PIERRE GARAT CHANTEUR BASQUE À LA COUR DU ROI DE FRANCE.
De tout temps, il y a eu au Pays Basque, une tradition de chants et de chanteurs.
Je vous ai déjà parlé de ce chanteur Basque, dans un article précédent.
Voici ce que rapporta le journal La Justice, dans son édition du 20 novembre 1900 :
" Les livres. Garat (1762-1823) par M. Paul Lafond...
Ceux à qui il a été donné de connaître quelques-uns de ces grands vieillards qui avaient été jaunes sous la Restauration, l'Empire et la République première, se souviennent dans quels termes nos grands pères parlaient du fameux chanteur Garat. Il transporta d'enthousiasme la société de la fin du dix-huitième siècle, la cour de Louis XVI, traversa non sans difficultés, non sans chanter non plus, la période terroriste, retrouva toute une nouvelle période de succès et toute une suite d'admirateurs, voire d'adorateurs, sous le Directoire et l'Empire et, un moment, ajouta à sa gloire artistique, une autre gloire d'un genre plus particulier, celle de se trouver le créateur de cette mode qu'il fit accepter et porter par la jeunesse à laquelle ces costumes carnavalesques firent donner les noms de Merveilleux et d'Incroyables.
Sans occuper dans la Société une place autre que celle que peut réclamer un chanteur doué d'une voix merveilleuse et d'une méthode de chant absolument personnelle, Garat est un personnage dont le nom est resté. C'est à ce titre que M. Paul Lafond a voulu faire revivre sa curieuse figure. Il naquit le 27 avril 1762, à Bordeaux, d'une famille de jurisconsultes, originaire d'Ustaritz en Béarn, et fut confié à une nourrice du bourg de Barsac. Cette femme, une simple paysanne, excellente chanteuse , chantait toujours. Aussi peut-on dire que le célèbre chanteur fut, en quelque sorte et dès le berceau, saisi par la musique... "Avec des sons, la nourrice faisait d'un tel enfant ce qu'elle voulait ; ces sons, liés en phrases de chant, furent gravés dans l'oreille et dans la voix du nourrisson avant aucune parole et aucune phrase de la langue et, à la lettre, Garat a commencé à chanter avant de commencer à parler."
Elève ordinaire, sinon médiocre, d'une école de Bordeaux, puis du collège de Barbezieux, le jeune Garat ne pensait qu'à la musique. A douze ans, il avait l'oreille si délicate, si fine, si exercée qu il retenait et chantait toute mélodie entendue par lui. Jusqu'à vingt ans, il chante à Bordeaux dans les soirées et les concerts, surprend les musiciens en renom qui, de passage dans la ville, peuvent l'entendre, charme ses auditeurs non seulement par sa manière de rendre les oeuvres des maîtres, mais aussi par les chansons basques recueillies dans le pays d'origine de sa famille et auxquelles l'expression de son chant imprimait un caractère particulier de fraîcheur et de poésie.
A vingt ans, de par la volonté de son père, Dominique Garat, avocat le destinant à la magistrature ou au barreau, Garat quitte Bordeaux pour venir à Paris suivre les cours de l'Ecole de droit. Le jeune homme aurait préféré s'abandonner à ses goûts, mais, comme la majorité des pères de tous les temps, Dominique Garat, s'il n'était pas ennemi des arts, éprouvait pour leur étude et leur pratique une estime à peu près nulle. Il servit il son fils une pension suffisante dans la persuasion qu'il consacrerait son temps à l'étude du droit, ne lui refusant pas de chanter, mais seulement à titre de distraction.
Si, dès les premiers temps, le jeune Garat se soumit, son goût, après de nombreux succès, l'emporta bien vite. Il se fit entendre dans les salons, charma ses auditeurs, fut attiré chez les grands seigneurs, les financiers, le chevalier de Saint-Georges, mélomane de grand goût, puis sa réputation grandissant, il chanta dans les concerts, non plus seul, mais à côté des plus grands artistes italiens, de Babini, de Crescentini, des dames Marrichetti, Piccini, la femme du célèbre compositeur rival de Gluck, de la Saint Huberty, cantatrice célèbre, alors dans tout l'éclat de son talent. Garat s'était lié avec tous ces chanteurs de l'époque si brillante de la musique italienne et, grâce à sa prodigieuse mémoire, à son goût si fin et si délicat, il se perfectionna grandement à leur contact, s'appropriant leurs méthodes, reproduisant jusqu'à leurs voix, au point que s'il lui prenait fantaisie d'imiter l'un d'entr'eux, il produisait l'illusion la plus absolue..." Sa voix, avec une égale flexibilité et une égale justesse, passait facilement des sons de la basse taille de celui-ci à la haute contre de celui-là. Garat n'était cependant ni une haute contre, ni un ténor, ni un baryton, ni une basse. Par un caprice de la nature, son gosier se prêtait à tous les registres, il était en résumé de toutes les voix. Dans une même soirée, il chantait les airs les plus opposés, du pathétique, passait sans aucun effort au bouffon, du style le plus sévère à la roulade et aux fioritures."
Parmi les chanteurs italiens, avec qui il s'était lié, Babini fut celui de qui Garat acquit une rare profondeur de sentiment, une élégance correcte, une vocalisation parfaite, accompagnée d'une expression naturelle sans cris ni exagération. C'est de l'époque de sa liaison avec Babini, dit M. Paul Lafond, que Garat, jusqu'alors un écolier de grand avenir, devint un maître incontestable et tout de suite incontesté. Grimm écrivait en 1784, dans sa gazette : "Nous avons, depuis quelque temps, un jeune homme dont le talent est un de ces phénomènes extraordinaires qui tiennent à la réunion la plus heureuse des différents sons de la nature. Son nom est Garat !... Tous les grands compositeurs de musique voulaient l'entendre, notamment Sacchini, Piccini, Grétry. Ce dernier lui conseilla de ne pas s attacher à l'étude rigide des règles théoriques de la musique qui n'étaient point, à son avis, faites pour lui et dont son organisation particulière semblait vouloir le dispenser".
Marie-Antoinette, sur ce que lui en rapporta Mme de Lamballe, avait voulu entendre Garat ; elle le fit mander à la cour, et, par délicatesse, voulut qu'on prit le jour et l'heure du musicien. A la date convenue, le 2 janvier 1783, un carrosse à six chevaux alla prendra Garat, chez lui, à Paris et, après avoir relayé à Sèvres, arriva à Versailles. Garat fut d'abord reçu dans les appartements de Mme de Polignac, grande maîtresse du palais ou il attendit quelque peu ; après quoi on lui fit traverser une vaste antichambre dans laquelle la musique de la cour, au grand complet, attendait les ordres de Sa Majesté. Il fut ensuite introduit dans un salon où se trouvait la reine en compagnie du comte de Provence, du comte d'Artois, et d'une foule de grands seigneurs et de grandes dames, curieux de voir ce prodige et de l'entendre. Salieri, l'accompagnateur ordinaire de Marie-Antoinette, était au clavecin, attendant des ordres.
Fort troublé à la vue de la reine, des princesses de cette assemblée qui n'avait d'yeux que pour lui, le jeune homme demeura quelque peu interloqué - on l'aurait été à moins. La reine, le comte d'Artois et le comte de Provence, s'apercevant de son embarras se hâtèrent de le rassurer par de bonnes paroles et de le mettre à l'aise. Notre gascon ne resta pas longtemps désarçonné et retrouva assez vite son aplomb. Marie-Antoinette, avec la grâce qu'elle savait mettre en tout, lui dit avoir appris qu'il était un habile musicien, et qu'en conséquence, elle avait désiré qu'il lui fût présenté. Garat répondit encore assez timidement, qu'il craignait bien que l'on eût trompé Sa Majesté ; il n'était, assura-t-il, qu'un écolier, accoutumé à chanter pour son plaisir, sans savoir ce que c'était que chanter, sans connaître aucunement la musique, et sans avoir aucune notion de chant ; ce qu'il avait appris, c'était tout au plus, à Bordeaux, quelques chansons en patois méridional et en langue basque. Sur une nouvelle invitation de la reine, son hésitation disparut, il fit entendre quelques airs gascons et basques en patois, puis en français. Son succès fut complet, bien au-dessus même de ce que l'on pouvait espérer. Ce monde, difficile, délicat et raffiné, trouva le chanteur exquis, le traducteur élégant, l'homme agréable. - Mais ne savez-vous aucun morceau d'opéra ? demanda la reine ? Je n'en ai rien appris, madame, mon père ne m'ayant permis de perdre mon temps qu'à l'étude du droit. Le mot fit rire la reine et les princes. Quoi, rien, reprit Marie-Antoinette ! Mon dieu, madame, je suis allé hier à l'Opéra ; j'y ai entendu Armide et peut-être en ai-je retenu quelque chose. Ah ! voyons, monsieur Salieri, dit la reine se tournant vers son accompagnateur, voulez-vous prendre la partition et accompagner M. Garat ? Celui-ci s'exécuta et, de mémoire chanta presque, tout l'opéra. La reine enthousiasmée donna le signal des applaudissements en félicitant hautement le chanteur. Le comte d'Artois le complimenta à son tour, ajoutant que c'était déjà très bien et que lorsqu'il saurait la musique...Mais il ne put en dire plus long, Salieri se levant inopinément, emporté par son admiration, interrompit le prince : "Lui apprendre la musique, Monseigneur ! mais il est la musique lui-même. - Cependant je vous le recommande, dit le prince.
Garat retourna plusieurs fois à Versailles, chanta devant Louis XVI, devint le commensal en quelque sorte indispensable des fêtes de Trianon et obtint bientôt une pension de 6 000 livres. Heureux, même fier de cette bienveillante mesure qui le tirait de graves embarras d'existence, il crut, en fils affectueux et dévoué, profiter de la circonstance pour renouer avec son père les relations interrompues depuis que celui ci, ayant appris que son fils délaissait l'étude de droit pour celle de chant, lui avait supprimé sa pension.
FËTES PETIT TRIANON 1780 PAR HUBERT ROBERT |
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