LES BAINS DE MER À BIARRITZ EN 1839.
Dès la fin du 18ème siècle, les "étrangers" viennent à Biarritz pour prendre des bains de mer.
Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Le Courrier de la Côte d'Or, le 12 décembre 1839 :
"Voyez-vous cette profonde découpure du promontoire au bas de cet escalier raide et pierreux, à 80 pieds au-dessous de cette croix de bois usée avec la pierre qui lui sert de socle ? Voyez-vous ces huit à dix barques qui sèchent au soleil, et ces cabestans grossiers qui les arrachent chaque jour à la mer ? Voyez-vous ces quelques pêcheurs accroupis sur leurs filets déchirés, et ces corbeilles où bondissent encore la mouline, la raie, la dorade ou le scombre vulgaire ? Voyez-vous, enfin, ce bassin de quelques cent toises, défendu par des écueils accessibles seulement aux hommes du pays ? Eh bien, c’est là le port de Biarritz : sa population, son industrie et sa richesse, tout est là ; c'est là le seul débris de son antique prospérité. Chaque jour, lorsque la mer est calme, vous croyez voir au large comme un oiseau de mer dont les ailes brillent au soleil ; bientôt vous en comptez plusieurs ; ils approchent : ce sont des voiles, des bateaux et des rames ; on dirait une petite flottille qui s’avance rapidement ; des femmes et des enfants, chargés de corbeilles, se précipitent par toutes les pentes qui aboutissent au port ; les barques abordent successivement ; on serre les voiles ; une corde est attachée à un anneau de fer fixé au taille-mer ; les cabestans crient, et des rouleaux de bois, placés sous la fausse-quille, conduisent lentement chaque barque hors de l’atteinte des marées.
PORT DES PÊCHEURS BIARRITZ PAYS BASQUE D'ANTAN |
Pendant l’été, et surtout par les matinées habituellement si pures du mois de juillet, des embarcations armées de six, huit, et jusqu’à dix rameurs, s’élancent vers la côte des Basques et s’arrêtent à une petite distance des roches qui la couronnent au Nord ; la couleur matte de l’eau et l’apparition de quelques marsouins ont signalé des sardines ; les pêcheurs s’approchent doucement, et ils n’ont qu’à plonger, et à retirer presque aussitôt des filets qui plient sous une pêche abondante : l’oeil des gens du pays est tellement exercé, que, du haut de la falaise, on les entend signaler à leurs amis la proie que ceux-ci n’aperçoivent pas encore. Les marsouins, qui paraissent apprécier singulièrement ce mets recherché sur toutes nos tables, se mettent en arrêt pour ainsi dire à la vue des sardines, et ils semblent choisir d’avance l’endroit où ils mordront avec le plus de profit pour leur voracité. Cette observation, toute locale, n’est jamais en défaut : lorsque la mer s'élève au large, les marsouins s’approchent de la côte, mais ils ne s’y arrêtent pas ; on les voit par bandes assez nombreuses se diriger vers l’embouchure de l’Adour ou vers le Socoa ; leurs queues noires et perpendiculaires à la vague les signalent au loin ; on dirait des barques à demi submergées et courant au gré des flots.
PÊCHEURS BIARRITZ PAYS BASQUE D'ANTAN |
A l’approche du mois de juillet, Biarritz prend ses habits de fête ; ou, en termes vulgaires, chaque propriétaire blanchit sa maison sous peine de la voir abandonnée par les baigneurs comme un lieu maudit ou au moins inhabitable. Des rideaux d’une blancheur éclatante ornent les lits et les fenêtres ; les cheminées se surchargent de tasses en belle terre de pipe, de vases bleus ou d’autres naïfs ornements achetés dans la ville voisine ; les meubles, quelque vieux qu’ils soient, resplendissent ; enfin c’est dans chaque appartement une coquetterie de propreté qui séduit et met en haut goût de bains et de campagne.
Les baigneurs arrivent lentement. Biarritz alors se ranime, se renouvelle et s’évertue ; le bon, simple, solitaire, rocheux et calme village de toute l’année emprunte au monde brillant et oisif qui le défraie son bruit, sa poussière, ses grimaces, ses travers et ses médisances. Biarritz prend largement sa part de la civilisation des quatre-vingt-six départements. Autrefois c’étaient les joyeux cacolets qui vous portaient de Bayonne à travers un chemin de sables ; maintenant ce sont des diligences, omnibus, chars-à-bancs, calèches, cabriolets, etc., qui vous conduisent plus ou moins rapidement sur la principale place, dont le seul mérite consiste à ouvrir au regard une admirable étendue de mer. C'est le rendez-vous du soir, la promenade habituelle et bornée des baigneurs, qui s’y entassent obstinément dans une centaine de toises carrées, par cette habitude moutonnière que nous avons tous de nous serrer les uns contre les autres, et de compter, pour ainsi dire avec parcimonie, les quelques pouces d’air libre et franc que chacun de nous pourra respirer. Chaque baigneur a soin d'y apporter religieusement ses habitudes de coterie, ses méfiances et son dédain provincial, choses qui rendent toute réunion impossible. Partout ailleurs, cet isolement passager au sein d’un village, ces rencontres multipliées dans les mêmes eaux et dans les mêmes lieux, ces besoins, en un mot, que les mêmes habitudes rendent communs, créent un instinct de sociabilité, une convention tacite d’égalité et de simplicité qui établissent tout aussitôt entre les baigneurs des relations faciles et bienveillantes. La saison écoulée, les rapports cessent ; on se rencontre encore, mais on peut ne plus se connaître. A Biarritz, il n’en est pas ainsi : la province tient à cette raideur qu’elle prend pour de la dignité ; elle continue à vivre orgueilleusement, à faire son boston, à lire son journal, à médire du prochain, et à se retirer de bonne heure, sans rien céder au changement temporaire d’habitude et de localité, sans se faire l’aumône d’une soirée, d’une course ou d’une causerie inaccoutumées.
Mais ce n’est pas encore là la physionomie de la saison, ce n’est pas encore là la couleur saillante de ce village agreste livré pour un temps aux loisirs et aux infirmités des classes riches : voyez-vous cette anse, ou bassin, ou petite baie resserrée et fermée en partie par des roches aux formes bizarres et longuement aiguisées par les lames ? C’est le Port-Vieux : on descend par un sentier à demi praticable sur une plage étroite ou se dressent chaque année plusieurs baraques en bois au service des baigneurs ; à droite, et sur une hauteur escarpée, des fragments d’un vieux château à la date de 1300, et qui a dû défendre l’entrée du port ; quelques pans de ses murailles ont déjà abandonné la masse principale, et semblent s’être arrêtés dans leur course, on ne sait par quelle singulière puissance du hasard ; à gauche, et sur un mamelon moins raide, une vieille tour percée par le haut, et dans laquelle on allumait un grand feu qui servait à rallier au large, par sa fumée noire et épaisse, les bateaux pêcheurs que l’orage menaçait.
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TOUR DE L'ATALAYA BIARRITZ PAYS BASQUE D'ANTAN |
L’heure du bain est fixée d’ordinaire aux pleines mers et aux marées montantes ; une foule d’hommes et de femmes se précipitent des baraques, les premiers couverts des caleçons prescrits par le règlement municipal, et celles-ci, plus ou moins élégamment, en peignoirs ou en blouses de couleurs sombres, les unes coiffées de foulards, les autres de chapeaux de paille. Toute cette population importée se précipite dans le bassin, les plus faibles et les plus timides aidés par des gourdes, ou mieux encore par des habitants qui en font l’objet d’une industrie pénible et parfois dangereuse. La coquetterie des femmes s’exerce là comme ailleurs, mais plus malheureusement : car la couleur, je crois, et l’action de l’eau de mer, rident les joues, blêmissent le teint, et disgracient les traits les plus agréables.
Biarritz devient, pendant la saison, une petite colonie pleine d’animation et de gaieté. Chaque petite chambre contient son ménage et son pot-au-feu importés ; selon les goûts, les âges et les caractères, on lit, on chasse, on pêche, on se promène, ou autre chose ; on y déjeune avec des œufs à la coque et du chocolat, ce qui est très-hygiénique ; mais on s’y occupe fort peu de la beauté du site, et rarement une pensée sérieuse vient à traverser ce large horizon, à la quête d’un monde inconnu : on aime mieux médire ou regarder les baigneurs.
BIARRITZ 1843 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Biarritz, vous le savez peut-être, est assis à une des extrémités de l’arc qui court vers les côtes d’Espagne , et qui embrasse ce golfe admirable fermé à la vue par la Rhune et par les premiers versants du Guipuzcoa. Par une belle et pure matinée, toutes ces montagnes d’un bleu sombre saillissent nettement aux regards ; les plus rapprochées, avec leurs nombreuses déchirures, avec les maisons blanches qui les émaillent, et leurs accidents d’ombre et de lumière ; les plus éloignées, s’abaissant graduellement vers la mer, comme de légers nuages réguliers et immobiles. Puis, dans la courbure de l’arc, une longue et souple frange d'écume, et, au-dessus, cette ligne inégale de falaises argileuses qui émincèrent au soleil ; mais surtout cette double profondeur, ce double mouvement du ciel et de la mer qui semblent échanger leurs mystérieux spectacles. Tout cela est beau, tout cela est grand, tout cela est sublime, et malheureusement inaccessible à une plume vulgaire. Lorsque la mer est émue au large par quelque pressentiment de tempête ou par le vent d’ouest, on la voit se dresser en larges et hautes lames, se couronner de crêtes transparentes et écumeuses, et se précipiter avec une telle puissance, que les hauteurs qui la dominent en ressentent des secousses prolongées.
Quelques maisons du Haut-Biarritz viennent se poser sur ces hauteurs, et, à leurs pieds, la côte est appelée vulgairement Côte des Basques.
CÔTE DES BASQUES PAYS BASQUE D'ANTAN |
Du 15 au 20 août, et pendant vingt jours environ, les populations basques du Labourd, de la Soule, et même de la Basse-Navarre, y accourent, et envahissent toute cette partie du village qui touche à leur côte de prédilection. C’est, pour les Basques, une époque de loisirs et de bonne chère ; le tambourin et le fifre nationaux, largement défrayés, s’installent partout où peuvent se grouper et danseurs et danseuses. L’insatiabilité des Basques est merveilleuse : ils ne se lassent jamais de battre le sol de leurs pas monotonement cadencés ; et j’ai vu de leurs bals en plein air se prolonger pendant toute une nuit.
Ils prennent deux, trois, et jusqu’à quatre bains par jour ; on les voit parcourir en longues files l’étroit sentier qui conduit sur la plage. Là, chacun a son rocher ou sa place sur le sable. Il faut voir du haut de la côte ces têtes aux cheveux flottant, ces épaules brunes que l’écume du flot fait ressortir, ces femmes aux longs peignoirs de mille couleurs, se donnant la main pour rompre la force des lames, et chantant parfois en langue basque des airs plaintifs et monotones, qui ne manquent pas pourtant d’harmonie. Le mouvement ne cesse pas du rivage à la mer, et de la mer au rivage : c’est un pêle-mêle de sons étranges pour nos oreilles françaises; ce sont des cris de joie, des encouragements, des chansons interrompues ; et cette population exceptionnelle a un costume si pittoresque, un air de tête si digne, et une gaieté si expansive et si bruyante, qu’il faut être frappé malgré soi de tout cet ensemble qui parle si curieusement aux impressions et aux regards. Le pèlerinage des Basques à Biarritz mériterait un véritable poème, et les couleurs et les formes n’y défendraient pas. Il est difficile de trouver autant de mouvement et de couleurs dans un si petit espace : d’un côté, les Basques sur leur vaste plage où les lames arrivent plus creuses et plus puissantes ; de l’autre, la population des villes, blême et effrayée dans son étroit bassin où les marées ordinaires jettent à peine quelques embruns dédaigneux...
LES BAINS DU PORT-VIEUX ET CÔTE DES BASQUES BIARRITZ PAYSS BASQUE D'ANTAN |
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