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lundi 14 août 2023

LES BOHÉMIENS AU PAYS BASQUE AU DÉBUT DU 19ÈME SIÈCLE (première partie)

LES BOHÉMIENS AU PAYS BASQUE AU DÉBUT DU 19ÈME SIÈCLE.



Cette minorité présente au Pays Basque a été longtemps victime de persécutions et de mépris.




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GITANS REMPAILLEURS A HENDAYE
PAYS BASQUE D'ANTAN



Voici ce que rapporta à ce sujet F. Lomet dans le Bulletin du Musée Basque N° 7 en 1934 :



"Un document inédit sur les Bohémiens du Pays Basque au début du XIXème siècle.


Le 1er frimaire an XI, écrit M. de Lagrèze dans La Navarre Française, le préfet des Basses-Pyrénées, considérant les assassinats, vols et désordres de toute espèce dont se rendent coupables les Bohémiens, considérant que des individus qui n'ont d'autre état que le brigandage ne peuvent être considérés comme citoyens ni jouir des droits attachés à ce titre, arrête que tous les Bohémiens du peuple basque seront saisis et mis en prison pour être ensuite transportés.



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LIVRE LA NAVARRE FRANCAISE 
DE M.G.B. DE LAGREZE



"Cette proscription en masse, par simple arrêté préfectoral, de toute une classe de citoyens, fut approuvée unanimement dans le pays, et la mesure reçut son entière exécution le 15 frimaire. Le Gouvernement espagnol s'entendit à cet effet avec le Gouvernement français. Les troupes du vice-roi de Pampelune marchèrent de concert avec celles du général commandant la division de Bayonne. Au rapport du Mémorial des Pyrénées, le nombre des Bohémiens arrêtés fut considérable."



Mention de cette opération est faite dans une notice manuscrite sur les Bohémiens rédigée par l'adjudant commandant Lomet chef de la 4e division du ministère de la Guerre et conservée dans les archives de ce ministère. Nous en devons la communication à Mlle H. Vanier. Ce document, fort intéressant à plusieurs titres, mérite d'être publié.



Présentons d'abord aux lecteurs du Bulletin, d'après les renseignements recueillis par Mlle Vanier, Antoine François Lomet, baron de Foncaux. Il naquit à Château-Thierry le 6 novembre 1759, entra en 1777 à l'Ecole des Ponts et Chaussées et en sortit ingénieur breveté. Marié à Agen, acquéreur d'un "bien national" considérable, il exerçait depuis douze ans ses fonctions dans des conditions fort agréables, lorsqu'il fut subitement invité par le Ministre de la Guerre à prendre du service dans l'armée et à se rendre sans délai à Bayonne, pour se mettre à la disposition des citoyens Carnot, Lamarque, Garreau et Lacuée, commissaires de la Convention, chargés de la reconnaissance générale des frontières vers l'Espagne. C'était en 1792. Bientôt affecté à l'état-major de l'Armée des Pyrénées, il devint aide-de-camp du général en chef. Nommé capitaine à la Légion des Montagnes, puis adjudant-chef de bataillon, le citoyen Lomet fit campagne dans le Pays Basque, "toujours aux avant-gardes". Il fut ensuite "instituteur" à l'Ecole Polytechnique et passa de là, en 1798, au Dépôt de la Guerre, avec le grade d'adjudant-général chef de brigade. En 1801, on le trouve "chef de la division du mouvement" au ministère de la Guerre. Pendant les campagnes de 1805, 1806 et 1807, il fait partie du grand Etat-Major de l'Armée d'Allemagne. Il sert en Espagne en 1808 et 1809 et prend sa retraite en 1810, commandeur de la Légion d'honneur. Sa mort survint en 1826. A côté de ses divers titres, civils et militaires, il comptait celui de "coopérateur" de la partie de l'encyclopédie méthodique qui traite des connaissances de l'ingénieur.



Voici ce qu'écrivait, le 12 mai 1803, l'adjudant-commandant Lomet :


Notice sur les Cagots dits Bohémiens du Département des Basses-Pyrénées.

22 Floréal, An XI.



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BOHEMIENS EN VOYAGE 1861
TABLEAU D'ACHILLE ZO



On considère généralement les gens connus sous le nom des Bohémiens en Biscaye, dans la ci-devant Basse-Navarre et Pays de Labour, comme des hordes errantes, reste des Maures expulsés de l'Espagne.



Leur taille est avantageuse, leur teint est basané, la coupe de leur figure est africaine ; ou plutôt asiatique. On y reconnaît encore les traces d'un beau sang, mais dégénéré par l'excès de misère et l'état d'abjection auxquels ils sont réduits.



Cette peuplade ressemble à celles du même genre qui rôdent sur les confins de la Westphalie et de la Transylvanie. On en retrouve encore dans diverses parties de la France, dans le Valais et dans les Alpes. Ils sont connus sous le nom de Cagots, de Cacoux, de Gahets, de Coliberts, etc... ; enfin, il en existe en Corse, dans les Apennins, et dans les pays circonvoisins du Frioul.



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BENITIER DES CAGOTS
EGLISE DE SAINT-SAVIN HAUTES-PYRENEES



On est frappé de l'analogie des habitudes et de la ressemblance du langage de ces sortes de gens, en quelque lieu qu'ils ses soyent fixés, et à des distances telles qu'ils n'ont et ne peuvent que très difficilement communiquer entre eux. Partout ils sont méprisés, rejetés, hors de la société, et forcés de se soustraire à ses regards dans des huttes ou des huttes qu'ils se forment aux lieux les plus isolés.



Quelques personnes ont prétendu que le dialecte qu'ils parlent entre eux est absolument le même que celui que parlent encore aujourd'hui quelques castes inférieures des Hindous, et ont essayé de prouver qu'ils pourraient être les débris d'une colonie asiatique jetés en Europe dans la plus haute antiquité (histoire du Tribunal Secret de Westphalie).



Quoiqu'il en soit, plusieurs passages des anciens historiens semblent indiquer l'existence de peuplades absolument analogues à celles-ci, aux époques les plus reculées de l'établissement des Romains dans les Gaules et dans la Celtique.




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LES BOHEMIENS EN VOYAGE DE CHARLES BAUDELAIRE
TABLEAU D'ALFRED DEHODENCQ 1852



Ces races proscrites pourraient être en France les restes des Maures qui, après avoir renversé les Goths d'Espagne, retombèrent de tout leur poids sur l'Europe des Francs, qui sut leur résister, et couvrit en 451 de trois cent mille de leurs morts, les plaines de Merry sur Seine et d'Orléans ; ils pourraient encore appartenir aux Visigoths de Théodoric, défaits en 463 à Orléans, par Aëtius et Childeric, ou à ceux que dispersa en 507 la mémorable bataille donnée à Vouglé, près de Poitiers, et qui affermit sur ses fondements le trône de Clovis.



Enfin ces races seraient-elles les déplorables restes de cette multitude de Sarrazins que Charles Martel tailla en pièces, dans le voisinage de Tours ou de Poitiers ?



Le théâtre de ces grandes défaites toujours voisin du centre de la France, est, dans tous les cas, propre à rendre raison des différentes directions que les vaincus ont pris dans leur fuite (Ramond, observations sur les Pyrénées).



Je n'envisagerai point les Bohémiens des Basses-Pyrénées sous le rapport de leur origine ; mais je viens à ce que l'on connait d'eux aujourd'hui. Cependant, j'observerai qu'ayant essayé d'étudier leur langage, j'ai vu avec étonnement que plusieurs mots familiers de la langue française, auxquels il serait impossible d'assigner une étymologie, y sont évidemment transportés de leur vocabulaire ; telles sont, par exemple, les exclamations Fi ! Pouhah ! Salope !... termes de dégoût et Balisque, mot du patois gascon, qui, assurément n'est dérivé ni du Latin, ni de l'Italien, ni de la langue celtique.



Les trois premiers sont les jurements les plus exécrables que puisse proférer un Bohémien ; et le dernier, Balisque, est encore employé très fréquemment aujourd'hui par les peuples de l'Aquitaine, précisément dans le même sens que l'employent les Bohémiens eux-mêmes dans tous les pays où il se trouvent. Il signifie dans l'un et l'autre langage, Oh ! le vilain Cochon !



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BOHEMIENS SOULE 19EME SIECLE
PAYS BASQUE D'ANTAN



On estimait en 1788 qu'il existait environ 600 Bohémiens de tout âge et de tout sexe dans la Basse-Navarre et le pays de Labour. On présumait qu'il pouvait s'en trouver 7 à 800 en Biscaye.



On ne peut imaginer à quel point les Français et les Espagnols méprisaient ces sortes de gens, et à quel degré d'abandon et d'avilissement ils étaient réduits. On leur refusait, en quelque sorte, d'appartenir à l'espèce humaine. Aussi, n'avaient-ils aucun rapport direct avec la société. Des gens très instruits partageaient cette prévention à Saint-Jean-de-Luz et Bayonne. Les Bohémiens étaient repoussés avec horreur ; les gens du peuple n'auraient même pas voulu les toucher.



Un bohémien qui se serait blessé de manière à ne pouvoir se traîner jusqu'à son gîte, n'eût reçu aucun secours, s'il n'eût été ramassé par les siens. La foule inquiète et curieuse l'aurait regardé froidement se débattre et périr sur la place, et se serait ensuite servi de gaffes (crocs de fer), pour le traîner à la voirie où son cadavre restait exposé à l'air parmi les restes des chevaux morts ou autres animaux.



A la couleur près, les jeunes Bohémiennes présentent tous les agréments faits pour intéresser en leur faveur les hommes de tous les pays. Elles ne sont pas moins en horreur aux yeux des habitants du Pays de Labour, et nul n'oserait avoir aucun rapport intime avec elles.



En 1788 un des domestiques de l'Intendant de Bordeaux (cet Intendant se trouvait lui-même alors à Saint-Jean-de-Luz) ayant voulu prendre affectueusement la main à une jeune et jolie Bohémienne, le peuple s'ameuta. Il fut poursuivi à coups de pierres, jusqu'à la sortie de la ville, et il eut été infailliblement très maltraité, s'il eût osé y rentrer.




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BOHEMIENS SOULE 19EME SIECLE
PAYS BASQUE D'ANTAN



On avait amené quelques familles bohémiennes à faire baptiser leurs enfants, et à se marier suivant les lois du Christianisme ; mais pour cela il ne leur était pas permis de mettre les pieds dans les églises. Ces cérémonies se passaient en plein air, sous un petit hangar qu'on leur laissait à peine construire à leurs frais, et qui était adossé au dehors, contre les murs de l'église. C'est aussi sous ce hangar qu'on leur permettait de se réunir, pour assister au service divin. Le mur de l'église était percé, de ce côté, d'une petite fenêtre qui ne s'ouvrait que pendant la célébration de la Messe. Ces dispositions et ces constructions subsistent encore dans les paroisses du Pays de Labour. Mais en Espagne cette distinction singulière n'était point admise et les Bohémiens chrétiens y ont accès dans tous les temples.



Au mois d'Août 1788, le curé de la paroisse d'Urrugne, bourg situé sur la grande route, entre Saint-Jean-de-Luz et Bayonne, terminait ainsi un sermon qu'il adressait à ses paroissiens.


"Il serait inutile de vous recommander de nouveau, de n'avoir aucune correspondance avec les Bohémiens ; vous savez que c'est une race maudite que Dieu réprouve ; il n'est que trop connu parmi vous que la plupart d'entre eux sont possédés du démon, et que presque tous ont fait pacte avec le diable".



J'ignore si cette formule était en usage dans les autres paroisses de ces cantons.



Les hommes de cette peuplade se dévouaient presque tous à la marine. Il sont adroits, sobres, courageux et infatigables. Ils ne faisaient que de rares et courtes apparitions dans leur patrie, et poursuivaient le service de mer, jusque dans l'âge le plus avancé ou jusqu'à ce qu'ils y trouvâssent le terme de leur vie. Mais, après des absences de vingt ans et plus, après avoir parcouru l'univers, ils revenaient à leurs huttes ; ils y reprenaient les usages de la peuplade, et se soumettaient avec une singulière résignation aux avanies, aux humiliations qu'on déversait sur elle."



A suivre...



(Source : Les Bohémiens de Basse-Navarre et Soule (Pays Basque) à travers les actes d’état civil, les registres paroissiaux, ou des documents administratifs du 19ème siècle - Gaiak - Euskonews et Bohémiens au Pays basque | IKERZALEAK)





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