"UNE HISTOIRE DES BASQUES" PAR ADRIEN PLANTÉ.
Pierre, Raymond, Adrien Planté, né le 4 octobre 1841 à Orthez (Basses-Pyrénées), mort le 27 mars 1912 à Orthez (Basses-Pyrénées), est un député français, historien, félibre et homme de lettres.
ADRIEN PLANTE |
Voici ce que rapporta à ce sujet, en 1897, M. Adrien Planté, Président de la Société des Sciences,
Lettres et Arts de Pau, lors du Congrès de Saint-Jean-de-Luz de la Société d'Ethnographie
Nationale et d'Art Populaire :
"Les Basques ont-ils une histoire ?
... Habituée à vaincre partout, à imposer sa civilisation dissolvante, Rome s'arrêta surprise de la résistance des Cantabres ; c'est ainsi que la première civilisation qui prend contact avec eux les appellera désormais.
Ils refusèrent résolument de se laisser absorber par la puissance universelle : le monde connu est soumis : seul le Cantabre n'obéit pas.
Cette résistance enfante des légendes nouvelles : il n'y avait alors ni télégraphes ni presse quotidienne, et cependant les nouvelles se propageaient avec une incroyable rapidité : le reportage de l'époque était aussi alerte que celui de notre fin de siècle ; je ne dis pas qu'il était plus exact.
... La politique des résultats lui réussit mieux avec les Basques que celle de la conquête.
De leur côté, les Cantabres sentent le prix de leur alliance : leur flair politique leur fait comprendre l'intérêt qu'ils peuvent avoir à s'allier avec Rome : s'allier avec un plus puissant que soi, ce n'est ni s'humilier ni se soumettre.
Aussi les voyons-nous, pendant la guerre civile romaine, prêter ou refuser, tour à tour, le concours de leurs forces à qui le sollicite, et tantôt fournir à César de précieux auxiliaires dont il se félicite d'avoir eu l'assistance, tantôt aider vigoureusement Pompée à Pharsale.
En un mot, véritable jeu de bascule, qui leur permet de jeter, selon les circonstances, dans la balance des combats leur épée redoutable.
Ils deviennent les alliés fidèles de l'Empire ; en retour Vespaslen leur confère le droit de Latium ; Caracalla, le droit de bourgeoisie ; plus tard, Justinien les comblera de distinctions et de faveurs.
Ne croyez pas qu'ils se soient laissé prendre à l'appât de toutes ces faveurs... ils ont vu dans cette alliance définitive le moyen d'assurer leur indépendance ; leur esprit essentiellement pratique les a heureusement servis ; grâce à cette alliance, en effet, ils ont pu faire face aux premières grandes invasions, Vandales, Sarmates, Alains..., en attendant les Wisigoths, les Francs et les Sarrazins.
Dès le commencement du cinquième siècle c'est pour eux une lutte incessante : le flot passe... la nationalité basque subsiste toujours !
Pourquoi ?... Ainsi que nous le verrons tout à l'heure, c'est parce qu'appuyée sur des traditions aimées, elle a pu se constituer sagement, librement en peuple législateur, ne connaissant d'autre maître que sa parole, et ne cherchant pas dans de vagues utopies la réalisation de vaines et chimériques aspirations.
Cependant, vers le septième siècle, elle veut avoir son tour : sa patience a fini par se lasser.
Après Vouillé, Clovis et ses fils occupent l'Aquitaine : les Basques ou Vascons sortent de leurs montagnes et envahissent la Gaule méridionale : l'Aquitaine s'appellera désormais la Vasconie ou la Gascogne.
LA VASCONIE EN 806 |
Et quand je parle des Basques ou Vascons, il est bien entendu qu'il s'agit toujours de la fédération basquaise, comprenant les peuples vivant sur les deux versants des Pyrénées jusqu'à la rive gauche de l'Ebre...
Basques, Vascons, Navarrais, formant un seul peuple, ayant dans une commune origine puisé une constitution une, ayant conservé une langue une, elle aussi, à travers les siècles, qui en ont respecté la mystérieuse harmonie.
Ces peuples, ou mieux tout ce peuple a pris part à l'invasion de l'Aquitaine... on comprend sans peiné ce besoin d'extension : trois cents ans d'occupation, de compression wisigothique, c'était une cruelle épreuve pour son tempérament guerrier. Les Francs les ont exaspérés ; les refoulements incessants, qu'après les Mérovingiens les Carlovingiens leur font subir, excitent encore leur haine ; ils attendent une occasion pour montrer la force de leurs bras : les échos du pas de Roland, le cri de douleur du vieil empereur réputé invincible, les coups de la Durandal qui, sans se briser, tranche la brèche historique, vous disent assez que l'occasion a été trouvée.
ROLAND A RONCEVAUX NAVARRE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Mais la revanche fut terrible, la succession de Charlemagne démembra la vieille Aquitaine : elle donna la Gascogne au descendant des anciens princes aquitains ; la Bîgorre fut érigée en comté, le Béarn en vicomte, et les Basques, définitivement refoulés par Louis le Débonnaire, vont panser leurs blessures pour se jeter, bien vite après, avec les successeurs de Pelage, dans la grande lutte contre les Sarrazins.
Sans les suivre dans ces guerres héroïques, nous devons reconnaître que nous retrouvons là le Basque toujours égal à lui-même.
Avec les rois chrétiens, ils chassent de l'Espagne les Maures qui l'occupent depuis huit cents ans ; de cette guerre de reconquête naît cette noblesse qui en est la récompense légitime : noblesse de terre pour la Biscaye, le Guipuscoa et le Labourd, noblesse de sang pour l'Alava et la Navarre, tous se déclarant aussi nobles et parfois plus nobles que les rois.
La Navarre, vers la fin du quinzième siècle, dépendit de la couronne de Béarn, dont les princes prirent enfin le titre longtemps disputé de rois de Navarre ; mais quand Ferdinand le Catholique veut étendre encore ses domaines, sur lesquels bientôt le soleil ne se couchera plus, la Navarre est menacée.
Il faut au nouveau roi des Indes, d'un côté, la limite de l'Océan Pacifique, de l'autre, la ligne extrême des Pyrénées. Un prétexte est bien vite trouvé pour envahir la Haute-Navarre et l'enlever, en 1512, au faible Jean d'Albret, qui bientôt après meurt, entendant sa femme Catherine de Béarn-Foix, énergique et fière comme toutes les princesses nées sur la terre franche, déclarer avec une amertume mêlée d'orgueil : "Ah ! si nous fussions nés, vous Catherine, et moi Jean, nous n'aurions pas perdu la Navarre."
Nous voici au commencement du seizième siècle : la fédération basque a été brisée, l'union de la Castille à l'Aragon achève l'unité espagnole.
Les provinces basques espagnoles ou bien se constituent en Etat libre, comme la Biscaye, dont les souverains d'Espagne, dans les formules de serment qui leur sont imposées, ne prennent que le titre de seigneur, et non de roi, ou bien se donnent à la Castille, comme le Guipuzcoa, en spécifiant le maintien de leurs immunités nationales.
Le lien qui rattachait les frères des deux versants n'existe plus, si ce n'est à l'état de souvenir, que les compétitions des rois tendent chaque jour à faire disparaître, et nous assistons alors à des luttes fréquentes entre peuples faits pour s'aimer.
Il est vrai que si le sentiment fraternel disparaît, l'amour du sol natal, l'orgueil national lui survit toujours, feu sacré entretenu pieusement dans le coeur de tous par une fidélité qui ne se dément jamais !
C'est avec une fierté bien légitime que depuis, sur les deux versants, on raconte que c'est un pilote basque, Alonzo Sanchez, qui inspira au Génois Christophe Colomb sa merveilleuse découverte ; ce sont des Basques, qui, après avoir vaincu les Maures, ont formé les équipages de la plupart des conquérants du Nouveau Monde...
CHRISTOPHE COLOMB |
C'est un Basque, Elcano, qui le premier a fait le tour complet du monde.
JUAN SEBASTIAN ELCANO |
Ce sont trois mille Basques espagnols qui à Pavie décidèrent du sort de la bataille, et c'est un Basque, Jean d'Urbieta, qui reçoit l'épée de François 1er, dont la vaillance sans tache trouve, en la lui remettant, que si tout est perdu, du moins l'honneur est sauf...
JEAN D'URBIETA |
Il est vrai que ce fut un Béarnais, Henri II de Navarre, qui aida le roi de France à sortir de captivité, arrachant à Charles-Quint cet hommage flatteur : "Je n'ai connu qu'un homme en France, et c'est le roi de Navarre !"
Et pendant des siècles encore, les Basques espagnols, jaloux de leurs gloires, luttent, combattent, versent leur sang pour leur indépendance et chantent leurs exploits.
Et c'est pénétré de ces sentiment), enflammé par ces souvenirs, qu'un jour, il n'y a pas bien longtemps de cela, un humble barde de vos montagnes basques part du village de Villareal avec ses deux vieilles compagnes : sa guitare et sa foi. Il va parcourant les grandes capitales, jetant à pleine voix les notes étranges d'un hymne auquel personne en Europe ne comprend rien, mais que personne ne peut entendre sans se sentir profondément ému... Guernikaco Arbola, hymne de passion intense, comme le disait il y a sept ans mon ami Ancho Peña y Goni, au pied de la statue d'Yparraguirre, "hymne de passion intense, mélodie d'admiration, soupir éloquent d'humilité et d'espérance, message de paix et d'union" ; hymne impérissable qui est devenu, enfants du Pays Basque, votre hymne national, et qui résume si bien les légendes pieuses, les patriotiques fiertés de tout un peuple généreux.
CHANT "GUERNIKAKO ARBOLA" PAYS BASQUE D'ANTAN |
JOSE MARIA IPARRAGUIRRE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Séparés par les traités, mais unis par des aspirations communes, de par delà les monts, envoyons, Messieurs, une fraternelle poignée de main à ces vaillants champions des libertés traditionnelles.
II Qu'est-ce qui a fait la force de la nationalité basque ?
Évidemment, ce sont les institutions sociales consacrées dans ces constitutions si connues sous le nom magique de Fueros, en Espagne, sous celui de Fors en France.
Notre collègue, M. Vinson, qui s'est constitué l'historiographe autorisé de votre langue, a donné dans son beau livre, Le Pays Basque et les Basques, un résumé lumineux de ces institutions reposant sur l'indépendance absolue, en fait et en droit, des provinces qu'ils avaient pieusement conservées.
Le regretté M. de Soraluce, dont le nom est si dignement représenté à Saint-Sébastien, à écrit d'importants ouvrages sur les Fueros de Guipuzcoa, comme l'a fait en Biscaye le populaire Antonio de Trueba.
Le docteur Larrieu, pendant le cours de ce Congrès, les étudiera, avec le talent et la compétence qui l'ont fait classer parmi les plus savants érudits de votre région.
Dans les diverses monographies qui figurent au programme du Congrès, chaque auteur sera nécessairement amené à les invoquer, ces Fueros et ces Fors vénérables, parce qu'ils sont absolument la véritable raison d'être du Pays Basque.
Les Fors ne sont en effet autre chose que la résultante des usages, coutumes, privilèges et immunités de nos sept provinces : privilèges et immunités reconnus par les souverains, en récompense des services rendus à la cause nationale, et d'autant plus précieux que le sang de plusieurs générations en a scellé le contrat ; usages et coutumes consacrés par l'ïmmémorialité de la tradition, et rendus plus sacrés par les souvenirs glorieux qui s'y rattachent.
Ces institutions peuvent varier dans la forme, selon la province à laquelle elles s'appliquent, elles ne varient nullement quant au fond : ce sont des institutions essentiellement démocratiques, dont le principe primordial, absolu, est le respect.
LES FUEROS DU PAYS BASQUE ET DE LA NAVARRE PAYS BASQUE D'ANTAN |
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