IRUN EN 1913.
Cent ans après la bataille de San-Marcial à Irun, en 1813, un monument commémoratif est inauguré par la France et l'Espagne, en août 1913.
Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire, le 26 août
1913, sous la plume de Stéphan :
"La France aux fêtes d'Irun.
Le 31 du présent mois, la municipalité de la ville frontière espagnole d’Irun célébrera le centenaire de la bataille de San-Marcial, où l’armée franco-hispano-portugaise fut victorieuse des troupes françaises, que commandait le maréchal Soult. C’est le droit des Espagnols de fêter l’anniversaire de leurs victoires et même, si nous nous plaçons à leur point du vue, nous pouvons convenir que c’est leur devoir : en effet, dans le temps ou nous vivons, la menace de la guerre étant sans cesse suspendue sur la tête de tous les peuples, les nations exposées à ce terrible péril ont raison de ne laisser échapper aucune occasion d’exciter la fibre patriotique et de glorifier la vertu militaire en évoquant le souvenir des victoires qu'elles ont remportées et des soldats qui sont morts pour la cause du pays.
Mais la municipalité d’Irun a invité M. Eugène Etienne, ministre de la guerre, le gouverneur militaire de Bayonne, le préfet des Basses-Pyrénées, les sénateurs et les députés de ce département à prendre part aux fêtes qu'elle organise. Il ne semble pas que cette municipalité ait fait preuve de tact en adressant cette invitation aux personnalités officielles que l’on vient de dire, et même on pourrait avancer qu’elles ont manqué de goût et tout au moins de délicatesse quand elles ont pris cette initiative ; mais, en tout cas, ces personnalités commettraient une faute grave et compromettraient fâcheusement la dignité de notre pays si elles acceptaient de s’associer à cette commémoration d’une défaite française. Car ces fêtes d’Irun ne sont pas autre chose puisqu’il ne s’agit point du tout d’élever un monument à la mémoire des soldats tombés de part et d’autre à San-Marcial.
SAN MARCIAL IRUN 1813 PAYS BASQUE D'ANTAN |
C’est à ce titre seulement que le gouvernement de la République française a pu, l’année dernière, participer officiellement, par l’envoi d’une mission spéciale, aux cérémonies célébrées en Russie â l’occasion de la guerre francorusse de 1812. La Russie, évidemment, célébrait bien sa victoire sur Napoléon Ier, mais elle la célébrait sans éclat, je veux dire sans ostentation, car, en fait, les solennités consistaient principalement en inauguration de monuments élevés en l’honneur des soldats de l’armée et de ceux de l’armée française et, d’un musée de souvenirs de la guerre.
Pourtant, quoique cette participation de la France à la commémoration de la guerre de 1813 pût se justifier par cette raison que je viens d’exposer, j’estime quelle était regrettable. Même alors que la Russie est devenue notre alliée il est humiliant pour nous que notre pays soit représenté officiellement à des cérémonies sur lesquelles plane le souvenir d’un désastre terrible d’où date le déclin de notre puissance militaire. En outre, il ne pouvait être que très blessant pour les représentants de la France d’assister à l’inauguration d’un musée où sont recueillies les dépouilles de notre armée trouvées sur le champ de bataille, ou plutôt abandonnées dans ces campagnes couvertes alors d’une neige qui pour tant de nos soldats fut un linceul.
L’Allemagne, qui célèbre cette année les batailles de Leipzig, de Lutzen et de Baulzen, où elle fut victorieuse des armées de Napoléon, n’a pas eu l’indiscrétion d’inviter la France à s’associer à ces commémorations, pas plus qu'elle ne songe à l’inviter à cette fête de la capitulation de Sedan - le Sedantag - qui est devenu de l’autre coté des Vosges une seconde fête nationale.
SEDANTAG BERLIN 1914 |
L’année dernière, à propos de la participation de la France aux fêtes de Moscou, je faisais remarquer ici qu’il était singulier et même scandaleux, que le gouvernement de la République, qui a volontairement oublié de commémorer le centenaire des victoires napoléoniennes, même de victoires telles que Marengo, Iéna, Austerlitz, Ulm et Wagram, eût jugé bon de s'associer à la défaite que les armées françaises se virent infliger en 1812, et non point par l’armée ennemie, mais par la neige el le froid. Encore y avait-il, pour ce cas particulier, l’excuse ou, tout au moins, la circonstance atténuante que j’ai indiquée. Il n’y en aurait aucune dans le cas où elle participerait aux fêtes d'Irun, et, il serait honteux, alors que le gouvernement de la République n’a pas célébré le. centenaire des victoires de la France en Espagne qu’elle célébrât celui de sa défaite. Il se peut que le gouvernement de la République n’aime pas Napoléon, son régime et sa conception de la liberté, mais la France de 1913 est solidaire de celle de 1813, et nous devons aujourd'hui, que nous soyons royalistes, bonapartistes ou républicains, être fiers des victoires des armées françaises, qu'elles soient celles de la République, celles de l’Empire ou celles de la Monarchie, et nous attrister au souvenir de leurs défaites.
TABLEAU L'ARMEE FRANCAISE QUITTE MOSCOU ABEL MARCELLI SALON 1912 |
On veut espérer que le gouvernement, tout désireux qu’il doive être en ce moment de ce concilier les sympathies de l'Espagne, pour arriver à conclure avec elle une entente cordiale, premier pas vers une alliance que les deux pays ne peuvent que reconnaître désormais nécessaire, ou veut espérer, dis-je, que le gouvernement comprendra qu’il n'a pas le droit, de s’associer aux fêtes d’Irun, qu'il n’a pas le droit d’aller à Irun humilier la France.
Dira-t-on que l'Espagne serait froissée d’un tel refus ? A qui, chez nous, l’idée de s’estimer blessé viendrait-elle si, le gouvernement de la République célébrait l'anniversaire d’une des nombreuses et éclatantes victoires que les troupes françaises ont, sous la monarchie, remportées sur les troupes espagnoles et invitant le gouvernement de S. M. le roi Alphonse XIII à y assister, l'Espagne déclinait cette invitation ? Personne, assurément.
Aussi bien, le gouvernement de la République vient-il de recevoir une leçon méritée ou, tout au moins, de se voir donner un exemple qu’il n’a qu’à suivre, s’il n’a pas encore répondu par un refus poli â l’invitation de la municipalité d’Irun : les sociétés musicales des Basses Pyrénées, invitées par les organisateurs à prendre part à la célébration du centenaire de la bataille de San-Marcial, ont déclaré ne pouvoir se rendre à ces fêtes, qui doivent rester purement espagnoles.
SAN MARCIAL IRUN 1813 PAYS BASQUE D'ANTAN |
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