L'AFFAIRE STAVISKY ET BAYONNE.
C'est une crise politico-économique qui secoue la France à la fin de décembre 1933, mettant en cause de nombreuses personnalités y compris en Pays Basque Nord.
Comme je vous l'ai indiqué précédemment, puisque nous sommes samedi, voici un autre article
sur le "feuilleton" de l'affaire Stavisky et ses répercussions au Pays Basque.
Voici ce que rapporta à ce sujet la Gazette de Bayonne, de Biarritz et du Pays basque, le 27 janvier
1934 :
"Les va-et-vient de l'affaire du Crédit.
A peine M. Guébin est-il parti que revient M. Bonnaure.
Les confrontations entre M. Garat et Tissier.
Nous assistons, pendant que M. d'Uhalt vérifie les boites à bijoux et à surprises des prestidigitateurs du Crédit municipal, à un petit jeu de va-et-vient entre les inculpés libres. M. Guébin est arrivé à Paris la barbe fleurie et le sourire sur les lèvres. Les journalistes s'étant précipités vers lui, il ouvrait la bouche lorsque ses avocats le prièrent, non sans quelque brusquerie, de leur laisser la parole.
Quant à M. Bonnaure, devançant un mandat d’amener dont il serait l’objet, il a quitté Paris jeudi soir pour se rendre à Bayonne afin de se présenter au juge d’instruction.
M. Bonnaure aurait, paraît-il, l’intention de fournir des explications à M. d’Uhalt, au sujet d’un carnet de chèques découvert dans une banque et dont les talons porteraient les noms de parlementaires qui auraient bénéficié de la générosité de Stavisky par le truchement du député de Paris.
Les sommes distribuées dépasseraient 6 millions.
Le fait le plus intéressant — en perspective — c’est la prochaine confrontation de M. Garat et de Tissier annoncée pour le 1er février.
A ce propos, on avait parle de plusieurs lettres de l’ancien maire de Bayonne à Tissier, pour lui recommander de ne pas dépasser le plafond de l'encaisse du Crédit. On dit, à présent, que ces lettres n'existeraient pas.
Encore une journée sans histoire. L’évaluation des bijoux.
La journée de vendredi à Bayonne a été des plus calmes. Après l’arrestation de Cohen et le passage rapide de M. Guébin, l’instruction semble avoir repris un cours plus paisible, certains même le trouvent trop calme.
Hier matin, les experts ont examiné les bijoux que Mile Sabatier avait confiés à M. Dupouy. L’amie de Tissier a désigné ceux qui lui appartenaient en propre, et ceux qui provenant du Crédit Municipal, lui avaient été remis par Tissier ; elle devra fournir au juge des explications complètes, même sur la provenance des bijoux qu’elle affirme être sa propriété de toujours.
Les experts ont examiné et évalué ces bijoux, parmi lesquels il y a des bagues, des colliers, des émeraudes, et ils ont dû remettre ce matin à M. d’Uhalt le rapport qu’ils ont rédigé à ce sujet.
Dans l’après-midi d’hier, les experts ont continué à examiner et à apprécier les gages du Crédit municipal. Neuf boîtes sont maintenant ouvertes et ont livré leur secret. Toutes se révèlent aussi pauvres que les premières et démentent les impressionnantes estimations de Cohen.
Peut-être les jours qui viennent seront-ils riches d’éléments émotifs ; on prévoit un interrogatoire de Tissier et une confrontation Garat-Tissier pour le premier et le 2 févier.
Tissier doit pouvoir révéler encore bien des choses ; sans doute l’une des premières questions qui lui sera posée aura-t-elle trait à la disparition des fameux bijoux, ces riches bijoux qui furent remis à Stavisky la veille du scandale.
La Chambre du Conseil se réunira aujourd’hui après-midi à 4 h. 30, pour examiner le renouvellement du mandat de dépôt de Garat.
Ce dernier ne se présentera pas, et la décision lui sera signifiée à la prison.
JOSEPH GARAT MAIRE DE BAYONNE |
Le recel des bijoux.
Une information que tous les journaux ont d’ailleurs publiée, nous est venue de Paris, qui disait que parmi les cinq cents chèques que la Sûreté générale a examinés, il s’en trouve un qui était destiné à un personnage que la police suppose être le recéleur des bijoux expédiés par Tissier à Stavisky, la veille de l’éclosion du scandale.
Ce personnage serait le directeur d’une des plus importantes maisons d’illusions de Paris, maison dans laquelle Stavisky aurait engagé d'importants capitaux.
Ce qui est inexact, dans l’information publiée hier soir, c’est que le juge d’instruction ait envoyé une commission rogatoire à Paris à ce sujet, et que ce soit lui qui ait découvert ce chèque. C’est au contraire la Sûreté générale qui aurait découvert le chèque et qui aurait procédé à l’interrogatoire en vertu de la commission rogatoire générale qui lui a été adressée par le juge de Bayonne dès le début de l’enquête.
Si M. d’Uhalt, dont la discrétion est extrême, avait permis qu’on lui posât quelques questions au sujet de cette information, nous aurions pu rectifier aussitôt cette inexactitude de détail.
Il ressort clairement de ce que nous avons dit, que D..., ex-policier à Paris, n’est pas le personnage en question, comme chacun croyait l’a voir compris hier.
Les chiffres de M. Guébin.
On connaît la singulière théorie de M. Guébin : le plafond du Crédit n’a pas été dépassé, tout au moins par ma Compagnie, puisqu’il atteignait, en additionnant les chiffres de plusieurs années, un total de 270 millions.
En 1931, on arrive ainsi à 83 millions ; en 1932, on obtient 83 millions de plus, soit 176 millions ; en 1933, 104 millions de plus, soit 270 millions. Et ce total tient compte de tous les budgets du Crédit municipal de Bayonne et non pas seulement des bons émettables.
A cela, M. Sadron, receveur des finances à Bayonne, répond :
— C’est fou ! Un budget est fait pour un exercice. Quand l’exercice est fini, le budget est clos. Le nombre de bons est établi pour l’exercice suivant et on ne cumule jamais avec le précédent. Il est inadmissible qu’on puisse envisager un seul instant une addition de budgets.
Le paquet de "Malou".
M. Dupouy est toujours grippé — assez gravement même, — de sorte que M. d’Uhalt s’est présenté chez lui pour expertiser le contenu du fameux paquet que Mlle Mathilde Sabatier — "Malou" — confia, comme on le sait, à Mme Dupouy quand son ami Gustave Tissier fut arrêté et que M. Dupouy porta le lendemain au juge.
Ce paquet, que l’on a inventorié, contenait 75 000 francs de billets de banque authentiques, et des bijoux en vrac : colliers, bagues, pendentifs etc...
Il a été établi qu’une dizaine du bijoux étaient véritables. Le reste n’est que pacotille. La question de la culpabilité de Mlle Mathilde Sabatier se pose donc dorénavant...
Mais, il serait vain de vouloir obtenir sur ce point ou sur d’autres des éclaircissements du juge d’instruction.
M. d’Uhalt est maintenant rebelle à toute interview, accaparé par une besogne de plus en plus intensive. Néanmoins, il aurait déclaré, à propos de la remise en liberté de M. Guébin :
"J’ai pu me tromper. Un cas de conscience s’est posé. J’ai agi selon ma conscience. Et puis, M. Guébin demeure inculpé..."
Devant la Chambre des mises en accusation de Pau.
Darius a comparu hier matin à 9 heures 30 devant la Chambre des mises en accusation, présidée par M. Fourguette.
PIERRE DARIUS DIRECTEUR JOURNAL BEC ET ONGLES AFFAIRE STAVISKY 1934 |
L'inculpé qui était assisté de Maîtres Boucheron et Morand-Monteil, est arrivé au palais de justice en taxi, les mains libres. Peu de personnes assistaient à son arrivée.
L’audience a duré jusqu’à 12 h. 45. Darius est ensuite sorti par la petite porte, et a regagné la prison en taxi. La Chambre des mises en accusation ne rendra son arrêt que samedi, à 10 heures.
Camille Aymard a comparu à 14 heures devant la Chambre des mi ses en accusation.
Le frère de M. Camille Aymard déclare.
Le frère de M. Camille Aymard, Me Aymard, l’un de ses défenseurs, comme on sait, a bien voulu nous dire :
— "Je suis venu assister mon frère, dont le moral est excellent. C’est à 14 heures 30 qu’il comparait et j’ai confiance dans l’esprit de justice des juges de Pau. Mais la décision ne sera rendue vraisemblablement que dans la soirée."
CAMILLE AYMARD PHOTO AGENCE MEURISSE |
Le retour de M. Guébin à Paris.
Au retour de M. Guébin à Paris, hier matin, à neuf heures et demie en gare d’Orsay, les journalistes se sont précipités vers lui. Mais il n’a fait qu’une très brève déclaration pour se féliciter de la courtoisie de M. d’Uhalt.
M GUEBIN DIRECTEUR LA CONFIANCE PHOTO AGENCE MEURISSE AFFAIRE STAVISKY 1934 |
Mais ses avocats, MMes Ribet et Kanoui ont fait la déclaration suivante :
— "Nous préférons que le fond de l’affaire ne soit pas abordé. Laissez nous vous dire, cependant, combien nous avons été heureux de rencontrer à Bayonne un juge comme M. d’Uhalt, non seulement homme très aimable, mais magistrat d’une conscience rare et — insistons là dessus — d’une indépendance absolue. Nous sommes satisfaits d’avoir réussi à démontrer, grâce au dossier que nous possédions, l’entière bonne foi de notre malheureux client et de toutes ses compagnies.
Nous voulons profiter de la circonstance présente pour élever une protestation véhémente contre un rapport de la Sûreté générale. Dans ce rapport qui, de prime abord, a fait un tort considérable, aux yeux du juge, à M. Guébin, ce dernier était représenté comme un homme possédant des richesses : château, villas, trois automobiles, domesticité nombreuse, etc... En fait, ce rapport s’attachait surtout à minimiser les revenus exacts de notre client en exagérant à plaisir les dépenses de son train de vie.
Inutile de dire que ce rapport va faire l’objet, de notre part, d'une énergique protestation officielle auprès du juge."
M. Guiboud-Ribaud sera-t-il entendu ?
M. d'Uhalt, juge d'instruction, a reçu une lettre adressée par Me Jean-Charles Legrand et Me André Delmas, avocats de Tissier.
Dans cette lettre, les défenseurs de l'ex-directeur du Crédit municipal bayonnais prient le juge d’instruction de vouloir bien entendre M. Guiboud-Ribaud, avocat à la Cour d’appel, sur le rôle que celui-ci aurait pu jouer dans les tractations à propos de l’affaire du Crédit municipal.
Autour de l’affaire.
Quelques échos de "Gringoire".
Comment Stavisky manoeuvrait les politiciens.
On a beaucoup parlé des pressions politiques qui se sont exercées autour des affaires Stavisky et qui ont permis à l’escroc de multiplier le nombre de ses dupes.
Le 14 juin 1932, Garat, député-maire de Bayonne, attire l’attention du ministre du Commerce, qui lui-même transmet la réclamation au ministre du Travail, sur les difficultés éprouvées par les caisses de Crédit municipal pour placer leurs bons.
Généralisation hypocrite. Il n'y avait pas, à cette époque, d'autres bons à placer que ceux du Crédit municipal de Bayonne.
Garat dénonçait lui-même la situation anormale du Crédit municipal de sa ville. En saisissant les Pouvoirs publics, il se jetait dans la gueule du loup.
De tout autre, cette manœuvre eût pu passer pour maladroite. Mais elle ne pouvait étonner de la part de Garat qui savait que sa lettre ne tomberait pas dans un milieu hostile, comme nous allons le voir.
La promenade des signatures.
C'est dans ces conditions que M. Dalimier, ministre du Travail, fut amené à écrire ses deux lettres. L’une, du 25 juin 1932, recommandant aux compagnies d’assurances l’achat de bons de crédit municipal, sans préciser de quelles villes, ce qui eut été bien inutile, puisque seule Bayonne avait besoin d’argent. L’autre, du 23 septembre 1932, donnant toute garantie aux souscripteurs par cette phrase : "Etant donné les avantages de sécurité que présentent de tels placements, je ne doute pas que les conseils d’administration, et plus particulièrement ceux de la région de Bayonne, ne réservent un bon accueil aux offres qui leur seront faites."
Est-il vrai que cette phrase ne figurait pas dans la rédaction primitive de la lettre et qu’elle ait été ajoutée ?
Par qui ?
M. Dalimier a tenté de dégager sa responsabilité en faisant valoir qu’à aucun moment il n’a commandé le placement des bons du Crédit municipal de Bayonne, de préférence à d’autres. Admettons cette thèse. Mais les courtiers de Stavisky et de son complice Tissier étaient munis d’un dossier qu’ils montraient aux souscripteurs éventuels pour leur inspirer confiance. Dans ce dossier figuraient les copies authentifiées des lettres de M. Dalimier.
ALBERT DALIMIER MINISTRE DES COLONIES DU 26 NOVEMBRE 1933 AU 9 JANVIER 1934 |
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