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dimanche 2 avril 2023

UN VOYAGE AU PAYS BASQUE NORD EN 1860 (première partie)

VOYAGE AU PAYS BASQUE EN 1860.


Le Pays Basque est, depuis longtemps, une terre d'excursions pour les voyageurs du monde entier.


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EXCURSION A CHEVAL EN 1861
PAYS BASQUE D'ANTAN





Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien Le Gaulois le 21 octobre 1860, sous la plume de 

d'Artagnan :



"Courrier des Mousquetaires.


Cambo, 14 octobre 1860. 



Me voici en plein pays basque, — un pays de verdure et de soleil. 



C’est ici que se réfugient, chaque année, pendant vingt ou vingt-cinq jours, les Bayonnais amants du calme et du silence.



Comme elle est riante, cette fraîche nature pyrénéenne ! Ce ne sont que prés verts, moissons dorées, sources vives et rapides, fleurs bleues, roses ou jaunes, mais toujours embaumantes.



Les collines bondissent sous vos pas, portant sur leur dos des milliers de chênes ou de peupliers, qui semblent encore escalader ces croupes gracieuses. Les épis de maïs s’inclinent mollement agités par la brise du nord. Les larges champs plantés de cette modeste céréale s’étendent comme une gigantesque peau de lion fauve sur les prairies émaillées de pâquerettes blanches et d'anémones violettes. Les renoncules baignent leurs petites pattes rampantes dans l'eau qui coule du haut de la montagne. Une âpre saveur de fougère, légèrement parfumée par l'odeur délicate des romarins et des menthes, vous monte délicieusement aux narines et embaume l’air que vous respirez. On entend au lointain le tintement des clochettes fêlées que portent les capricieux moutons ou les vaches aux pesantes mamelles.



On croirait lire des yeux, des oreilles et des narines une des plus jolies églogues de Virgile.



Si vous aimez mieux les rudes paysages, allez au Pas de Roland.



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PAS-DE-ROLAND ITXASSOU
PAYS BASQUE D'ANTAN



Encaissée entre deux immenses montagnes, la Nive se précipite en fureur dans le lit de rochers quelle a su se creuser à travers les débris du déluge.



A droite et à gauche, tout près d’une énorme pierre qui semble la menacer, vous voyez brouter une chèvre nerveuse,

. . . de rupe pendentem. 



Vous piétinez sur des cailloux aigus que le vent ou la tempête ont déposés sous vos pas, et vous arrivez en vingt minutes à ce fameux pas de Roland



C'est un immense rocher qui barrait auparavant le passage. On prétend que Roland, poursuivi par les Basques et ne sachant de quel côté fuir, donna un grand coup de botte dans le gigantesque obstacle, et fit un trou capable de laisser passer deux hommes de front.



Au sortir du pas de Roland,—avant lequel mandature est sombre et où vous n'apercevez au-dessus de vos têtes qu’une mince bande de ciel, — l'horizon tout a coup bleuit et s’élargit. La colline devient riante et se couvre de vignes, de fleurs et d'arbustes. La colère de la Nive s'est apaisée, et la jolie rivière caresse amoureusement de ses eaux bleues les petits cailloux



Une caserne de douaniers, deux maisons et un moulin complètent ce hameau improvisé, oasis perdue et charmante au milieu de ce sombre désert.



De la caserne vous voyez, au loin, du côté de l'Espagne, deux longs pics bruns entre lesquels deux maisons ont pu trouver une petite place. On dirait d'un de ces charmants villages de carton qui servent à l’amusement des enfants.



Mon amour pour les excursions m’a mené l’autre jour du côté de Hasparren.



Lorsqu’on quitte la petite route qui relie Cambo à la route impériale de Bayonne à Hasparren, on arrive au sommet d’une côte longue de deux kilomètres. Rien n’est comparable au spectacle que l’on a à ce moment sous les yeux.



Tout en bas et un percevant soi, le village de Hasparren, et aux alentours un immense tapis de verdure semé d'une centaine de petites maisons blanches.



C’est un éblouissant coup d’œil.



J’ai vu l’église de Hasparren et son clocher original. Il se compose d’une très haute assise de pierres derrière laquelle on a élevé, pour compléter la construction, une sorte de décor en fer-blanc peint, représentant trois étages de contrevents. On se croirait à une représentation du Caïd.



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EGLISE HASPARREN
PAYS BASQUE D'ANTAN



Au-dessus du porche on a scellé transversalement une pierre trouvée en 1666, et portant cette inscription :

Flamen item dumivr, quœstor, pagique magister,

Verus, ad August tum, legato munere functus, 

Pro novem optinuit populis se jungere Gallos.

Urbe redux, Genio pagi hanc dedicat aram. 


"Vérus, grand-prêtre, duumvir, questeur et gouverneur du bourg, envoyé vers Auguste, a obtenu la séparation des neuf peuples d’avec les Gaules. De retour de Rome, c’est au génie du bourg qu'il a dédié cet autel."



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PIERRE DE VERUS HASPARREN 1666
PAYS BASQUE D'ANTAN



Le clocher de la ville de Hasparren n’était pas autrefois ce qu’il est aujourd’hui. On m’a raconté son histoire.



Le 1er octobre 1786, les Hasparrenois apprirent que le marquis de Caupenne, gouverneur de Bayonne, leur envoyait la maréchaussée pour les forcer à payer l’impôt de la gabelle, nouvellement établi.



Grande rumeur dans le village. Hommes, femmes, enfants, au nombre de six mille, s’arment de bâtons, de fourches, de faux, de haches et de fusils, et s'avancent, tambour en tête, pour combattre la gendarmerie. Chose curieuse, tous les insurgés étaient déguisés en femmes, ce qui donnait à la résistance un certain cachet de défi ironique.



Le tocsin sonnait à toute volée et le moment devenait critique. C’est alors que M. Harambonne, curé de Hasparren, se leva de son lit, où la douleur le clouait depuis plusieurs mois, et exhorta ses ouailles à rentrer dans le devoir.



Les jolies révoltées firent leur soumission ; mais, comme châtiment, le marquis de Caupenne les força de démolir le clocher de leur église.



A quelques kilomètres de Hasparren, j’ai admiré une grotte magnifique, la grotte d’Isturitz, dont les stalactites et stalagmites, accumulées par l'évaporation de l’eau calcaire, ont dessiné sur le sol et sur la route les plus belles choses du monde : d'élégantes chapelles, des lits moelleux à baldaquins brodés, des jets d'eau, de petits amphithéâtres, des cariatides d'une finesse inouïe.



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GROTTE D'ISTURITZ
PAYS BASQUE D'ANTAN


Sous la grotte coule un ruisseau tumultueux qui la traverse dans toute sa longueur.



C’est aujourd'hui jour de marché à Cambo. Près de l’église se tiennent les marchands de beurre, de fromage, de pommes, de raisins et de sabots. Au sortir de la messe, Basques et Basquaises viennent là faire leurs provisions de la semaine, et causer de leurs affaires particulières ou des événements du jour. C’est à la fois leur cercle, leur bourse, leur café.



Les Basques sont longs et maigres ; leur œil noir brille sous leur épais sourcil, au-dessus d'un nez démesurément aquilin. Leurs pommettes sont saillantes, leurs joues creuses, leurs dents noircies par le jus de la pipe, leurs lèvres fines et spirituelles. — Ils n’ont pas de moustaches, ils abandonnent cet ornement au citadin, au gendarme, au douanier ou au soldat. Leur visage ovale est toujours rasé de frais ; ils laissent seulement pousser de chaque côté deux maigres et courts favoris.



Les Basquaises sont de belles filles ayant quelques points de ressemblance avec les Ecossaises.


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FEMME AVEC CRUCHE
PAYS BASQUE D'ANTAN


Ce sont des yeux bleus ou noirs, des cheveux d’un châtain foncé, une bouche un peu grande, mais d’un sourire agréable ; un front bas, une taille carrée, un pied moyen, une large main et une jambe admirablement tournée et d’une incroyable légèreté.



Elles ont jusqu’à vingt-cinq ans un air de jeunesse incontestable. Passé cet âge, elles ne marquent plus ; les rides déjà sillonnent leur visage : leur peau brunit et se tanne ; il se répand autour de leur physionomie comme un parfum de vieille femme.



Pourtant, chez les Basques, comme chez les Espagnols, est en honneur ce spirituel et excellent manuel delà beauté, dont l'origine est euskarienne :


"Il faut à la femme : 

Trois choses blanches : la peau, les dents, les mains ;

Trois noires : les yeux, les sourcils, les cils ; 

Trois rouges : les lèvres, les joues, les ongles ; 

Trois longues : le corps, les cheveux, les mains ; 

Trois courtes : les dents, les oreilles, les pieds ; 

Trois étroites : la bouche, la ceinture, le bas de la jambe ;

Trois grosses : le bras, la cuisse, le mollet ; 

Trois larges : la poitrine, le front, Ventre-sourcils ; 

Trois déliées : les doigts, les cheveux, les lèvres ; 

Trois petites : le sein, le nez, la tète."



L'église de Cambo n'a rien de remarquable. A l'extérieur, un clocher un peu plus haut que le reste du monument. Sur l'un des murs, celui qui regarde au midi, un cadran solaire avec cette inscription :

Dubia omnibus, ultima multis. 

"Cette heure qui sonne est douteuse pour tous, elle est la dernière pour plusieurs."




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SORTIE DE L'EGLISE CAMBO-LES-BAINS
PAYS BASQUE D'ANTAN


A Urrugne, j'ai lu cette inscription :

Vulnerant omnes, ultima necat

"Toutes les heures blessent, la dernière tue." 


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EGLISE D'URRUGNE
PAYS BASQUE D'ANTAN


Voici celle de l’église de Hasparren :

Ut fugitur umbra sic vita

"Comme fuit l’ombre, ainsi fuit la vie." 



Vous voyez que les Basques aiment beaucoup la forme sentencieuse.



A l’intérieur, l’église de Cambo nous représente, sur les côtés, les douze stations, grossièrement enluminées et enfermées dans des cadres de bois. Au fond, l’autel resplendit de dorures, et l’on aperçoit des anges bouffis de chaque côté de l'entablement.




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INTERIEUR EGLISE CAMBO-LES-BAINS
PAYS BASQUE D'ANTAN



Deux étages de longues galeries font face à l’autel et sont destinées aux hommes ; les femmes seules ont le droit d'aller en bas les jours de grande fête.



Autrefois, on avait établi des compartiments, des sièges et un bénitier spéciaux pour la race maudite des Cagoths ou Agoths.



Les Agoths sont les descendants de cette vaillante race des Wisigoths qui lutta contre les Maures, dans la Péninsule, et contre les Egyptiens, en Palestine.



Dans ces guerres lointaines, les vaillants pieux du Christ gagnèrent la lèpre et furent repoussés de leur pays lorsqu'ils y voulurent rentrer. Forcés de se réfugier chez les Basques, ils se virent reléguer dans des quartiers éloignés ; la loi pauletine s'exprimait en ces termes à leur égard, avant 1789 :

"Tu bâtiras ta demeure dans les sites écartés des déserts, loin de nos habitations et de nos villes ; l’on t'assignera la porte par laquelle tu dois entrer à l’église, le bénitier où tu trouveras l’eau australe, et les galeries où il te sera permis de prendre place, semblable à la brebis infectée que l'on sépare du troupeau.


Tu vivras avec les crétins et les lépreux, soumis aux règlements sévères que dicte l’intérêt de la santé publique ; tu feras coudre sur tes habits et sur ton épaule un morceau d’étoffe rouge ou patte d'oie, qui te fasse reconnaître de loin. Ne te présente jamais dans les halles et marchés, ne touche point aux provisions exposées en vente, tu serais puni de mort.


Evite de marcher nu-pieds, sous peine d'avoir le talon percé d'un fer brûlant. Si quelque Basque s’approchait de toi par mégarde, tu l’avertiras en criant, et tu fuiras loin de sa présence."



Mon ami Dell’ Bricht vous racontait dans le dernier numéro du Gaulois l’amour des Basques pour le jeu de paume. Voici un fait dont j'ai été témoin dimanche dernier à la fête de Cambo, et qui vient corroborer ce qu'avançait notre collaborateur.



Une partie de paume était engagée sur la grande place, ornement indispensable du plus petit hameau basque. Tout à coup une balle va frapper l'œil d'un des assistants et le met dans un horrible état. Croyez-vous que le joueur imprudent fit au patient quelques excuses sur sa maladresse ? non, il s’approcha de lui pour lui demander si son œil se trouvait sur le but ou hors du but !!!



Pour revenir de Cambo à Bayonne, on passe devant le séminaire de Laressou, qui admet, dit-on, plus de 2 000 élèves. Les prêtres sont si puissants dans le pays basque !



On arrive ensuite à Ustaritz, patrie de Garat le chanteur, et de Dunatte, le fameux chocolatier chez lequel Porthos a logé une semaine à Biarritz.



J’ai goûté de ce fameux chocolat de Bayonne dont on n’a pas dit encore assez de bien. Ce mets parfumé, trituré et broyé sur une pierre dure par les vigoureux bras de dix Basques, embaume les alentours à une lieue à la ronde. La propriétaire de la chocolaterie, brave femme de quarante ans, peine à suffire aux commandes qui lui sont expédiées, de Madrid, de Paris et de Pétersbourg, par les baigneurs de Biarritz. J’ai même vu une commande importante datée de la maison de S. M. l’Empereur.



Vous recevrez ci-joint une caisse de vingt livres de chocolat superfin. A Paris, semblable cadeau m'eût coûté 120 francs, j’avoue modestement ne l’avoir payé que 60 francs.



Mais aussi il est si exquis !



Après avoir quitté Ustaritz, j’ai visité la boulangerie mécanique fondée, pour la ville de Bayonne, par un riche et philanthropique propriétaire, M. Weidman.



Le pain se fait en douze temps et douze mouvements. Le son se sépare de la farine, la farine se mêle à l’eau et ferments au contact du levain ; la pâte cuit au four sans que la main de l’homme y touche un seul instant. Quelle admirable propreté substituée à la grossière fabrication de nos boulangers ! — au moins sait-on ici ce qu’on mange.



La boulangerie mécanique de M. Weidmann est assez bien organisée pour fabriquer, par jour, douze mille kilog. de pain, c’est-à-dire pour nourrir toute la population de Bayonne, — et ce pain se vend à quatre centimes au-dessous du taux ordinaire, ce qui fait, pour la ville, une économie de 480 francs par jour.



On m’a raconté que M. Weidmann avait abandonné aux pauvres les bénéfices effectués par son établissement, la première année.



Cela est d’une générosité princière.



Pendant mon voyage de Paris à Bordeaux, je me trouvais en compagnie d'un monsieur et d'une dame.



A chaque station le monsieur descendait, puis remontait, disant à son épouse :

— Je l'ai vu. 

— Est-il bien ? reprenait la femme. 

— Très bien ! Il a dormi. 


Puis :


— Est-il sage ? 

— Très sage. 

— Pleure-t-il ? 

— Non.

Est-ce un enfant, — me disais-je, — que ce monsieur va voir, et de la santé duquel il s'informe ?



J'hésitais à le croire, — et ne savais à quoi m’en tenir sur la forme, le sexe et l'âge du visité, lorsqu’à la dernière station, au moment où le monsieur remontait en wagon, la dame lui demanda :

— Que t’a-t-il dit ? 

— Il m’a donné la patte à travers les barreaux. L'homme, l’enfant dont on s'inquiétait avec tant de sollicitude était... un chien.



Faites-moi le plaisir, Aramis, de dégainer de la plume et de frapper d'estoc et de taille sur le dos de M. Mané, de l'Indépendance Belge, qui, dans son dernier courrier, se livre à des théories inconvenantes sur le levage.



Où donc l’Indépendance a-t-elle levé un chroniqueur aussi incongru ?



Mauvaise affaire, ma bonne amie."




A suivre...


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