L'AFFAIRE STAVISKY ET BAYONNE.
C'est une crise politico-économique qui secoue la France à la fin de décembre 1933, mettant en cause de nombreuses personnalités y compris en Pays Basque Nord.
Comme je vous l'ai indiqué précédemment, puisque nous sommes samedi, voici un autre article
sur le "feuilleton" de l'affaire Stavisky et ses répercussions au Pays Basque.
Voici ce que rapporta à ce sujet la Gazette de Bayonne, de Biarritz et du Pays basque, le 30 janvier
1934 :
"Où l'on vit hier soir à Bayonne la foule assiéger le député Bonnaure.
Après avoir été interrogé, M. Bonnaure est sorti prévenu libre encore une fois.
Mais la foule mécontente manifeste avec violence.
On se demande à présent si Stavisky n’a pas été assassiné par les voleurs des bijoux.
Lorsque M. Garat, député, maire de Bayonne, fut arrêté, ce fut de la stupeur. Ce fut aussi de la peine, même parmi ses adversaires politiques. A le soupçonner coupable de négligence ou d'autre chose, on n’en rappelait pas moins son activité, ses conceptions heureuses pour le développement de Bayonne.
JOSEPH GARAT MAIRE DE BAYONNE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Cette impression de stupeur persista pendant plusieurs jours. Puis, sans qu'on se désintéressât de la marche de l’Affaire qui apportait, presque chaque jour des révélations nouvelles, les esprits témoignaient d'une sorte de torpeur.
Mats voilà que, tout à coup, les passions se réveillent et s’excitent sous le coup de fouet de l’actualité.
Un député mêlé à l’affaire, M. Bonnaure, revient, pour la deuxième fois à Bayonne, afin de faire au juge d’instruction des déclarations sur les faits qui ont motivé son inculpation.
DEPUTE GASTON BONNAURE PHOTO AGENCE MEURISSE |
Introduit une première fois comme inculpé libre, il en ressort comme inculpé libre.
Revenu une deuxième fois, il va encore franchir la porte du Palais comme inculpé libre.
Cela est affaire à la conscience et à l'opinion du juge.
Mais le peuple est énervé par les révélations quotidiennes. Mais le peuple, aussi, est, au fond de soi, imprégné du sentiment d’une justice qui ne s‘embarrasse pas de scrupules.
Il finit par en avoir assez de ces politiciens, de ces spéculateurs qui mettent leurs mandats, leur influence ou leur adresse au service de leurs intérêts propres, qu'il s'agisse de satisfaire leurs ambitions ou d'emplir leurs poches.
Et voilà le peuple qui se fâche, qui conspue, qui injurie et qui tente de faire subir, à celui qu'il considère comme un de ces hommes qui ont péché, un traitement rigoureux.
C’est le spectacle que nous ont donné, hier soir, les Bayonnais.
Et c'est un signe des temps, qu'on les approuve, généralement, en dehors des limites de Bayonne.
Quelle leçon, pour beaucoup !
L’Interrogatoire du député Bonnaure.
L’interrogatoire de M. Bonnaure a commencé hier après-midi vers deux heures quinze et ne s’est terminé qu’à sept heures moins vingt. On lira d'autre part le compte rendu des incidents violents et divers qui ont accompagné la sortie du député parisien.
Nous n’avons pu voir M. d’Uhalt qui a consigné sa porte, mais, malgré la stricte discrétion du magistrat et de ses collaborateurs, nous avens pu nous procurer une physionomie de l’interrogatoire.
Douze questions ont été posées à M. Bonnaure. Celui-ci a reconnu sans aucune difficulté avoir reçu de Stavisky plusieurs chèques et deux traites commerciales dont le montant s’élève à 40 000 francs.
Il reconnaît également que Stavisky a contribué pour une part de 5 000 francs au règlement d’une note de tailleur de 15 000 francs.
Cependant, le député du IIIe arrondissement a déclaré ne jamais avoir pénétré dans l’intimité de Stavisky. Il n’a eu avec lui que les relations cordiales qu’un avocat entretient avec un gros client.
Il a déclaré ne jamais avoir eu de rapports d’affaires avec Alexandre, et n’avoir jamais connu son passé mouvementé, étant donné qu’il n’a jamais défendu Stavisky devant une juridiction pénale.
En 1931, Stavisky parla à M. Bonnaure de l’achat des bons de dommages de guerre hongrois non encore réglés et il manifesta alors son intention d’en acheter en grand nombre.
Pour l’aider dans cette opération, M. Bonnaure lui expliqua le mécanisme du Traité de Trianon et de ses accords subséquents.
Toujours au sujet de cette affaire, M. Bonnaure fit plusieurs voyages à Budapest, soit seul, soit en compagnie de Stavisky.
Il a déclaré à ce moment que les porteurs de bons du Crédit municipal pouvaient se rassurer car Stavisky a acheté pour plusieurs millions de Bons Hongrois, et qu’il était créancier pour plus de cent millions.
CREDIT MUNICIPAL BAYONNE PAYS BASQUE D'ANTAN |
M. Bonnaure estime que c’est là une garantie susceptible de rassurer les victimes de l’escroquerie de Bayonne qui pourront être dédommagées.
En résumé, M. Bonnaure n’aurait touché de grosses sommes qu’à titre d’honoraires, sommes dont l’importance serait en rapport avec celle des affaires dont il s’est occupé en qualité d’avocat.
L’inculpation de recel qui pèse sur M. Bonnaure est maintenue, mais le député est toujours en liberté, et il regagnera Paris très prochainement.
Hier soir s’est terminée l’expertise des bijoux de Stavisky engagés par Digoin au Crédit Municipal. Les experts n’ont évidemment pas encore pu rédiger un rapport complet sur le résultat de leur travail, mais nous connaissons approximativement les chiffres.
Sur le contenu des quarante boîtes de Stavisky, Cohen avait prêté environ 15 millions de francs. En réalité la valeur des bijoux ne dépasserait par 500 000 francs. Certains bijoux montés présentent, en effet quelque valeur, mais les pierres et les perles n’en ont aucune. En bien des cas, il ne s’agit même plus "de bouchons de carafe ou de culs de bouteilles taillés", mais de simples morceaux de verre grossière ment collés.
Lundi prochain, M. Ferrié reprendra l’expertise ; il s’agira tout d’abord des bijoux déposés au Crédit par des clients dont la bonne foi ne sera certainement pas contestée, et ensuite des meubles, des tapis, et du linge conservés dans les magasins.
Le nombre des boîtes de bijoux qui restant à expertiser est de mille dix.
M. Bonnaure hué et assiégé.
Il y a vraiment de cruelles ironies ! Samedi dernier M. Bonnaure nous disait avoir quitté l’atmosphère furieuse et trouble de Paris pour goûter, à Bayonne, le calme et la sérénité... le pauvre homme ! On lui a fait, hier soir, une conduite épique. On ne dira plus désormais "conduite de Grenoble" mais "conduite de Bayonne" !
Quand M. Bonnaure est arrivé au Palais de Justice, sont entrée ne fut remarquée que par un petit nombre de curieux parfaitement inoffensifs. Pendant le long interrogatoire qu’il subit dans le cabinet du juge d’instruction, une foule plus considérable s’amassait aux abords du Palais, nullement violente d’ailleurs, bien qu’on y discutât de l’affaire avec une certaine passion. Les facéties du commissionnaire Beugnat, le titi bayonnais, amusèrent la foule pendant un moment et malgré l’excitation assez compréhensible de la part de gens qui attendent, rien ne faisait prévoir les événements tragi-comiques qui allaient se dérouler quelques heures plus tard.
A sept heures moins vingt M. Bonnaure sortait du cabinet du juge, toujours libre ; il dit aux journalistes qui le questionnaient que sa journée avait été bien fatigante mais qu’il était heureux d’avoir pu se justifier devant le juge d’instruction. Il descendit calmement l’escalier de bois jusqu’au premier étage où il se prêta aimablement aux exigences des photographes. Puis toujours accompagné de ses avocats Mes de Poorter, Flach et Saillard, il descendit au rez-de-chaussée par le grand escalier de pierre.
Une cinquantaine de personnes avaient pénétré à l’intérieur du Palais de Justice probablement pour être les premières à recueillir les nouvelles et l’opinion ou "l’espoir" de tous ces gens était de voir descendre M. Bonnaure escorté de gendarmes.
Lorsqu'il apparut à la foule, encadré seulement par deux avocats en robe, un murmure de surprise s’éleva et l'on entendit même la vieille expression bayonnaise répétée à plusieurs reprises : "Loupp ! Loupp !"
La question du "vieux radical".
M. Bonnaure n’eut pas l’air de s'émouvoir autrement de ces cris, mais un vieux monsieur l'aborda d’une façon inattendue :
— Pourquoi vous a-t-on f... à la porte du Parti Radical ? lui demanda-t -il. Je suis un vieux radical et je vous pose la question.
— Mais, répondit M. Bonnaure quelque peu interloqué, je ne sais pas, je n’y étais pas.
— On ne l’a d’ailleurs pas mis à la porte, ajouta Me de Poorter, avocat de Bonnaure.
Cette algarade fut cause de quelques réactions dans l'assistance et afin d’éviter de nouveaux incidents M. Bonnaure et ses avocats suivis de quelques journalistes parisiens se réfugièrent dans la loge du concierge d’où ils gagnèrent la rue de la Salie par une porte de derrière.
RUE DE LA SALIE BAYONNE PAYS BASQUE D'ANTAN |
La manifestation devient violente.
Devinant le stratagème la foule se précipita vers la seconde sortie, entraînant les curieux restés dehors et c’est plus de cent cinquante personnes qui rejoignirent le petit groupe formé par l’inculpé et ses gardes du corps improvisés, dans la rue de la Salie.
— Conduisez-nous au Grand Hôtel, dit Me de Poorter aux journalistes.
FACADE GRAND HÔTEL BAYONNE PAYS BASQUE D'ANTAN |
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