mais dont votre vieillesse a certainement souri :



En temps de paix, Biarritz était, comme nous l’apprîmes de ses habitants, une ville de bains à la mode, fréquentée par les riches habitants de Bayonne et de ses alentours, et remarquablement jolie. A peu près de l’importance de Sandgate, et située dans une espèce de creux qui se termine vers le rivage en falaises éboulées, ses maisons étaient proprement blanchies à la chaux ; mais ce qui en faisait et ce qui, je l’espère, en fait encore la-distinction, c’est qu’elle était habitée par deux ou trois demoiselles, qui joignaient à toute la gaieté et la vivacité des Françaises une bonne dose de la sentimentalité de nos compatriotes. Elles étaient particulièrement aimables avec nous, professant hautement, je ne sais vraiment pourquoi, préférer notre société à toute autre, et nous étions trop galants pour les en priver (we were faar too gallant to deny them that gratification), bien que nous risquions notre vie ou notre liberté à chaque visite. Deux ou trois fois par semaine, nous montions à cheval et prenions la route de Biarritz, d’où, plus d’une fois, nous ne revînmes pas sans difficulté.


En général, et afin d’éviter quelque surprise de la cavalerie ennemie, nous étions assez prudents pour tirer au sort celui d’entre nous qui assumerait l’odieuse tâche de veiller au dehors pendant que ses camarades étaient plus agréablement occupés dans la maison ; mais nous avions fait tant de visites sans qu'aucune alarme eût été donnée, que, un matin que nous avions quitté Bidart en plus petit nombre que d’habitude, nous décidâmes bravement de nous échapper à tout risque, plutôt que de contraindre l’un de nous trois à passer tristement une heure tout seul (rather than that one of the three should spend an that hour cheerlessly by himself). La seule précaution que nous prîmes fut de mettre nos chevaux au piquet à la porte du jardin, sellés et bridés, au lieu de les mener à l’écurie comme d’habitude.


Nous étions assis depuis une demi-heure avec nos belles amies, et nous achevions de plaisanter sur le péril, auquel nous étions exposés, de subir le sort de Samson et d’être pris par les Philistins, lorsque, la conversation étant tombée, notre oreille fut frappée par le bruit de sabots de chevaux sur le pavé de la rue. Nous nous élançâmes à la fenêtre, et notre consternation fut grande en apercevant sept ou huit hussards français qui arrivaient de l’extrémité de la ville...


Sans nous arrêter à dire adieu à nos belles amies, qui criaient comme si c’étaient elles et non nous qui fussions en danger, nous courûmes en toute hâte à nos chevaux, et, sautant en selle, nous leur appliquâmes sans merci les éperons dans les flancs. Aucun de nous n’était trop bien monté ; mais, soit que nos poursuivants fussent descendus de cheval pour entrer dans la maison, soit qu’ils eussent pris une fausse direction, nous avions gagné tant de champ avant qu'ils n’entrassent en chasse, que peut-être nos chevaux seuls auraient suffi à nous ramener à nos avant-ports. Ils gagnaient cependant sur nous, quand apparut une patrouille de notre cavalerie. Nus ennemis renoncèrent alors à leur poursuite.


A l’avenir, nous fûmes plus prudents. Si nos visites étaient aussi fréquentes qu’auparavant, nous avions soin de mettre toujours une sentinelle, et de la placer sur une éminence d’où elle dominait le pays à plusieurs milles à la ronde. Les dragons furent plusieurs fois encore signalés, et nous dûmes de nouveau remonter à cheval à diverses reprises, mais nous nous arrangeâmes de façon à ne pas être obligés de galoper comme précédemment, pour la vie ou la liberté."



A suivre...



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