LES AGOTS DE NAVARRE.
Un(e) cagot(e), dans le Sud-Ouest de la France, était aussi appelé agote, sur le versant Sud des Pyrénées, en Espagne. Il s'agissait de termes dépréciatifs qui désignaient des groupes d'habitants, exerçant des métiers du bois, ou du fer, frappés d'exclusion et de répulsion dans leurs villages, surtout au Pays Basque.
Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Le Droit, le 30 mai 1847 :
"Quoi qu’il en soit, il ne se passa pas longtemps avant que les Agots de Bozate fussent de nouveau troublés dans l’accomplissement de leurs devoirs religieux ; mais avant de rapporter la scène qui eut lieu dans l’église d’Arizcun en 1673, il ne me semble pas hors de propos d’indiquer dans quel ordre la population y était rangée. Elle était divisée eu cinq catégories :
La première, la plus rapprochée du presbeterio se composait des maîtres de maisons faciales qui, pour chacune d’elles, avaient leurs places particulières, et, chacun selon son rang, allait à l'offrande, suivait la procession, adorait la croix, recevait les cendres et accomplissait tous les autres actes et cérémonies de l’église auxquels les laïques prennent part.
La seconde catégorie était celle des gens mariés qui n’étaient pas maîtres de maisons vicinales, ou, s’ils l’étaient, dont les descendant vivaient et jouissaient des honneurs de préséance dans la première catégorie ; dans la seconde figuraient également les fils aînés non mariés, leurs domestiques et les étrangers qui vendent entendre l'office. Les uns et les autres étaient tous assis, quand il y avait de la place ; s’il n’y en avait pas, ils allaient au chœur. Il n’y avait point pour eux de place déterminée, ils s'asseyaient dans l’ordre où ils arrivaient, suivaient la procession et prenaient part à tous les actes dont il a été question. Avec eux allaient d’autres habitants, mariés ou non, qui avaient des maisons dans le même lieu, bien qu’elles ne fussent point de celles qu’on appelait vieilles et d’ancienne origine.
La troisième classe était celle des femmes propriétaires desdites maisons vicinales ; celles-là avaient, comme leurs maris, des places marquées pour entendre la messe, suivre la procession et prendre part aux autres actes et cérémonies indiqués plus haut. Ces femmes se tenaient dans la nef de l’église, où il n’y avait point de bancs pour les hommes.
La quatrième catégorie était celle des femmes mariées, qui n’avaient pas de maisons, ou qui, dans le cas contraire, avaient encore leur père ou leur mère en possession de la place qu’elles devaient avoir ; elle comprenait aussi les filles aînées, leurs domestiques et les étrangers. Toutes ces femmes assistaient aux offices et aux autres cérémonies de l’église, sans observer aucun ordre ni occuper aucune place déterminée, attendu qu’il n’y en avait pas pour cette catégorie.
La cinquième et dernière était celle des Agots.
A ces détails, il faut ajouter qu’il y avait dans la paroisses deux prêtres, le recteur ou curé, et le vicaire. Le mercredi des cendres, le premier les donnait aux hommes de la première catégorie, sur les marches du grand autel : chacun se levait pour aller les recevoir dans l’ordre où il était assis, et en même temps le vicaire en faisait autant pour les femmes ; il se plaçait dans un lieu convenable, en tête de leurs bancs, et celles de la troisième catégorie allaient recevoir les cendres dans l’ordre où elles se trouvaient ; puis venaient celles de la quatrième, l’une après l’autre et sans distinction de rang.
Cet ordre fut interrompu le mercredi des cendres de l’an 1673, par Martin de Babace, Inigo de Enecorrena, Juanes de Elorga et Juanes de Barazabal, dit Duruzuri, tous habitants d’Arizcun ; au moment où les Agotes allaient, avec la dévotion et l’humilité qui leur étaient habituelles et que demande une telle cérémonie, recevoir ces tendres après toutes les femmes de la troisième et de la quatrième catégorie, ces individus, placés dans la seconde, s’y opposèrent, et proférèrent contre elles des injures et des menaces telles qu’elles aimèrent mieux retourner à leurs places sans avoir reçu les cendres, que de s’entendre traiter do la sorte.
Mais ce motif de plainte n’était pas le seul que les Agots eussent contre les habitants d’Arizcun, et généralement contre les Bastaneses, qui leur faisaient une guerre sans pitié comme sans relâche. L’un de ces derniers, Martin de Aguirre, dit Zapatero, avait défendu à ces pauvres gens de pêcher aux époques et avec les instruments permis, et avait été jusqu’à confisquer à un vieillard une ligne et un petit filet, son gagne-pain et la seule ressource de sa nombreuse famille.
BENITIER DES CAGOTS 65 ST SAVIN |
Tous ces griefs donnèrent lieu à un procès pendant le cours duquel l’avocat des Agots publia un volumineux factum, dont nous n’avons pu retrouver que des débris, et qui, en fait de verbiage et d’érudition oiseuse et indigeste, est un modèle du genre. Entre autres conclusions, il demandait la restitution des ustensiles de pêche saisis, et la condamnation de Martin de Aguirre à mille ducats d’or et aux frais, et il citait l’exemple de Joanesto de Landarruero, habitant d’Arizcun, condamné par sentence du Conseil à quatre cents livres, à une année de réclusion, ainsi qu'aux frais et dépens, pour un fait semblable accompagné de mauvais traitements et de violences à l’égard de Gracian de Sanchotena. Les Agots demandaient aussi justice sur d’autres points qu’on leur contestait. C’est probablement dans ce procès que leurs adversaires ayant produit contre eux un arrêt du Parlement de Bordeaux, en date du 3 juillet 1604, ceux-ci lui opposèrent un certificat signé par noble homme Salomon de Belaspet, conseiller et bailli juge royal, Antoine Noguès, consul en la Cour et Tribunal royal de Mauléon, au diocèse d’Oloron, Me Arnaud Mearon, fiscal et procureur du roi, Louis Belaspet, avocat, et Aguirre, greffier du Tribunal, daté de Mauléon, le 4 juin 1675, dans lequel il est déclaré qu’il n’y avait aucune différence entre les individus qualifiés de Goths et les autres gens du peuple.
Toujours est-il qu’en 1654, les Agots du Baztan et des autres lieux de la Navarre payaient les contributions de guerre et faisaient le service militaire comme les autres habitants, ayant servi sous les ordres de don Miguel de Iturvide, capitaine de la vallée ; malgré cela, la condition des Agots de la Navarre, comme nous le verrons plus loin, ne fut pas améliorée, et postérieurement, dans les enquêtes de pureté de sang, que l’on faisait subir pour l’exercice de certains offices, le candidat devait prouver qu’il ne descendait ni de Maure ni de juif, ni d'Agot, ni d'individu mis en pénitence par l’Inquisition.
Au récit de toutes ces misères, on est tenté de se demander pourquoi les Agots du Baztan ne cherchaient point une terre plus hospitalière. Hélas ! il leur eût fallu aller bien loin pour la trouver : tant les contrées pyrénéennes étaient unanimes dans leur rigueur contre eux. Pour ne parler maintenant que du Guipuzcoa, ils y étaient peut-être encore plus persécutés que dans la Navarre. Ainsi, en 1696, don Miguel de Mendizabal adressait à l’une des juntes générales de la province, en séance à Tolosa, un mémoire dans lequel il invoquait différents secrets contre les Agots, dont il y avait, disait-il, quelques-uns dans le pays, au grave préjudice de la pureté et de la noblesse du sang de ses enfants, et il suppliait l’assemblée de les expulser à leurs frais.
Conformément à cette requête, la junte ordonna aux alcades de rechercher avec une grande vigilance, chacun dans sa juridiction, les Agots qui y habitaient, et de les expulser dans le terme de deux mois, sous peine de cinquante ducats d'amende, à laquelle elle condamnait d'ores et déjà ceux qui seraient omis. Elle nomma pour Tolosa et sa juridiction Don Ventura de Ayeldaburu, bourgeois de cette ville. Cet homme remplit sa commission avec un zèle qui lui mérita les éloges de l’une des juntes tenues l’année suivante à Mondragon ; mais il ne put empêcher que les Agots ne revinssent dans les lieux dont il les avait chassés : aussi la sixième des juntes générales, tenue l'année suivante à Saint-Sébastien, rendit le 13 mai un décret par lequel elle enjoignait aux Agots de sortir de la province, s'ils ne voulaient en être expulsés, les menaçant, dans le cas ou ils y reviendraient encore, de châtiment et de six ans de réclusion. Elle confia l’exécution de ce décret à don Antonio de Arrieta, bourgeois de Tolosa et l’un des adjoints du corregidor ou maire, et l’autorisa à leur faire supporter les frais que pourrait occasionner cette expulsion. La junte ordonna également à tontes les municipalités des communes de son territoire de chasser tous les Agots, et prononça une amende de cinquante ducats d’or contre tout propriétaire de ferme ou de moulin qui serait convaincu de les avoir pris pour fermiers ou de leur avoir donné asile chez eux.
En 1723, les Agots, à ce qu’il parait, furent encore inquiétés ; car le savant auquel on doit le catalogue des archives du Guipuzcoa, don Domingo Ignacio de Egana, signale sous cette année deux consultations relatives à ces proscrits.
En 1742, don Joseph Jacinto de Mendizabal fut charger d’en bannir quelques-uns.
LIVRE HISTOIRE DES CAGOTS PAR OSMIN RICAU |
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