L'AFFAIRE STAVISKY ET BAYONNE.
C'est une crise politico-économique qui secoue la France à la fin de décembre 1933, mettant en cause de nombreuses personnalités y compris en Pays Basque Nord.
Comme je vous l'ai indiqué précédemment, puisque nous sommes samedi, voici un autre article
sur le "feuilleton" de l'affaire Stavisky et ses répercussions au Pays Basque.
Voici ce que rapporta à ce sujet la Gazette de Bayonne, de Biarritz et du Pays basque, le 10 janvier
1934 :
"L'escroquerie de Bayonne.
Hayotte a disparu.
Descendu dans un hôtel de la rue Beaujon, il en est sorti de bon matin pour ne plus reparaître.
Se serait-il suicidé ?
C’est aujourd’hui que Tissier ex-directeur du Crédit Municipal est confronté avec M. Garat.
Paris, 10 janvier. — Du "Journal" :
Nous avons pu savoir que Hayotte s’est présenté à 17 heures chez son avocat, Me Gabriel, avec qui il s’est longuement entretenu.
Mis au courant de la décision prise à son égard, il a annoncé son intention de se disculper, ajoutant que sa tâche n’était pas difficile ; puis il est parti à 21 heures, en compagnie de sa femme, mais sans rejoindre l’hôtel de la rue Beaujon, afin de passer la nuit tranquille.
Un de ses amis que nous avons vu dans la nuit et qui avait pu converser quelques instants avec lui, à 23 heures, interpréta ses intentions de la façon suivante :
"Hayotte n’est pas en fuite ; je pense que demain il tiendra à se rendre auprès du juge de Bayonne, pour lui fournir les explications désirables. Je crois qu’il préfère entrer directement en contact avec le magistrat chargé régulièrement de l’enquête, plutôt que de subir par délégation un interrogatoire en seconde main. Je serais bien étonné si dès ce matin il ne prenait pas une décision définitive à cet égard. Les événements diront bientôt si Hayotte n’a pas changé d’avis."
Hayotte ne reparaît plus.
Paris, 10 janvier.
— Le "Journal" dit que le parquet de la Seine ayant reçu de Bayonne un mandat d’amener concernant Hayotte, chargea la Sûreté générale de son exécution, mais les recherches ne devaient pas permettre de le retrouver.
Ce dernier n’habite plus l’hôtel de la rue Marbeau, mis sous scellés.
Il est venu s’installer la nuit dernière à 2 heures, dans un hôtel de la rue Beaujon où sa femme l’a rejoint ; il s’était inscrit sous le nom de Douris ; il a quitté la chambre de bon matin, pour ne plus reparaître, au grand désespoir des deux inspecteurs montant la garde devant sa porte.
Hayotte s'est-il suicidé ?
Paris, 10 janvier.
— Les inspecteurs de la Sûreté générale chargés de retrouver Hayotte, afin de le conduire au palais de justice où doit lui être notifié le mandat d’amener lancé contre lui par le juge d’instruction de Bayonne, n’ont pas encore réussi dans leurs recherches.
Ils se sont présentés dans la soirée à l'hôtel Windsor, rue Beaujon, où réside actuellement le directeur de "l’Empire", et où celui-ci n’a pas paru depuis mardi matin de bonne heure.
La même réponse fut faite aux policiers partout où ils pensaient que Hayotte avait pu se réfugier. Me Pierre Gabriel, avocat du directeur de "l'Empire" ignore lui-même où se trouve en ce moment son client.
On est d’autant plus inquiet sur le sort de ce dernier, que M. Romagino aurait déclaré mardi, qu’après avoir déjeuné avec Hayotte, il l’avait laissé dans un état d’ébriété telle qu’on pouvait craindre qu’apprenant qu’il était recherché par la police, le collaborateur de Stavisky se soit suicidé à son tour.
D’autre part, il est possible que Hayotte ait pris le train pour Bayonne et qu’il se présente au juge d’instruction dans le courant de la journée.
Ce que dit M. Ybarnegaray.
Paris, 10 janvier.
— M. Ybarnégaray, interrogé dans les couloirs de la Chambre sur l’interpellation qu’il développera jeudi à la tribune, concernant le scandale du Crédit municipal de Bayonne, a annoncé comme conclusion, qu’il réclamerait la nomination d’une commission d’enquête chargée de faire toute la lumière sur les concours dont a pu bénéficier l’escroc, aussi bien dans les milieux politiques qu’administratifs et judiciaires.
Le député des Basses-Pyrénées croit, d’ailleurs savoir, que le gouvernement en serait également partisan.
M. Verlaguet revient à Bayonne.
Bordeaux, 10 janvier.
— M. Verlaguet, expert-comptable chargé de l’examen de la comptabilité du Crédit municipal de Bayonne et de toutes les autres pièces annexées, est reparti ce matin pour Bayonne, où il va poursuivre sa tâche.
M. Verlaguet compte examiner, notamment, plusieurs pièces intéressantes versées récemment au dossier.
MAIRE DE BAYONNE JOSEPH GARAT PAYS BASQUE D'ANTAN |
Mme Garat.
On dit que Mme Garat serait partie hier soir pour Paris.
Elle aurait pris, très ostensiblement, le train à la gare de Bayonne.
Ce oui est certain, c’est qu’elle avait antérieurement sollicité du juge d’instruction un permis de communiquer avec son mari — permis qui lui fut accordé.
Les journaux de ce matin à Paris.
L’affaire de Bayonne.
Paris, 10 janvier.
— Figaro rappelant qu’il avait écrit que Stavisky ne serait jamais retrouvé ou que, si on le retrouvait, il ne parlerait pas, déclare que nul n’est dupe du "suicide" de l'aventurier. D’après notre confrère, ce que l'on sait de la position du cadavre et ce que l’on ne sait pas sur l'arme retrouvée, indique qu’on l’a tué. Les deux témoins invoqués sont un escroc et sa maîtresse. "Nous sommes en pleine boue, ajoute-t-il."
L’Œuvre dit au contraire que de tous les renseignements recueillis, il résulte que Stavisky s’est bien tué. Ou alors il faudrait admettre que la Sœur supérieure et les cinq médecins de l’hôpital sont des menteurs. Il est des journalistes à l’imagination fertile, qui inventent des drames à la Rocambole. C’est une mauvaise besogne, parce que cela n’aide pas à faire la lumière, bien au contraire et parce que cela produit une mauvaise impression à l’étranger.
Le Populaire trouve que cette crise est, en réalité, une crise de la presse française.
En Angleterre, la presse est unanime à repousser l’idée d’un suicide simulé. C’est chose impossible, à notre époque, pour un chef de gouvernement. Et quels policiers oseraient entreprendre cette dangereuse besogne.
C’est aujourd’hui que Tissier ex-directeur du Crédit Municipal est confronté avec M. Garat.
La journée d’hier fut plus calme à Bayonne.
Une journée de transition.
Ce qui devait faire le grand intérêt de la journée d’hier, à Bayonne, c’était la confrontation de Tissier avec M. Garat.
Certes, on s'entretenait beaucoup, on s’entretenait partout du suicide de Stavisky. On émettait de différents côtés l'hypothèse que le grand aventurier avait été "suicidé". Mais de deux dépositions et de lettres laissées par Stavisky à l’adresse de sa femme et de ses enfants, il résulterait qu’il s’est bien tué. On n’en discutait pas moins...
Mais c’était, répétons-le, la confrontation annoncée qui passionnait tout le monde. Qu’allait-il se passer ?...
Cette confrontation a été ajournée. Elle aura lieu aujourd’hui à deux heures, à la prison, afin d’éviter tout incident à travers la ville.
Ainsi que nous le disions hier, si cette confrontation reste importante, du point de vue de l'instruction, elle n’offre plus tout l’intérêt qu’elle présentait au moment même de l'arrestation de M. Garat, puisque le juge avait procédé à cette opération sans avoir besoin d’entendre Tissier.
Dans son cabinet, M. d’Uhalt mettait hier en garde les journalistes contre les racontars qui courent la ville.
On avait dit notamment que le parquet de Bayonne allait être dessaisi. Cela n’est pas près de se faire, selon toutes les probabilités. Bayonne reste le pivot de l'affaire. C’est là un honneur dont elle se passerait fort bien.
Dans la ville.
Après l’avoir longuement cherché nous avons pu joindre Me Simonet, au moment où il rentrait à la Mairie ; il devait y rencontrer ses collègues du Conseil Municipal dans une réunion où seront prises, peut-être, des décisions importantes.
Me Simonet revenait de la prison où il s’est entretenu longuement avec M. Garat.
Me Simonet et Me Campinchi ont examiné ensemble vingt-cinq pièces du dossier, Me Simonet déclare n’y avoir rien relevé contre M. Garat.
MAITRES CAMPINCHI ET SIMONET BAYONNE LA PETITE GIRONDE 11 JANVIER 1934 |
Cet après-midi, tandis qu’il était pris par d’autres soins, Me Campinchi, au Palais, continuait l’examen du dossier. Nous pensions, d’après ce que nous avait fait espérer Me Simonet et d’après des déductions personnelles, pouvoir joindre Me Campinchi au Grand Hôtel avant le dîner. Mais il était retenu au Palais par l’examen du très considérable dossier.
Pendant toute la journée, il y a eu de très nombreux curieux devant le Palais de Justice et aux abords de la prison.
Aux nombreux journalistes français se sont joints aujourd’hui des confrères de Madrid et de San Sébastian.
MAÎTRE CESAR CAMPINCHI AFFAIRE STAVISKY 1934 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Me Campinchi nous donne ses impressions.
A 9 heures et demie, dans le hall du Grand Hôtel, nous réussissons enfin à rencontrer Me Campinchi.
Présentation hâtive : je n’ai que deux minutes à vous donner ; que voulez-vous savoir ?
— Vos impressions...
— "Je plains très vivement M. Garat, non pas parce qu’il subit une terrible épreuve, mais parce que je crois cette épreuve imméritée.
Pendant toute la journée d’aujourd’hui, j’ai examiné le dossier.
Cette étude que j’ai faite aussi impartialement que possible, me faisant à moi-même des objections, confirme l’impression que m’avaient faite quatre entretiens avec M. Garat.
Que M. Garat ait péché par excès de confiance, par "incuriosité" cela n’est pas douteux.
Mais, ne s’occupant en rien de la gestion ou du financement du Crédit Municipal, il pensait qu’on pouvait faire confiance à Tissier.
Ce dernier l’accuse aujourd’hui, mais on est unanime à penser que, pour être accueillies, ces accusations doivent être corroborées par des démonstrations objectives, extérieures, indépendantes de Tissier lui-même.
Or rien de ce genre ne s’est produit jusqu’à présent.
Je ne sais pas ce qui se passera, je dis seulement ce qui me paraît être la vérité telle qu’elle résulte du dossier.
A l’heure qu’il est, rien ne démontre que M. Garat soit coupable.
Son passé, au contraire, ses trente-quatre ans de vie irréprochable parlent pour lui."
Sur ces mots, Me Campinchi termine notre entrevue.
R. Cazal.
A l’Instruction.
A 6 heures un quart, M. d’Uhalt, juge d’instruction, reçoit les journalistes fidèles au rendez-vous.
Il confirme l’inculpation de Darius et annonce celle d'Hayotte ; comme probabilités, il prononce les noms de Henri Voix et de Lucette Alberas, qui se trouvaient avec Stavisky au moment de sa mort.
LUCETTE ALBERAS ET HENRI VOIX AFFAIRE STAVISKY 1934 |
Henri Voix est un repris de justice, Lucette Alberas une femme légère de Bordeaux. Jusqu'à présent ils sont coupables de recel de malfaiteur et relèvent de la compétence du juge d’instruction de Chamonix. Si ce magistrat estimait que cette affaire est connexe de celle du Crédit Municipal, c’est de M. le juge d’instruction de Bayonne que relèveraient les délinquants.
Quant à la mort inattendue de Stavisky, elle étonne, dit M. d’Uhalt. Il a demandé l'autopsie ; la parole est au médecin légiste ; il est évident que les deux personnes qui se trouvaient avec Stavisky au moment du suicide sont peu recommandables.
On a trouvé une lettre écrite par Stavisky à sa femme, lettre cachetée qui était prête à partir. M. d'Uhalt l’a réclamée et compte la recevoir bientôt. Peut être contient-elle quelque révélation...
M. d’Uhalt, aussitôt la nouvelle de la tentative de suicide de Stavisky, a envoyé à Chamonix une commission rogatoire afin que le blessé soit interrogé s'il reprenait connaissance.
Stavisky est mort sans avoir parlé. Donc les mots que lui prêtent certaines informations n'ont jamais été prononcés.
A propos de bruits qui courent.
On pose à M. d’Uhalt deux questions relatives à des bruits qui courent en ville. (En passant, le juge nous conseille de ne pas accueillir les bruits qui courent et d’aller toujours contrôler les informations, ce qui évite de démentir le lendemain les dires de la veille.)
Première question : On a dit que M. Garat était à l'hôpital et non plus à la prison.
C’est inexact, répond le juge ; mais un inculpé peut aller à l'hôpital après l’examen d’un médecin qui fournit un rapport motivé ; ce rapport est soumis au sous-préfet qui prend la décision d’accorder ou de refuser le transfert.
Seconde question : On a dit que M. Garat allait être mis en liberté provisoire.
Le juge répond : Le juge d'instruction forme à lui seul une juridiction et fait mettre sous mandat sans consulter per sonne.
Mais le détenu, à n’importe quel moment, même dans les cinq minutes qui suivent son incarcération, peut faire une demande de mise en liberté provisoire.
Le juge d'instruction, saisi de cette demande, est obligé de statuer tout de suite par une ordonnance motivée : ou bien il libère son détenu, ou bien il maintient sa décision.
Cette ordonnance est notifiée au détenu et, par lettre recommandée, à son avocat, s'il en a un.
Lorsque le détenu et l'avocat ont eu connaissance de l’ordonnance, ils ont vingt-quatre heures à dater de l'ordonnance pour y faire opposition devant la Chambre des mises en accusation qui est composée de cinq conseillers à la Cour d'Appel.
La Chambre des mises en accusation, jugeant en deuxième ressort, prend une décision sur la demande du détenu.
Concluons, si vous voulez bien, ajoute le juge que, si un détenu, après avoir été mis sous mandat de dépôt, ne fait pas sa demande de liberté provisoire, c’est qu'il se trouve bien où il est.
La Chambre des mises en accusation ne statue, évidemment, qu’après avoir pris connaissance de toutes les pièces du dossier sans exception.
PIERRE DARIUS DIRECTEUR JOURNAL BEC ET ONGLES AFFAIRE STAVISKY 1934 |
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