LES BASQUES VUS PAR TILLAC.
Jean-Paul Tillac, dit Pablo Tillac, est un peintre, graveur, sculpteur et illustrateur français, qui a beaucoup dessiné le Pays Basque.
Voici ce que rapporta La Gazette de Biarritz-Bayonne et de Saint-Jean-de-Luz, dans son
édition du 29 avril 1930 :
"Les Basques vus par J.-P. Tillac. En fouillant cartons et tiroirs.
Les Basques fixés dans leur profonde humanité par un grand artiste.
On parle beaucoup des Basques de puis plusieurs années et on en parle encore dans le monde entier. On a beaucoup parlé aussi d'un des artistes qui en ont le mieux fixé la physionomie et les attitudes, si bien que, sous son crayon, ils deviennent vivants : J.-P. Tillac. Dans la Gazette nous avons déjà eu l'occasion de parler de son œuvre. Dans le dernier numéro de l'Illustration, M. Paul Faure lui consacre un remarquable article dont nous citerons les passages suivants, à partir du moment où il a franchi le seuil de l'artiste :
Ce qu'il peut sortir des cartons, des portefeuilles empilés dans son armoire, dans ses commodes est incroyable ! Ce fut par les deux chambres, sur les chaises et sur nos genoux une immédiate jonchée de dessins rehaussés de rouge ou d’or, de sanguines, de lithographies, d’eaux-fortes noires et d’eaux-fortes en couleurs. Sous nos yeux ébahis papillotèrent durant quatre heures les visions éblouissantes d’imagination, poignantes de vérité du Pays Basque, de ses scènes et de ses types : ses mendiants sur les routes, ses hommes à l’église, ses corridas de village, ses danseurs ; et aussi de l’Espagne, que Tillac a habitée : Madrid, Tolède, dont il a rendu prodigieusement les aspects. Il ouvrit une boite, délit des papiers de soie, nous montra une série d’eaux-fortes destinées à illustrer la Vengeance du condor, de Ventura Garcia Calderon, dont il n’est pas démesuré de dire qu’elles sont au niveau des dessins de Dürer, Callot, Goya, Zurbaran, Daumier, Doré semblent avoir pétri plus ou moins ce talent auquel est venu s’ajouter quelque chose qui est bien de notre époque nerveuse, frénétique : le désir exaspéré de saisir les visages, les attitudes dans le furtif instant où se décèle l’intérieur des êtres.
A L'EGLISE PAR PABLO TILLAC PAYS BASQUE D'ANTAN |
— Cet ensemble, questionna l’un de nous, représente combien de dessins, de lithos, d’eaux-fortes ?
— Quatre mille.
Quel ermite enfermé dans son travail, brûlant du feu sacré de son métier, nous disions-nous en sortant des deux chambres, que l’homme qui n’a pas répandu ce trésor !
VIEILLE FEMME BASQUE PAR PABLOTILLAC PAYS BASQUE D'ANTAN |
A une époque où l’on donne son premier roman, où l’on expose son premier tableau entre douze et quatorze ans, n'est-il pas singulier qu'un artiste de quarante ans, et dont l'oeuvre a cette quantité et cette qualité, ait eu assez d'héroïsme ou de dédain pour le garder, ou presque, dans ses tiroirs ? Trinquets, danses, mendiants, corridas, églises, cabarets ; dans cette masse on ne sait plus que choisir. Décidons-nous aujourd'hui pour ces croquis pris dans la série des cabarets.
CABARETS BASQUES PAR PABLO TILLAC L'ILLUSTRATION |
Le cabaret, au Pays Basque, n’est pas tout à fait ce qu'il est ailleurs. Il a une physionomie bien à lui, qui le distingue des cabarets des autres provinces françaises. Qui dit cabaret dit endroit où l’on va pour boire et manger. Il est bien cela au Pays Basque, mais il est aussi et surtout un endroit où l'on se rend pour le seul plaisir de se réunir. D'ailleurs, puisque je parle de boire et de manger, il n'est pas sans intérêt de noter qu’au Pays Basque la question de la table est assez secondaire. On y mange sans gourmandise.
AU CABARET BASQUE PAR PABLO TILLAC L'ILLUSTRATION |
Mais si le Basque n’est pas spécialement porté sur le plaisir de faire bombance et si le cabaret n'est pas pour lui le sanctuaire uniquement consacré à la mangeaille, il n'en reste pas moins qu'il y va, et qu'il y va même beaucoup. A cela rien de surprenant. C'est son seul moyen de rencontrer ses semblables.
AU CABARET BASQUE PAR PABLO TILLAC L'ILLUSTRATION |
Pour les voir, ces cabarets, sous leur aspect le plus pittoresque, il faut y aller le dimanche et choisir de préférence ceux des villages situés entre Cambo, Mauléon et Saint-Jean-Pied-de-Port. C'est d'ailleurs dans les cabarets de cette région le cœur du Pays Basque - que Tillac a trouvé ses types les plus représentatifs. Certes, le dimanche, dans les villes, a un grand prestige pour ceux qui vivent enfermés dans des bureaux, rivés à des besognes, le même qu'il a aux yeux d'un écolier, mais ce prestige est bien plus grand encore aux yeux de ceux qui habitent des endroits déserts, loin non seulement des trains, mais de la moindre agglomération. Perdues dans la montagne ou dans les vallées, isolées les unes des autres, les maisons des Basques sont de véritables ermitages où ne parvient aucune des rumeurs de la vie extérieure et que rendent plus isolées encore les chemins qui, par beau temps, ne sont que chaos de pierrailles, et, par la pluie, de véritables torrents. Toute la semaine, leurs habitants sont à peu près aussi retranchés du monde que des gardiens de phare en pleine mer.
AU CABARET BASQUE PAR PABLO TILLAC L'ILLUSTRATION |
Mais vient le dimanche et les voilà libérés. Celui qui, un dimanche, traverserait à l’aube un de ces villages entourés de coteaux et de montagnes, incrustés de fermes, verrait, entre six et neuf, des points noirs descendre les pentes. Ce sont les Basques qui se rendent au village pour retrouver les grandes attractions dominicales : le mur de pelote, l’église, le cabaret. Cela peut sembler choquant de mêler le profane au sacré, le mur de pelote et le cabaret à l’église. Erreur ! Aux yeux d'un Basque, les libations au cabaret sont, comme la partie de pelote, la grand'messe et les vêpres, des rites séculaires que l'on célèbre avec une ferveur en quelque sorte familiale et qui est un hommage à la tradition. Si l’esprit qui règne dans les cabarets basques n'a rien de commun avec celui des cabarets des autres provinces, l'aspect aussi en diffère. Rien du bistro. Pas de zinc sur le comptoir. Aux murs, pas de gravures canailles. C’est généralement une vaste salle basse, avec des poutres au plafond et de la chaux blanche aux murs. Pour mobilier : des bancs et des tables de bois massif. Quant au patron, il n’a rien du mastroquet. Aucun rapport avec l'individu aux manches retroussées sur des bras de lutteur qui règne dans les débits. C’est ici un silencieux bonhomme qui est quelquefois le sacristain de l’endroit, très souvent le maire.
AU CABARET BASQUE PAR PABLO TILLAC L'ILLUSTRATION |
Dire que les Basques vont au cabaret uniquement pour se réunir, qu ils n’y boivent pas, serait excessif. Ils boivent, et ferme, Peu d’apéritifs. Surtout du vin. Ils en ont d’ailleurs un, délicieux : l’Irouléguy, qui se récolte au village de ce nom, dans les environs de Saint-Jean-Pied-de-Port. Vin suave à goût de fleur, qui, bien présenté avec une étiquette raccrocheuse, se vendrait cher dans les grands restaurants. Mais, par mépris de l'argent, ils ne se donnent pas la peine de le faire connaître.
AU CABARET BASQUE PAR PABLO TILLAC L'ILLUSTRATION |
Eh bien, cette race à la fois austère et gaie, cette race singulière qui ne ressemble à aucune autre en rien, personne n’a su mieux la regarder et l'ex primer que Tillac. Ces hommes, dont le visage porte entremêlée la gravité qu’y ont mise à la longue les heures passées à l'église ou dans la solitude des paysages déserts et cet air enfantin de ceux à qui la simplicité de vie donne le pouvoir de s’amuser de rien, les voilà fixés dans leur profonde humanité par ce grand artiste.
AU CABARET BASQUE PAR PABLO TILLAC L'ILLUSTRATION |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire