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mercredi 31 juillet 2019

THÉOPHILE GAUTIER AU PAYS BASQUE EN 1840


THÉOPHILE GAUTIER AU PAYS BASQUE EN 1840.


C'est en 1840 que Théophile Gautier, accompagné de son ami Eugène Piot traverse le Pays Basque pour aller à Madrid.



pays basque autrefois
THEOPHILE GAUTIER
PAYS BASQUE D'ANTAN


Je vous ai déjà parlé de ce voyage, dans deux articles précédents, le 23/12/18 et 31/01/19.


Voici aujourd'hui un article paru dans le journal La Presse, le 5 juin 1840, signé par Théophile 

Gautier, sur ce voyage au Pays Basque.


"Sur les chemins. — lettres d'un feuilletoniste. 



Béhobie, frontières d'Espagne. 



Au sortir de Bordeaux, les Landes recommencent plus tristes, plus décharnées et plus mornes s'il est possible ; des bruyères, des genets et des pinadas (forêts de pins) ; et de loin en loin, quelque fauve berger accroupi gardant des troupeaux de moutons noirs, quelque cahutte dans le goût du wigwam des Indiens ; c'est un spectacle fort lugubre et fort peu récréatif ; et il faut dire que tous ces pins éventrés ne contribuent pas à l'égayer. Cette large blessure dont la couleur saumon tranche avec les tons gris de l'écorce, donne un air on ne peut plus lamentable à ces arbres souffreteux et privés de la plus grande partie de leur sève. On dirait une forêt injustement égorgée qui lève les bras au ciel pour lui demander justice. Ne sachant à quoi m'occuper l'esprit pendant cette route interminable, je m'amusai à composer la petite pièce de vers suivante, inspirée par ces pins mélancoliques. — J'espère qu'on me pardonnera de l'insérer ici. 


On ne voit, en passant par les landes désertes, 

Vrai Zaharah français poudré de sablé blanc,

Surgir de l'herbe sèche et des flaques d'eaux vertes, 

D'autre arbre que le pin avec sa plaie an flanc. 


Car pour lui dérober ses larmes de résine, 

L'homme, avare bourreau de la création, 

Qui ne vit qu'aux dépens de ceux qu'il assassine, 

Dans son tronc douloureux ouvre un large sillon. 


Sans regretter son sang qui coule goutta à goutte, 

Le pin verse son baume et sa sève qui bout, 

Et se tient toujours droit sur le bord de la route, 

Comme un soldat blessé qui veut mourir debout

Le poète est ainsi, dans les landes du monde ; 

Lorsqu'il est sans blessure il garde son trésor. 

Il faut qu'il ait au cœur une entaille profonde, 

Pour épancher ses vers, divines larmes d'or. 




Nous passâmes à Dax au milieu de la nuit et traversâmes l'Adour par un temps affreux, une pluie battante et une bise à décorner les bœufs. Plus nous avancions vers les pays chauds, plus le froid devenait aigre et piquant ; si nous n'avions pas eu nos manteaux, nous aurions eu le nez et les pieds gelés comme les soldats de la grande armée à la campagne de Russie. — Lorsque le jour parut, nous étions encore dans les landes ; mais les pins étaient entremêlés de lièges, arbres que je m'étais toujours représentés sous la forme de bouchon, et qui sont en effet des arbres énormes qui tiennent à la fois du c ; des espèces d'étangs d'eau saumâtre et de couleur plombée s'étendaient de chaque côté de la route ; un air salin nous arrivait par bouffée ; je ne sais quelle rumeur vague bourdonnait à l'horizon ; enfin une silhouette bleuâtre se découpa sur le fond pâle du ciel : c'était la chaîne des Pyrénées. Quelques instants après, une ligne d'azur presque invisible, signature de l'Océan, nous annonça que nous étions arrivés. Bayonne ne tarda pas à nous apparaître sous la forme d'un tas de tuiles écrasées avec un clocher gauche et trapu ; nous ne voulons pas dire de mal de Bayonne, attendu qu'une ville que l'on voit par la pluie est naturellement affreuse. — Le port n'était pas très rempli ; quelques rares bateaux pontés flânaient le long des quais déserts avec un air de nonchalance et de désœuvrement admirable ; les arbres qui forment la promenade sont très beaux et modèrent un peu l'austérité de toutes les lignes droites produites par les fortifications et les parapets. — Quant à l'église, elle est badigeonnée en jaune-serin et en ventre de biche ; elle n'a de remarquable qu'une espèce de baldaquin en damas rouge, et quelques tableaux de Lépicié et autres peintres dans le goût Van-Loo. 




Bayonne est une ville presque espagnole pour le langage et les mœurs : l'hôtel où nous logions s'appelait la Funda San Esteban. Sachant que nous allions faire un long voyage dans la Péninsule, on nous faisait toutes sortes de recommandations : achetez des ceintures rouges pour vous serrer le ventre ; munissez-vous de tromblons, de peignes et de fioles d'eau insecto-mortifères ; emportez du biscuit et des provisions ; les Espagnols déjeunent d'une cuillerée de chocolat, dînent d'une gousse d'ail arrosée d'un verre d'eau, et soupent d'une cigarette de papier ; vous devriez bien aussi vous munir d'un matelas et d'une marmite pour vous coucher et faire la soupe. — Les dialogues français-espagnols, à l'usage des voyageurs, n'avaient rien de très rassurant, au chapitre du voyageur à l'auberge, on lit ces effrayantes paroles :


— Je voudrais bien prendre quelque chose. 

— Prenez une chaise, répond l'hôtelier. 

— Fort bien ; mais j'aimerais mieux prendre autre chose.

— Qu'avez-vous apporté ? poursuit le maître de la posada. 

—Rien ; répond tristement le voyageur. 

— Eh bien, alors, comment voulez-vous que je vous fasse à manger ; le boucher est là bas, le boulanger est plus loin : allez chercher du pain, et de la viande, et s'il y a du charbon, ma femme qui s'entend un peu à la cuisine, vous accommodera vos provisions. 

—Le voyageur, furieux, fait un vacarme effroyable, et l'hôtelier impassible lui porte sur sa carte : 5 réaux de tapage. 




La voiture qui conduit à Madrid part de Bayonne. Le conducteur est un majoral avec un chapeau pointu orné de velours et de houppes de soie ; une veste brune brodée d'agréments de couleur, des guêtres de peau et une ceinture rouge : voilà un petit commencement de couleur locale ; à partir de Bayonne, le pays est extrêmement pittoresque ; la chaîne des Pyrénées se dessine plus nettement, et des montagnes aux belles lignes onduleuses varient l'aspect de l'horizon ; la mer fait de fréquentes apparitions sur la droite de la route ; à chaque coude l'on aperçoit subitement entre deux montagnes ce bleu sombre, doux et profond coupé çà et là de volutes d'écume plus blanche que la neige dont jamais aucun peintre n'a pu donner l'idée. — Je fais ici amende honorable à la mer dont j'avais parlé irrévérencieusement, n'ayant vu que la mer d'Ostende qui n'est autre chose que l'Escaut canalisé, comme le soutenait si spirituelle ment mon cher ami Fritz




Le cadran de l'église d'Urrugne où nous passâmes portait écrit en lettres noires cette funèbre inscription : Vulnerant omnes, ultima necat. Oui, tu as raison, cadran mélancolique, toutes les heures nous blessent avec la pointe acérée de tes aiguilles, et chaque tour de roue nous emporte vers l'inconnu. 




Les maisons d'Urrugne et de Saint-Jean de Luz qui n'en est pas très éloigné ont une physionomie sanguinaire et barbare, due à la bizarre coutume de peindre en rouge antique ou sang de bœuf, les volets, les portes et les poutres qui retiennent lès compartiments de maçonnerie. Après Saint Jean de Luz, on trouve Béhobie, qui est le dernier village français — On fait sur la frontière deux commerces auxquels les guerres ont donné lieu : d'abord celui des balles trouvées dans les champs, ensuite celui de la contrebande humaine. — On passe un carliste comme un ballot de marchandises ; il y a un tarif. Tant pour un colonel, tant pour un officier ; le marché fait, le contrebandier arrive, emporte son homme, le passe et le rend à destination comme une douzaine de foulards ou un cent de cigares. — De l'autre côté de la Bidassoa est Irun, le premier village espagnol ; la moitié du pont appartient à la France et l'autre à l'Espagne.Tout près de ce pont se trouve la fameuse île des Faisans où fut célébré par procuration le mariage de Louis XIV. Il serait difficile aujourd'hui d'y célébrer quelque chose, car elle n'est pas plus grande qu'une sole frite de moyenne espèce. 


ÎLE DES FAISANS BEHOBIE 1660



A la Bidassoa, près d'entrer en Espagne,  

Je descendis, voulant regarder la campagne, 

Et l'Île des Faisans et l'étrange horizon,

Pendant qu'on nous timbrait d'un nouvel écusson ; 

Et je vis, en errant à travers le village,  

Un homme qui mettait des balles hors d'usage, 

Avec un gros marteau sur un quartier de grès, 

Pour en faire du plomb et le revendre après ; 

Car, la guerre a versé sur ces terres fatales

 De son urne d'airain une grêle de balles ; 

Une grêle de mort, que nul soleil ne fond, 

Hélas ! ce que Dieu fait les hommes le défont ; 

Sur un sol qui n'attend qu'une bonne semaille,

De leurs sanglantes mains ils sèment la mitraille ; 

Aussi, les laboureurs vendent au lieu de blé, 

Des boulets recueillis dans leur champ constellé.

Mais du ciel épuré descend la paix sereine, 

Qui répand de sa corne une meilleure graine,

Fait taire les canons à ses pieds accroupis,

Et presse sur son cœur une gerbe d'épis ! 




Encore quelques tours de roue, et je vais peut-être perdre une de mes illusions, et voir s'envoler l'Espagne de mes rêves, l'Espagne du Romancero, des ballades de Victor Hugo, des nouvelles de Mérimée et des contes d'Alfred de Musset. En franchissant la ligne de démarcation, je me souviens de ce que le bon et spirituel Henri Heine me disait au concert de Listz, avec son accent allemand plein d'humour et de malice.—Comment ferez-vous pour parler de l'Espagne quand vous y aurez été ? "




Merci ami(e) lecteur (lectrice) de m'avoir suivi dans cet article.

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