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dimanche 9 avril 2023

LES ANIMAUX AU PAYS BASQUE EN 1898 (troisième partie)

LES "HÔTES DE LA MAISON BASQUE" EN 1898.


Au début du 20ème siècle, les animaux domestiques occupent une grande place, dans le monde rural, et en particulier au Pays Basque.




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DEMENAGEMENT AVEC ATTELAGE DE VACHES
PAYS BASQUE D'ANTAN





Voici ce que rapporta à ce sujet la revue bimensuelle La Femme, le 1er mai 1898, sous la plume 

de Mme d'Abbadie d'Arrast :


"Les "hôtes de la Maison Basque" (suite).



... Le grand luxe du pays basque consiste à recouvrir le joug d'une peau de chien bien fournie de poils reluisants et égaux. Lorsque c'est une peau noire, l'effet est des plus jolis et fait un agréable contraste avec les grands draps très blancs dont on a l'habitude de recouvrir les vaches, tandis que l'on met sur les mulles des filets garnis de pompons de couleur. Les filets garantissent des mouches qui sont particulièrement mauvaises et tenaces dans le pays. On nomme "Maréac" les beaux draps blancs de l'attelage, et on les conserve clans les maisons paysannes avec le même soin que le drap destiné à servir de linceul.



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ATTELAGE 
PAYS BASQUE D'ANTAN



Les vaches sont confiées aux soins des hommes, et nous avons déjà eu l'occasion d'observer l'usage très curieux de faire traire les vaches par les valets de la ferme. Presque partout ailleurs, écrit M. Wentworth Webster dans une note érudite que nous devons à son obligeance, "c'est la femme qui est chargée de la traite. On dit même que dans le sanscrit le nom le plus ancien pour la fille de la maison (daughter) est "celle qui trait les vaches" (the milker). C'est une des preuves que les Basques ne sont pas de la grande race aryenne ou indo-européenne."



On désigne les vaches du nom de la maison dans laquelle elles sont nées ou ont été achetées. On se sert également de quelque particularité physique comme de longues cornes, un pelage plus clair, plus foncé, etc. On affirme l'individualité de la vache en lui accordant l'honneur de porter un nom. C'est une exception que l'on fait en sa faveur, car, parmi les animaux domestiques, même le chien, cette bête que sa supériorité intellectuelle met à part, aucun autre ne reçoit un nom qui soit à lui personnellement.



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VACHES A BIDART
PAYS BASQUE D'ANTAN



D'une ferme à l'autre, d'un bout de la montagne à l'autre, tous les chiens sont connus sous une même appellation : "Navarro" ou "Navarra", qui signifie "de couleur mélangée". Le Basque s'étonne lorsqu'on lui demande comment s'appelle son chien. En signe d'amitié il lui dit: "Potcho", ou "Ttêté". Ces petits termes d'amitié ne constituent nullement des noms propres. Tous les favoris y ont les mêmes droits. Le mot chien se dit en basque Chakura.


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CHIEN SUR BATEAU PORT SAINT-JEAN-DE-LUZ
PAYS BASQUE D'ANTAN


Le chien basque est d'humeur indépendante : c'est un original qui adopte des habitudes et prend des idées particulières; dont on s'occupe fort peu et que la nature a doué supérieurement. Il est consciencieux, il a le sentiment de sa responsabilité et n'est batailleur que lorsque son devoir l'appelle à combattre. A l'heure du combat, il devient redoutable, car sa force est peu commune. De grande taille, il a une tête de lion, des oreilles pointues bien dressées, le cou puissant, la mâchoire terrible. Il suffit que le chien d'une ferme ait la renommée d'être bon gardien pour tenir les malfaiteurs et les indiscrets à distance : personne n'ose s'aventurer là où il veille. Son poil épais, imperméable aux intempéries, le garantit du froid ; il est blanc, souvent marqué de taches noires ; ses pattes sont grosses avec des ongles supplémentaires auxquels la superstition attribue la vertu de le préserver de la rage. Il mesure environ un mètre de haut et peut avoir jusqu'à un mètre cinquante de long, du bout du museau à l'extrémité de la queue. C'est un bel animal qui a de la valeur. Eté comme hiver, il vit dehors et ne doit pas s'absenter de la ferme, ni descendre au village, ni rentrer dans la maison. Il faut qu'il garde le bien, car la famille est souvent absente, appelée au loin par les travaux agricoles pour toute la journée. Mais on peut être tranquille, il n'est pas nécessaire de fermer les portes, Navarro sait quelle responsabilité pèse sur lui. Comme la journée est longue et la solitude complète, il s'installe devant la maison, sur une meule de fougère, et feint de dormir, ce qui l'aide à passer le temps. En réalité, il ne cesse pas un moment d'être aux aguets et, à la moindre alerte, d'un bond, il quitte son observatoire et se porte à la rencontre de l'intrus, homme ou bête. Ses aboiements remplissent les airs et font retentir les échos, car sa voix est forte et grave ; l'intrus bat prudemment en retraite, c'est le seul parti à prendre. Lorsque les maîtres sont rentrés, le chien attend avec patience qu'on lui apporte son repas, composé de farine de maïs pétrie dans de l'eau, pitance ordinaire excellente pour surmonter la "maladie des chiens".


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HUMOUR : CHIEN AVEC SES MAITRES A BIARRITZ
PAYS BASQUE D'ANTAN



Aussi longtemps que sa conscience le guide dans le sentier du devoir, tout va bien pour lui, on ne le caresse pas, mais on ne le bat pas, ce qui est une compensation. Malheur à lui, par contre, le jour où une passion coupable le sollicite à mal faire. Il n'y aura pas de merci pour lui. Cette passion néfaste l'emmène dans la montagne où il sait qu'un troupeau de moutons a établi son quartier-général. Il étrangle les brebis, suce leur sang et dévore les parties de chair pantelante dont il est le plus friand. Il met une ruse infernale à quitter la maison lorsqu'il pense que son absence passera inaperçue. Après avoir accompli son forfait, il revient, comme si de rien n'était, faire le bon apôtre aux pieds de ses maîtres. On ne peut le soupçonner d'un crime : le scélérat prend un air si soumis, si innocent ! O l'hypocrite ! Et le berger, de son côté, n'a rien vu, car la méchante bête a profité d'une heure où il visitait ses autres pâturages, et ce n'est qu'à son retour qu'il voit son troupeau en désordre et trouve des cadavres à moitié rongés ; il est au désespoir, il cherche le coupable, il le guette et le guette vainement ; pendant qu'il guette, le chien, pour dépister les soupçons, s'en est allé ravager d'autres troupeaux à de grandes distances, qu'il a parcourues en un clin d'oeil. Mais, à la fin, quelque indice met sur les traces du criminel ; le maître est rendu responsable et doit payer les dégâts : mauvais quart d'heure pour le pauvre paysan, qui perd à la fois et son argent et son chien. Un chien vicieux est incorrigible et il faut le tuer immédiatement.



Les chiens se corrompent mutuellement : dans la ferme de Irissaria il y avait un fort beau chien doux, sage, bon gardien, que ses maîtres aimaient et qu'ils traitaient amicalement. Un jour arrivèrent deux grands chiens qui l'accostèrent, lui parlèrent en leur langage, lui firent flairer et lécher leurs babines et lui persuadèrent de s'en aller avec eux. Quelques heures après, le chien était de retour ; mais les visites des deux amis se renouvelèrent et les absences du gardien se multiplièrent. Des allures si mystérieuses inquiétèrent le maître, qui ne tarda pas à acquérir la certitude que son chien exerçait d'affreux carnages dans les troupeaux en compagnie de ses pervers camarades. Sa mort fut décrétée. Après l'exécution, on enfouit son cadavre dans la terre. Or, dès le lendemain, les assassins venaient relancer leur complice, le cherchaient partout et se mirent à gratter la fosse jusqu'à ce qu'ils eussent mis à découvert les restes de celui dont ils avaient occasionné la condamnation et la mort. Grande leçon ! Que de gens acceptent sans discernement les camaraderies ! Que ceux-là veuillent bien méditer sur le sort du chien de Irissaria et apprennent qu'à tout âge, car il en va de même chez les hommes, on se perd par la mauvaise compagnie.


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CHIENS ELEVAGE LA MORINIERE ANGLET
PAYS BASQUE D'ANTAN



Quoique le chien soit sans aucun doute un vieil hôte du Basque, rien ne fait supposer qu'il soit arrivé avec lui des régions primitives. C'est à une époque relativement récente que nous le voyons mentionner comme un ami accoutumé et inséparable dans un chant, que les critiques littéraires ne font remonter qu'au XVe siècle, que bien des basquisants rejettent même comme complètement apocryphe, le chant d'Altobiscar. Ce chant célèbre la déroute de Roncevaux, lorsque l'armée de Carloman, après la mort du paladin Roland, prend la fuite et s'engage dans les défilés d'Altobiscar où elle succombe, écrasée par les rochers que les Basques lancent du haut de la montagne. "Un cri s'est élevé du milieu des montagnes des Basques, dit le chant d'Altobiscar ; et l'Etcheco Jauna (le maître de maison) debout devant sa porte a ouvert l'oreille et il a dit : Qui est là ? que me veut-on ? Et le chien qui dormait aux pieds de son maître s'est levé et a rempli les environs d'Altobiscar de ses aboiements."


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ROLAND A RONCEVAUX
PAYS BASQUE D'ANTAN



La même race du chien de garde sert de chien de berger. Les vallées espagnoles dans la haute montagne ont conservé la race la plus pure et la plus belle. Dans les vallées basques françaises l'espèce s'est malheureusement abâtardie. Un beau chien vaut de cinquante à soixante francs.



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GUIDE DE MONTAGNE ET SON CHIEN 
PYRENEES D'ANTAN



On enterre le chien, nous venons de le dire. Le chat n'a pas le privilège de la sépulture honorable : on se garde de tuer le chat à la maison, parce que cela porterait malheur, on l'emporte à la rivière et on le noye. Le chat en pays basque n'est pas une bête intéressante, on ne l'aime pas, il est livré à lui-même, au point de devenir tout à fait sauvage ; on le garde comme un mal nécessaire à cause des rats et des souris. Son éducation négligée l'a rendu aussi voleur que sournois. Il a noté les heures où les ménagères du voisinage sont occupées, il pénètre furtivement dans les cuisines, se régale des provisions de l'armoire et du lait de la jatte. On ne saurait croire l'habileté qu'il déploie pour éviter d'être vu et s'échapper à point. On faisait autrefois du chat la victime de jeux cruels, on l'enfilait au bout d'une fourche et on le faisait brûler vif dans les charivaris que l'on organisait pour se moquer des gens qui se remarient. On accompagnait les hurlements de la malheureuse bête par le bruit de ferrailles, par les sons discordants de cruches de terre qu'on appelle elseorua. Ou obtient ces sons en remplaçant le fond de la cruche par une peau de tambour. Une corde passe à travers la peau et sort par le haut de la cruche. En imprimant un mouvement de va-et-vient à la corde, on imite le mugissement des boeufs. Le chat jouit d'une mauvaise réputation, on le croit plus où moins en relation avec les sorcières. Ces actes révoltants d'une horrible cruauté sont les vestiges de croyances absurdes. Au XVIIe siècle, avaient lieu dans le pays basque de nombreux procès en sorcellerie ; on affirmait sous serment avoir vu les chats courir au sabbat et le chat est resté la bête suspecte qu'on a le droit de martyriser. 




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SABBAT
PAYS BASQUE D'ANTAN



Rappelons-nous combien nous sommes heureux d'être affranchis de ces dégradantes superstitions. Le chat est digne de notre affection, comme le chien ; le faire souffrir est abominable et révoltant. "Celui qui te donna un corps mortel n'a pas créé le mystère de la vie pour en faire le jouet des hommes sans pitié", s'écriait le poète Southen, parlant de la mort de son épagneul favori, compagnon de son enfance. Accordons une place également honorable au foyer à ces deux véritables amis, le chat et le chien, qu'une bonne éducation peut développer et civiliser au point de les élever jusqu'à nous. Sous beaucoup de rapports, de quoi ne sont-ils pas capables en fait de bonté, de discernement et d'intelligence ? Parfois on découvre chez eux des merveilles, pour peu que l'on cherche à comprendre et à se rendre compte des motifs de leurs actes. 



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PIERRE LOTI ET SON CHAT
PAYS BASQUE D'ANTAN



Il y a un autre animal aussi merveilleux pour son discernement que le chat et le chien, c'est le porc, auquel personne ne songe à rendre hommage parce qu'on ne le connaît pas. Avec plus d'attention, plus de justice à son égard, on découvrirait peut-être que pour la sage conduite de ses affaires il ne le cède en rien aux autres bêtes de la ferme dont nous avons parlé jusqu'à présent. Qui sait s'il ne leur dame pas le pion à tous ! Il fallait parler à Betsy, belle truie de la race du yorkshire, en anglais, puisqu'elle avait entendu exclusivement cette langue pendant toute son enfance ; elle comprenait à merveille, elle était affectueuse et reconnaissante, venait en courant dès qu'elle entendait prononcer son nom, caressante, joyeuse d'être appelée, elle connaissait son maître et le suivait aussi fidèle qu'un chien. Pauvre Betsy ! L'éducation qu'elle avait reçue en avait fait une personne policée chez qui il ne restait presque plus trace de la grossière indifférence qui inspire pour ses vulgaires congénères un mépris général.



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COCHON DU YORKSHIRE ANGLETERRE



Nous parlons des hôtes de la maison basque. Passer sous silence par une sorte de respect humain mal compris l'animal qui tient une si grande place, serait un crime de lèse-couleur locale ! Et il faut le dire sans vergogne, le porc c'est le roi du pays basque et le roi par droit de conquête.



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RETOUR DU MARCHE AVEC COCHON



Récemment importé d'outre-Manche, il a conservé les allures insolentes des touristes de l'agence Cook. Tout rose et appétissant sous son épidémie fraîche, il se passe toutes ses fantaisies, on les lui pardonne pourvu qu'il engraisse. Il transforme les rues en un cloaque, il y est chez lui, personne ne songerait à porter plainte contre ses écarts de conduite ; il flâne en grognant de la porte du maire à celle du percepteur ; il nargue la maréchaussée, le milieu de la rue lui est bon pour dormir, les voitures se détournent plutôt que de l'obliger à se lever, tant il est l'objet d'une bienveillance universelle. Lorsqu'il prolonge ses promenades sur les routes, les bons gendarmes veillent. Il est arrivé à maître porc d'être emmené par des mécréants, toute une aventure de brigands espagnols : les gendarmes se mobilisent à sa recherche, ils le rattrapent sur la frontière et le rendent à son maître, tandis que les voleurs sont châtiés de plusieurs mois de prison et payent de fortes amendes. Lorsqu'aucune méchante aventure ne lui arrive, notre ami est très ponctuel ; le soir, à l'heure dite, il regagne ses pénates où une soupe succulente lui est préparée et servie.



Son auge est quelquefois placée dans le corridor de la maison, dont les pauvres paysans souffrent qu'il fasse une porcherie ; après la soupe vient le dessert qu'il va chercher à la cuisine. D'un coup de son groin il ouvre la porte et dispute aux enfants le pain qu'ils ont dans la main. Il y a quelquefois trois et quatre porcs dans la cuisine. Il se fourre partout, il sait où est serré le grain, il soulève le couvercle du coffre à maïs. On lui pardonne cette frasque comme les autres, la maîtresse ne songe pas à le morigéner, cela pourrait contrarier sa digestion et le faire maigrir. Or, elle seule est responsable du bel état de santé et de l'embonpoint de son pensionnaire ; son mari n'a pas l'habitude de s'occuper d'un animal pour lequel il professe un suprême mépris, ce serait déroger. Cependant on vient le prévenir si le porc est malade et il a recours au forgeron qui saigne l'animal.



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COCHON DANS LA RUE A ST-PALAIS
PAYS BASQUE D'ANTAN



Il y a une vingtaine d'années, dans de petites villes comme Saint-Palais, où le vagabondage des porcs est considéré comme un délit, un jeune garçon, dès l'aube, sonnait du cor par les rues. Réveillée par ces joyeux appels, la gente porcine se secouait aussitôt les oreilles et arrivait au petit galop sur la place autour de l'enfant prodigue. De compagnie on s'en allait, les mères et les enfants, les célibataires et les époux, chercher le frais sous les ombrages d'une futaie. On trouvait de l'herbe, un clair ruisseau, des glands, des racines, des légumineuses de choix. C'était un vrai jardin des Tuileries pour cette jeunesse. On y goûtait de doux plaisirs jusqu'au soir où l'on s'en retournait comme on était venu. A l'entrée de la ville, le troupeau se dispersait librement. Sans perdre le temps en de vains bavardages, chacun rentrait chez soi. Certains voyageurs ont raconté qu'en Chine il y avait des porcheries sacrées où l'on entretient des porcs sacrés. Il est permis de mettre en doute que les chinois, pour tout sacrés qu'on les tienne, coulent d'aussi beaux jours que nos profanes basques. Mais, hélas ! à chaque porc, vient la Saint-Martin, et il n'y a plus de félicité qui vaille lorsque la Parque a aiguisé ses ciseaux. Les heures de celui qu'on se plaisait à appeler "le noble" sont comptées ; il a été l'espoir de la famille ; il a reçu avec profusion le grain et la farine. On lui demande de tenir ses promesses et de prouver qu'il est porc d'honneur et de parole."


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COCHON EN CHINE



A suivre...


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